LES CONTES
-------L'Afrique
du Nord est un vieux pays recouvert, depuis des millénaires, par
de successives invasions qui ont déposé leurs apports en
couches, qu'il n'est pas toujours facile de distinguer.
-------C'est
la terre où s'affrontent, se rencontrent, s'unissent, avançant,
reculant tour à tour, l'Orient et l'Occident d'une part, l'Europe
et l'Afrique de l'autre.
-------C'est
une île, " l'île d'Afrique ", disaient les anciens
géographes arabes, une île de terre rouge entre la mer bleue
et les sables d'or. C'est aussi, comme nous le verrons, la dernière
étape du jardin des Hespérides. où les Pommes d'Or
de la connaissance, sont gardées par le Dragon mythique et les
Filles de la Nuit.
-------L'âme
berbère et l'âme arabe s'y affrontent de même. L'âme
berbère, celle d'une des plus vieilles, plus mystérieuses
et d'ailleurs, complexes races qui soient, où l'on trouve peut-être
les survivants de la race de Cro-Magnon, les descendants de celle de Chancelade,
les héritiers des artistes du Magdalénien : race violente,
comprimée, pleine de complexes, tiraillée entre les influences
extérieures, mais repliée sur soi, entêtée.
courageuse, et dont la poésie, limitée mais âpre,
se plaît à ruminer ses malheurs. s'évade dans un rêve
désordonné. L'âme arabe, orientale, plus souple, plus
fine, plus aérée, dont la poésie ne se lasse pas
de chanter la beauté du monde et les charmes de la vie, ou de trouver
une douceur à se lamenter mélodieusement sur les souffrances
du cceur et les épreuves du désir.
-------Cette
situation générale de l'Afrique du Nord maghrebine où
sont venus s'accumuler les traditions et les folklores, fait le grand
intérêt de l'étude de ceux-ci. De même le complexe
des races, diversement mais toutes fortement imaginatives et poétiques,
fait-la qualité et l'intensité de cette littérature
.populaire.
-------Cette
littérature populaire est représentée par des genres
nombreux en arabe dialectal, ou dans les différents parlers berbères
depuis le chaouïa de l'Aurès et le kabyle jusqu'au riffain,
au chleuh de l'Atlas et au sousi.
-------A côté
des poèmes épiques, lyriques ou satiriques que les meddahs
récitent sur les places et marchés, des ravissants petits
poèmes des femmes citadines : haoufis, aroubis, bouaqel,
qui disent avec une simplicité fleurie les espoirs, les joies et
les peines de l'amour, des isefra kabyles, courts poèmes
d'un accent souvent amer et âpre qu'on ne cesse d'élaborer
sur l'amour, les rigueurs du destin, les évènements et la
politique, il y a toute une littérature orale, si l'on petit dire.
en prose.
-------THEMES
HAGIOGRAPHIQUES
-------Il
y a d'abord les légendes hagiographiques. Elles attribuent
aux saints d'extraordinaires miracles qui se ressemblent souvent et auxquels
on croit, plus ou moins sans y croire tout à fait. Certains expriment
sous une forme stylisée, de profondes vérités mystiques,
comme celle de la Lalla Mimouna répandue
en divers endroits et dont nous retrouvons l'analogue jusque dans les
Confessions de Jean-Jacques Rousseau. C'était une pauvre négresse
ignorante qui ne savait pas les formules de la prière canonique.
Un capitaine (le navire les lui apprend. Elle les oublie et court après
le navire, en marchant sur la mer, pour les redemander. Elle revient,
les oublie (le nouveau et se contente de répéter sans cesse
: " Mimouna connaît Dieu et Dieu connaît
Mimouna ", ce qui est l'alpha et l'oméga de la
mystique.
-------UN
HEROS MEDITERRANEEN
-------Il
y a les contes plaisants et humoristiques, forts nombreux, plus ou moins
affinés, spirituels ou grossiers, selon les divers milieux paysans
ou citadins. Le héros principal est Si- Joha. célèbre
dans le monde méditerranéen (Nasreddin Khodja qui a son
tombeau en Anatolie, Goha fameux en Egypte, Giufa, Giuca en Italie), qui
tient à la fois de l'Esope grec, du Calino, du M. de La Palisse
et du Panurge français. Si Joha est tantôt un franc imbécile,
tantôt un malin qui se sert de sa balourdise pour jouer de fructueux
tours à ses concitoyens ou leur faire entendre de sévères
vérités. Il est d'origine arabe et cité dans le Fihrist
du IX- siècle, mais a été largement adopté
par les berbères, chez qui il a d'ailleurs des émules fort
voisins et non moins savoureux comme Bechkerker de l'Aurès, Si
Moussa et Brouzi du Riff, de même que les tribus arabes ont leur
Ben Chekran, le fils de l'ivrogneBou Kerch, l'homme au ventre ou Bou Hamar,
l'homme à l'âne. C'est ce Joha qui répondait à
quelqu'un lui annonçant que le feu était à sa maison,
" Adressez-vous à ma femme. C'est
elle qui S'occupe des affaires de la maison ". C'est lui
qui s'écriait quand on lui annonçait des voleurs chez lui
" Plut au ciel qu'ils trouvent quelque chose
à voler ! ". C'est lui encore à qui un voisin
demandait de lui prêter son âne : "
Mon âne n'est pas là ", répond Joha.
