Le Monument de La Moricière
L'Illustration Algérienne, devenue depuis l'Afrique du Nord,
reproduisait, dans un de ses premiers numéros, le projet de maquette
d'un monument destiné à être élevé,
à Constantine, à la mémoire du général
La Moricière, l'un des héros de la conquête de"
l'Algérie.
,Nous devons à l'obligeance de l'éminent sculpteur M.
Belloc, la communication du document ci-joint qui représente
la maquette "définitive, telle qu'elle a figuré au
Salon. Le général, portant crânement la légendaire
chéchia, apparaît au sommet du rempart dans lequel fut
ouverte, à coups de canons, la fameuse brèche. Le sabre
haut, il conduit la charge.
Derrière lui, noyé dans la masse du piédestal,
le flot des zouaves se rue sur les pas de son chef, formant, une composition
vivante et du plus saisissant effet.
Au-dessous du motif principal et sur la face antérieure, un clairon
de zouaves, dressant, dans un geste de bravoure, le pavillon de son
instrument vers le chef valeureux dont il chante la gloire, sonne la
charge à pleins poumons.
A ses côtés, la Civilisation, figurée par une femme
demi-nue, se penche, accueillante, vers l'Algérie qui, dans un
gracieux mouvement de confiance, lui tend les produits du sol. Le tout
est campé sur un bas relief d'une belle sobriété.
Une tête de lion en décore la base et, au-dessous d'elle,
un cartouche porte cette seule inscription : " A La Moricière
".
C'est vers la fin du mois d'octobre que sera inauguré ce splendide
monument, avec une pompe inusitée. Le Ministre de la Guerre et
le Gouverneur général ont promis de présider l'inauguration
et l'on peut compter sur la présence des généraux
Bailloud et de Torcy, commandants de corps d'armée, de la famille
du général La Moricière et de la Municipalité
de Rennes, ville natale du statufié.
L'honneur d'avoir pris l'initiative de glorifier l'armée d'Afrique
dans la mémoire du héros de la prise de Constantine revient
à la Municipalité de cette ville. Un comité fut
constitué, à la tête duquel fut placé le
général Monnot, commandant la division de Constantine.
Les généraux de Torcy et Gillot continuèrent l'uvre
de leur prédécesseur qui est aujourd'hui très heureusement
terminée, grâce à la générosité
de très nombreux souscripteurs et, en particulier, de l'armée
d'Afrique.
Le sculpteur Belloc s'est admirablement inspiré de l'épisode
glorieux qu'il était chargé de glorifier.
Le 12 octobre, la veille de l'assaut de Constantine, le général
Valée fait appeler La Moricière :
- Colonel, c'est demain matin, au point du jour, que nous livrons l'assaut;
je vous ai réservé
le poste d'honneur : vous monterez le premier. Je suis sûr de
vous, mais êtes-vous sûr de vos hommes ?
- Général, ils n'ont jamais reculé.
-Je ne parle pas de leur courage, je le connais ; mais êtes-vous
sûr qu'ils vous obéiront aveuglément ?
- J'en réponds.
- Eh bien, il faut qu'ils entrent sans tirer un coup de fusil, et si,
à leur tète, vous êtes tué ou blessé,
il faut qu'ils passent sur votre corps et vous laissent là, sans
vous emporter. Le temps sera trop précieux. Pouvez-vous attendre
ce sacrifice de leur courage et de leur dévouement ?
- Général, je vous le promets.
Le lendemain, les zouaves, avant le lever du soleil, marchaient, rasant
la terre, en silence, portant devant eux une bourrée pour les
cacher au regard et au feu de l'ennemi : tout à coup, La Moricière
qu'ils croyaient auprès d'eux, s'écrie, en agitant son
épée : " A moi, mes amis, la ville est à nous
! " et, le premier, il s'élance vers la brèche en
criant : " Vive la France ! "
Les zouaves et les autres corps le suivirent au pas de charge. A ce
moment, tous les Arabes et les Kabyles, postés sur les remparts,
poussèrent des cris si sauvages et si bruyants que l'on n'entendait
plus les fanfares de là musique française. Bientôt
ils se lassèrent de crier et, à leurs hurlements, succédèrent
des cris plaintifs. Une demi-heure après, les Français
étaient maîtres de la brèche.
Tout à coup, ceux qui étaient sur le théâtre
de ces événements sentirent comme tout leur être
s'écrouler. Ils furent atteints et frappés si rudement
dans tous leurs sens à la fois qu'ils n'eurent pas conscience
de ce qu'ils éprouvaient. La vie fut comme anéantie en
eux. Une effroyable explosion venait d'avoir lieu. Le colonel La Moricière
en fut une des victimes et l'on craignit à la fois pour sa vie
et sa vue qui, toutes deux, furent quelque temps en danger; une balle
l'avait atteint à la tête.
Le soir, à l'ambulance, on lui apporta, sur son lit de camp,
le drapeau de la ville. Le 11 novembre, il fut récompensé
de ses services par le grade de colonel et maintenu à la tête
des zouaves. Il avait trente-et-un ans.
La Moricière prit part, depuis, à l'affaire du col de
Mouzaïa, à celle d'Isly, à la prise de la smala.
En 1848, il était général de division et grand
officier de la Légion d'honneur à 42 ans. Il devint, la
même année,-ministre de la Guerre, et il mourut le 13 septembre
1865.
Mgr Dupanloup, évêque d'Orléans, prononça
son oraison funèbre.