-------Il semble
bien qu'au seul problème agricole se limitait la tyrannie économique
romaine en Afrique du Nord. Sans doute, la plupart des mines et carrières
de quelque mérite devinrent-elles rapidement propriété
impériale ; elles étaient le douloureux asile de milliers
d'esclaves, le lent supplice des Chrétiens qui ne voulaient abjurer
leur foi.
-------Sans
doute aussi l'exportation chercha-t-elle à s'emparer dès
sa naissance d'un marché provincial à la fois si proche
et si crédule. Mais en fait elle allait être déçue,
l'auto-défense de ce territoire ne tardant pas à se manifester.
-------C'est
encore à l'Archéologie et aux révélations
de l'Épigraphie que nous devons nos connaissances. Cependant, ici
, plus qu'ailleurs, l'intervention des textes juridiques et littéraires
et notamment des écrivains de l'Afrique romaine est essentielle.
On apprend les derniers potins chez APULEE, les -caprices de la mode chez
TERTULLIEN ; toutes les misères du IIIè siècle revivent
dans les pages de SAINT CYPRIEN, et pour mesurer l'étendue des
troubles sociaux au Bas Empire, on ne, peut que se reporter au saisissant
tableau que traduit oeuvre immense de SAINT AUGUSTIN.
-------A vrai
dire, il ne faut pas s'attendre :à découvrir une Algérie
antique, `éminemment dissemblable de 'celle' des temps modernes.
La permanence du _facteur géographique' nous garantit, ainsi qu'il
fut démontré à propos de l'agriculture, d'un bouleversement
général des choses, et par, conséquent; la différence
fondamentale entre les deux époques vient' surtout de la diversité
des méthodes et du perfectionnement de l'outillage qui, du cinquième
au vingtième siècle, ont' marqué les,progrès
de la civilisation.
Les richesses du sous-sol
-------On
en a peu_ parlé dans l'Antiquité. La ROME conquérante
des mines d'or de Dacie, propriétaire des gisements inepuisables'dzargent,
de cuivres de. plomb la, recelait la péninsule ibérique,
importatrice de tout
`l'étain de la Cornouailles,, du fer, de la Gaule. et de la-Haute
Autriche,; .,qu'avait-elle àattendre de cette -province où
quelques mines : pauvres s'éparpillaient au. hasard comme; des.
gouttes ?
-------De
l'exploitation de nos phosphates, il ne pouvait être question, c'est
là une utilisation récente ; de houille, pas davantage,
les Romains en méconnaissaient l'emploi. Par contre, :des vestiges
nombreux "d'exploitations différentes se retrouvent encore
`-en Algérie,. et notamment dans 'presque toute l'étendue
de l'actuel département d e Constantine. La prospection ; de nos
devanciers se consacrait surtout aux filons de plomb argentifère
des régions de Tébessa, ; dé Guelma-Souk-Ahras,-
du Bou-Taleb au sud de Sétif, à ceux de Miliana et de la
ville antique d'ARSENARIA, près de Tenès.
-------Délaissant
l'énorme amoncellement du fer à l'Ouenza, 'comme au Bou-Khadra,
les Romains se soucièrent plutôt d'en exprimer le peu de
-cuivre qu'il contenait, utilisant, par ailleurs un fer médiocre
â l'ouest de Bone, près de Bougie, de Djidjelli et de Tenes.
-------Ça
et là, quelques gisements de cuivre étaient connus.
Dans le fouillis de ces exploitations, il n'est pas toujours aisé
de distinguer les travaux romains de ceux de leurs devanciers ou successeurs,
Berbères et Musulmans : au' Moyen-Age, en effet, le -Monde Arabe
prive des richesses minières de l'Europe, se rabattit sur l'extraction
nord-africaine à qui l'on demanda un prodigieux 'effort. L'exportation,
une grande célébrité en Orient, récompensèrent
cette activité On 'peut songer qu'à l'époque antérieure
sous les Romains; la production n'alimentait qu'une industrie 'locale,
en tout ou en partie ; on recourait à l'étranger pour le
surplus.
