---------A
50 kilomètres au Nord-Est de Sétif et à 3o kilomètres
de Saint-Arnaud, s'ouvre dans les montagnes une sorte d'amphithéâtre
dominé par des croupes arides. Au centre, sur une plate-forme située
à 85o mètres d'altitude et bordée de profonds ravins,
se dressent des arcs, des colonnades, un temple au pignon élevé
; un bosquet de verdure se détache sur les terres noirâtres
d'alentour : c'est Djemila ("la jolie ", en arabe), fraîche
oasis dans un pays dénudé.
I. - HISTOIRE DE LA
VILLE ANTIQUE
---------FONDATION
DE LA COLONIE ROMAINE
---------Les
inscriptions latines trouvées sur place ont révélé
le nom de l'ancienne ville, Cuicul, nom évidemment berbère
qui, après avoir désigné sans doute un village indigène,
passa à la colonie militaire établie probablement par l'empereur
Nerva, en 96 ou 97 après J.-C. La raison essentielle de cette fondation
fut d'ordre stratégique : les Romains voulurent occuper solidement
le point où la grande route de Constantine à Sétif,
qui assurait les communications Est-Ouest entre Numidie et Maurétanie,
croisait une voie Nord-Sud reliant le port de Djidjelli à Lambèse,
chef-lieu de la province numide, à travers le massif tourmenté
de petite Kabylie ; les vétérans installés comme
colons à ce carrefour reçurent la mission de surveiller
les tribus belliqueuses de la montagne.
---------La
proximité de la limite occidentale de la Numidie amena en outre
l'Administration romaine à établir là un bureau de
douane provinciale.
---------ORGANISATION
ET PEUPLEMENT
---------Soumise
à l'autorité du légat impérial qui exerçait
en Numidie le pouvoir civil en même temps que le commandement (les
troupes, la Colonie fut organisée en commune romaine, dotée
d'une assemblée municipale et de magistrats élus chaque
année. Les premiers habitants étaient d'anciens soldats,
originaires d'Europe Centrale, de Syrie ou même d'Afrique ; ils
avaient reçu les droits de citoyens en entrant dans l'armée
et leurs vingt ans de service les avaient gagnés à la civilisation
romaine. De riches bourgeois venus de villes plus anciennes - Carthage,
Cirta - apportèrent à la nouvelle cité leur expérience
des affaires publiques et lui fournirent ses dirigeants : décurions,
prêtres et magistrats ; Cuicul dut à leur générosité
quelques-uns (le ses plus beaux monuments comme le marché, la basilique
judiciaire.
1,a population urbaine s'augmenta peu à peu de Berbères
attirés par les avantages matériels et juridiques réservés
aux citadins. Elle ne fut pourtant jamais très nombreuse, semble-t-il
: dix mille habitants peut-être.
---------VIE
ÉCONOMIQUE
---------Les
colons à qui l'Administration impériale avait distribué
des terres et les riches notables qui en avaient acheté aux indigènes
furent avant tout des agriculteurs. Le sol assez marneux, le climat humide
convenaient aux céréales et aux arbres fruitiers ; on cultivait
même l'olivier, qui a aujourd'hui complètement disparu de
la région. L'élevage (les moutons, des chèvres, des
ânes et des bovins devait être pratiqué comme de nos
jours. L'abondance des sources permettait d'arroser les jardins et d'abreuver
les troupeaux.
---------Quelques
industries - huileries, tissages - transformaient les produits agricoles
; de petits ateliers fabriquaient les poteries, la verrerie. les ustensiles
en fer et en bronze nécessaires à la vie domestique.
---------Le
commerce se développa grâce aux routes qui reliaient Cuicul
à des régions de productions diverses et devint unélément
essentiel de sa prospérité.
