Dély-Ibrahim - Alger, ses alentours

La naissance du premier village français en Algérie : Dély-Ibrahim

"On avait mis quatre ans pour construire une trentaine de-mauvaises baraques"

1831. La France n'occupe encore dans ce qui deviendra l'Algérie qu'Alger et Oran : Bône le sera bientôt, Mais déjà afflue sur les quais de la Marine, à Alger, toute une population d'immigrants apportant dans leurs hardes des espoirs illimités. Or, que trouvent-ils ? Une place forte étouffant dans une maigre banlieue insalubre.

Ce n'est pas cela que l'on avait fait miroiter à leurs yeux lorsque, délaissant l'Amérique, leur destination première, ils s'étaient embarqués au Havre pour Alger. Beaucoup d'entre euxsont Rhénans ou Bavarois. Ils ont trouvé tout naturel de venir vivre sous les plis de notre drapeau. Leurs pères n'ont-ils pas combattu dans les armées napoléoniennes ? Mayence, Cologne, Coblentz n'étaient-elles pas chefs-lieux de départements français, il y a de cela 15 ans à peine ? Bref, les voila maintenant déambulant dans les rues de la Casbah, avec leurs compagnons de misère venus des quatre coins de France, à la recherche de terres nouvelles.

(suite dans l'article.)


Echo d'Alger du 30-1-1947 - Transmis par Francis Rambert
Texte intégral de l'article transmis par Francis Rambert
...(Merci!!!!!)
mise sur site :aout 2019

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La naissance du premier village français en Algérie : Dély-Ibrahim

"On avait mis quatre ans pour construire une trentaine de-mauvaises baraques"

1831. La France n'occupe encore dans ce qui deviendra l'Algérie qu'Alger et Oran : Bône le sera bientôt, Mais déjà afflue sur les quais de la Marine, à Alger, toute une population d'immigrants apportant dans leurs hardes des espoirs illimités. Or, que trouvent-ils ? Une place forte étouffant dans une maigre banlieue insalubre.

Ce n'est pas cela que l'on avait fait miroiter à leurs yeux lorsque, délaissant l'Amérique, leur destination première, ils s'étaient embarqués au Havre pour Alger. Beaucoup d'entre euxsont Rhénans ou Bavarois. Ils ont trouvé tout naturel de venir vivre sous les plis de notre drapeau. Leurs pères n'ont-ils pas combattu dans les armées napoléoniennes ? Mayence, Cologne, Coblentz n'étaient-elles pas chefs-lieux de départements français, il y a de cela 15 ans à peine ? Bref, les voila maintenant déambulant dans les rues de la Casbah, avec leurs compagnons de misère venus des quatre coins de France, à la recherche de terres nouvelles.

LES FACHEUX !

Mais le général Berthezène, qui commandait en chef, était hostile, par principe, a toute colonisation. Il se contenta de ravitailler ces immigrants, espérant en être rapidement débarrassé. Fâcheux précédent, car les aspirants-colons, que l'on se chargeait, d'autre part, de décourager par tous les moyens, finirent par s'habituer à cette mendicité a peine déguisée. Berthezène fut bientôt rappelé en France, mais réussit encore en partant à leur jouer un bon tour en désignant Dély-Ibrahim comme centre futur de leur établissement.

Le duc de Rovigo qui lui succéda au commandement suprême, quoique partisan chaleureux de la colonisation, ne prit pas la peine de vérifier si le site de Dély-Ibrahim répondait aux nécessités agricoles, mais comme ce centre répondait parfaitement aux exigences militaires, on tint la question pour définitivement réglée.

A L'OUVRAGE

Or quel était l'aspect de la région a cette époque ? Mamelons broussailleux, couverts de palmiers nains et d'arbustes sauvages, coupes de ravins verdoyants mais impraticables. Voila ce que l'on offrait aux immigrants. " Messieurs, ceci est à vous, ...à l'ouvrage !".

Les colons durent se regarder entre eux avec découragement. A l'ouvrage ? Et avec quoi ? Il y avait beau temps que leurs économies avaient fondu. Or pour labourer, il faut des charrues et des bœufs. Pour nourrir les bœufs il faut du foin et, pour les abriter, des étables. Et eux; les hommes, devraient-ils coucher à même le sol, avec leur femme et leurs enfants? Et l'eau ? La source la plus proche se trouvait a 2 kilomètres ! Mais l'intendant civil Pichon vint rapidement troubler leur méditation:
"Nous ne sommes pas sûrs que ces terres appartiennent à l'État ! s'écria-t-il. Il ne peut donc en disposer en votre faveur. Je vais ordonner une enquête. Mes services feront diligence. D'ici quatre à cinq ans vous aurez la réponse. D'ici là ne touchez à rien".

Rovigo fit alors entendre la voix de la raison. Laissez-les s'installer. Les propriétaires sauront bien se faire connaître et nous les dédommagerons. Pichon répliqua que cela n'était pas juridiquement régulier... et les choses en restèrent là.

DECEPTION

Des colons, les uns retournèrent à leurs bouges de la Casbah, les autres prirent le chemin du cimetière, car l'alcoolisme, la sous-alimentation et le manque d'hygiène causaient des ravages terribles dans les rangs de ces malheureux. Or l'Algérie faisait à cette époque une consommation effroyable de hauts fonctionnaires. Pichon fut rappelé en France. Rovigo put se mettre à l'œuvre. Il donna à ses bureaux l'ordre d'étudier sans tarder la construction d'abris pour les futurs colons...