-------Moins-
méconnus étaient les produits ; minéraux. On recherchait
l'alun pour tanner, teindre ou guérir; la rubrique (Ce
colorant minéral d'un emploi commun dans l'Antiquité se
trouvait abondamment en Afrique du Nord ) entrait dans la composition
des, peintures. Le sel de mine, prés de Biskra, celui des sebkhas
et des schotts, le sel des environs d'Arzew ne le cédaient en importance
aux grandes productions continentales,
-------On
connut même un suintement de bitume en Maurétanie, dont nous
ne saurions dire aujourd'hui s'il s'agissait du dépôt d'Ain
Zeft, dans le Dahra, ou, des pétroles de Relizane.
-------Grands
bâtisseurs-, les Romains ouvrirent partout des milliers de carrières
; hommes de goût, ils, surent, tirer des marbres; dé ces
marbres aux cent couleurs d'Ain Smara, au sud de CIRTA, desblancs étincelants-du
littoral constantinois, des; jaunes- et rouges du Mont Orousse, en. Oranie,
et de cet admirable onyx d'Ain Tekbalet, près de., Tlemcen, ,dont-
les sultans du_;Moyen-Age revêtirent leurs. palais .enchantés,
des; effets que- .même le temps n'a point., voulu détruise
et que nous retrouvons aujourd'hui, à peine altérés,
en des ruines grandioses.
L'INDUSTRIE
LES CONDITIONS DU TRAVAIL
-------Le
postulat de " l'Algérie, terre sans industrie "
n'est plus à formuler pour l'époque moderne.. Pénurie
de- combustibles miniers, insuffisance d'une "main-d'oeuvre"
'spéciâlisée,' attraction des capitaux vers notre
pays n'a pris conscience que fort tard de ses possibilités dans
ce domaine.
-------Ces
causes permanentes n'ont pas été les seules autrefois. L'Antiquité
nord-africaine a connu un obstacle autrement considérable - au
développement de la grande -industrie, ce fut la résistance
acharnéede l'économie domestique. Certes que des coutumes
ancestrales aient lentement cristallisé la structureéconomique-
d'un peuple,- cela n'était pas suffisant pour décourager
les Romains. On les savait capables de bien des miracles, -leurs pratiques
financières aidant,, et ils n'eussent -guère hésité
à mobiliser .en atelier des centaines d'esclaves pour " forcer
la main " - aux industriels retardataires, autant .qu'ils eussent
encourage, selon leur procédé familier, la formation-- de
corporations d'artisans libres.- Mais rien de tel ne se produisit ici
: ils,garderent leurs .bras pour l'agriculture, et les collèges
d'artisans ne, se formèrent pas.,
-------Un
compromis 's'établit pourtant : sur les domaines, en plus e la,
culture du -sol, on adapta la. production industrielle aux- besoins -généraux
de l'exploitation ;. souvent même on manufactura pour la vente.
Dans les cités, ou la vie' en Commun exigeait l'utilisation d'objets
les plus divers, une, certaine concentration s'établit, et par-endroits,
de 'véritables quartiers industriels prirent naissance. Nous les
retrouvons aujourd'hui avec leurs chaufferies, leurs cuves" leur
outillage, dans ces deux villes-témoins de Timgad, et de Djemila,.si
riches- de' leur passé, en attendant la résurrection d'Hippone,
que nous promettent pour bientôt les fouilles- actuelles.
-------Au
camp de' Lambese quartier genéral de l'armée romaine -d'Afrique
le -problème industriel se posait différemment : on.' n'eut.
pu concevoir un camp' légionnaire sans ateliers,. ateliers de réparations
surtout, et ,, de fait, ils y étaient nombreux. Mais, aussi paradoxal
que 'cela nous paraisse;' depuis la période dés revers militaires
de l'Empirre;: c'est la population civile qui, par tribut, vente eu- réquisition,
approvisionnait en fournitures les magasins d'armes et- d'habillemnent
éternel éle ment de discorde entre Armée et assujettis.
