COLLO AVANT LA FRANCE
Les siècles obscurs de Collo
Nous avons vu que le roi Pierre III
d'Aragon, avant de quitter Collo pour la Sardaigne, après son
débarquement épique de 1282 avait rasé et incendié
" ce lieu beau et fort " Cela doit signifier, ou bien que
les Vandales n'avaient pas tout détruit de la Chullu des originines
- ainsi qu'il est écrit - ou bien que ses ruines avaient été
relevées.
Elles durent l'être encore après le passage du roi Pierre,
puisque Léon l'Africain (1483-1526) a écrit de Collo :
" Il n'y avait pas alors, par toute la Côte, cité
plus opulente ni plus sûre, à cause que l'on y gagnait
toujours en double sur les marchandises "
Et l'Espagnol, Marmol. qui écrivit sa " Description de l'Afrique
" de 1573 à 1599 et qui a vécu 22 ans dans la tierce
partie du Monde, ce qui donne à son témoignage une crédibilité
qui manque à beaucoup d'autres, qui n'écrivent généralement
que par
ouï-dire, a dit de son coté : " Le peuple est courtois
et civil, on va y acheter de la cire, des cuirs et d'autres marchandises.
La contrée du côté de la montagne, abonde en blé,
en troupeaux de toute sorte. " Et, tout en affirmant que les murailles
rasées par les
Vandales n'ont pas été relevées, Marmol évoque
le temps où les habitants de Collo,
qui pouvaient réunir 10.000 combattants, étaient assez
puissants pour se maintenir indépendants et se défendre
contre les rois de Tunis et les seigneurs de Constantine.
" Elle s'est depuis donnée aux Turcs, ajoute le pariégète,
lesquels y tiennent garnison, et celui qui commande dans Alger y envoie
un gouverneur qui dépend de celui de Constantine, lequel reçoit
le revenu de toute la province et a soin que les habitants ne soient
pas foulés. "
Nous verrons plus loin que ce soin ne sera pas toujours le majeur de
ses soucis, et aussi que le peuple de Collo ne sera pas toujours "
poli et courtois ", comme le dépeint Marmol.
Les concessions d'Afrique
Dès 1450, les Marseillais (qui tous ou presque étaient
des Corses) avaient obtenu du Grand Turc de Stamboul des privilèges
de pêches sur la Cote barbaresque.
La partie du littoral attribuée aux Français s'étendit,
à l'origine, du Cap de Garde (Herbil1on) au Cap de Fer (Bône),
soit sur 200 kilomètres environ de rivage. Mais cette zone initiale
s'accrut avec le temps et les Concessions d'Afrique devaient un jour
se développer - à l'époque du Bastion de France
et de Samson Napolion - depuis Collo jusqu'au Cap Nègre, débordant
ainsi l'actuelle frontière tunisienne. C'est ce que l'on appela
poétiquement " la Côte des Fleurs de Lys ".
A Collo, la résidence des agents français se trouvait
sur la marine, au-dessus de l'actuelle mosquée de Sidi Ali El-Kébir,
celle-là dont j'ai dit qu'elle était édifiée
sur l'emplacement d'un sanctuaire consacré à Neptune et
à l'aide de matériaux antiques, qu'on appelait "
Dar-el-Consul ", bien qu'i1 n'y eut pas que je sache de consul
de France à Collo, lequel résidait à Bône
ou à La Calle.
Deux Français seulement occupaient cette " échelle
" barbaresque, d'où ils exportaient vers la France des suifs
et du miel, des céréales, du corail et de l'huile à
savon, les mêmes produits en somme que tous les autres comptoirs
de Bône, du Bastion de France. du Cap Rosa et de La Calle.
Mais quelle existence anxieuse et dangereuse pour nos ressortissants
!
Les Archives de la Compagnie sont pleines de leurs doléances
contre un sort qu'ils appellent " une espèce d'esclavitude
".
On les ravitaillait de La Calle par une frégate. Mais, l'hiver.
il advenait que plusieurs mois se suivissent sans que la frêle
embarcation put aborder. Alors. faute de vin - la privation majeure
pour tout Français bien né - c'était le régime
sec. Et l'isolement devenait plus sinistre. Disons le mot, inconnu à
l'époque. mais qui définit bien cette sorte de psychose
: le cafard grignotait les cervelles, désintégrait les
consciences.
Supprimé plusieurs fois, le comptoir de Collo fut rétabli
en 1750, par crainte qu'il ne passât entre les mains des Anglais,
qui occupaient Stora.
"Le droit du plus fort "
Quant au comportement des Kabyles de la place, à l'égard
de nos compatriotes isolés parmi eux, voici ce qu'écrivait
l'abbé Poiret. oui visita Collo en 1785 :
" L'on a vu des Arabes monter pendant la nuit sur les toits, enlever
les tuiles, faire une ouverture pour passer le bout de leurs fusils,
et tuer ou blesser la personne en sentinelle (à l'intérieur
car on veillait nuit et jour). Ils ont une fois poussé leur rage
jusqu'à mettre le feu aux quatre coins de la maison et brûler
l'agent et tout son monde. " (Cet attentat eut lieu en 1759.)