L'âne se met alors à braire dans l'écurie - "
Tu vois bien qu'il est là, dit le voisin
- Homme sans éducation, réplique Joha,
tu crois un âne de préférence à moi qui suis
un vieillard respectable à barbe blanche. "
-------LEGENDES
COSMIQUES
-------Il
y a des légendes historiques, géographiques, religieuses,,
destinées comme partout à expliquer telle particularité
du pays ou des habitants, les origines de telles tribus, ou de telle espèce
animale, qui conservent les souvenirs déformés des antiques
épopées, ou qui anticipent sur l'avenir pour annoncer la
fin des temps et le règne futur du Mahdi (Le mahdi
est le rénovateur de la religion, qui, selon quelques traditions,
fera triompher l'Islam et la justice, et aidera Jésus à
tuer l'Antéchrist ou Dajjâl, avant la fin du monde.)
justicier. Les légendes mythiques, si nombreuses en Afrique Noire,
sont rares, et cela s'explique par le triomphe de l'Islam et du Coran
qui, sur ce plan, doivent théoriquement répondre à
tout. Frobenius en a recueilli pourtant en Kabylie une fort curieuse,
mais à ma connaissance, quasi unique, qui permettrait de retrouver
dans le vieux fond berbère le souvenir des classes matrimoniales
étudiées par les ethnologues. Le premier homme et la première
femme vivaient sous terre séparément. Ils se découvrent
et se disputent près d'un puits. Ils ont cinquante fils et cinquante
filles qui vont dans des directions différentes, voient un jour
une lumière,. trouvent un. orifice et arrivent à la surface
de la terre, de chaque côté d'une rivière, découvrent
un gué. Les garçons se baignent, observés en secret
par les filles, dont la plus audacieuse, après avoir provoqué
une bataille générale, ouvre les voies nouvelles qui permettent
la vie de l'humanité.
-------CONTES
D'ANIMAUX
-------Les
contes d'animaux, cultivés surtout chez les kabyles - nais classiques
dans les textes écrits arabes depuis des siècles - tiennent
à la fois des fables hindo-gréco-latines et des histoires
d'animaux de l'Afrique Noire, moins littéralisées que les
premières, moins mythologiques que les secondes. C'est le chacal,
le hérisson ou le lièvre qui tiennent généralement
la place du lièvre soudanais et du renard européen. Les
affinités entre ces contes d'animaux humains et les fables ou récits
folkloriques européens sont grandes, compte tenu, naturellement,
de la différence des faunes.
-------CONTES
MERVEILLEUX
-------Toutefois,
ce sont les contes merveilleux qui nous ouvrent le plus large horizon
et conduisent aux. aperçus les plus suggestifs en raison même
du caractère pour ainsi dire rituel que nous serons amenés
à y discerner. Cet intérêt et leur valeur humaine
sont tels que les problèmes d'origine, bien souvent insolubles,
passent au second plan.
-------Ils
commencent et se terminent par des formules rituelles d'aspect propitiatoire
ou déprécatoire,. et on ne doit en principe les dire que
la nuit, sous peine de devenir teigneux ou d'avoir des enfants teigneux.
Des tabous analogues existent en Europe, Asie, Amérique.
L'universalité du folklore apporte en effet un témoignage
saisissant en faveur de l'unité de l'esprit. humain et de l'unité
primordiale des traditions et des cultures.
CYCLES, ORIGINES, INFLUENCES, UNITE DE L'ESPRIT
HUMAIN
-------Chez
les races les plus diverses les mêmes traits de littérature
orale se retrouvent et correspondent à des réalités
communes. Les thèmes qui combinent ces traits en récits
construits se retrouvent presque partout. Il est d'ailleurs, à
mon avis, impossible de préciser le berceau originel de ces récits.