---------PLAN
DE LA VILLE
---------Fondée
sur un étroit plateau qu'enserraient de trois côtés
des ravins creusés par les torrents, la ville s'étendait
davantage du Nord au Sud que de l'Est à l'Ouest ; elle était
entourée d'une enceinte qui épousait la forme triangulaire
du site. Le Forum, établi au croisement des routes, se trouvait
au centre de l'agglomération, à l'endroit où se rencontraient
les deux axes du plan initial, cardo et decumanus, Le cardo, grande rue
Nord-Sud, était coupé par le Forum en deux secteurs qui
ne se prolongeaient pas en ligne droite : celui du Sud aboutissait à
la porte centrale de la place publique, tandis que le tronçon Nord
était rejeté à l'Ouest (une disposition analogue
se remarque à Timgad). Des rues dallées séparaient
les pâtés (le maisons, des portiques bordaient les artères
principales ; des canalisations amenaient l'eau (le la montagne aux fontaines
publiques et aux habitations privées.
---------DEVELOPPEMENT
DE LA VILLE AUX IIè IIIè SIÈCLES
---------Les
principaux édifices religieux et administratifs furent bâtis
au IIè siècle autour du Forum Capitole, Curie, Basilique
judiciaire ; dans les quartiers avoisinants s'élevèrent
le marché, des Thermes et d'autres temples. De l'époque
(les Antonins datent aussi le Théâtre, construit vers 160
au flanc de la colline qui dominait la ville au Sud, puis les grands Thermes
(183) édifiés également au delà (les murs.
---------Au
début du 111è siècle l'enceinte était devenue,
trop étroite, les maisons la débordaient de toutes parts,
descendaient le long des ravins, escaladaient les pentes (le la colline
Sud. Sous le règne de Caracalla s'opère une importante transformation
: la démolition (lu rempart méridional, l'aménagement
d'un nouveau Forum au contact de la vieille ville et (les quartiers neufs.
La municipalité consacre (les monuments grandioses à la
gloire des Empereurs Sévères : arc de triomphe en l'honneur
(le l'empereur C'aracalla et (le ses parents en 215, temple dédié
à toute la dynastie, la " gens septimia ",. en
229.
---------Pour
Cuicul, comme pour beaucoup de cités africaines, l'époque
des Sévères marque l'apogée d'une prospérité
qui décline vers le milieu du siècle par suite d'une crise
générale dans l'Empire, crise économique, sociale
et politique. Une série de mauvaises récoltes ruine les
petits propriétaires, des troubles fréquents coupent les
communications, l'insécurité paralyse le commerce. L'appauvrissement
de la cité arrête le développement urbain : pas une
construction nouvelle pendant cinquante ans.
---------LE
IVè ET LE Vè SIÈCLES
---------Le
IVè siècle amène une renaissance dont témoignent
des travaux d'utilité publique : réfection de l'aqueduc
alimentant la ville en eau potable, construction (le fontaines, restauration
de divers édifices. A la fin du siècle, un gouverneur de
Numidie inaugure au forum (les Sévères un marché
et une nouvelle basilique judiciaire.
---------Mais
le IVè siècle est avant tout l'époque où triomphe
le Christianisme. Une communauté chrétienne existait à
Cuicul dès le 111è siècle, elle avait eu ses martyrs,
elle s'était développée malgré les persécutions.
Libérée par les édits (le Constantin, elle fait bâtir
sur la colline Sud. à la limite (le l'agglomération, un
ensemble d'édifices consacrés au culte et à ses desservants
: église, baptistère, maisons de l'évêque et
(lu clergé. 1.e schisme donatiste divise prêtres et fidèles
jusqu'au jour où l'évêque Cresconius rétablit
l'unité, après la conférence de Carthage de 411;
il célèbre l'événement par la construction
d'une basilique assez vaste pour réunir " toute la foule chrétienne
", il fait transférer des tombes de martyrs ; lui-même
y fut plus tard enseveli.
---------Des
inscriptions funéraires (le la fin (lu siècle prouvent que
la ville subsistait à l'époque V vandale ; très diminuée
sans doute, la population se groupait autour des sanctuaires chrétiens,
sous la protection de son évêque.
---------HYPOTHESE SUR
LA DESTRUCTION DE LA VILLE
---------On
n'a retrouvé aucun vestige certain d'une occupation byzantine.
---------Aucun
document ne fournit (le renseignements sur la destruction de la ville.
