BACAX, dieu CIRTA capitale de l'antique Numidie
Constantine la farouche.
CIRTA capitale de l'antique Numidie
Constantine la farouche.
Le maréchal de Saint-Arnaud
qui, avec le grade de capitaine, faisait partie des troupes qui entrèrent
à Constantine en 1837, a fait d'elle ce portrait : " Alger
ressemble à toutes les villes du Levant, Oran est moitié
espagnol, moitié français et fort peu arabe, mais Constantine
ne ressemble qu'à Constantine ".
La remarque est toujours juste : Constantine est unique par sa beauté
sauvage. Et s'il était permis de définir une ville avec
une épithète, je dirais tout nûment : Alger-la-
voluptueuse, Oran-la-rugueuse, Constantine-la-farouche.
Une ville toute seule à
son image
Entre Alger la Blanche et Tunis la Blanche, et l'une et l'autre maritimes,
Constantine, isolée superbement dans l'intérieur des terres,
est toute seule à son image, la plus originale des cités
africaines par sa structure et par son site. Et cette image est telle,
d'une grandeur si épique, tellement cyclopéenne, qu'on
ne peut l'oublier lorsqu'on l'a vue une fois : elile est pour à
jamais gravée sur la rétine.
Ici notre lyrisme peut jaillir et ruisseler, il sera surpassé
par la réalité. Pégase en vain s'essouffle !
Constantine est plus belle que toutes les descriptions. Je ressens devant
elle la sensation de petitesse que j'ai connue sur la route inoubliable
de Djanet, dans le décor pétré du Tassili des Ajjers
: l'impuissance humiliante de dire, avec des mots, ces splendeurs vertigineuses
de la géogénie.
ll faudrait un Wagner complété
d'un Eschyle
Le peintre, ici, triomphe sur le " littérateur " car
lui seul peut traduire approximativement, avec des lignes, des rayons
et des ombres, ces dislocations formidables du cosmos. Je pense à
Hugo, cependant à son aise dans le fantasmagorique, qui abandonna
le verbe pour exprimer avec des taches de suie et des reflets d'orage,
l'impression qu'il ressentait devant, les burgs du Rhin.
L'Alighieri, peut-être, ne serait pas vaincu, Et c'est pourquoi
< " dantesque " est tellement galvaudé par tous
les scribouillards au vocabulaire pauvre, qu'on n'ose plus l'usiter,
même lorsqu'il s'imposerait. Mais le calame du Dante a chu sa
main morte, et nul ne i'a recueilli, pas même Victor Hugo. Il
faudrait un Eschyle complété d'un Wagner, toutes leurs
cymbales, toutes leurs trompettes,
tous leurs tonnerres. Seules ces voix souveraines, parce qu'elles sont
plus qu'humaines, seraient accordées au site mythologique de
Constantine. Tout le reste est dissonance et dérisoire balbutiement;
ce décor grandiose n'admet que la grandeur.
Cirta-la-Numide
Plus africaine qu'orientale. la vocation historique de Constantine,
déterminée par la nature, est d'être une forteresse,
et elle n'a pas failli depuis son origine. qui remonte au fond des ages,
à cette prédestination. Quiconque a vu l'Aurès
dong elle est la capitale, retrouve en sa Casbah, aire de rapace sur
un abime, la " Guelaâ " berbère des vallées
de l'Oued Chéchar et de l'Oued-el-Abiod.
Battue des vents sauvages, cuite par les siroccos, Constantine est plus
rude, plus ardente, plus violente que les villes de la Côte, ce
qui la fit surnommer, par El Békri je crois, la Cité des
Passions : Medinet-el-Haoua, ce qui voudrait dire aussi, tellement la
langue arabe est riche en métaphores : la Ville de l'Air et du
Gouffre.
C'est Cirta, la Numide, le cur et le cerveau de l'" Africa
Vetus ", plus ancienne que Carthage, car elle était libyque
avant d'être punique. Elle vit passer Bocchus, qui trahit Jugurtha
au bénéfice de Rome. Elle a connu Scipion, Massinissa
et Syphax, Marius et Métellus.
Je n'oublie pas Sophonisbe, touchante comme Didon et forte comme Electre,
qui périt comme Socrate, victime volontaire (à tous le
moins résignée) de l'amour de deux hommes et de la loi
de Rome.