Cosquin, à qui l'on doit tant de recoupements précieux,
croyait pouvoir le placer dans les Indes. Ce doit être souvent vrai,
mais non toujours, puisque l'on a retrouvé dans les tombes de l'ancienne
Egypte des contes bien plus anciens que tous ceux des Indes, et qui continuent
à courir le monde sur les lèvres des aïeules à
la longue mémoire, qui n'ont certainement pas lu Hérodote
ni Maspero.
-------Certains
de ces cycles de contes ont une aire plus étendue. On a relevé
pas moins de cinq cents variantes de Cendrillon dans plusieurs continents.
Quant au conte de " l'adroit voleur ", dont j'ai recueilli moi-même
sans les chercher, quatre variantes arabes ou kabyles, et qui se trouve
précisément transcrit par Hérodote au Vme siècle
avant Jésus-Christ, il se rencontre dans quatre parties du monde
et il est parvenu par l'Est et par l'Ouest sur les deux rives de l'Océan
Pacifique, au japon et au Chili.
-------Cette
extension des thèmes implique des rapports très anciens
et très fréquents entre populations. Ces rapports peuvent
être aussi relativement récents et, à vrai dire, les
contaminations continuent à se faire sous nos yeux.
Pour ce qui est de l'Afrique du Nord, le rôle des invasions arabes
à partir du VII" siècle de notre ère, dans la
dissémination des contes, est incontestable. Beaucoup sont arrivés
ainsi au Maghreb par la rive de la Méditerranée, comme ils
arrivaient au fond de la Bretagne en passant par les Balkans et l'Italie.
Mais les Berbères, au témoignage d'Ibn Khaldoun, possédaient
déjà une foule de contes, et le contraire serait étonnant.
-------Pour
ce qui est du folklore kabyle, il est évidemment fortement arabisé,
(le même que nombre de contes que l'on recueille actuellement en
arabe peuvent être d'origine berbère, les deux séries
pouvant d'ailleurs avoir en commun une origine plus lointaine. Il est
difficile de faire le tri entre ce qui est oriental ancien, oriental plus
récent, autochtone, ou d'affinité occidentale, européenne,
ou encore nègre.
-------On
peut tout de même dire en gros que certains groupes de contes comme
ceux du genre " Petit Poucet " se rattachent plutôt
au folklore occidental, tandis que ceux dont on retrouve l'exemple dans
les " Mille et une Nuits " sont plutôt d'obédience
orientale et de transmission arabe.
-------Du
premier genre, plutôt " occidental ", nous trouvons
en Afrique du Nord, de nombreux contes tantôt du type Petit Poucet,
tantôt du type Tom Pouce, voisins entre eux. Les héros portent
généralement le nom de Mqidech ou celui de Haddidouan.
Mqidech, dernier né d'une nombreuse famille, sauve par son intelligence
ses frères souvent ingrats, et les empêche d'être victimes
d'une ogresse. Haddidouan lutte seul et, comme pour son plaisir, très
sportivement, avec l'ogresse (Ghoula en arabe. Tériel en kabyle).
Il lui joue des tours. Il est pris. Il va être mangé. Il
réussit à se substituer la fille de son adversaire qui généralement
périt dans les flammes avec ses congénères.
-------D'autres
contes, assez nombreux recueillis en Afrique du Nord, tant chez les arabes
que chez les berbères, sont plutôt " orientaux "
et ont pu être apportés avec les invasions arabes du moyen
âge. La chose est claire, quand il s'agit de récits calqués
sur ceux qui ont fait leur entrée dans la gran-de littérature
écrite avec les Mille et une Nuits vers le Xème siècle.
-------Voici
par exemple un conte kabyle que j'ai recueilli sous le titre El Ghoul
Amelloul et sa sur Hadezzine, et un conte que j'ai trouvé
à Fès, sous le titre La conquête de l'Arbre vert.
Ils ont des analogues à Blida, à Marrakech. Ils en ont aussi
en Egypte, en Grèce, en Italie, en Lorraine, à Troyes, à
Madagascar, etc... Ils sont des variantes du conte des Mille et une Nuits
intitulé : Les deux sceurs jalouses de leur cadette, dans
la traduction Galland, et Farizade au sourire de rose de là
traduction Mardrus. On y retrouve les traits des femmes jalouses, des
nouveau-nés jetés dans un coffre à la mer, des conseils
perfides de la vieille, de. la conquête d'objets merveilleux parmi
lesquels l'Oiseau qui révèl, la vérité. Voici
encore le conte kabyle que j'ai publié sous le titre : La jinnia
du Jebel Waq Waq (La fée de la montagne Waq
Waq. Cette montagne légendaire, habitée par les génies
et qui joue un grand rôle dans les Mille et une Nuits, s'élève
dans une île lointaine qu'on identifie parfois avec Madagascar ,ou
Sumatra.), qui suit dans ses grandes lignes l'histoire de
Hassan et Bassri des Mille et une Nuits du Dr Mardrus, un des types de
contes les plus répandus à peu près dans le monde
entier et jusque chez les Algonquins : bain des femmes-oiseaux à
la robe de plumes, mariage du héros avec l'une d'elles, séparation,
reconquête, poursuite avec métamorphoses..