Notons cependant que des traces d'incendie se retrouvent dans tous les
quartiers, que la plupart des statues et objets exhumés sont brisés,
que les trouvailles de métaux précieux sont extrêmement
rares. Il est vraisemblable qu'incendie et pillage furent l'oeuvre des
montagnards des Babor ; ces tribus remuantes avaient échappé
à l'empreinte romaine et s'étaient même révoltées
à plusieurs reprises contre l'autorité impériale
; une fois l'organisation administrative et militaire de l'Empire anéantie,
leurs incursions ne rencontrèrent aucune résistance sérieuse
; saccageant les villes, massacrant les habitants, elles rendirent à
la vie sauvage ces terres où Rome avait fait régner pendant
quatre siècles la civilisation.
II. - L'OCCUPATION FRANÇAISE.
- LES FOUILLES
---------Nos
troupes occupèrent Djemila en décembre 1838 ; un détachement,
cerné par les montagnards, y soutint de rudes combats, après
quoi l'autorité militaire y établit un poste qui fut maintenu
pendant six ans. Le duc d'Orléans y, campa en octobre 1839, lors
de l'expédition des Portes de Fer ; il admira, nous dit son journal
de route, " un espace immense couvert de
fûts de colonnes, de chapiteaux, de sculptures, de mosaïques
" ; l'arc de triomphe en particulier provoqua son enthousiasme
à tel point qu'il décida de le faire démonter et
transporter à Paris. L'architecte Ravoisié, chargé
de cette mission l'année suivante, reçut heureusement contre-ordre
; il séjourna pourtant à Djemila, fouilla en partie une
église chrétienne et rédigea la première description
des ruines. Il signalait les monuments visibles avant toutes recherches
- le théâtre, un mausolée, l'arc de triomphe, deux
temples, des vestiges de portes - plus ou moins enfouis dans la végétation
des jardins indigènes.
---------En
1909 seulement, après la construction d'une route permettant d'atteindre
facilement les ruines, commencèrent les fouilles entreprises par
le Service des Monuments Historiques et poursuivies régulièrement
depuis lors, sous le contrôle de la Direction des Antiquités
de l'Algérie.
III . - LES RUINES
---------LA
VIEILLE VILLE
---------Une
grande artère à pente rapide (l'ancien "
cardo " Nord raccordé à une autre rue) traverse
les quartiers anciens du Nord au Sud, entre la porte qui s'ouvrait sur
la route de Djidjelli et celle, beaucoup mieux conservée, où
aboutissait au IIè siècle la route de Sétif. A peu
près à mi-chemin entre les deux portes s'étend le
Forum du Capitole, vaste place rectangulaire (48 m. sur 44) qui a conservé
intact son dallage parfaitement régulier ; de nombreux piédestaux
sont alignés sur trois côtés de la place, mais les
statues qu'ils portaient ont disparu. Des portiques disposés au
Sud et à l'Est, il ne reste que la belle colonnade du côté
Sud.
---------Au
Nord, devant l'escalier qui montait au Capitole,
subsiste l'autel de Jupiter orné de bas-reliefs dont l'un représente
avec réalisme une scène de sacrifice. Le temple lui-même
est détruit ; les fragments de ses énormes colonnes (14
m. de haut, comme au Capitole de Timgad) ont roulé sur le Forum
et dans une cour située en contrebas. On peut cependant admirer
les puissantes substructions qui soutenaient le triple sanctuaire consacré
à Jupiter, Junon, Minerve ; , les murs et les arcs en pierre de
taille, supports de voûtes aujourd'hui effondrées, nous donnent
un magnifique exemple d'architecture classique.
La grande rue
|
---------A
côté du Capitole, une inscription a permis d'identifier la
Curie où se réunissait le Conseil
municipal ; quelques vestiges de la décoration de la salle témoignent
du luxe de cet hôtel de ville le sol était pavé de
marbre rouge, des placages d'onyx revêtaient les murs.
---------Le
côté Ouest de la place, le long de la Grande Rue, était
occupé par une basilique civile, salle
de 38 m. sur 14 qui servait de palais de justice et de bourse de commerce.
Les bases des statues impériales qui l'ornaient sont encore rangées
au pied des murs écroulés, l'estrade réservée
aux juges domine de haut l'espace où s'agitait la foule.
