--------Sur
la côte d'Oranie. à 52 kilomètres de la frontière
marocaine, se creuse une baie, à laquelle des hauteurs escarpées
donnent des allures de fjord. Une plage en occupe le fond et, derrière
la plage, l'enceinte d'une ville se dessine, escaladant les pentes de
la montagne. Cette ville, ou plutôt cette coquille de ville, vidée
de son contenu, c'est Honaïn, dont le nom figure à maintes
reprises chez les ,chroniqueurs et les géographes du moyen âge.
--------Nul
centre antique ne parait l'avoir précédée. Elle sort
de l'ombre au XIè siècle et fait d'abord figure de forteresse
parmi celles qui jalonnaient le littoral et protégeaient la terre
d'islam contre les attaques éventuelles des flottes chrétiennes.
Simple tour de guet, sans doute, mais qui, ajoute le géographe
El-Bekri. " domine un bon mouillage très
fréquenté par les navires ". Au milieu du
XIIè siècle, Idrisi, dans le livre qu'il composa pour son
maître Roger 11, le roi normand de Sicile, la décrit comme
une cité florissante, ceinte d'un solide rempart et dont les bazars
sont le siège d'un commerce actif.
--------La
région était entrée dans la grande histoire avec
l'accession d'un de ses fils, Abd-el-Moûmin, au commandement des
Almohades, avec la fondation de sa dynastie et grâce au rôle
que ce chef d'empire attribua aux gens de sa tribu, les Koûmiya.
Toutefois ce fut le XIIIè siècle qui vit Honaïn
prendre son plein développement économique et qu lui
conféra une valeur stratégique de premier plan, par le fait
qu'elle devint le port de Tlemcen. capital des Abd-el-Wâdides.
--------Deux
jours de navigation suftisaient pour se rendre au port d'Alméria,
alors une des villes les plus riches d'Andalousie, fière de ses
chantiers de construction navale et de ses ateliers d'industrie textile.
Honain, où abordaient les voyageurs et où se débarquaient
les précieuses cargaisons, était le point (le départ
d'une des principales routes de pénétration africaine. Cette
route Nord-Sud, passant par Tlemcen, gagnait le Tafilalet et aboutissait
au Soudan, à ce fabuleux pays des Noirs, où les pacotilles
d'outre-mer s'échangeaient contre les denrées les plus convoitées,
l'or, les gommes odorantes et les beaux esclaves.
La possession d'llonain et (lu chemin qui, traversant les hauteurs, l'unissait
à Tlemcen, bien qu'aucun travail d'art n'en marquât le tracé,
présentait un intérêt aisément concevable.
Les rois de Fez, dont l'annexion (le Tlemcen fut la constante préoccupation,
avant même d'assiéger la capitale ennemie, occupaient la
ville maritime par où les Tlemceniens pouvaient recevoir renfort.,
et ravitaillement. C'est même à l'un de ces sultans marocains,
le puissant Abou'l-Flassan, que l'on est tenté d'attribuer tout
ou partie des remparts et la mosquée dont un fragment du minaret
signalait naguère l'emplacement.
--------La
décadence de Tlemcen, capitale berbère, devait compromettre
l'importance stratégique d'Honaïn. Elle gardait toutefois
son rôle économique. Sa fortune trouva mème un aliment
nouveau, quand la prise d'Oran par les Espagnols eut fait dériver
vers son port la venue périodique (les bateaux vénitiens.
Elle était fort accueillante aux marchands d'Europe. Au début
du XVI' siècle, Léon l'Africain, dans le texte italien que
nous avons conservé la déclare " assai
gentile e adonne di civilita ". Il a encore vu les citadins
s'activant au tissage de la toile de chanvre et de coton. Il y a visité
des demeures plaisantes aux chambres décorées de faïence
et dont une treille ombrage la cour.
-------C'étaient
la les derniers beaux jours d'une vie paisible. Honain suivant la destinée
qui entrainait toutes les cités maritimes de l'Algérie turque
vers les profits rémunérateurs et méritoires de la
piraterie. était devenue elle aussi un nid de corsaires barbaresques.
