Sahara
LES ROCHERS DE SEL
Afrique illustrée du 17-12-1921 - Transmis par Francis Rambert
fév.2021

Ce nom de Rocher de sel, comme il arrive généralement aux noms populaires, est bien fait, il est expressif. Il évoque bien une muraille rocheuse, à l'air libre, sous le grand soleil, exactement semblable à n'importe quelle autre muraille rocheuse, à cela près que le roc est de sel gemme, le nom populaire indigène est lui aussi assez réussi, Khanguet-el-Melah, le " canyon de sel ".
Les Algériens connaissent-ils leurs rochers de sel ? oui, un peu confusément ; en général, ils ont entendu parler de çà. La plupart d'entre eux seraient embarrassés si on leur demandait de dire où çà se trouve.

II y a trois rochers de sel en tout et pour tout en Algérie, pas davantage ; j'entends de véritables, dignes de ce nom, des pitons accusés tout en sel gemme massif.


** La qualité médiocre des photos de cette page est celle de la revue. Nous sommes ici en 1921. Amélioration notable plus tard, dans les revues à venir. " Algeria " en particulier.
N.B : CTRL + molette souris = page plus ou moins grande
TEXTE COMPLET SOUS LES IMAGES.

230 Ko
retour
 
LES ROCHERS DE SEL

LES ROCHERS DE SEL

El Outaya, sur la route El Kantara - Biskra

El Outaya, sur la route El Kantara - Biskra

LES ROCHERS DE SEL

Ce nom de Rocher de sel, comme il arrive généralement aux noms populaires, est bien fait, il est expressif. Il évoque bien une muraille rocheuse, à l'air libre, sous le grand soleil, exactement semblable à n'importe quelle autre muraille rocheuse, à cela près que le roc est de sel gemme, le nom populaire indigène est lui aussi assez réussi, Khanguet-el-Melah, le " canyon de sel ".
Les Algériens connaissent-ils leurs rochers de sel ? oui, un peu confusément ; en général, ils ont entendu parler de çà. La plupart d'entre eux seraient embarrassés si on leur demandait de dire où çà se trouve.

II y a trois rochers de sel en tout et pour tout en Algérie, pas davantage ; j'entends de véritables, dignes de ce nom, des pitons accusés tout en sel gemme massif.

L'un est au Djebel-Metlili, à l'Ouest et à vingt ou vingt-cinq kilomètres d'El-Kantara. Quoique le plus petit des trois, il vaut le voyage, c'est un bijou. Seulement le voyage est long et difficile. Il faut descendre et coucher à l'hôtel d'El-Kantara, qui est après tout très habitable. Mais c'est ici que les choses se gâtent. II faut louer des mulets et des guides, emporter des provisions, partir un peu avant le lever du soleil si on veut être de retour à la nuit close, après une chevauchée fatigante. En fait, le Rocher de Metlili n'a jamais attiré l'attention que de quelques géologues, c'est un objet de curiosité scientifique et technique ; vous le trouverez, par exemple, tres exactement repéré, sur la carte géologique de l'Algérie, à 1.800.000. Jamais, au grand jamais, on n'est allé le voir pour rien, pour la jouissance de l'œil, en artiste et en touriste. Le guide Joanne l'ignore royalement ; cherchez-le dans sa taille, vous ne l'y trouverez pas. Le guide Joanne a raison ; il est absurde de proposer à un touriste un voyage d'exploration.

Les deux autres rochers de sel ont été favorisés par le hasard, il se trouve que le chemin de 1er y passe, personne ne l'a fait exprès, bien entendu ; mais, enfin, c'est comme çà. Encore est-il que la coïncidence n'est peut-être pas tout à fait fortuite. Ces accidents très curieux paraissent en relation avec de grands déchirements Nord-Sud qui articulent l'Atlas, le seuil de Biskra par exemple ; ou bien encore le dos des steppes entre Djelfa et Boghari ; ces grands accidents se trouvent diriger la circulation humaine au temps du rail, comme à celui des diligences, ou à celui des caravanes. Ce qui est tout à fait certain en tout cas, c'est que les rochers de sel d'El-Outaya el de Djelfa ont chacun sa gare ; non ! ce mot de gare est tout de même trop ambitieux ; disons sa halte. Il manque seulement à cette gare ou à celte halte la vie qu'y mettrait la curiosité des touristes si elle était éveillée.

La gare d'El-Outaya est sur le chemin de fer de Biskra, entre El-Kantara et Biskra.

Cet El-Outaya mériterait à divers titres d'attirer l'attention ; son oued est un des points de l'Algérie, assez rares, où on trouve encore le naja, le serpent des charmeurs ; cette formidable bête de deux mètres de long, qu'on représente toujours dressée sur sa queue, avec sa collerette étalée. C'est exactement ce même cobra qui passe pour faire dans les Indes une vingtaine de mille de victimes par an. En Algérie, cet animal des tropiques est dépaysé, il a une sorte de maldonne, on le montre dans les foires, Hertzig en fait des caricatures, et on le prend bien moins au sérieux, par exemple, que la petite vipère à cornes. El-Outaya est pourtant un des points de l'Algérie où on vous raconte des histoires impressionnantes du naja. Imaginez sur la route, le long de l'oued, une voiture de colon fuyant au galop, et un naja furieux derrière, poursuivant avec cette rapidité de flèches que vous avez pu observer chez la moindre couleuvre lovée se détendant comme un ressort puissant. Vous voyez d'ici la charrette cahotée avec un bruit de ferrailles, le colon fouettant désespérément son cheval, la menace de mort derrière. C'est à faire dresser les cheveux sur la tête.