---------A
l'angle Sud-ouest de la salle, une porte s'ouvrait sur la rue, au pied
d'un arc monumental qui marquait primitivement la rencontre du cardo Nord
et du decumanus ; cette dernière rue fut coupée plus tard
par la construction du temple de Vénus Genetrix. Le sanctuaire
de petites dimensions, a conservé ses élégantes colonnes
de granit ; leur groupe harmonieux, encadré par la large baie qui
donne accès à la cour du temple, forme un des tableaux les
plus pittoresques de Djemila.
------Au Nord
de la basilique, un escalier de quinze marches descend du Forum vers la
Grande Rue ; au-dessous se dissimulent deux caveaux dont l'un a conservé
sa voute d'arête en blocage : c'était la
prison municipale.
---------Un
peu plus loin, en descendant la rue, voici l'entrée du marché,
monument dont l'état (le conservation est remarquable. Une colonnade
en marbre gris du Filfila encadre une cour presque carrée ; sur
les quatre côtés étaient distribués seize boutiques
; à l'entrée de chacune, une table de pierre massive, aux
supports sculptés, servait d'étal. Une large dalle, placée
sur le mur (le fond entre deux boutiques, porte le nom du donateur, L.
Cosinius Primus ; elle est percée de dix trous où devaient
être fixés des crochets pour suspendre les balances. Une
table de mesures présente à côté (le la coudée,
mesure de longueur, trois cavités destinées à mesurer
le blé, l'orge et les liquides.
---------Une
porte secondaire mène aux sous-sols du Capitole et à un
établissement de bains. Dans ces Thermes,
comme au marché, on voit combien le souci d'un décor artistique
intervenait dans la construction des édifices utilitaires. La,
salle de bains froids a conservé un reste (le peinture murale -
des poissons rouges et verts -, (les colonnes cannelées et surtout
(le beaux chapiteaux de pilastresoù l'acanthe épineuse est
découpée avec une rare finesse.
---------Quelques
grandes maisons, bâties clans ce quartier central pour les notables
de la cité, s'intercalent entre les monuments publics. Dans ces
riche demeures, les pièces étaient disposées autour
d'une cour à péristyle ; (les fontaines et (les bassins
y entretenaient la fraîcheur ; l'eau bienfaisante alimentait aussi
les piscines (les salles (le bains. Les pièces (le réception,
plus Bandes que les autres, étaient pavées de marbre et
(le mosaïques aux couleurs chatoyante.
---------La
plus vaste (le ces habitations, surnommée la maison
d'Europe parce qu'une mosaïque représentant l'Enlèvement
d'Europe y fut trouvée, donne sur la Grande rue, au Nord du marché.
L'entrée monumentale, la façade en pierre de taille, le
grand nombre (les pièces (une vingtaine), let" décoration
luxueuse, tout indique la demeure d'un personnage important. Une autre
maison possédait un salon d'été où l'eau de
trois petites fontaines ruisselait sur le sol couvert d'une mosaïque
à scènes marines ; dans la salle (le bains froids, une mosaïque
divisée en nombreux médaillons ornés d'animaux ou
de personnages humains représentait peut-être un jeu analogue
au jeu de l'oie, mais dont le but était figuré par un âne
accompagné des mots Asinus nica : " Ane, sois vainqueur
".
---------Dans
une autre, le nom du propriétaire, Castorius, a été
révélé par une inscription en mosaïque trouvée
clans un couloir. Des habitations modestes se voient le long des rues
secondaires ; leurs quatre ou cinq pièces prenaient jour sur une
étroite courette ou sur nu simple corridor à ciel ouvert
; on a parfois trouvé en place une fenêtre, dalle depierre
ajourée qui laissait passer une faible quantité d'air et
(le lumière. La plupart de ces maisons ont une écurie pour
loger un aile, animal précieux qui (le tout temps a du jouer un
rôle essentiel dans l'économie du pays.
---------LE
QUARTIER DU NOUVEAU FORUM
---------Une
vaste esplanade à forte pente dessinant un quadrilatère
irrégulier : tel est l'aspect du 1,01-uni des Sévères.
