Djerda, la presqu'ile
III - COLLO FRANÇAISE
LE CHARME COMPLEXE DE COLLO
Bourgade de 800 habitants européens,
reliée à Philippeville par une belle roule ombreuse de
72 kilomètres, avec ses maisons blanches, ses toits roses et
son clocher pointu, qui se détachent sur un fond de montagnes
et de forêts, Collo évoque un village des Pyrénées
ou des Alpes.
Mais ce village est assis sur le bord de la, mer. Alors on ne sait plus
à quoi le comparer Mais à quoi bon nous mettre en peine
d'analogie ? Cédons à l'attraction complexe de ce beau
site, et rendons grâce aux dieux sylvicoles et marins qui nous
y ont conduit !
A 6 kilomètres de Collo, Chéraïa, agglomération
de villas entourées de jardins, est son faubourg de plaisance.
A 324 mètres au-dessus de sa plage, clair et gai belvédère
entre la mer et la forêt, Chéraïa chante et rit à
l'ombre de ses arbres. Et c'est là, qu'on voudrait vivre. Mais
pas d'hôtel à Chéraïa !
Djerda, la presqu'île
Comme La Calle, Collo a sa presqu'île, très différente
par ailleurs. Mameion granitique ceinturé d'un sentier en corniche,
accessible aux seuls piétons, ce qui est un charme de plus, la
presqu'île de Djerda abrite dans sa partie adjacente au village,
la prison et les casernes, les bureaux de la commune mixte et la justice
de paix.
Sur le versant nord, l'assise du promontoire est constituée par
des piles régulières, lesquelles, à distance, figurent
un buffet d'orgues.
Puis ce sont des jardins, des vergers d'amandiers, de figuiers, qui
composent une marqueterie. Ça et là, une maison blanche
qui incendient des buissons ardents de géranium. Mais pas d'eau
sur ce roc, à peine d'humus. Rien que des citernes (comme à
Djerba) qui recueillent l'eau des pluies, plus abondantes. Il est vrai,
que dans l'île des Lotophages, Il faut l'obstination et l'industrie
des Maltais incrustés sur ce cap, pour y entre-nuire ces cultures.
Eux absents. il est certain que le sol serait chauve.
En bordure du sentier, à la pointe extrême du promontoire,
un cube blanc comme l'écume surmonté d un fanal : c'est
le phare de Djerda.
Sur le versant sud, beaucoup de vignes qui semblent bien portantes,
et dont les ceps, par endroits, descendent jusqu'à la mer. Où
manquent les cultures, faute d'eau apparemment, les pentes sont toisonnées
d'un maquis de lentisques, de myrtes, d'arbousiers, de diss et d'armoises,
dont les effluves pelés qu'exalte la chaleur, saturent l'air
immobile. Et partout, innombrables, assourdissantes, les cymbales des
cigales...
Cette promenade de trois kilomètres, où je n'ai rencontré
qu'un ânon et deux chèvres, est pour moi, le rêveur
s'olitaire, l'un des lieux les plus charmants de Collo. Et quand, plus
tard, je l'évoquerai, c'est à elle, la. presqu'île
de Djerda, agreste et bucolique, où j'eusse voulu relire Virgile
et Théocrite, que d'abord je penserai.
Et. plus encore qu'à Chéraïa, c'est là que
je voudrais vivre. si je devenais Colliote.
Le port dort au soleil
Le sentier de la presqu'île, se termine à la jetée
du port. .Un havre sans trafic assoupi au soleil. Comme celui de Bougie,
de Djidjelli, de La Calle, il semble attendre on ne sait quelle Armada
de légende. Ses eaux se souviennent-elles d'avoir reflété
jadis les 140 voiles du roi Pierre d'Aragon, conquistador sans gloire
mais qui la méritait, qui débarqua ici avec 2.000 fantassins
et 800 cavaliers, en 1282 ? Quel tumulte, ce jour-là, sur ces
eaux si tranquilles l
En contre-haut du port, la mosquée de Sidi-el-Kébir, qui
a sauvé les matériaux d'un temple de Neptune en les utilisant.
ne mérite une visite que pour les colonnes antiques qui portent
sa toiture.
En remontant vers le bourg, le jardin public, enclos planté d'eucalyptus,
de platanes et de mélias d'un beau vert vigoureux, est l'écrin
végétal du monument aux morts. Voila - avec les plages
qui sont belles et nombreuses - tout ce qui mérite l'attention
à Collo, dont l'intérêt et l'attrait résident
dans la grandeur de son décor de nature, ou la mer et la montagne
rivalisent de prestiges.
Sur les eaux lisses
Pour mieux voir l'une et l'autre, la mer et la montagne, j'embarque
ce matin sur le canot motorisé de l'administrateur local, la
" Miaja ", et je pars, sur une mer sans écume, vers
le cap Bougaroun, pointe terminale de l'Algérie au Nord, fragment
africain le plus septentrional de la Tyrrhénide engloutie, d'où
son nom antique : Promontorium Metagonium, le Promontoire de la Fin,
disons le Finistère.
Du large, la configuration de Collo se précise, l'agglomération
chevauche un ensellement exigu menacé par la nature entre Djerda
et la montagne. Que la mer ait submergé ce mince et bas pédoncule,
et la presqu'île serait une île. Étirée de
l'Ouest à l'Est, celle-ci figure un tapir, un tapir d'avant Noé,
qui tire l'a langue à la mer et sur laquelle, verrue énorme,
le phare est érigé.
