Constantine
L'éboulement du village des " Béni Ramassés "
ou une curiosité constantinoise en voie de disparition

C'est sans doute le département de Constantine qui recèle le plus de curiosités touristiques et, aux temps heureux où il pouvait encore être question de tourisme, c'est vers lui que se dirigeaient les caravens d'Insulaires, d'Américains et même de métropolitains venus en Algérie.

Cirta elle-même retenait longtemps par ses innombrables beautés, par sa situation originale sur son rocher. Ses ponts, défis lancés par l'homme à la nature, sont uniques ; sa cathédrale, ancienne mosquée dont on ne se lasse point d'admirer les délicieuses sculptures et les splendides céramiques, valent le sacrifice de quelques instants d'attention ; son quartier indigène, l'abîme du Rhumel où roucoulent les pigeons et où croassent les corbeaux retiennent, comme en un enchantement, l'âme des artistes. Les femmes juives, vêtues comme l'étaient leurs ancêtres, captivent l'attention au même titre que les musulmanes dont on ne voit même pas les yeux et qui se drapent dans de longs voiles noirs.

C'est l'un des plus pittoresques quartiers de Constantine qui vient d'être le théâtre d'événements dont les résultats eussent été tragiques sans un concours de circonstances heureuses. Qu'il nous soit donc permis de parler un peu de cette agglomération indigène dont bientôt nous n'aurons plus que le souvenir.

Sur la plateforme du Coudiat, depuis quelques années masquée par de fort belles bâtisses, s'était installée une sorte de " marché aux puces " indigène. Devant des baraques faites de planches, de tôles, de toiles de sacs s'étalaient les objets les plus hétéroclites qui se puissent imaginer. De braves indigènes, soucieux de faire prospérer le commerce local entassaient en cet endroit maints débris semblant ne plus avoir aucune valeur et qui, cependant, formaient !a base de transactions parfois lucratives.

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Afrique du nord illustrée du 10-8-1935 - Transmis par Francis Rambert
juin 2021

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L'éboulement du village des " Béni Ramassés "
L'éboulement du village des " Béni Ramassés "


L'éboulement du village des " Béni Ramassés "
où une curiosité constantinoise en voie de disparition

C'est sans doute le département de Constantine qui recèle le plus de curiosités touristiques et, aux temps heureux où il pouvait encore être question de tourisme, c'est vers lui que se dirigeaient les caravens d'Insulaires, d'Américains et même de métropolitains venus en Algérie.

Cirta elle-même retenait longtemps par ses innombrables beautés, par sa situation originale sur son rocher. Ses ponts, défis lancés par l'homme à la nature, sont uniques ; sa cathédrale, ancienne mosquée dont on ne se lasse point d'admirer les délicieuses sculptures et les splendides céramiques, valent le sacrifice de quelques instants d'attention ; son quartier indigène, l'abîme du Rhumel où roucoulent les pigeons et où croassent les corbeaux retiennent, comme en un enchantement, l'âme des artistes. Les femmes juives, vêtues comme l'étaient leurs ancêtres, captivent l'attention au même titre que les musulmanes dont on ne voit même pas les yeux et qui se drapent dans de longs voiles noirs.

C'est l'un des plus pittoresques quartiers de Constantine qui vient d'être le théâtre d'événements dont les résultats eussent été tragiques sans un concours de circonstances heureuses. Qu'il nous soit donc permis de parler un peu de cette agglomération indigène dont bientôt nous n'aurons plus que le souvenir.
Sur la plateforme du Coudiat, depuis quelques années masquée par de fort belles bâtisses, s'était installée une sorte de " marché aux puces " indigène. Devant des baraques faites de planches, de tôles, de toiles de sacs s'étalaient les objets les plus hétéroclites qui se puissent imaginer. De braves indigènes, soucieux de faire prospérer le commerce local entassaient en cet endroit maints débris semblant ne plus avoir aucune valeur et qui, cependant, formaient !a base de transactions parfois lucratives.