A l'Ouest, au sommet de la pente, l'arc de triomphe
dédié à l'empereur Caracalla et à ses parents
se détache sur un fond de montagnes sombres. Au-dessus de l'arcade
majestueuse, l'inscription dédicatoire est restée à
sa place, surmontée des trois dés en pierre qui portaient
jadis les statues de Caracalla, (le Septime Sévère et (le
1ulia Domna. De part et d'autre de l'arc se voient un petit temple, dont
le perron a pu servir de tribune aux harangues,
et les restes d'un château d'eau. Un peu en arrière s'ouvre
une grande salle à abside : le marché
aux vêtements.
---------Au
Nord, une belle colonnade est le seul vestige des portiques qui régnaient
sur les côtés Nord et Est de la place.
---------Au
Sud, le temple Septimien domine de très
haut le niveau du Forum : ses murs intacts à la patine dorée,
ses robustes colonnes corinthiennes se dressent au-dessus d'une terrasse,
bordée par d'autres colonnes, où l'on accède par
un escalier de vingt-six marches. Une multitude de pigeons emplit (le
ses roucoulements le sanctuaire où trônaient autrefois les
statues colossales de Septime Sévère et (le Julia Domna,
réduites aujourd'hui à quelques débris.
---------A
côté de ce temple grandiose, une basilique
judiciaire, construite vers la fin du IVè siècle,
a remplacé un sanctuaire de Frugifer-Saturne, dieu de la végétation,
dont le culte tint une place prépondérante clans la vie
religieuse de l'Afrique romaine,pays essentiellement agricole.
---------Du
nouveau Forum partent cinq rues . deux desservaient la vieille ville ;
une troisième passait sous l'arc de Caracalla et se continuait
sans doute vers l'Ouest par la route de Sétif ; une autre sort
de la place au Sud-est pour mener au théâtre ; la plus large,
qui prolongeait le cardo vers le Sud. conduit aux grands Thermes et au
quartier chrétien
.
Théâtre et une partie de la vieille ville
|
---------Le
Théâtre, un des plus complets de l'Afrique
du Nord, pouvait contenir 3.000 spectateurs environ. Le demi-cercle des
gradins, creusé dans la colline, se termine par un mur de couronnement
qu'il a été possible de reconstituer presque entièrement.
Le mur de fond de la scène subsiste en grande partie, avec les
trois portes par où les acteurs faisaient leur entrée ;
la murette qui soutenait la scène a conservé son élégante
décoration : niches, colonnettes, corniche à feuilles d'acanthe.
---------De
l'autre côté de la colline, les Grands
Thermes couvrent une superficie de 2.600 mètres carrés.
Ce monument, très bien conservé, est particulièrement
intéressant par la clarté de son plan - palestre, vestiaires,
étuves, salles de bains chauds et froids séparées
par des pièces tempérées, se succèdent suivant
une distribution parfaitement symétrique -, puis par la variété
des procédés de construction qu'on y relève : murs
où les pierres de taille sont associées aux briques et aux
petits moellons, arcs en grand appareil supportant des voûtes en
blocage, doubles parois des salles chauffées entre lesquelles circulait
l'air chaud montant des hypocaustes. Les vestiges de la , décoration
révèlent sa magnificence : les murs étaient revêtus
de marbre, le sol couvert de mosaïques très soignées
; de nombreuses statues animaient les salles ; c'est de là que
proviennent les plus beaux fragments de sculpture exhumés à
Djemila.
---------Au
nord du bâtiment s'étendait une vaste cour dallée
; privée de ses portiques ruinés, elle présente aujourd'hui
l'aspect d'une terrasse d'où se découvre un admirable panorama
des ruines et de la campagne environnante. En contrebas, une série
de grandes citernes, alimentées par l'aqueduc municipal, emmagasinaient
une réserve d'eau potable pour la ville basse.
---------LE
QUARTIER CHRÉTIEN
---------Au
delà d'un bâtiment consacré (au moins en partie) au
culte de Bacchus, la grande rue aboutit à l'entrée du quartier
où sont groupés les principaux édifices chrétiens.
Une avenue bordée de colonnades monte vers le sommet de la colline,
occupé par le baptistère et deux églises.
