--------- Pour
les cinéastes, pour le public, l'Afrique en général,
l'Afrique du Nord en particulier ne sont restées que ce qu'elles
semblent être à première vue : un décor, une
toile de fond qu'on n'a même pas su exploiter habilement et devant
lesquels, les marionnettes du théâtre des Boulevards viennent
se donner l'impression de se renouveler. "
M.R. BATAILLE et C. VEILLOT,
(Caméras sous le Soleil)
E N un temps où l'intelligence pouvait encore s'octroyer des loisirs,
on envisageait sans déplaisir et parfois même avec un certain
enthousiasme l'éventualité d'un cinéma algérien.
Parmi les opiniâtres défenseurs de thèses incertaines,
se rencontraient des hommes de goût, des esprits avertis, de rares
politiciens et, comme il arrive, une honnête proportion de snobs
dont la mode d'un jour suffisait à susciter l'engouement.
Il y a de cela bien longtemps...
La maturité de notre petite société algérienne
laissa vite entrevoir tout ce qu'un tel projet comportait d'inconscience,
voire d'enfantillage.
I1 fut très vite évident qu'il s'écoulerait bien
des années avant que naisse sur le sol algérien une industrie
cinématographique.
Aussi bien, ne sera-t-il point question d'industrie ! Sans plus attendre,
passons au déluge...
Il n'est pas du tout nécessaire que des capitaux soient investis
ici même pour que puisse s'élaborer un cinéma de "
tempérament algérien ". Mon propos équivaudrait
plutôt à crier aux cinéastes : "Venez tourner
chez nous ! Inspirez-vous des richesses algériennes, des beautés
et des tares de ce pays pour faire oeuvre artistique !"
Il y a ici suffisamment de gens de lettres et d'esprit - Camus et Roblès
ne sont pas les moindres - susceptibles d'écrire des scénari
et de contribuer ainsi à révéler l'Algérie
cinéma ; je dis bien révéler, car tous les films
tournés en Afrique du Nord, à ce jour, ont généralement
sacrifié à un exotisme bazar, aux mirages d'un Orient de
pacotille !
Il se trouve que l'âme algérienne est une âme bâtarde,
mi-occidentale, mi-orientale, plus en rapport avec les flancs vertigineux
des buildings qu'avec les ruelles obscures de la Casbah, et qu`un cinéma
de tempérament algérien, devrait évoluer dans toutes
les gammes d'expression, du. néo-réalisme à l'italienne
à la réalisation "hyperchromée ", clinquante,
à l'américaine.
L'Algérie est en effet un pays de contrastes : l'ancien et moderne,
la vertu et le vice, la tendresse et la violence, la lâcheté
et le courage, la civilisation et la barbarie se heurtent ici brutalement
sur l'arête vive qui sépare l'ombre et la lumière.
La réalité et la fiction, le moral et l'amoral ne se sont
jamais . pénétrés aussi intimement.
Je n'en voudrais pour preuve que cette perpétuelle confusion des
valeurs morales ou intellectuelles dont Lucienne Favre dénonçait
les effets dans un ouvrage (Dans la casbah)
publié chez Grasset vivant la dernière guerre mondiale :
" On cite, écrivait cette dame, à titre d'anciens "
yaouleds" ayant tout-à-fait réussi et sur un pied d'égalité
parfaite, champion cycliste, un goal sollicité par toutes les équipes
internationales, un enlumineur du Coran, un grand acteur de cinéma,
un forçat à perpétuité. Car il est un peu
difficile, pour des gens aussi purs, d'apercevoir la différence
à la fois infime et prodigieuse qui sépare un as de l'écran
coûteusement promu gangster pour un instant et un bagnard condamné
à tourner gratis le même rôle dans la vie...
Aspect confus du " tempérament algérien " que
nul cinéaste n'a encore effleuré. Passe pour un John Berry,
un Serge de Poligny ou un Robert Siodmak. Mais il est particulièreme
pénible de mettre au compte d'un Algérois l'échec
le plus flagrant dans le domaine des " expériences cinématographiques
nord-africaines". Je pense à Pierre Cardinal qui, non content
de sacrifier au pittoresque facile, s'enlisa dans une adaptation moderne
de Phèdre, ce qui pour un cinéaste algérien, fait
un peu l'effet d'une démission. Avec Maria Pilar, Cardinal a fait
un film froid.
La sensualité de certaines scènes de plage, sensualité
très méditérranéenne, ne satisfait qu'au premier
abord.
En effet, Cardinal a partiellement échoué dans son entreprise
d'évocation amoureuse. Il n'existe pas, dans les rapports Claude
Laydu-Sylvie Pelayo, ce décalage, si symptomatique de la mentalité
bourgeoise algérienne, entre l'évolution sentimentale des
individus et l'expression purement érotique.
