Un cirque géant en Algérie
Le grand Cirque-Ménagerie
des 4 Frères Amar, dont nous avons annoncé en décembre
le débarquement à Tunis, vient d'entrer en Algérie.
Il donne actuellement ses représentations à Constantine,
où il remporte un succès sans précédent.
La presse européenne a adressé aux frères Amar
les éloges les plus chaleureux. Leur cirque est à la fois
la chose la plus intéressante et la plus amusante. Il faut avoir
assisté à l'une des représentations pour avoir
une idée de ce genre de spectacle.
Certes, nous avons reçu en Algérie des cirques, mais il
n'avait pas l'importance de celui dont nous entretenons aujourd'hui
nos lecteurs.
Les populations algériennes qui ont déjà eu le
plaisir de pouvoir applaudir ses artistes et admirer les nombreuses
attractions qu'il comporte, ne tarissent pas d'éloges sur l'organisation
et les programmes donnés par les frères Amar.
C'est le plus vaste établissement du genre et il fallait les
Fêtes du Centenaire pour l'amener en Afrique du Nord. Il se dirige
par étapes sur Alger, où il doit arriver au commencement
d'avril.
La Colonie se doit d'encourager ces grands cirques qui sont nombreux
en France, car s'ils nous apportent une distraction nouvelle et saine,
ils constituent aussi un grand moyen de propagande nationale.
Le succès remporté en Tunisie par les Frères Amar
notamment auprès des populations indigènes en est un sûr
garant.
Le Cirque Amar devant visiter toute l'Afrique du Nord y compris le Maroc,
une conversation que nous avons eue avec ses directeurs, nous laisse
craindre qu'en raison de difficultés de différents ordres,
il retourne en France. Les taxes qui grèvent ce spectacle plus
élevées ici que dans la Métropole ne laissent pas
une marge suffisante à cette exploitation déjà
si handicapée par les grandes distances qui séparent nos
villes et le coût des transports qui s'en suit,
Ce serait grand dommage et nous ne serions pas les seuls à le
regretter.
Les débuts du cirque Amar à
Alger
Si loin que l'on remonte
dans les annales du spectacle à Alger, on ne trouve pas le souvenir
de l'immense foule qui se pressait mercredi dans l'enceinte du cirque
Amar.
Près de cinq mille spectateurs ont fait à la belle troupe
de cet établissement un accueil chaleureux, sincère et
d'ailleurs amplement justifié par la qualité du programme
et son exécution alerte et brillante.
Ce programme si riche et varié mériterait plus longue
analyse que ce " court papier " d'après première,
mais comment rendre hommage à tous les artistes, sinon en passant
brièvement sur chaque numéro pour en dire l'essentiel
?
Dans l'ensemble, le spectacle se distingue par une parfaite homogénéité,
la même volonté de tous de participer pour ainsi dire à
une attraction unique, mais bigarrée.
Dans le détail, chaque numéro se révèle
de la meilleure classe.
En particulier, l'exhibition des tigres fit sensation par la sobriété
des gestes du dompteur, l'étonnante compréhension des
bêtes. Il ne s'agit plus là d'un grand tapage fait autour
d'animaux affolés, mais de fluide personnel de M. Amar aîné,
qui fait évoluer et agir ses tigres splendides avec le minimum
d'effort apparents.
Même réflexion pour les lions dont le répertoire
de piste est intéressant, en particulier le numéro en
cours d'essai d'une lionne écuyère.
Les ours remportent également un succès très grand.
Leur numéro est attrayant et bien réglé.
Les éléphants Baby et Jenny ont fait fureur. Ces bêtes
magnifiques exécutent avec une solennité ironique et charmante,
on voudrait dire aussi sans lourdeur, des tours difficiles et pénibles.
En un mot, la ménagerie des frères Amar est d'une grande
variété si l'on ajoute que chiens, singes, mules, poneys
et oies dressés dès le début du programme soulèvent
l'amusement général.
La cavalerie aussi mérite des éloges particuliers. Elle
est splendide. Les chevaux tigrés, présentés par
Mlle Lamberthis, les anglo-arabes, par M. Gauthier font des exercices
brillants et très applaudis.
Quant aux cosaques de M. Iatchenkoff, ils sont bien les plus forts écuyers
du monde. Leurs acrobaties dépassent les audaces communes. Leur
haute école est incomparable et soulève un juste enthousiasme.
Le pur-sang " Rêve-d'Or ", présenté par
M. Gauthier est fin et d'une souplesse presque féline. M. Nicolaï
réussit un numéro émouvant en passant sous l'encolure
et le ventre de son cheval en plein galop.
Et les clowns direz vous ? M'y voici enfin Shakespeare disait : "
t'is meat and drinck to me to see a clown ". Aujourd'hui encore
les bons clowns sont une " belle nourriture " pour le spectateur.