-------LE
SENS PROFOND DES CONTES
-------Outre
leur valeur esthétique variable et le plaisir qu'ils procurent
aux petits et aux grands, l'intérêt des contes est dans ce
qu'ils nous transmettent, à leur manière, des traditions
primordiales de l'Huinanité.
-------Ils
nous apportent des lumières sur des conceptions primitives en même
temps que sur la grande aventure humaine de la réalisation spirituelle.
On y trouve des références à des coutumes ethnographiques,
à des usages péhistoriques continués parfois jusqu'à
nous, comme le tabou nuptial nocturne qui est le nceud du fameux conte
de Psyché. On peut y reconnaître avec Saintyves le souvenir
de vieilles liturgies populaires saisonnières ou initiatiques,
notamment des rites très impressionnants qui marquent chez beaucoup
de peuples l'initiation des " classes d'âges " à
la puberté. Il n'est pas difficile de reconnaître dans les
génies, les ogres, les animaux redoutables ou secourables , les
personnages liturgiques, grotesques, ou terrifiants, qui prennent part
aujourd'hui encore à ces initiations, imposent aux novices des
épreuves parfois cruelles, leur font la leçon, les initient
aux mystères de la forêt, de la brousse et" aux mythes.
-------Ne
peut-on faire un pas de plus ? Les rites de passage des ethnographes ne
sont en somme qu'une partie des rites initiatiques. Il y a des initiations
d'ordre métaphysique et mystique qui dépassent la catégorie
des classes d'âges tout en ayant en commun avec elles le grand rituel
fondamental de mort et de résurrection que l'on retrouve à
satiété dans les contes populaires sous forme de dépècement,
d'avalement par un monstre ou un animal, de métamorphose, de sommeil,
de palais souterrains, de lacs, de forêts, de mers... René
Guénomr écrit : " Le peuple
conserve les débris des traditions anciennes. Il remplit en cela
la fonction d'une sorte de mémoire collective plus ou moins subconsciente
dont le coin tenu est manifestement venu d'ailleurs. Ce qui peut sembler
le plus étonnant c'est que, lorsqu'on va au fond des choses, on
constate que ce qui est ainsi conservé contient surtout, sous une
forme plus ou moins voilée, une somme considérable de données
d'ordre ésotérique... "
-------"
Le mythe, dit Frobenius, trouve sa cristallisation
populaire dans le conte correspondant... Dans la caste des prêtres
s'est conservée une partie de la sagesse suprême d'une culture
depuis longtemps disparue dans sa pureté,-alors que dans le peuple,
le mythe grandiose a donné naissance à une délicate
création poétique ".
-------C'est
en ce sens, dit encore le grand critique d'art Ananda Coomaraswamy, que
" le savoir du peuple est réellement
la parole de Dieu ". " Vox
populi, vox dei ". Et un autre disciple de René
Guénon,M. Lebasquais retrouve dans les contes populaires le surnaturel
à l'état pur, l'histoire de la progression spirituelle,
malgré tous les obstacles, avec l'aide des forces bénéfiques,
c'est-à-dire le processus figuré du travail initiatique,
la conquête de la connaissance, la réalisation (les états
supérieurs (le l'être.
-------Cela
ne doit pas nous étonner. Les combats stylisés du jour et
de la nuit, du printemps et de l'hiver on de l'Automne et de l'Eté
selon les climats, de la vie et de la mort, les renouveaux de la végétation
dans la nature ou de la grâce clans les coeurs, tout cela se correspond
sur les divers registres du Cosmos.
-------SOUVENIRS
DE L'ANTIQUE EGYPTE
-------De
nombreux contes berbères ou arabes d'Algérie et du Maroc,
nous reportent à l'Egypte ancienne et aux mystères fameux
d'Isis.
-------Déjà,
nous l'avons vu, le conte de l'Adroit Voleur n'est autre que l'histoire
du Pharaon Rhampsinite. transcrite par Hérodote au deuxième
livre de ses histoires. Un voleur pille le trésor royal ; son complice
se fait prendre à un piège et demande qu'il lui coupe la
tête pour ne pas être reconnu (les stratagèmes audacieux
permettent à laa mère du mort de le pleurer et de lui rendre
les derniers devoirs ; puis le voleur accomplit d'autres exploits ; ayant
trop parlé dans l'ivresse, il manque de se faire prendre par le
roi qui lui fait une marque dans son sommeil pour le reconnaître,
il fait la tuénie marque à tous les invités du banquet
; émerveillé de tant d'audace et de brio, le souverain lui
donne sa fille en mariage.