La plus ancienne, construite sans doute au IV- siècle en même
temps que le baptistère, présente le plan classique d'une
basilique à trois nefs. La cathédrale,
élevée au début du Vè siècle par l'évêque
Cresconius (une inscription insérée dans
la mosaïque du choeur nous l'apprend), est de proportions
plus vastes (40 m. de long au lieu (le 35 et 28 in. de large au lieu de
t,) et comprend cinq nefs. Dans les deux églises, l'existence
d'une crypte a causé l'effondreraient de l'abside.Ces cryptes
devaient renfermer des tombeaux de martyrs ; elles étaient reliées
par un couloir vers lequel descendaient plusieurs escaliers, disposition
qui facilitait les allées et venues des pélerins. Les colonnes
des églises proviennent des temples démolis qui servirent
de carrières, une fois les cultes païens proscrits.
---------Le
monument le plus évocateur de la période chrétienne
c'est le baptistère, construit sur
plan circulaire; auquel une heureuse restauration a rendu sa coupole.
Au centre, la cuve baptismale est surmontée d'un dais en pierre
porté par quatre colonnes corinthiennes ; deux fontaines fournissaient
l'eau nécessaire aux aspersions. Autour de la rotonde centrale,
une galerie bordée de niches servait de vestiaire ; les cathécumènes
assis dans les niches y attendaient leur tour d'être admis à
l'immersion sacrée. Cette galerie s'interrompt à l'Ouest,
devant la porte d'entrée, et à l'Est devant une grande niche
qui abritait sans doute le siège de l'évêque ; de
ce côté, deux portes menaient, l'une à l'église,
l'autre à une chapelle utilisée peut-être pour la
confirmation.
---------Toutes
les mosaïques trouvées dans les ruines ont dit être
transportées au musée pour éviter leur dégradation
par les gelées d'hiver, sauf celles du baptistère protégées
par la restauration -des voûtes. Sur le pavement parfaitement conservé
qui entoure la cuve baptismale, on voit évoluer toute `.a faune
de la Méditerranée autour de grands vases, symboles de l'Eucharistie
; au fond de la cuve, de petits poissons figurent les aspirants au baptême
qui s'élancent vers le salut. 1)u baptistère dépendent
des bains où les néophytes abandonnaient les souillures
du corps avant de purifier leur âme.
---------En
face de la cathédrale. un bâtiment comprenant (le nombreuses
pièces et une chapelle était probablement la demeure de
l'évêque ; des locaux voisins ont pu servir au logement des
prêtres et des pélerins.
---------Sur
les pentes Ouest et Nord de la colline s'étagent des maisons, de
construction souvent médiocre, qui furent sans doute habitées
jusqu'à une époque tardive. Quelques ateliers de forgerons,
de bronziers, de potiers nous ont livré un matériel intéressant.
---------Un
cimetière occupait la pente Est, comme en témoignent les
tombes et les reste., de mausolées découverts de ce côté.
Les nécropoles les plus anciennes s'étendaient plus à
l'Est, au delà du ravin ; elles ont en grande partie disparu, emportées
par les eaux de ruissellement.
---------Les
fouilles de Djemila nous rendent le cadre de la vie d'une de ces petites
cités provinciales où les Berbères s'adaptaient aux
moeurs romaines. Ils y trouvaient les conditions d'une bonne hygiène
grâce à la construction de nombreux établissements
de bains, à l'aménagement d'une distribution d'eau potable
et d'un réseau d'égouts. Ils pouvaient se procurer dans
les marchés les denrées alimentaires et les vêtements
qui leur étaient nécessaires. Es apprenaient â parler
latin, ils prenaient l'habitude de se réunir au Forum, aux Thermes,
ils se divertissaient aux représentations théâtrales,
ils sacrifiaient aux dieux de Rome. Ils participaient à toutes
les manifestations de cette vie municipale qui dans l'antiquité
paraissait le symbole même de la civilisation. Ils mettaient leur
point d'honneur à embellir leur ville , à y édifier
des monuments somptueux, dignes de rivaliser avec ceux du chef-lieu de
la province : ils y élevaient des statues, de marbre ou de bronze
en hommage aux dieux et aux empereurs. La multiplication des agglomérations
urbaines fut un des moyens essentiels employés par Rome pour assimiler
les africains.
Y. ALLAIS
Directrice des fouilles de Djemila.
|