Que s'était-il donc passé depuis que Marmol, vers 1580.
décernait aux habitants de Collo un brevet de courtoisie ?
Le Jugement de l'abbé Poiret est confirmé par celui de
l'agent de la compagnie, Hugues, qui écrivait dans le même
temps (1785) : " Le gouvernement est entre les mains de 2 kaïds
et de 7 chefs maures, dispersés dans les 4 villages, distants
d'environ 400 pas l'un de l'autre. formés de 150 maisons à
un seul étage, qui composent le pays proprement dit de Collo.
Ces kaïds et schiks, n'ont aucune autorité sur les Collins.
Ils sont eux-mêmes les plus grands coquins du pays, et n'ont pas
le pouvoir, ni même la volonté de mettre un frein à
l'injustice et au crime, qui vont tète levée dans le pays.
Le droit du plus fort et le fusil, décident de tous les différends
"
Les Turcs n'étaient pas épargnés
L'agent Hugues continue : " Quand leur agha ou le Divan veulent
s'aviser de mettre le bon ordre, il est bien rare que la garnison retourne
à Alger sans laisser plusieurs soldats tues sur place...
L'impunité a multiplié tous les crimes et a fait des Collins.
sans exagération, les hommes les plus méchants qu'il y
ait sur la terre. "
Après avoir noté ce détail signalétique,
qui a son prix pour l'ethnologue : " les Collins sont en général
blonds. grands, robustes ", l'informateur poursuit : " Ils
ne sortent jamais de leurs maisons qu'armés de fusil, de pistolets
et de sabre. " Aussi n'est-on pas surpris d'apprendre que ces Matamores
" ne meurent que des coups meurtriers de ces armes, étant
sans cesse en guerre entre eux. "
Et l'agent achève ce portrait des Collins par cette litanie de
leurs tares et de leurs vices : " Ils sont tous, sans en excepter
aucun, grands voleurs, fainéants, gourmands, cruels et inhumains
envers les étrangers, traîtres, dissimulés, lascifs,
jaloux,
vindicatifs, flatteurs et aimant la flatterie, orgueilleux, avides des
honneurs, superstitieux et hypocrites, en un mot adonnés aux
vices les plus abominables. "
Je ne saurais dire si le portrait psychologique des Collins de 1785
est outré dans la péjoration. Ce qu'il faut reconnaître,
c'est que ce Juvenal ne manquait ni de verve ni de vocabulaire, Quelle
orgie d'épithètes !
De quoi faire envie aux professionnels du stylo
Ainsi, ces marchands n'étaient pas que de " vils mercantis
" : ils avaient des lettres. Ce n'est pas si commun en 1952 !
En 1820, les Collins étant devenus maîtres du pays, dont
ils avaient chassé les Turcs, le comptoir francais fut supprimé.
Le camp de l'Enfer
Que les Collins aient été " plus à craindre
que les bêtes féroces ", comme il est dit dans un
vieux texte. ils devaient nous le faire voir lorsque, pour mettre un
terme à tous leurs brigandages. nous résolûmes de
les soumettre.
Le 10 avril 1843, le général Baraguay-d'Hllliers, qui
pénétra. le premier à Collo, fut acclame par la
population. Mais par la suite il y eut des réactions aussi nombreuses
que sanglantes. 1846. 1849. 1852, 1856, 1858, 1860, 1870 enfin, furent
traversées d'échauffourées meurtrières.
Et l'on vit les insurgés " "déterrer
nos soldats afin de leur faire subir la mutilation virile, vieux rite
de guerre africain pratiqué depuis le Maroc jusqu'à l'Abyssinie
Pour éviter ces profanations de sépultures et ces atrocités
d'un sadisme macabre, qui horrifiaient l'Armée et les consciences
chrétiennes, le chef de la colonne prit la résolution
de brûler les corps de nos soldats. En souvenir de ces inclinations,
le champ de bataille de l'oued Zadra fut nommé le Camp de l'Enfer.
Aux environs de Miliana, les mèmes préoccupations nous
avaient réduit à des extrémités analogues
: on detourna le cours d'un oued pour enfouir nos morts sous ses eaux,
sans savoir, bien entendu, que l'on imitait les soldats du roi des Goths,
Alaric, qui l'inhumèrent dans le lit de la rivière Busenta,
en Calabre, pour le soustraire - lui - aussi à la fureur de ses
ennemis. Les mèmes situations commandent les mèmes actions
!
L'humiliant, .pour la superbe humaine, c'est que les mêmes situations
se renouvellent perpétuellement.