--------Cette
nouvelle menace qui pesait sur le libre usage de la mer devait provoquer
des réactions de l'Espagne. Deux attaques dirigées contre
Alger en 1516 et en 1519 avaient échoué. Le Penon, le fort
bâti sur un îlot devant la capitale de la Régence,
avait capitulé en 1529. Les Espagnols furent plus heureux à
Honaïn ; ils s'en emparaient par surprise en 1531, et l'archevêque
de Tolède pouvait célébrer cette victoire de la chrétienté
dans une lettre écrite à Charles Quint. La prise de la ville
donnait (le l'air à la garnison d'Oran. Il en coûterait peu
pour conserver cette conquête avantageuse. Il en coûtait encore
trop. Le corps d'occupation, abandonné à lui-même,
ne recevait ni solde ni secours. Les gens du pays ne voulaient rien vendre,
et l'on ne trouvait pas une sardine à acheter. "bien
qu'elle abondât dans le pays".En 1534, Honaïn
fut évacuée et elle connut dès lors une longue décadence
sans histoire.
Ruine de la Porte de la Mer
-
--------Celle
qu'elle avait vécue durant le moyen âge et jusqu'au début
des temps modernes s'inscrit encore dans le site ennobli de ruines. Non
loin (le la plage s'élève un plateau rocheux haut d'une
trentaine (le mètres, que couronnent les robustes remparts de la
citadelle. Une seule entrée coudée et voûtée
donne accès dans l'enceinte (le cette casba. Une citerne aménagée
dans le roc assurait l'alimentation (les défenseurs.
--------En
avant du plateau. au pied (le l'escarpement se creuse le port. Son bassin
rectangulaire, dont le périmètre est très reconnaissable
avec les quais qui le bordaient, mesure environ 5o mètres sur 85.
La mer, dont il est maintenant séparé par la plage, venait
sans doute battre jadis les murs qui le protégeaient, à
moins qu'un canal ne permit d'arriver aux navires, qui y entraient en
passant, mâts dressés et voiles tendues, sous la grande arche
de sa porte.
--------La
terre a rempli le bassin, qui est devenu le jardinier du garde-forestier.
Le carrés de salades verdissent entre les quais de béton
où venaient, aux beaux jours, s'amarrer les felouques et les galères.
Mais la Porte de la Mer dressait encore, il y a quelques années,
un de ses pieds droits et l'amorce de sa haie. que brodaient des entrelacs
de galons et un beau décor floral sculpté dans la pierre
rose.
--------L'Afrique
du Nord ne conserve, sauf erreur, que trois autres vestiges de ces ports
fermés du moyen âge berbère : en Tunisie, celui de
Mahdiya, dont l'arche d'entrée s'est effondrée dans le chenal
; en Algérie, celui de Bougie, dont on connaît la Porte dite
Sarrazine ; au Maroc, celui de Salé, dont la porte encore intacte
compte parmi les plus beaux monuments de l'architecture hispano-mauresque.
Celui d'Honaïn est à peu près contemporain de ce dernier
et ne devait pas lui être inférieur.
--------La
ville, elle-même, s'étendait en arrière de cet élément
vital que constituait le port. Les remparts de pisé se développent,
assez bien conservés, avec leur chemin de ronde, flanqués
de sept grosses tour, carrées sur le front de nier, escaladant
en ligne droite la hauteur, qui, du rivage, s'élève vers
le Sud, barrant le ravin qui se creuse à l'Ouest. Chacune des faces
était percée d'une porte. Celle (le l'Est a gardé
ses pieds droits décorés d'entrelacs et le départ
de son arc (le briques. A l'intérieur de la place, dans ce qui
fut la basse-ville, subsistent des ruines que l'on désigne avec
vraisemblance comme titi hamniâm. Non loin (le là la Grande
Mosquée du XIVè siècle a perdu le noyau du minaret
qui en fut le dernier vestige.
--------A
ces restes du passé berbère (le la cité s' ajoute
un témoin éloquent de son occupation éphémère
par les Espagnols. A proximité (le la face Ouest de l'enceinte,
dont un large fossé creusé (le main d'homme la. sépare.
s'élève la base d'une tour en pierre de taille et le départ
de son escalier en colimaçon. Elle protégeait la place contre
les attaques des montagnards, dont le sombre pays s'étage et occupe-le
fond du tableau. Elle dit l'insécurité où vécurent
pendant quatre années d'alerte, et de misère, les Chrétiens
campés sur la terre hostile.
--------Enrichissant
le précieux enseignement que nous fournissent Honain. son port,
sa citadelle et ses remparts, cette dernière ruine confère
à ce beau paysage de la côte algérienne un charme
mélancolique. Elle évoque le souvenir d'une aventure héroïque
et stérile.
Georges MARÇAIS.
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