----------Un
arrêté du 29 mars 1949 a classé parmi les monuments
historiques un certain nombre d'édifices auxquels est attachée
la mémoire de l'émir Abdelkader: les ruines de la Mosquée
de Sidi Mahyieddine au douar Guethna. commune mixte de Mascara, le "
bain de l'émir ", à la ferme Saint-Paul, douar Nesmoth,
commune mixte de Cacherou, le rempart turc de la smala, au même
lieu, ainsi que Ses ruines de la zaouïa de Sidi Mahyieddine, dans
la même commune.
----------Un
arrêté du 14 mars 1949 avait classé parmi les monuments
naturels et sites un bosquet d'environ cent cinquante oliviers séculaires,
près du rempart (le la smala, dans la ferme Saint-Paul.
----------Par
ailleurs, un monument a été élevé et solennellement
inauguré, près de la ferme Saint-Paul, et du " bain
de l'émir". sur un terrain donné gracieusement par
le propriétaire. Un crédit avait été voté
à cet effet en décembre 1949 par l'Assemblée Financière
Algérienne. Cette manifestation a pris la valeur (l'un symbole
d'autant plus plus émouvant qu'on célèbre cette année
même le centenaire de la mort de Bugeaud, l'illustre adversaire
de celui qui devint un ami de la France après l'avoir vaillamment
combattue pendant quinze ans.
----------Les
souvenirs de l'émir Abdelkader sont encore assez nombreux dans
la région de Mascara, mais tendaient à s'effriter et à
tomber en ruines.
----------
A Mascara même, l'émir résida de 1832 à 1835
et à (le fréquentes reprises entre 1837 et 1841. Sa maison
s'élevait jadis sur l'emplacement de celle qui fut, jusqu'en 1892,
le bureau des Hypothèques, à l'angle (le la rue Vauban et
(le la place Mogador. Les bureaux de l'administration d'Abdelkader étaient
au beylik, enclos aujourd'hui dans les bâtiments militaires qui
occupent une bonne partie de la ville. Une légende veut qu'aux
pieds de l'arbre qui s'élève devant le grand hôtel.
l'émir rendait la justice, comme saint Louis à l'ombre du
chêne de Vincennes. Ce n'était en tout cas pas le même
arbre : car cet arbre est un belombra et les belombras sont d'importation
relativement récente : leur rapide croissance fait illusion sur
leur âge véritable. Quant à l'emplacement de l'hôtel
actuel, il était occupé. assure-t-on, par une bien curieuse,
sympathique et poétique institution : dâr al-metwahhmât,
la maison (les femmes enceintes. la maison (les désirs difficiles
à réaliser. On y apportait toutes sortes de primeurs, on
y conservait des fruit, hors saison, (le façon à pouvoir
satisfaire autant que possible les envies des femmes pendant leur grossesse.
Heureuses femmes de Mascara ! Délicate attention qui fait penser
à d'autres habous pittoresques et pleins (le poésies comme
l'hôpital (les cigognes malades à Fès ou la fondation
destinée à payer (les chanteurs nocturnes sur les minarets
fasis pour consoler et bercer les malades insomnieux.
A LA GUETHNA DE L'OUED
EL HAMMAM
----------C'est
à la Guethna de l(oued El Hammam que naquit en 1807 ou 1808 Abdelkader,
dans la zaouïa de son père. Sidi Mahyieddilne. Sa jeunesse
se partagea entre cette Guethna et Cacherou où Sidi Mahyieddine
avait une autre zaouia et où il passait généralement
l'été. Mahyieddine était cheikh (le la confrérie
des Qadria et chef d'une fraction marahoutique de la confédération
des Hachem. Il faisait remonter sa généalogie au Prophète,
par Idriss et par Hassan, fils d'Ali ben Abi Taleb. Il était le
fils de Sidi Moustafa, fondateur de la zaouia de la Guethna, qui mourut
en Tripolitaine, au retour (lu pèlerinage. et qui était
le petit-fils (le Sidi El Moklitar. mort chez les Beni Ameur (le la région
de Tlemcen. Le fils de Sidi El Mokhtar, Mohammed, accourut .-aussitôt
et emporta, dit-on, le cadavre en cachette pour l'enterrer au cimetière
familial de Sidi Qâda, près de Cacherou. Mais les Beni Ameur,
qui tenaient aux reliques, assurèrent l'avoir retrouvé dans
sa tombe. Sidi El Mokhtar devint donc Bou Qabrin, possesseur de deux tombes.
----------Abdelkader,
dit Sidi Qâda, qui donne son nom au grand cimetière des marabouts
(les Hachenn, avait eu sept fils, parmi lesquels El Mokhtar dont descend
l'émir ainsi que la famille Bou Thaleb ; et Mohammed, dont descend
la famille Chergui. Il vivait au XVIIè siècle et descendait
de Ahmed Bakhada, mort à Zlanta, et de Abdelquaoui, mort à
Tagdempt, issu lui-même de chorfa idrissides venus du Rif marocain.
----------La
Guethna est dans un site magnifique dominant la vallée de l'oued
El Hammam régularisé par le barrage de Bou Hanifia et dominé
lui-même par les escarpements sauvages du Kef ar-Rakhma, la falaise
du Vautour, et les crêtes boisées de la forêt de Stamboul.
On y accède par un gué qu'il faut traverser à cheval.
On aborde au débouché d'un ravin gardé par de beaux
tamaris centenaires et sacrés à côté d'une
hawita, petite enceinte (le pierres brutes marquant la tombe (le quelque
saint inconnu qui passe pour abriter des trésors gardés
par des génies que l'on se garde bien de déranger. C'est
la chabet ghar et-tholba, le ravin de la grotte des étudiants.