La presqu'île contournée. c'est la Baie des Jeunes Filles,
laquelle, avec la Baie de Collo - n'était Djerda qui les sépare
- formerait un exact et grandiose hémicycle. Sur la mer lisse,
on glisse, et le film commence. Voici le hameau bocager de Chéraïa
dont j'ai parlé plus haut.
Ici s'amorce une route (une piste) qui serpente au versant de la falaise
en direction de Bougaroun. Continuée, cette route en corniche
conduirait à l'autostrade de Djidjelli-Bougie, laquelle, continuée
elle-même, aboutirait à Dellys, comme à l'époque
romaine. Heureux ceux qui verront ce projet réalisé !
La Côte des Lauriers roses
Sur la rive, un oued dans un ravin a son lit entièrement comblé
de lauriers roses. C'est un débordement : une cascade de corail.
Jamais Je n'avais vu un pareil foisonnement de nériums épanouis.
Aucune feuille n'est visible. Ce n'est qu'une coulée de fleurs
; un torrent de corolles qui ruisselle des hauteurs. Plus loin, quelques
chaumines entourées de roseaux et de figuiers de Barbarie. Et
malgré la distance et le bruit du moteur, on entend la clameur
enivrée des cigales.
Nous longeons la pointe de Tamanart, qui est rocheuse et nue ; puis
un vallon sinueux aboutit à la plage, au sable à peine
ambré, de Mersa-el-Kherba. Trés vert, ce vallon est lui-même
inondé d'oléandres à l'apogée de leur éclat.
C'est un pavois, c'est une fanfare, c'est une apothéose, c'est
un éblouissement !
Imaginez le tableau : l'azur des flots, les sables d'ambre, l'incendie
rose des lauriers et la haute montagne verte. Quel coloriste (ou techni-coloriste)
saurait rendre l'éclat et la fraîcheur de cette fresque
qui flotte dans un déluge de lumière irisée ?
Je parlais, l'autre jour de la Côte des Fleurs de Lys, qui était
celle du Corail. Dans mon souvenir, celle-ci sera la Côte des
Lauriers Roses
Marsouins et requins
La " Miaja " ronronne et le paysage défile La forêt
côtière n'est plus qu'un maquis. La mer a des profondeurs
vertes. Des goélands s'amusent à ricocher sur l'eau qui
scintille au soleil. Sous nous, me dit le nautonier, les fonds sont
de 30 mètres, 35 mètres, 40 mètres. Sommes-nous
sur le palais abyssal d'Amphitrite, de Glaucos. de Neptune ? Des marsouin
nous escortent. Sont-ce les messagers des divinités d'en bas
? Plus loin, deux périscopes émergent des eaux calmes
: Un requin, dit le pilote. Il est si près, le squale, que l'on
pourrait le harponner ou le photographier. Et toujours des goélands,
dont les plongeons joyeux suscitent des étincelles.
Comme à El-Kantara, des chèvres noires sont suspendues
aux rochers du rivage. Maintenant, c'est un chaos de récifs allongés,
rongés. lavés par les ressacs, sur lesquels des indigènes
pêchent à la dynamite.
Mais ils ont reconnu l'embarcation officielle, et comme cette "
pêche " est prohibée. ils se camouflent à notre
approche
- Baie des Béni-Saïd ! me dit mon compagnon assis au gouvernail.
Ample, parfaitement incurvée, c'est un fer à cheval immense.
Et j'admire la parfaite indentation de ce rivage ou les criques se succèdent
depuis noire départ.
Sans être accores. les falaises sont abruptes ef mouchetées
de fourrés. Là-haut (à 540 mètres, dit le
guide le pic chauve de Sidi-Achour, " le marabout qui fait pleuvoir
"", couronné d'un mausolée ou d'un oratoire
blanc.
D'argent dans le soleil, avec des miroitements de nacre, la mer est
noire dans l'ombre. Les goélands posés, ondulent, au bercement
de la houle alanguie. Ils plongent, puis ils s'envolent dans une fusée
d'écume...
Le Cap Bougaroun
On glisse sur les eaux lisses et la fête continue. Nous abordons
la pointe granitique de Sidi-Yaya,
dont les parois s'effondrent dans le gouffre marin. Nous les longeons,
les frôlons, les tournons... Et voici le cap Bougaroun, dont le
phare de 1ère classe, à 110 mètres, couronne l'extrémité.
Nous sommes là à la pointe septentrionale du Moghreb C'est
pourquoi les long-courriers viennent ici " faire le point "
afin de s'assurer qu'ils n'ont pas dérivé. Avant le phare,
séparé de lui par un ravin, se trouve le sémaphore
: j'y dormirai une nuit lorsque je visiterai l'intérieur du massif,
ces forêts de pins d''Alep, qui couronnent le promontoire, lequel,
vu de la-haut, prend figure de presqu'île.
Au pied du phare, marsouins pétrifiés. des récifs
noirs luisants émergent des eaux bleues.
En continuant de longer la côte, franchissant les 33 milles du
" sinus numidien ", nous pourrions être à Djidjelli
dans quatre heures. Retenus à Collo, nous faisons demi-tour.
Partis à 6 heures, nous y serons à 9 heures. Par la piste
muletière, le même itinéraire de Collo au sémaphore
(aller seulement) aurait exigé quatre heures !