-------Le
métier domestique, l'atelier domanial, -l'artisanat urbain, tels
étaient .donc .'les rouages élénientaises de ce grand'
mécanisme, incomplet et maladroit, le moins perfectionné
peut-être du Monde Romain, mais aussi le moins dangereux, celui
qui maintenait l'esclave au maître et ne _risquait de compromettre
en rien la régularité des rentrées de l'Annone .
LES PRODUITS_ DE L'INDUSTRIE
-------L'agriculture
et l'élevage étaient encore, à la conquête
française, les principales ressot*rces des. industries de première
nécessité. Hormis les travaux du bois, de ; l'argile et
des métaux, "l'industriel ne demeurait- étranger.,
aux, evenements qui pouvaient affecter la, gent paysanne et pastorale.
Autant dire que malgré la spçeialisation des industries
françaises et l'extrême diversité de nos moyens d'action,
ces conclusions sont toujours valables. La tradition qui s'attache à
certaines activités autant que la nécessite qu'ont les hommes
de s'y conformer n'ont point épargné la civilisation romaine.
Nous avons vu précédemment combien les industries de transformation
des produits du sol, dans les campagnes où dans les villes, avaient
atteint un degré évident de perfection, à en juger
par les exportations massives qui s'ensuivaient
( Minoterie, industries vinicole et oléicole.
Il est certain que l'administration de l'Annone par exemple exigeait lpréalablement
un examen qualificatif des fournitures, et qu'on n'eut 'point d'autre
part, vendu jusqu'en Orient des marchandises de deuxième choix.).
-------L'industrie
textile surtout, ou plus exactement le filage et le tissage, pour rendre
a cette expression sa valeur archaïque, paraît avoir tenu la
première place dans l'activité domestique et artisanale.
Sans atteindre toujours`la perfection de ces vêtements de. lin d'Afrique
que lés empereurs offraient en présents à leurs favoris,
lés lainages africains représentaient, sur le plan mondial,
une marchandise bien individualisée; fort connue et souvent appréciée..
Les textes anciens, les mosaïques surtout, nous les révèlent,
modestes et colorés. Ce: sont des tuniques à manches courtes
ou même sans -manches, qui font penser aux -gandouras ; plus rarement
des vêtements à la Romaine, très amples, aux larges
plis remarquablement ordonnancés ; parfois aussi d'originaux =
accoutrements inconnus eri d'autres provinces: On serait presque tenté
de conjecturer l'origine orientale- du Haïk, cette large pièce
d'étoffe enroulée deux fois autour du corps, de la Djellaba,
vaste fourreau à capuchon, de l'Abâya rayée par quoi
l'on reconnait les Mozabites.
-------Quant
au burnous, son cas est plus typique encore : ce nom viendrait du mot
latin BIRRUS qui désignait à l'époque romaine un
manteau particulier.
-------Les
teinturiers, dont un atelier bien conservé subsiste à Timgad,
utilisaient les couleurs végétales comme la garance, ou
se perfectionnaient sur le littoral, à CHULLU notamment (Collo)
- dans les colorations à la pourpre marine.
-------La
production textile enfin, s'intéressait à la confection
des tapis, tentes et couvertures dont les motifs géométriques,
d'origine berbères se retrouvent à l'époque moderne
dans maint décor des tissage indigènes de l'Algérie
( Voir l'allusion qui y a été
consacrée a propos des tapis de Tébessa dans les Documents
Algériens, Sérieéconomique, n°33 du 5 octobre
1947 ).
-------Qu'y
'avait-il de romain dans tout cela ? Sans doute bien peu de chose. Les
Romains, au contraire, ne négligeaient pas d'emprunter aux provinciaux'
des types vçstimentaires très accusés que, par un
souci d'exotisme, ils mettaient à 1a mode chez eux. o Et c'est
ainsi que les accoutrements africains, comme d'ailleurs les gaulois ou.
les orientaux, jouirent d'une vogue -éphémère, parmi
les raffinements du snobisme antique..