Et l'on montre une large dalle que ces jeunes gens studieux et joyeux,
après avoir repassé leur leçon, s'amusaient à
viser de la colline opposée, avec des galets ronds, nombreux en
effet autour d'elle. Celui qui manquait son coup payait le thé.
----------Sur
le plateau, l'on voit d'abord les murs de la Mosquée qui vient
d'être classée : un petit édifice aux quatre côtés
à peu près intacts, mais au toit écroulé.
Une absidiole constitue le mihrab indiquant la qibla, encadré,
à l'intérieur, d'une ogive outrepassée. Sept petites
niches, surmontées de fenêtres ou plutôt (le meunières,
permettaient (le poser les livres et les babouches. Trois colonnes partageaient
l'espace carré en deux travées : un pilier au Sud-Ouest,
porte encore (le frustes décorations triangulaires.
----------Un
peu plus loin s'élevait la zaouïa, beaucoup plus vaste, dont
il ne reste que le tracé (les murs, les ruines d'un moulin, la
place des silos. Un cercle de pierre, au milieu de la cour centrale, marque
la place (le la tente du chef. Une guethna était un groupe d'habitations
fixes mêlées (le tentes autour de la demeure d'un chef. La
vie sédentaire, la vie religieuse et intellectuelle, la vie nomade
(que chantera l'émir dans un poème fameux) sont ici étroitement
mêlées. Cette zaouïa et les maisons qui l'entouraient,
au nombre d'une trentaine, furent incendiées au cours des combats
d'octobre
----------Plus
loin, vers l'Ouest, s'élève un mausolée intact, tout
blanc de chaux, dédié à Sidi Abdelkader El-Jilali,
le grand saint de Bagdad, fondateur de Qâdriya, dont les koubbas
surmontent tant de collines et de montagnes de l'Oranie qu'on l'a surnommé
l'Oiseau des Hauteurs. Là ont lieu chaque année deux fêtes,
deux ouadhas, au printemps, avec jeu de la koura, balle
à la crosse ; à l'automne, avec baroud et rahba.
La rahba est un sport original et très difficile, une boxe des
pieds : on s'élance, on pose les deux mains à terre et l'on
décoche une ruade à l'adversaire.
LA ZAOUIA ET LA SMALA
DE CACHEROU
----------L'accès
à la Guethna étant vraiment trop difficile et les souvenirs
par trop en ruines, c'est à Çacherou que l'on a décidé
d'élever le monument commémoratif. .A une vingtaine de kilomètres
(le Mascara, sur la route de Tiaret, à gauche, légèrement
contrebas, l'on voit d'abord, au milieu d'oliviers et devant un bois (le
beaux peupliers trembles, safsaf, en train d'ailleurs (le dépérir
d'un détournement d'eau, les ruines de l'autre zaouïa de Sidi
Mahyieddine. Le délabrement est fort accentué depuis la
mort de la duchesse de Malakoff, sur le domaine de laquelle se trouvait
le monument. Une suite (le trous bizarres marque le tracé (l'un
tunnel effondré qui aboutit une excavation dite khalwa,
la retraite, cachette ou lieu (le méditation.
----------Suivant
la route en montant, pendant encore deux kilomètres on arrive au
rempart (le pisé ocre. bien conservé, percé de meurtrières.
construit sans doute par un (les beys turcs (le Mascara, et entourant
un vaste terrain où pouvaient s'abriter des bestiaux, des cultures,
des tentes. des bâtiments ; ce que l'on appelle la smala.
Un chemin (le terre conduit à la ferme Saint-Paul, dont les bâtiments
moderne,, s'élèvent sur une partie des murs anciens reconnaissables
à un enduit verdâtre. Un hammam subsiste en bon état.,
avec ses murs très épais, ses deux petites pièces
voûtées d'arêtes, sa cheminée en pleine pierre,
sa cuve rectangulaire connue sous le none de " baignoire d'Abdlelkader
". Un escalier extérieur conduit à une terrasse
d'où la vue est superbe sur la fertile plaine d'Eghriss, et les
montagnes vertes et mauves qui la terminent au nord. D'après la
tradition locale, l'émir aurait caché par ici ses trésors
; des souterrains rayonneraient jusqu'à la zaouïa, jusqu'à
des grottes à stalactites devenues inaccessibles. On parle d'un
magicien marocain qui serait venu faire des opérations
et des fumigations. s'enferma dans le bain de l'émir et disparut
après avoir prédit la guerre de 1914.
----------C'est
à quelques pas de là, et jouissant du même panorama,
que s'élève le monument commémoratif.
L'EMOUVANT CIMETIERE
DE SIDI QADA
----------Un
peu plus loin, dans la direction de la forêt de Nesmoth, le beau
cimetière de Sidi Qâda couvre un large mamelon dominé
par les bâtiments du mausolée où repose l'ancêtre.
Les tombes anonymes aux " témoins " de pierres brutes,
mêlées aux touffes de palmiers nains, sont parsemées
de petits édifices aux blanches coupoles sur la tombe des personnages
plus particulièrement vénérés. A mi-hauteur,
la Koubba de Sidi Mahyieddine, avec une coupole centrale flanquée
de quatre petites, est accotée à la salle funéraire
de Sidi Ahmed El Guellil, son cousin éloigné, descendant
de Sidi Tahar, fils de Sidi Qâda, toujours très vénéré,
et où viennent psalmodier longuement les femmes après avoir
visité l'aïeul. Une tradition veut que la Koubba de Sidi Mahyieddine
ait été construite en une nuit par l'émir Abdelkader,
accouru de Tagdempt, à cheval, en pleine guerre.
Emile DERMENGHEM.
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