-------L'analyse
(les différentes versions d'une dizaine écrites depuis le
XIè siècle et une vingtaine orales recueillies en Afrique
du Nord, en Europe, en Sibérie, à Ceylan. au japon et jusqu'au
Chili) nous montre que le récit d'Hérodote, déjà
lui-même incomplet et altéré, ne peut être à
l'origine de toutes et a dû être emprunté à
la tradition populaire.
-------Il
nous faut maintenant résumer la légende d'Osiris et d'Isis,
ainsi que certains éléments du rituel des mystères
d'Osiris encore en vigueur au temps d'l-Iérodote au V` siècle
avant dans la mesure oit nous pouvons les entrevoir malgré le "
silence religieux " observé sur l'essentiel par les, initiés.
-------Après
avoir civilisé les hommes en leur enseignant l'agriculture, les
lois, la piété, la musique, Osiris, l'Erre-Bon, est victime
d'une trahison. Seth-Typhon, qui s'est procuré secrètement
la mesure (le sa taille et a fait faire un coffre (le cette dimension,
invite Osiris à un banquet et offre le coffre à celui qui
tiendra exactement dedans. Quand Osiris s'y couche. Seth referme le coffre
et le jette au fleuve. Le coffre gagne la mer, arrive à Byblos,
se fixe dans la ramure d'un arbre, qui devient si beau que le roi du pays
en fait nue colonne de son palais. Isis, scnur et épouse d'Osiris,
part éplorée à sa recherche, arrive à Byblos
déguisée en pauvresse, entre au service des souverains comme
nourrice de leur petit enfant. Elle allaite celui-ci en lui mettant un
doigt dans la bouche. I,a nuit elle passe aux flammes purificatrices les
parties périssables du corps du nourrisson. La reine s'en effraye,
et prive ainsi son fils de l'immortalité. La déesse se fait
alors reconnaître. réclame le cercueil de son époux
qu'on retrouve dans l'arbre et qu'elle emporte. Seth-Typhon découvre
un jour le cadavre et le déchire en quatorze morceaux qu'il disperse.
Avec Thot l'ibis et Anubis le Chacal, Isis va à la recherche des
morceaux qu'elle retrouve tous, sauf le phallus qui a été
mangé par le poisson oxvhrynque. Isis rassemble les fragments du
corps ; par ses rites et ses incantations. assistée de Thot, d'Anubis,
de Nephtys sa sueur, du Vautour et du serpent Uréus, elle en forme
un corps impérissable. découvre le remède contre
la mort, la recette d'éternité dont pourront désormais
profiter tous les hommes. Son fils Horus triomphe de Seth, l'amène
enchaîné à Isis. Celle-ci le délivre, car il
convient qu'en ce monde, contingent, le mal ne soit pas complètement
éliminé et donne au bien l'occasion de se produire. à
l'esprit d'acquérir sa plénitude par l'épreuve. Horus
furieux décapite sa mère, à laquelle Thot-Hermès
donne suie tête (le vache, ou, dans une version atténuée,
arrache à la déesse sa couronne, que Tl'hot remplace par
un casque à cornes de vaches.
-------La
passion et la résurrection d'Osiris, garanties du salut pour ses
fidèles, étaient mimées svmnoliquement dans les offices
quotidiens (les temples et faisaient à certaines grandes fêtes
l'objet de drames sacrés auxquels participaient les foules enthousiastes.
Les papyrus nous donnent vies détails. sur ces rites : démembrements
et reconstitution du corps, ouverture (le la bouche et des yeux, quête
éplorée d'Isis, ensevelissement de statuettes d'argile semées
(le graines, officiants aux masques divins, libations, lustrations, fumigations,
processions, jeux nautiques, érection dit pilier zed, sacrifices
d'animaux (le la peau desquels, en rite (le renaissance, résurgissait
l'officiant ou la statue de Dieu, coffre sacré dans lequel on mettait
de l'eau du Nil et une figurine en demi-lune et que l'on confiait aux
flots.