Et ici commence une histoire qui serait doucement loufoque si, dans le fond, ne se profilaient les silhouettes hirsutes et décharnées et souvent héroïques des immigrants qui continuaient de mourir !

PROJETS... PROJETS...PROJETS

Le 7 juillet 1832, M. le Gérant de la Colonisation, écrivait au successeur de Pichon, M. Gentil de Bussy, qui écrivait à son tour au commandant du Génie pour lui faire part des intentions de Rovigo et le prier de lui soumettre des projets d'habitations.

Il y en eut deux. Le premier procurait la charpente et la carcasse d'une "métairie" pour la somme... tenez vous bien... de 58 francs. Le second livrait la "métairie" complète pour 2.400 francs.
Des deux projets on choisit naturellement... un troisième : un crédit de 250 francs fut attribué à chaque colon pour achat du bois de charpente et une somme de 50 francs devrait faire face aux "frais exceptionnels". L'Administration décida du coup d'établir 58 "métairies" à Kouba et 102 à Dély-Ibrahim. Dans cette combinaison les colons qui, ne l'oublions pas, ne disposaient que de leurs mains et de leur bonne volonté, devaient transporter le bois du port au futur village, extraire la pierre nécessaire aux fondations, effectuer le terrassement, élever les murs et aller chercher à 2 km l'eau pour le mortier. On s'étonna pourtant de la lenteur des travaux et l'on décida de recourir à l'adjudication que décréta un sieur Jonquet, mais "vu les frais déjà engagés"" le nombre des "métairies" à construire fut diminué et passa de 102 a 80.

Le 20 octobre, Jonquet résiliait son contrat. Un sieur Meurice prit sa suite, mais, "vu les frais déjà engagés" le nombre des constructions fut encore diminué et passa de 80 à 40.

Or, les 6 et 7 octobre, des trombes d'eau s'abattirent sur Dély-Ibrahim, noyant les fondations, renversant les échafaudages, dispersant linteaux et madriers. Courageusement, l'entrepreneur se remit au travail, mais, "vu les frais déjà engagés", le nombre des maisons passa de 40 a 20.

Las, le ciel inclément redoubla de furie ! Dans la nuit du 23 au 24, un nouvel ouragan détruisit ce que le précédent avait épargné. L'autorité supérieure, découragée, se borna alors à faire réparer les bâtisses les moins endommagées. Et à la Noël 1832, le village de colonisation de Dély-Ibrahim pouvait s'enorgueillir... de 7 "métairies" achevées. 7 sur 102 prévues, c'était un succès !!!

ON FERA "DU SOLIDE"

L'Administration reconnut sportivement ses torts : "Le nouveau village", dit un rapport du 7 décembre 1832, "doit être bâti avec solidité. L'expérience du passé, celle de cette année, nous ont d'ailleurs dégoûté de toute nouvelle tentative... Tout nous fait une loi de changer de système".

"Excellente décision", durent penser les colons qui, au mépris des efforts que l'Administration faisait en leur faveur, continuaient à mourir avec une régularité désespérante.

Cette fois donc, la commission décida de faire "solide". Par ménage, une maison de 12 mètres sur 6, dans une cour de 12 m.x12 m. Le tout pour 5.500 francs. C'était cher. On réfléchit donc. Jusqu'au mois de février 1833 où un nouveau projet l'emporta : Maison de 9 mètres sur 7, en maçonnerie et pisé, toit de chaume, dans une cour de 16 m x12 m, à 1.500 francs pièce. (On réduisait astucieusement la maison au profit de la cour, et l'on se donna le luxe d'ecarter le projet d'une maison de 7 mètres sur 4 pour 380 fr., qui rappelait singulièrement les erreurs passées.

L'adjudication, au bénéfice des sieurs Vaganay et Sillet, eut lieu le 30 août 1833. Il ne s'agissait plus, cette fois que de 20 bâtisses. Le 2 février 1834, les travaux étaient terminés.

LES COLONS SE FACHENT

En grande pompe, les autorités compétentes s'en furent "réceptionner" l'ouvrage. Or, que virent-elles ? Horreur ! Il manquait 38 équerres en fer pour poteaux corniers et les toitures présentaient des malfaçons apparentes. Tout se trouvait remis en question !

Alors, les survivants des colons prirent la parole et demandèrent si la comédie allait durer longtemps encore. Probablement surent-ils trouver les mots qu'il fallait, car un rapport officiel nous apprend que "devant l'impatience des colons à jouir de leurs demeures " l'Administration décida de fermer les yeux sur les malfaçons...

Ainsi, on avait mis quatre ans pour construire une trentaine de mauvaises baraques en pisé et dépensé pour cela plus de cinquante mille francs, soit au cours actuel du franc, plus de cinq millions.
Mais, Dély-Ibrahim devenait le premier village "réalisé" en Algérie. Cette gloire devait suffire aux colons qui avaient donné leur travail et souvent leur vie.

Cette histoire authentique devrait être offerte aux méditations des responsables de la Reconstruction, car, comme dans la chanson : "Si cette histoire vous amuse, Nous pouvons la recommencer".

P. SALLUSTE.