Ce que l'on trouvait au marché indigène dépasse l'imagination la plus féconde. Il y avait d'abord une série de boutiques de coiffeurs. C'est là que venaient se faire raser et tondre les ouvriers dont les obligations et aussi, il faut le dire, le manque de. ressources, ne leur permettaient que de rares fois le privilège de se rendre chez les loquaces " Figaro " indigènes. Rien n'était curieux comme l'attitude nonchalante des patients et leur air béat marquant leur volontaire oubli des souffrances consécutives au douloureux contact de leur épiderme facial avec une lame de rasoir fouillant dans une barbe inculte.
Non loin de là, de vieilles femmes proposaient à la convoitise des amoureux des déchets de tissus conservant quelques fils d'argent oubliés dans la trame de l'étoffe. De vrais bijoux indigènes, colliers, fibules d'argent, bracelets y étaient également mis en vente.

Les charbonniers y avaient entassé leurs sombres marchandises et les brocanteurs attendaient, avec une patience toute musulmane, que vinssent du bled des acheteurs retors.

Les autres éventaires montraient aux visiteurs les objets extrêmement variés dont l'usage était parfois mal défini. De vieux sommiers métalliques, qui servent aujourd'hui à obstruer les avenues branlantes qui ont provisoirement résisté à l'effondrement, voisinaient avec des pompes à bras, des bouteilles de toutes capacités et de formes étranges.

De ci, de là, les devins indigènes lisaient dans le sable l'avenir des malheureux au cerveau hanté par quelques tristes idées. Les " écrivains publics " louaient leur plume aux campagnards venus parfois de très loin pour faire rédiger une missive. Il s'y traitait indifféremment de terrains à vendre ou d'amours à ébaucher.

Tout ceci est donc appelé à disparaître par l'arrivée aussi brusque qu'inattendue d'une calamité dont on est surpris qu'elle n'ait point fait de nombreuses et innocentes victimes.

C'est à cet endroit en effet que s'est produit un éboulement entraînant vers le Rhumel une masse énorme de terre. Dans le glissement, les pauvres masures ont été entraînées, détruites, pulvérisées et il ne reste plus qu'un tas de décombres ; de pauvres voitures servant de moyen de transport aux commerçants établis en ces lieux sont aujourd'hui inutilisables au même titre que les masures démolies.

Voici, selon nos confères constantinois, comment se sont produits les événements :
" Dans la nuit du 28 au 29 juillet, - il était environ 22 heures - deux indigènes qui s'étaient couchés dans une caisse, devant la porte de-leur maison, une des dernières au bord du village des Beni-Ramassés, sentirent tout à coup qu'ils voyageaient. Ils s'éveillèrent et dans la nuit noire parvinrent à constater qu'ils se trouvaient à plus de 20 mètres au-dessous de leur demeure. Éberlués, ils remontèrent conter leur aventure à leurs voisins. Mais la terre, sous le village, commençait à crisser et l'inquiétude s'emparant de proche en proche des riverains de l'abîme, on convint d'aller quérir les autorités.
Dans la nuit noire, il était impossible de mesurer l'étendue de ce glissement de terrain. Dans le calme, on percevait des grondements qui se propageaient jusqu'au creux du Rhumel.

Sur les indications du Maire, M. Miquel fit appeler M. Moniot, chef du secteur électrique, pour lui demander d'installer des projecteurs sur la terrasse du dispensaire qui se dresse sous le pont de Sidi-Rached.

A 2 heures du matin, un nouveau glissement se produisit, délimitant nettement l'étendue de ce travail de la terre. Sur plus de 300 mètres de longueur et sur une largeur d'au moins 80 mètres, une immense masse de terre descendait, lentement, progressivement, entraînant avec elle les quelques arbres, les poteaux télégraphiques et les masures vides entourées de jardins qui se trouvaient à mi-côte.

Des ordres d'évacuation étaient immédiatement donnés dans la zone s'étendant jusqu'à la maison Ouzeneau que jouxte l'imprimerie Braham. Les bicoques qui s'alignaient tout au bord du Remblai, s'éventrèrent, déversant un flot d'ustensiles invraisemblables. "

Aujourd'hui, il semble que les glissements se soient arrêtés. Mais ce n'est là sans doute qu'une passagère attente car, de tous côtés et loin des éboulements le sol est fissuré, les quelques masures qui ont été épargnées ne sont plus que branlantes et lézardées sur toutes leurs faces.

Il faudra certainement aménager d'une autre façon ces lieux à demi dévastés si l'on ne veut point risquer une véritable catastrophe. Bien que la partie demeurée stable du plateau du Coudiat semble devoir conserver sa solidité, l'exemple de l'affaissement récent doit être un enseignement précieux et permettre d'éviter le retour d'événements dangereux pour lo sécurité des " Béni Ramassés ".