-------Quant
aux mystères d'Isis, si en vogue dans l'empire romain, nous en
connaissons (le nombreux détails ,race à Apulée de
Madaure. aujourd'hui Mdaourouch, département de Constantine. Le
héros de son Ane d'Or (IIè), Lucius, métamorphosé
en âne par une opération magique prématurée
et maladroite, est délivré parfila grâce d'Isis, déesse
multifôrme, " mère de toutes
choses, dominatrice des éléments, source première
des générations ", il est initié
aux mystères et devient lui-même prêtre (le la déesse.
Apulée décrit une procession d'isiaques, pour la fête
du Printemps, avec le cortège porteur des statues et de, symboles
et le lancement d'un navire àà la mer. La fête d'Automne
évoquait la mort et la résurrection d'Osiris : on devait
y minier son assassinat. le coffre à la mer, le voyage éperdu
d'Tsis, le rassemblement des quartiers du corps et la revivification de
celui-ci. Apulée décrit aussi le, cérémonies
(le l'initiation. Après un régime de jeûne et d'abstinences.
Lucius reçoit un baptême purificateur et est entrainé
au plus profond du sanctuaire. De ce qui se passe alors, il ne peut dire
que ceci : "J'ai approché des confins
de la mort et après avoir foulé le seuil de Proserpine,
j'en revins transporté au travers de tous les éléments.
Au milieu de la nuit, j'ai vu le soleil resplendissant, les dieux infernaux
et les dieux célestes, j'ai pu contempler leur face et c'est de
près que je les ai adorés. "
-------Qu'il
s'agisse d'un enseignement figuré ou trimé, ou d'une suggestion
hypnotique ou (le tout cela à la fois, l'impression reçue
était profonde et laissait une joie, une sérénité
ineffable. Mort et relié -orante le dieu, l'initié était
rassuré contre les affres de la mort. e Nous connaissons enfin
les raisons le vivre, dit Ciceron dans le De legibus, Il, 14 :
non, n'avons pas seulement l'allégresse de vivre mais un meilleur
espoir dans la mort.
-------Nous
allons retrouver nombre de ces détails dans des contes arabes et
berbères du Maghreb, qui ii d'ailleurs presque toujours leurs correspondants
dans les folklores européens et asiatiques.
-------Dans
le conte kabyle dont nous avons parlé, El Ghoul Amelloul. du cycle
de la Farizade des Mille une Nuits, nous voyons à la fois le coffre
à la mer, l'allaitement par le doigt, le dépècement
dubncorps, sa reconstitution moins un membre et sa résurrection,
ce qui constitue une séquence assez saisissante.
-------Une
femme jalouse fait jeter à la mer un coffre contenant les enfants
de sa rivale, un garçon et une fille, qu'un pêcheur trouve
sains et saufs, le petit doigt de l'un dans la bouche de l'autre. Ayant
grandi et prospéré, les enfants sont reconnus par la vieille
sage-femme méchante qui avait cru les perdre. Le garçon
est envoyé par elle à la conquête d'objets merveilleux
et échappe miraculeusement à tous les dangers. Il conquiert
même la fille du roi de Ghouls malgré les épreuves
et les tâches en apparence impossibles que lui impose le père
de celle-ci. Pour triompher d'une des épreuves, il doit, selon
les indications de la fille elle-même, couper celle-ci en morceaux,
se servir de ces derniers comme de marches collées à un
rocher inaccessible, mettre les os dans un sac. Quand il ouvre ce sac,
El Ghoul Amelloul en voit sortir la jeune fille intacte, sauf l'orteil
d'un pied qui a été perdu. L'orteil est pudiquement à
la place du phallus, mais Freud et Jung nous ont averti de l'équivalence
psychanalytique. Une variante, La Fille de l'Ogre, recueillie par Frobenius,
précise que les morceaux du cadavre dépecé sont rassemblés,
ressoudés, et revivifiés par un liquide - comme le cadavre
d'Osiris. Le rôle du doigt n'est pas précisé dans
notre conte. Mais la comparaison des versions ne permet pas d'en douter.
Une légende javanaise parle d'un prince jeté à la
mer, recueilli par une dame dont il suce le sein un jour pour devenir
son fils de lait. Une légende hindoue parle d'une boule de chair
mise au monde par une reine de Vaïssali et d'où sortent mille
enfants qui reconnaissent leur mère à ce que mille jets
de lait jaillissent de ses seins vers leurs bouches. Dans un livre boudhiste
écrit à Ceylan, au XIII' siècle, une reine met au
monde une boule de chair, qui, jetée à la mer dans un coffre
et recueillie par un ascète, se scinde en deux enfants qui se sucent
mutuellement les doigts pour en tirer du lait. Un des héros du
Mahabharata, né de la cuisse d'un roi, est allaité par le
pouce du dieu Indra. Dans un conte de Goujerate, le pauvre homme qui a
recueilli les enfants jetés à la mer dans le coffre, les
allaite en mettant son doigt dans leur bouche.