-------L'industrie
du cuir, autre spécialité de l'artisanat, avait aussi gardé
son-ancienne importance. La cordonnerie et la bourrellerie en étaient
tributaires , les peaux de chèvres et de moutons servaient à
la fabrication des outres ou à,la confection de grands 'sacs pour
bêtes de somme. Et, détail plus curieux, suivanto le témoignage
d'historiens byzantins, après quatre siècles d'occupation
romaine, les montagnards se vêtaient encore de peaux de bêtes.
-
-------Au,
travail du-fer et du -bois, s'associait l'industrie du bronze- Le plomb
servait ux sarcophages, aux tuyaux d'eau. A CIRTA et CAESAREA, des ciseleurs
ouvrageaient les métaux- précieux. Des verriers irisaient
leurs vases.
-------Le
Bâtiment exigeait la participation des tailleurs de pierre et de
marbre, des charpentiers; des statuaires et mosaïstes. -La ~ céramique
surtout -avait donné naissance' a une infinité d'objets,
les plus divers, les plus inattendus, depuis les simples briques .à
_bâtir jusqu'aux amphores, des gros :-égouts aux statues
équestres. Pour la vaisselle- courante et les lampes à huile,
on avait même obtenu unç_ production en grande série.
-------Sur
chaque objet, le talent personnel de _l'auteur, privilège essentiel
de l'artisanat, pouvait donner libre cours à toute fantaisie,'
et de fait, une grande liberté présidait au développement
des industries d'art, domaine où il n'est pas toujours facile aujourd'hui
de -discerner. le- produit local de l'article importé, tant les
progrès des artisans :d'Afrique ont été grands.
-------Combien
d'instants pourrions-nous consacrer à tout ce petit monde bigarré,
sbûs les vitres de nos musées, objets de terre ou de, métal,
bijoux, statuettes, miroirs, débris d'instruments agricoles, serrures
et robinets, attirails de- toilette et de chirurgie, milliers de vases
et de lampes aux dessins nombreux où la satire à la Mythologie
se mêle et la louange à l'obscénité !
LE COMMERCE
-------L'esprit
latin se devait de lancer sur le marché les produits variés
de ces industries ; et dans ce sens, on peut dire que la réussite
fut complète. Avant Rome, le pays sommeillait. Avec Rome, un vent
de négoce envahit l'Afrique, et violemment enflauiuie les esprits.
Finies les traditions d'un commerce étroit, de ville à ville
ou de bourg à bourg: La route, admirable -facteur de l'expansion,
va s'élancer à l'assaut' des -montagnes et ouvrir lé
chemin des ports.
LES CONDITIONS GENERALES DU COMMERCE.
-------Parmi
toutes les provinces du, Monde Romain, l'Afrique, septentrionale fournit
sans doute le meilleur exemple de cette impulsion commerciale vigoureuse
que les autochtones reçurent en peu de temps de leurs maîtres
latins.
-------Certes,
CARTHAGE., avant la conquête romaine ne- vivait que pour et, par
le commerce ; mais hormis quelques zones côtières, son emprise
en Algérie fut négligeable et puis surtout la politique
commerciale de Carthage était fondée sur la -caaception
rigide du monopole. En décrétant la liberté du commerce,
la politique. romaine tend au contraire à provoquer, en Afrique
une émulation du plus heureux effet. Le pays aura désormais
toute latitude pour commercer librement et directement avec ses, voisins.
-------Ce
grand principe s'assortit de compléments nombreux qui en garantissent
la bonne application. Ce sont l'unité monétaire et l'unité
de poids, et mesures que Rome, impose s tous les territoires de son ,empire,
une fiscalité publique et régulière, l'uniformité
du droit commercial qui facilite les-transactions.'
---------------Reconsidérer
les données tràditionnelles de l'économie devient
alors une-urgente nécessité le'l.ibreecha est toujours proclamé,
mais les frontières extérieures se ferment à l'exportation.