Quant a l'historien Salluste, lequel fut 18 mois proconsul de Numidie,
il aurait, acquis ici une fortune si scandaleuse en écumant la
province que César - qui se servait de tout ce qui pouvait le
servir - fut obligé de le " couvrir " (comme on dit
aujourd'hui en pareille occurrence) pour le sauver du cachot où
mourut Jugurtha.
Fronton le Cirtéen
J'ai réservé Fronton qui, né sur ce rocher, devint
le maître de deux empereurs, Lucius Verus et Marc Aurèle.
D'origine numide " Ego libius " : Je suis Libyen, proclamait-il
fièrement, c'était un orateur emphatique et précieux.
Rhéteur-né, comme ii y en eut tant dans cette Afrique
latinisée que Juvenal nommait " la nourrice des avocats
" (et ca n'a guère change !) Fronton mettait le bien dire
au-dessus du bien-faire.
Styliste, il voulait le mot juste et brillant. Pas le mot volontaire
qui s'offre de soi-même, le mot usé par trop d'usage que
nous appelons lieu commun, mais le mot rare et neuf, ie vocable précis,
celui qui se dérobe et qu'il faut pourchasser.
L'étonnement, c'est de voir ce discoureur et ce jongleur de syllabes,
enseigner l'éloquence à Marc Aurèle, lequel était
aussi simple et assoiffé de vérité que lui de vanité.
Mais le fils d'Antonin-le-Pieux ne fut pas contaminé par la faconde
du Libyen. Prédestiné à. la vraie gloire, Marc
Auréle résista à la contagion de la gloriole, et
son vrai maître fut Epictète qui le convertit au stoïcisme
- christianisme anticipé - qui fit de lui ce qu'il fut : "
le plus vrai des hommes ", au dire de Fronton lui-même.
Les écrivains latins
d'Afrique étaient-ils des Africaines ?
Comme Apulée, Tertullien, Saint Augustin (j'en passe) Fronton
avait fait ses études à Carthage, dont l'université
était la plus célèbre de tout le monde ancien.
Ici une question, insoluble s'impose : les écrivains latins d'Afrique
étaient-ils des Africains, je veux dire des autochtones ou bien
des allochtones ? On le présume généralement. Certains
l'affirment même, mais sans preuve irréfutable. Fronton,
je l'ai dit, se proclamait Libyen. Mais cela implique-t-il qu'il fut
de sang berbère ? Il pouvait être né en Numidie
sans l'être. N'est-ce pas déjà le cas de beaucoup
d'entre nous, après cent ans seulement que l'Algérie est
française ?
Ceci me fait souvenir d'un Père blanc du Djurdjura, lequel, devant
moi et les jeunes musulmans auxquels il faisait l'école, disai
: " Je suis Kabyle ! " Exactement comme Fronton, 18 siècles
avant lui, disait : " Je suis Libyen ! " et comme Charles
de Foucauld, se faisant tout à tous par zèle apostolique,
put dire ; " Je suis Targui ! " en certaines circonstances
Or,le Père dont je parle, bien que vieux djurdjuréen,
était bel et bien natif d'une vieille province de France... A
moi-même il m'advint, et septante fois sept fois, d'af?rmer comme
Fronton : " l'Africa mate ! ". Cela signifie quoi ? Non point
que j'y suis né, et d'un terreau africain, ((je suis Gaulois
de Langres) mais que j'ai pour l'Afrique une affection filiale, la même
que pour la France, et que de l'une et de l'autre, dans mon cur
confondues, je fais ma patrie unique : c'est mon africanisme qui me
naturalise.
Mais j'y songe : dans mille ans (si la vie continue) comme il sera tentant,
pour les historiens d'alors, de faire une Africaine d'Isabelle Eberhardt,
et de Dinet un Africain, lesquels, pour les musulmans, qui confondent
religion avec nationalité, sont déja des Arabes.
Et pourtant, l'Amazone était germano-slave et le peintre Parisien
!
Conclusion :malgré l'intérêt humain qu'il y aurait
à le savoir, nous ne saurons, jamais si Fronton de Cirta, Apulée
de Madaure, Tertullien de Carthage, Augustin de Thagaste, étaient
des Africains nés de pères africains, c'est-a-dire des
Berbéres, ancêtres de nos Kabyles et de nos Chaouia, des
Touareg et des Chleuh.