-------Le
coffre de ce conte est utilisé par la femme jalouse et sa complice
pour se débarrasser des enfants de sa rivale, et perdre celle-ci.
Un autre conte kabyle, Le Hachâïchi qui devint Sultan
(Le Hachâïchi, fumeur de hachich,
personnage héroï- comique du folklore maghrébin, est
un "bon à rien " qui réussit paradoxalement et
merveilleusement en dépit de tout et de lui-même),
d'un tout autre sujet, mais où il y a aussi une femme à
la recherche de son mari, nous montre un roi, qui, pour punir sa fille
séduite par la musique magique du héros, fait faire un coffre
et demande à sa fille, exactement comme Seth à Osiris, de
se coucher dedans pour voir s'il est bien à sa mesure ; puis il
rabat le couvercle et fait jeter le coffre à la nier.
-------Un
des traits les moins curieux de la légende d'Isis n'est pas le
dernier, celui où Horus décapite sa mère qui a délivré
Seth vaincu. Ce trait, nous le trouvons, avec toute son horreur, dans
un autre conte maghrébin, à côté encore du
cadavre dépecé et revivifié. Un fils sauve sa mère
de la mort, l'installe dans la maison des ogres, qu'il a tués et
jetés dans un silo ; mais le septième ogre, le roi, n'est
pas tout à fait mort ; la mère le découvre, le guérit,
s'éprend de lui, lui fait tuer son fils qui, avant de mourir, demande
en grâce que son cadavre dépecé soit mis sur le dos
de son cheval libre d'aller où il voudra. Le cheval va chez une
ogresse, amie du garçon, qui rassemble les morceaux du corps, les
ressoude avec un onguent (comme Isis rassemble les quatorze morceaux du
cadavre de son époux) et redonne la vie à ce corps reconstitué
en approchant une herbe de ses narines (comme Horus approche de la bouche
de son père la tête et le cur des victimes en lui disant
: " Ton âme est dedans").
Le garçon, ressuscité, est soigné par l'ogresse et
reprend des forces. Il tue sa mère.
-------LE
MYTHE DE PSYCHE
-------Quant
à l'histoire d'Eros et Psyché, conte de bonne femme, recueilli
par Apulée et placé par lui au cceur même des métamorphoses
de l'Ane d'Or qui viennent de nous donner les renseignements les plus
précieux sur les initiations du ii' siècle, des remarquables
variantes s'en retrouvent dans le folklore du Maghreb comme dans ceux
d'Europe, d'Asie et d'Amérique, avec des tabous matrimoniaux, et
un aspect métaphysique et mystique. On pourrait plutôt le
rapprocher des mystères d'Eleusis, comme l'indiquent les monuments
antiques représentant les épreuves purificatrices imposées
par l'Amour à l'âme-papillon (psuche) et un célèbre
passage du Phèdre de Platon sur le salut de l'âme
par l'Amour qui lui rend ses ailes et lui fait retrouver le chemin de
sa véritable patrie. Mais les mystères de la Grèce
ancienne et ceux de l'Egypte hellénistique ne sont pas sans relations.
Ils doivent même se référer à un fond commun.
Justement, les variantes principales du thème au Maghreb nous reportent
à la légende d'Isis. L'héroïne, mariée
à l'époux surnaturel qui la visite la nuit, est séparée
de lui tantôt par la violation d'un tabou, tantôt par la trahison
de sa famille. Dans ce dernier cas, l'époux est grièvement
blessé, l'héroïne part à sa recherche et réussit
à le guérir par des procédés magiques indiqués
par des animaux secourables, comme Isis guérit Osiris de la mort
avec ses passes magnétiques, ses incantations et ses onguents,
avec l'aide de l'Ibis Thot, du chacal Anubis, du vautour et de l'Uréus.
Ou bien l'époux mystérieux ensorcelé et condamné,
comme Adonis et Perséphone, à passer une partie de l'année
dans le monde souterrain, est délivré par l'héroïne
après toutes sortes d'épreuves et de rites. Et pour nous
rappeler qu'il s'agit bien, comme le dit Diodore d'Isis, d'un remède
pour guérir de la mort, nous entendons l'un des héros parler
du fond du sommeil où le plonge périodiquement son destin
: " Celle qui me fera renaître à
la vie, je la ferai renaître à la vie. "
Emile DERMENGHEM.
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Bibliographie sommaire
de Contes populaires algériens
AMROUCHE (Marie-Louise). - Folklore Kabyle (deux contes),
"Revue d'Alger", 1944, pp. 8i-86.