Degrands monopoel d'État's organisent. L'altération monétaire,
expédient financier d'un emploi courant, a tant influé sur
les' prix qu'op a vu 'Ceux-ci, -onter de mille pour cent en un quart de
siècle, et ;encore 'ne prévoit-on plus de limites à
ce phénomène. En vain l'empereur DIOCLETIEN, en l'an 301,
après une refonte'genérale de la monnaie, lance-t-il son_
fameux -édit portant -taxation du prix de toute chose, et maxima
à ne point dépasser ( L'
" Edit du Maximum". de Dioclétien est un des documents
les plus extraordinaires de l'histoire économique iniverselle.Il
comprenait un préambule, remarquable bilan de la situation générale
à cette époque, et par chapitre , une inépuisable
nomenclature de matières premières,produits fabriqués,
denrées d'importation, salaires...assortis du prix maximum autorisé
pour chaque article. La sanction prévue au dépassement de
ces maxima était la peine de mort. La lecture de ce texte aujourd'hui
n'a rien perdu de son actualité et de son humour.).C'en
est trop ! les biens se raréfient. ; la disparition des denrées
du marché officiel n'a - d'égale que leur génération
spontanée au marché clandestin. Les pauvres gens pleurent
la liberté d'autrefois. Des nuées de spéculateurs
s'emparent des transactions. Le tumulte grandit ; il faut noyer l'émeute
dans le sang. Lamentable bilan d'un essai de stabilisation financière
et, avec la chute de Diocletien, première abdication d'un empereur
de droit divin.
-------Dans
les temps qui suivirent, la fiscalité devint :écrasante,
considérable entrave aux .progrès, du commerce. Sur le terrain
mouvant des guerres et des troubles, l'économie monétaire
ne put garder pied et toute l'inflation d'édits impériaux
du quatrième siècle ne sut empêcher'. l'inévitable
retour aux traditionsde 1'Econornie Naturelle. On en' était arrivé
là lorsque, l'Empire mourut.
-------Pendant cette
époque angoissée, l'Afrique du- Nord' bénéficiait
encore d'une paix relative. -Loin des Barbares, et- bien que quelque peu
troublée par des révoltes intestines, elle entendait résister
aux contrecoups qui affectaient l'Empire.
-------L'édit
de Diocletien ne lui fut, sans doute pas appliqué. Mais pour autant
qu'elle se' défendit; elle ne put se soustraire en tout aux méfaits
des crises. Son economie ne fut ébranlée. La liberté
du commerce par exemple y-souffrit quelques" tempéraments,
la dépréciation , monétaire influença aussi,
notablement, 1'equilibre'des prix.: Mais dans l'ensemble, la prospérité
fut honorablement sauvegardée, et grâce au volume des exportations,
la balance 'du commerce put conserver, commè à -l'époque
classique; son caractère favorable. D'ailleurs ,l'activité
séculaire des négociants n'y était pas etrangère.
-------Il ne faut
pas perdre ,de:vue en effet que toute, conquête romaine,', menée
â la-pointe des lances, s'assortissait d'un combat sur le plan commercial.
Le NEGOCIATOR, unité élémentaire de ce combat, n'était
pas dans l'esprit romain qu'un simple commis-voyageur,, mais bien une
arme ; une arme ào tir indirect, agissant le plus souvent comme
élément précurseur -des légions._ Dès
avant la- conquête, à Cirta, les negociants.romains spéculaient
en grand sur le marché du blé ,'ailleurs sur celui des.
cuirs ou des esclaves. Et plus tard, aux beaux jours de l'époque
impériale, ils détiennent encore fréquemment le monopole
du grand commerce le negociator apparaît alors le plus souvent sous
les traits d'un directeur d'une puis - santé société
-d' u -export e. Une évolution sociale l'a chassé du petit
commerce au profit des Berbères, qui ne' t pas eux aussi de s'expatrier-pour
semer, en pays étranger, des agences et des succursales de lèùrs
établissements -d'Afrique. Depuis le,troisieme siècle enfin,
c'est le -Syrien qui entre en circuit esprit envahissant et pratique,
il entreprend inlassablement la colonisation des provinces occidentales
de l'Empire et tend à s'arroger, de plus en plus le monopole des
transactions.