Les dieux de Cirta
Les premiers connus, ce sont Baâl et Tanit. divinités parèdres,
épigones de l'Amon Ra pharaonique et de l'Astarté syrienne,
dont d'innombrables stèles ont été reconnues dans
toute la Numidie.
Ailleurs aussi, mais nulle part (sauf à Carthage, sans doute)
on n'en exhuma tant que dans cette seule province, la " Numidia
Cirtensis ", et qu'à Constantine même, qui en était
la capitale, et où il y a un an seulement, 600 étaient
encore mises à jour dans des travaux de terrassement. J'ajoute
que le souvenir de la déesse Tanit survit dans les oasis d'Ouled-Djellal
et d'Ouargla, où son Signe - je l'ai rappelé dans "
La Féerie saharienne " - orne le linteau des maisons indigènes.
Saturne - Mercure - Bacax
Après Baâl, dieu solaire, et Tanit son reflet, personnifiant
la Lune. dont le culte exigeait des sacrifices humains, du moins à
l'origine, les dieux les plus populaires vénérés
à Cirta furent Saturne et Caelestis, homologues latinisés
de Baâl et de Tanit.
Ensuite vient Jupiter. le dieu des dieux, qui trônait au Capitole
entre Minerve et Junon ! Puis Mercure, divinité de la Mercante
et des voleurs (rapprochement plein d'enseignement !)
Est-ce la raison pour laquelle les marchands de Cirta se livraient à
des lustrations dans les eaux du Rhumel comme leurs compères
de Rome à la source Capène ? La découverte de "
Scamma " (bancs de pierre épigraphiés) en 1941, sur
la rive gauche de l'antique Ampsaga, a révélé tardivement
la coutume, à Cirta, de ces ablutions rituelles.
Importé d'Asie (comme celui de Cybéle) par les soldats
des légions, le culte de Mithra fut également très
répandu dans toute la Numidie, et jusqu'à Saïda,
aux confins du désert. Bien d'autres dieux et bien d'autres génies
eurent aussi des dévots, notamment Bacax, dont j'ai dit quelques
mots en parlant d'Announa. Dieu occulte et resté mystérieux,
on ne sait rien de lui, sinon qu'on l'honorait dans la nuit des spélonques,
au djebel Chettaba et au djebel Taya.
Constantin le Grand, fondateur
de Constantine
Enfin Constantin vint. Après sa victoire en 312, sur Maxence,
qui avait ravagé Cirta en 311, Constantin fit confectionner le
Labarum pour rappeler la vision qu'il avait eue au combat des Roches-Rouges,
d'une Croix lumineuse entourée de ces mots : " In hoc signo
vinces " (Tu vaincras par ce signe).
Apothéosé par les païens à la suite de ce
triomphe, il fut acclamé par les chrétiens qui saluaient
en lui le champion du Christ et de l'Église.
Le fils de sainte Hélène ne détruit pas leur espérance.
Dès 313, date faste dans l'histoire de la Chrétienté
et du Monde, Constantin promulguait le fameux Édit de Milan qui
instituait la liberté religieuse dans l'Empire. Pourtant, il
ne se convertit que dix années plus tard, en 322. et il ne reçut
le baptême qu'à l'artic .le de la mort, en 337, a Nicomédie,
et des mains d'un prélat schismatique, l'évêque
arien Eusèbe.
Malgré sa conversion, le Vieil Homme survivait en Constantin-le-Grand,
car l'année même qui la suivit, en 324, il faisait étrangler
son beau-frère Licinius avec lequel il partageait l'Empire. Devenu
unique Auguste à la suite de ce drame, Constantin fit donation
de Rome au pape Sylvestre et établit la Cour à Byzance,
qui devint Constantinople.
Quant à Cirta, restaurée et embellie par son ordre, elle
devint Constantine, nom qu'elle garda jusqu'à ce jour, malgré
toutes les vicissitudes que l'Afrique a subies.
Et Dieu remplaça les dieux.
Le monothéisme triomphait du polythéisme.
Et Constantin méritait cette dédicace, où ses contemporains
locaux le proclamaien : " Auteur de la sécurité perpétuelle
et de la liberté. Dompteur de toutes les ! ".
Jugurtha, surnom honorifique signifiant le plus grand. Ami dc Scipion,
qu'il accompagna en Espagne, il fut trahi par Bocchus, son beau-père,
qui le livra à Marius, lequel l'emmena prisonnier à Rome,
où il orna son triomphe. (118-106 avant Jésus-Christ)