BASSET (Henri). -- Essai sur la littérature des Berbères,
1920.
BASSET (René). - Contes populaires berbères, 18.7.
- Nouveaux contes berbères, 1897.
- Contes populaires d'Afrique, 1903 ; et de nombreuses autres études
sur le folklore et la littérature.
BENCHENEB (Saadeddine). - Contes d'Alger, 1946.
BEN SEDIRA (Belkacem). - Cours de langue kabyle.
BIARNAY (S.). - Etude sur le dialecte de Ouargla, igog.
- Notes d'ethnographie et de linguistique no.d-africaines, 1924.
CERTEUX et CARNOY. - L'Algérie traditionnelle, 1884.
DERMENGHEN (Emile). - Contes kabyles, 1945.
Le mythe de Psyché dans le folklore nord-africain, " Revue
Africaine " 1945 et " Cahiers d'Hermès" n° 2,
1947.
- Contes fasis, 1926, et Nouveaux contes fasis, 1928, en collaboration
avec Mohamed El Fasi.
DESPARMET. -- Contes populaires sur les ogres, recueillis à Blida,
1909 et 1910. - Contes maures, recueillis à Blida, 1913.
FOUCAULD (Le P. de) et A. de CALASSANTI - MOTYLINSKI. - Textes touareg
en prose (dialecte de l'Ahaggar) pub. par René BAISSET, 1922.
FROBENIUS. - Volksmaerchen der Kabylen, 3 vol., 1921-1922.
-- Histoire de la civilisation africaine, traduction Back et Ermont, 1936.
GAUDEFROY-DEMOMBYNES et ZENAQUI. - Contes en arabe vulgaire de Tlemcen,'
"journal Asiatique ", 1894.
HANOTEAU. - Essai de grammaire kabyle, 1906.
LE BLANC DE PREBOIS. - Essai de contes kabyles, 1'° et 2718 livraison,
Batna 1`9i. Légendes du Mzab, " Bulletin de la Société
de géographie d'Alger ", 1918.
MAITROT DE LA MOTTE-CAPRON (A.). - Le Roman de Renart arabe, " Bulletin
de la Société de géographie d'Alger ", 1931.
Sidna Moulay Ismaïl, contes maugbrebins, 1929.
MALINGAND (Ct.). - Contes bédouins, " Revue Africaine".
1923-1925;.
MERCIER (Gustave). - Le Chaouia de l'Aurès, 1896.
- Mceurs et traditions de l'Aurès, cinq textes, "Journal Asiatique",
1900
METOIS (Capitaine). - :Contes sahariens. " Bulletin de la Société
de géographie d'Alger", 1909 ; "Revue Indigène",
1910-1911.
MOULIERAS (Auguste). - Légendes et contes merveilleux de la Grande-Kabylie
(texte kabyle). 2 vol.,1893-189i.
Les fourberies de Si Djeha, 1802.
POTTIER (Jeanne-René). - Légendes touareg, 1946.
RIVIERE. - Recueil de contes populaires de la Kabylie du Djurdjura, 1882.
STEINILBER-OBERLIN (E.). -- Les Touareg tels que je les ai vus, 1934.
-------A ces
études et à ces textes, il convient d'ajouter, pour les
comparai:sons nécessaires, les publications concernant les contes
orientaux (Artin Pacha, Spitta Bey, Boutros Ghali, Van Berchem, etc...),
les contes tunisiens (revue (I)la, Jeanne Raunay. Vassel. H. Bernard,
W. Marçais et A. Guigua, etc...), marocains (Doctoresse Legev,
S. Biarnay. Blanc, Boulifa, Brunot. Marka, Fasi, Dermenghem. Loubignac.
Renizio, Marchand. de Chersoux, Duquaire, lustinard, E. Destaing. de Roehemonteix.
Arsène Roux. Levi-Provençal, W.Marçais, Colin, E.
Laoust. Socin et Stumme, etc...).
-------Il
convient aussi d'indiquer, outre la Bibiographie des ouvrages arabes ou
relatifs aux Arabes, de V. Chauvin. tomes IV-VIII. Liége, 1900-19o4,
les ouvrages généraux ou l'on retrouvera à la fois
théories, confrontations et analyses. notamment
COSQUIN (F.). -- Contes populaires de Lorraine, 2 vol., 1886.
- Etudes folkloriques, 1922.
- Les contes indiens et l'Occident, 1922.
SAINTYVES(P.). -- Les contes de Perrault et les récits parallèles,
1923
VAN GENNEP (A.).- La formation des légendes, 1912.
- Manuel de folklore français contemporain, 1937 et suivantes.
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