-------La fiscalité,
rançon du commerce, est exécrable. En plus, des droits de
place et de, marché, et au Bas-Empire d'une taxe accablante frappant
la profession commerciale l'impôt de circulation- par excellence
s'appelle le PORTORIUM. Il tient -à- la fois d'un octroi, d'un
droit de douane et d un péage'. On le perçoit dans les grands
ports et à toutes les frontières de l'empire, tant intérieures.
qu'extérieures.
-------Toute -marchandise
y est sujette, à de-rares exceptions près, ; on paie pour
entrer et on paie pour sortir ; on paie, lourdement sis-l'on fraude, -et
si l'on est esclave, on paie de sa vie. On comprend dès lors, par
cet esprit, que le Portorium ait été le fléau du
commerce antique et l'artisan résolu de la hausse des prix.
-------Une grande imprécision plane encore
sur ce qua pu être l'organisation- -douanière des provinces
nord-africaines, sous l'Empire, niais il n'est point douteux qu'elles
aient bénéficié d'un 'régime de-faveur. La
certitude nous en est fournie par une inscription d'une exceptionnelle
importance découverte à Zraia; l'antique ZARAI, au sud-est
de Sétif. C'est un tarif douanier du début du troisième
siècle.
-------La perception
marquait en ce point le franchissement d'une frontière intérieure
de l'Afrique romaine ; NUMIDIE et MAURITANIE s'y cotoyaient. D'une foule`
d'objets soumis aux droits, esclaves, bestiaux, articles d'alimentation
et d'habillement, dont l'origine africaine estt évidente, on peut
conclure qu'à Zarai aboutissait un courant de trafic au long cours
ayant son point de départ dans l'île de Djerba et ses étapes
en différents points de la Tunisie et. de l'Algerie méridionales.
L'absence inexplicable de denrées de première nécessité
telles que le blé, l'huile ou le sel laisse à penser que
notre inscription n 'était qu'un élément d'un tout
aujourd'hui perdu.
-------Quant aux
-droits perçus, ils ne sont nullement "ad valorem "
s'exprimant en pourcentage de la valeur des objets mais specifiques et
calculés sur l'unité de poids ou de volume. La modération
du Tarif, sa complaisance à l'égard des biens destinés
au Travail ou à la terre (Un esclave
ou un cheval paient le même droit qu'un manteau; un boeuf que 30
kg de dattes! ) font de ce document célèbre entre
tous, un merveilleuxexemple de clairvoyance et le plus sûr garant
de cette prospérité dont jouissait l'Afrique au temps des
Sévères.
LE COMMERCE INTERIEUR
-------La_distinction
dés commerces ambulant et sede ntaire n'a jamais eté plus
rigoureuse qu'à l'époque antique,. le premier, fidèle
au système des foires;, le second lié au principe de l'artisanat.
La vie municipale qui-caractérisa si profondément la civilisation
latine, a connu dans son sein l'un et l'autre.
-------Dans
toute agglomération romaine, le MACELLUM: est le marché
urbain., Parfois richement orné, ceint; de portiques 'à
colonnes, il doit son éternité de marbre à quelque
puissant bourgeois et son activite a la protection du dieu Mercure. Il
est bien distinct du FORUM, lieu de passage et d'assemblée et.
seuls les basiliques -ou les marchés spécialisés
ont droit au démembrement de sa puissance_ commerciale.
-------Aux
jours de Foire, la ville entière est en liesse , -ses thermes sont
envahis, ses théâtres bondés ; ses' tavernes et '
lieux de plaisir vomissent une-.faune cosmopolite -accourue de .,partout,
tes, délits et les crimes abondent. Et cela. dure parfois plusieurs
semaines.