Manetti, Charley et Pastor, du Cirque de Paris, avec leur blague parlée,
leur blague d'accessoires, leurs pirouettes, leur musique fantaisiste,
sont parfaits. Ils rafraîchissent les effets traditionnels de
la piste et déchaînent le sain, l'excellent rire
La scène de Cour d'assises est inénarrable. C'est dire
qu'il faut la voir. J'ai même idée que la revoir ne lasserait
pas...
Et il faudrait encore dire tant de choses.
Le Cirque Amar
C'est sans doute un très beau cirque et des mieux cotés
de ceux qu'on peut voir en France ; c'est assurément le plus
beau qu'il nous ait été donné de voir en Algérie,
où les difficultés des transports et d'une traversée
maritime raréfient nos plaisirs.
Du Cirque Amar, qui est une manière de monde en réduction,
avec son appareillage considérable, ses artistes, ses fauves,
sa cavalerie, son personnel de serveurs, nous ne louerons ni l'organisation
difficile, compliquée tenue à merveille, et n'en parlerons
que du seul point de vue du spectateur à la fois surpris, charmé
et ravi des visions qu'on lui offre et des réalisations de puissance
de beauté et d'art qu'on l'appelle à contempler.
Une chose avant tout nous paraît digne d'être signalée
: ce cirque, dont l'importance apparaîtra quand on saura que ses
déplacements exigent deux trains et où les responsabilités
morales ne sont par moindres que les difficultés de gestion matérielle,
est dirigé par les quatre frères Amar qui sont comme nous
des enfants du bled, des algériens fils d'un indigène
de Bordj-bou-Arréridj et d'une française. Dans ce détail
qui fait plaisir, il faut voir une preuve de plus apportée sur
la possibilité du monde musulman qu'on s'est trop souvent complu
à dire inerte et figé et dont les fils, quand l'occasion
se présente, savent être des organisateurs, des créateurs,
des chefs d'entreprise et d'industrie. Les quatre frères Amar
sont aussi des artistes, compliment qui ne gâte rien.
Le spectateur qui rentre dans leur établissement en a pour son
argent et même bien au delà. C'est consciencieux, abondant,
copieux. Exercices d'équitation, comme dans tous les cirques,
beaux chevaux, belles écuyères, voltige étincelante,
palpitantes acrobaties des gymnasiarques de la force et de la souplesse
avec l'intermède inénarrable sur les deux pistes des clowns
et des pitres, des Auguste et des Paillasse. Selon les engagements,
des numéros sensationnels de haute valeur : cette fois-ci des
cosaques, magnifiques cavaliers, exerçant la plus périlleuse
équitation et des danses de caractère qui exigent un nerf,
une souplesse et une détente incroyables, puis une série
de poses plastiques véritablement artistiques, des athlètes
femmes, des girls, nouveauté dans un cirque, dans une émouvante
figuration du Premier Empire, ce qui ne les empêche nullement
de valoir, comme c'est chez elles la mode, par leurs lignes et leur
beauté, puis enfin le clou de la fête : les fauves et les
numéros de dressage.
Les animaux sont vraiment splendides et en belle forme, vivants, sournois
et féroces comme il convient sans avoir été amortis
à la morphine. Trois ours blancs et un ours brun, dressés
à merveille, qui glissent au toboggan et montent au manège,
une lionne qui fait de l'équitation, deux monstrueux éléphants
d'Afrique, c'est-à-dire les plus farouches et les plus difficiles
à domestiquer, qui se livrent à mille exercices, se couchent,
s'agenouillent, passent l'un sous l'autre et enjambent leur cornac avec
une agilité et une docilité qui stupéfient, puis
enfin les deux scènes les plus impressionnantes : quatre tigres
royaux de toute beauté, énormes rois de la jungle et redoutables
monstres travaillant en douceur, obéissant au doigts et à
la voix de leur dompteur Mohamed Amar, se rangeant sur des socles comme
des bêtes hiératiques, montant à l'échelle,
tirant le pistolet, se couchant et se relevant à l'ordre et sur
un signe. Résultat qui étonne, spectacle dont tous palpitent
quand on connaît la férocité et la traîtrise
de ces chats gigantesques qu'on se contente le plus souvent d'exhiber
tellement on les tient pour dangereux et réfractaires à
tout dressage. Et pour terminer les lions, cinq bêtes splendides,
musculeuses, d'une puissance formidable et dont le dompteur, Shérif
Amar, son second et leurs aides obtiennent tout ce qu'ils veulent :
le rangement régulier, des sauts, des figures et des ensembles.
Bêtes d'une férocité sans égale, desquelles
il faut toujours se métier et que l'artiste a toujours soin de
tenir en respect devant lui sans jamais se laisser tourner. Jeux dangereux,
jeux splendides sur lequel on veille attentivement pour intervenir au
cas d'un accident toujours possible.
Bêtes splendides, gens admirables, art et courage, force et beauté,
voilà ce qu'est le cirque Amar, l'impression qu'on en conserve
et les mots le résumant dont il pourrait faire sa légitime
et véridique devise...