Enfin - et c'est le gros reproche que je ferai à Cardinal - les
personnages de Maria-Pilar, qui n'ont pas l'excuse de pouvoir prétendre
à l'universalité, ne sont pas davantage typiquement algérois
ou oranais. Ils n'ont pas de consistance ethnique.
Un film comme Et Dieu créa la femme sera toujours plus proche
de la réalité méditerranéenne. Repensé
en fonction des éléments climatiques, psychologiques et
moraux particuliers à nos rivages, le film de Vadim, les personnages
de Brigitte Bardot et de Jean-Louis Trintignant pourraient se révéler
d'un grand intérêt quant à la connaissance d'une certaine
jeunesse algérienne, sa psychologie et ses moeurs. Le modernisme,
là encore, a fait quelque ravage.
Et il est tout de même inquiétant que cet aspect de l'Algérie,
aspect non négligeable, ne séduise point le 7è Art.
En ignorant cette extraordinaire vision d'une civilisation conquérante,
avec ses défauts et ses vertus, le cinéma commet en quelque
sorte un abus de confiance.
D'un excés dans l'autre, nous voilà conduits à nier
la présence orientale en Algérie ! Il n'en est pas question.
Mais l'exotisme s'est si souvent traduit par des Pépé
le Moko, Aventures àAlger et autres randonnées
casbatiques qu'on hésite à tenter une nouvelle expérience.
Voici, nest-ce-pas,
une rue de la Casbah très hollywoodienne...
Mais, cette fois-ci il ne faut pas jeter la pierre à yankees.
Car il s'agit précisément d'un décor conçu
et réalisé dans les studios algériens de la
Télévision française. Et ça n'est pas
meilleur ! Pire peut-être, puisqu'on y retrouve les défauts
sans les qualités.
|
La richesse anecdotique devrait pourtant suffire à
satisfaire le plus maniaque des cinéastes. En travaillant dans
une pâte humaine aussi singulière,
tiraillée entre deux civilisations, torturée par les passions,
un artiste peut et doit faire oeuvre originale. Le malheur veut qu'il
y ait peu d'artistes dans la profession cinématographique.
L'actualité algérienne - si l'on excepte Le Grand Rendez-vous
de Dréville se rapportant au débarquement allié du
8Novembre 1942 - n'a jamais intéressé le cinéma,
pas plus, disons-le, que la littérature.
Le drame est dans la rue, la vie bouillonne et les tenants du néo-réalisme
italien trouveraient matière à ample réflexion dans
l'univers hétéroclite de Bab-el-Oued à Alger ou du
quartier de la Marine à Oran.
Le Centre Régional d'Art Dramatique a donné récemment
avec La famille Hernandez un échantillon savoureux de ce
qu'on pourrait faire dans ce domaine
Mais la tentation pour un cinéaste, même animé des
meilleures intentions, restera toujours le soleil et l'univers bigarré
des faubourgs indigènes.
Il ne faut pas s'étonner que le folklore tente à ce point
les producteurs et l'usage qu'en firent un Hitchcock au Maroc (L'homme
qui en savait trop) et à la rigueur un Ronald Neame en Tunisie
(La Salamandre d'or) pourrait justifier le procédé.
Mais pour un Hitchcock, combien de Maurice Labro, de Georges Peclet et
de René Chassas !
Attendons malgré tout et - je l'avoue - sans trop d'espoir, le
metteur en scène décidé qui viendra quelque jour
tourner sous notre ciel un petit " Marius " algérois
ou encore un Voyage en Italie mnstantinois.
Nos rivages sont toujours ensoleillés.
Hormis une prétendue élite pensante qui s'appelle, ici comme
ailleurs, minorité de snobs, nul, me semble-t-il, ne saurait prendre
au sérieux les propos nécessairement décousus qui
viennent de s'aligner sous ma plume.
Le thème de l'indifférence pourrait donc se greffer, en
fin de compte, sur le fond d'un hypothétique cinéma algérien,
en exergue duquel on me permettra de placer cette question que posait
incidemment un personnage de Fenétre sur cour :. Ne pouvons-nous
être plus près les uns des autres, entre voisins ? "
Paul DESVALLIERES.
Sur la toile
de fond des usines d'Hussein-Dey, s'ébat une troupe d'acteurs
et actrices musulmans. Jeux de corps, de mains et de télévisions
sous l'oeil impassible d'une caméra tapie dans l'ombre. à
l'affût d'une proie ensoleillée. Image de demain ?
|
|