-------Mais
la périodicité de çes .assises commerciales ou NUNDINAE
est encore plus pittoresque à la campagne, dans ces marchés
ruraux bimensuels ou hebdomadaires qu'avec la permission impériale;
les grands propriétaires ont installés sur, leurs domaines:
On y voit venir l'esclave, et le soldat, le charlatan et le guérisseur.
Ils sont le paradis du CIRCITOR, ce petit marchand ambulant, qui transporte
sa pacotille, du forgeron et du. bijoutier qui courent les villages, proposant
leurs services, du pickpocket flairant l'attroupement de quelques naïfs.
Et dans le cercle des curieux, qu'un bateleur attire, à grands
coups de cymbales, parmi les acheteurs qui de groupe en groupe s'en vont
tater les boeufs et : les moutons, on s'intéresse aux progrès
des .Barbares dans I'Empire, on convient en secret du rendez-vous de la
prochaine émeute. Aux derniers temps dee la Rome africaine, commerce
et révolution ne s'ignorent plus.
-------Le
Tarif de Zraia nous aa conserve une liste importante d'objets de négoce..
Ces marchandises étaien-elles destinées au commerce .intérieur
ou à l'exportation ?-Il est assez difficile de le dire, mais la
première solûtion n'est sans doute pas la plus critiquable.
A vrai dire l'activité commerciale pouvait s'exercer dans tous
les domaines, et nos chapitres de l'Agriculture et' de l'Industrie, sont
là pour en témoigner,
LE COMMERCE EXTERIEUR
-------L
"ile du Maghreh" à 3
jours de voile des ports italiens, a quelques
mors caravane 1'Afriique noire participait en bonne place a cette immense
organisation qui de l'Écosse à l' l'Indonésie, pourvoyait
aux besoins de la communauté romaine.
-------On
sait 1'emprise tentaculaire de Rome et de son port Ostie, l'attraction
qu'ils exerçaient sur les courants d' echanges, le role d'entrepôt
universel que .la capitale s'était assigné.
-------Mais
pour autant qu'ils surent drainer vers eux les produits de l'Annone et
les' richesses e l'Afrique; ils ne supprimerent pas les relations directes
de ses ports avec ceux d'Espagne et de Gaule ou vers la Grèce et
l'Orient.
-------De
même qu'aujourd'hui la Métropole est le premier fournisseur
et le premier client de l'Algérie, la solidarité économique
de l'Italie et de l'Afrique romaine existait autrefois ; Rome vivait de
l'agriculture afriaine ; l'Afrique du Nord pouvait absorber bien des produits
de l'industrie péninsulaire. Aux exportations, les denrées
alimentatires requéraient la, plus, grande partie du tonnage soit
que par achat ou tribut, elles fussent la propriété de l'Annone
impériale, soit que tout simplement elles allassent enrichir des
revendeurs européens. Les bêtes sauvages, les esclaves, les
vêtements, 1es marbres, et quantité de produits secondaires,
voilà encore par quoi l'on connaissait l'Afrique à l'Étranger.
------Les
importations, dans un pays pourvu de ressources agricoles, se limitaient
aux objets manufacturés de qualité, aux objets d'art aussi
qu'en clients fortunés les Africains ravissaient à la métropole
et aux autres provinces . Apport de gouts, apport de procédés
etrangers, offensive de la qualité, influencèrent considérablement
l'industrie locale et le mérite essentiel des importations fut
précisément cette concurrence que les artisans africains
durent affronter jusqu'au jour où, bien loin de succomber, ils
surent adapter leurs produits aux exigences de nouveaux besoins ;
-------A ce
moment la nation africaine, industrieuse,commerçante, avait acquis
ses lettres de noblesse.
-------Elle
pouvait t désormais se vêtir et s'outiller elle-même,
Ce n'était. plus seulement une machine à fabriquer le pain
des autres elle était devenue un des foyers de Civilisation.
PIERRE SALAMA
Membre de la Société Historique Algérienne
|