Outre ses najas, El-Oulaya a un petit village indigène et une auberge minuscule. Elle est indispensable, cette auberge, il faut y coucher si on veut se rendre compte du Rocher de sel. Il en vaut la peine, c'est le géant de l'espèce, il a quelque chose comme six kilomètres de grand diamètre, une altitude de trois cents mètres de la base au faîte ; tout cela, nota bene, en sel gemme massif. De loin pourtant, du chemin de fer par exemple, cela ne dit pas grand-chose, c'est une masse grise concave. Il faut y aller, c'est alors seulement qu'on a sous les yeux l'énorme orfèvrerie scintillante des guillochages du sel. Il faut coucher à l'auberge, ce qui est déjà douloureux, car il y a peut-être des punaises. Il faut y manger, ce qui n'est pas moins grave. Il faut se débrouiller pour aller au Rocher de sel, qui est à six ou sept kilomètres, et pour en faire l'ascension, qui n'est pas tout à fait sans danger ; des voûtes de sel peuvent crever sous le pied sans prévenir.

Combien y a-t-il, bon an mal an, de touristes héroïques pour entreprendre cette expédition.

Biskra est tout près pourtant. Et ceci donne la curiosité de feuilleter le guide Joanne. Il a une ligne sur le Rocher : " Cet immense amas de sel, dit-il, est exploité d'une manière superficielle par les Arabes ". Il indique aux touristes les excursions intéressantes aux environs de Biskra, les oasis des Zibans, le tombeau de Sidi-Okba, les gorges de Mehounèche, la zaouïa d'Ouled-Djellal. Le Rocher de sel d'El-Outaya n'y est pas.

Djelfa.-- A tout prendre, c'est celui de Djelfa peut-être qui est le plus connu. Il le mérite, je crois ; il est bien plus petit que celui d'El-Outaya ; mais il est pourtant considérable déjà par ses dimensions, 1.800 mètres de diamètre, cent mètres de haut, et surtout, il est admirablement sculpté, incomparablement mieux qu'aucun autre, éventré de la base au sommet ; c'est lui que les Arabes appellent Khanguet-el-Melah, le " canyon de sel ". Je ne crois pas cependant que ces mérites aient été appréciés par eux-mêmes. D'autant moins que le Rocher de sel de Djelfa est desservi par le chemin de fer depuis quelques mois à peine.

La grosse affaire, c'est que le caïd Ben Chérif l'a habité pendant une vingtaine d'années. Celui-là même qui a trouvé une mort superbe dans la famine du printemps dernier ; il a été emporté par le typhus contracté au service des meskines, dans l'accomplissement de son devoir. Les Algérois l'ont bien connu, c'est l'officier de spahis, extrêmement élégant, qu'ils ont surnommé la " Gomme arabique ". Ils l'ont vu maintes fois, aux bals du Gouverneur général dont il était l'officier d'ordonnance. Ben Chérit' avait, au Rocher de sel même, une installation, qu'il avait voulu européenne ; il déployait l'hospitalité des grands caïds du Sud. Après la diffa, il menait ses hôtes tirer le pigeon dans le Rocher de sel ; il y a promené M. Jonnart ; cela seul était une réclame puissante. Ben Chérit a été le barnum de son Rocher de sel. Sans lui, assurément, le nom même de Rocher de sel serait encore plus inconnu qu'il n'est.

Il nous a montré là une voie dans laquelle il serait souhaitable qu'on la suive. Il faudrait se dire ceci : il y a, dit-on, une autre montagne de sel au Maroc, la quatrième. El puis c'est tout, sur la surface de la planète, au moins à notre connaissance actuelle. Le cliché " unique au monde " est, dans ce cas, rigoureusement vrai. Il faudrait le savoir, le dire, le répéter, le crier sur les toits. Combien de badauds n'attirerait-on pas, rien qu'avec cette formule.

Et ce n'est pas tout. Avez-vous vu les mines de sel de Berchtesgaden. Elles sont dans les Alpes bavaroises, au voisinage de Salzbourg, la patrie de Mozart. Si vous avez jamais visité ce coin de l'Allemagne, vous avez presque nécessairement visité les min s de Berchtesgaden, on n'y échappe guère. On vous a déguisé en mineur, quel que soit votre sexe, avec le pantalon et la veste de cuir, et le grand chapeau : on vous a fait glisser sur des plans inclinés, on vous a promenés dans les galeries taillées à même le sel gemme, scintillant sous la lumière électrique. Tout cela est admirablement organisé, truqué si vous voulez, à l'allemande. Nos rochers de sel. sous le le soleil du Sud, sont autrement beaux que les galeries de Berchtesgaden à la lumière électrique.

Rappelez-vous les gares française, vous y avez vu tirant l'œil du touriste des images colorées d'Hugo d'Alési, représentant le pic de la Meige ou les gorges du Tarn. Quels beaux d'Alési on ferait avec des coins de montagnes de sel. A propos de Timgad, l'Algérie a expérimenté l'utilité de la réclame touristique. Il n'y a pas que Timgad, dans notre beau pays, qui soit susceptible d'attirer et de retenir le touriste.