CINEMA à Alger, en Algérie
Éventualité d'un cinéma algérien
"Alger-Revue, été 1957" - collection B.Venis

sur site le 1-10-2007

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--------- Pour les cinéastes, pour le public, l'Afrique en général, l'Afrique du Nord en particulier ne sont restées que ce qu'elles semblent être à première vue : un décor, une toile de fond qu'on n'a même pas su exploiter habilement et devant lesquels, les marionnettes du théâtre des Boulevards viennent se donner l'impression de se renouveler. "
M.R. BATAILLE et C. VEILLOT,

(Caméras sous le Soleil)

E N un temps où l'intelligence pouvait encore s'octroyer des loisirs, on envisageait sans déplaisir et parfois même avec un certain enthousiasme l'éventualité d'un cinéma algérien. Parmi les opiniâtres défenseurs de thèses incertaines, se rencontraient des hommes de goût, des esprits avertis, de rares politiciens et, comme il arrive, une honnête proportion de snobs dont la mode d'un jour suffisait à susciter l'engouement.

Il y a de cela bien longtemps...

La maturité de notre petite société algérienne laissa vite entrevoir tout ce qu'un tel projet comportait d'inconscience, voire d'enfantillage.

I1 fut très vite évident qu'il s'écoulerait bien des années avant que naisse sur le sol algérien une industrie cinématographique.

Aussi bien, ne sera-t-il point question d'industrie ! Sans plus attendre, passons au déluge...

Il n'est pas du tout nécessaire que des capitaux soient investis ici même pour que puisse s'élaborer un cinéma de " tempérament algérien ". Mon propos équivaudrait plutôt à crier aux cinéastes : "Venez tourner chez nous ! Inspirez-vous des richesses algériennes, des beautés et des tares de ce pays pour faire oeuvre artistique !"

Il y a ici suffisamment de gens de lettres et d'esprit - Camus et Roblès ne sont pas les moindres - susceptibles d'écrire des scénari et de contribuer ainsi à révéler l'Algérie cinéma ; je dis bien révéler, car tous les films tournés en Afrique du Nord, à ce jour, ont généralement sacrifié à un exotisme bazar, aux mirages d'un Orient de pacotille !

Il se trouve que l'âme algérienne est une âme bâtarde, mi-occidentale, mi-orientale, plus en rapport avec les flancs vertigineux des buildings qu'avec les ruelles obscures de la Casbah, et qu`un cinéma de tempérament algérien, devrait évoluer dans toutes les gammes d'expression, du. néo-réalisme à l'italienne à la réalisation "hyperchromée ", clinquante, à l'américaine.

L'Algérie est en effet un pays de contrastes : l'ancien et moderne, la vertu et le vice, la tendresse et la violence, la lâcheté et le courage, la civilisation et la barbarie se heurtent ici brutalement sur l'arête vive qui sépare l'ombre et la lumière.

La réalité et la fiction, le moral et l'amoral ne se sont jamais . pénétrés aussi intimement.

Je n'en voudrais pour preuve que cette perpétuelle confusion des valeurs morales ou intellectuelles dont Lucienne Favre dénonçait les effets dans un ouvrage (Dans la casbah) publié chez Grasset vivant la dernière guerre mondiale :

" On cite, écrivait cette dame, à titre d'anciens " yaouleds" ayant tout-à-fait réussi et sur un pied d'égalité parfaite, champion cycliste, un goal sollicité par toutes les équipes internationales, un enlumineur du Coran, un grand acteur de cinéma, un forçat à perpétuité. Car il est un peu difficile, pour des gens aussi purs, d'apercevoir la différence à la fois infime et prodigieuse qui sépare un as de l'écran coûteusement promu gangster pour un instant et un bagnard condamné à tourner gratis le même rôle dans la vie...

Aspect confus du " tempérament algérien " que nul cinéaste n'a encore effleuré. Passe pour un John Berry, un Serge de Poligny ou un Robert Siodmak. Mais il est particulièreme pénible de mettre au compte d'un Algérois l'échec le plus flagrant dans le domaine des " expériences cinématographiques nord-africaines". Je pense à Pierre Cardinal qui, non content de sacrifier au pittoresque facile, s'enlisa dans une adaptation moderne de Phèdre, ce qui pour un cinéaste algérien, fait un peu l'effet d'une démission. Avec Maria Pilar, Cardinal a fait un film froid.

La sensualité de certaines scènes de plage, sensualité très méditérranéenne, ne satisfait qu'au premier abord.

En effet, Cardinal a partiellement échoué dans son entreprise d'évocation amoureuse. Il n'existe pas, dans les rapports Claude Laydu-Sylvie Pelayo, ce décalage, si symptomatique de la mentalité bourgeoise algérienne, entre l'évolution sentimentale des individus et l'expression purement érotique.

Enfin - et c'est le gros reproche que je ferai à Cardinal - les personnages de Maria-Pilar, qui n'ont pas l'excuse de pouvoir prétendre à l'universalité, ne sont pas davantage typiquement algérois ou oranais. Ils n'ont pas de consistance ethnique.

Un film comme Et Dieu créa la femme sera toujours plus proche de la réalité méditerranéenne. Repensé en fonction des éléments climatiques, psychologiques et moraux particuliers à nos rivages, le film de Vadim, les personnages de Brigitte Bardot et de Jean-Louis Trintignant pourraient se révéler d'un grand intérêt quant à la connaissance d'une certaine jeunesse algérienne, sa psychologie et ses moeurs. Le modernisme, là encore, a fait quelque ravage.

Et il est tout de même inquiétant que cet aspect de l'Algérie, aspect non négligeable, ne séduise point le 7è Art. En ignorant cette extraordinaire vision d'une civilisation conquérante, avec ses défauts et ses vertus, le cinéma commet en quelque sorte un abus de confiance.

D'un excés dans l'autre, nous voilà conduits à nier la présence orientale en Algérie ! Il n'en est pas question. Mais l'exotisme s'est si souvent traduit par des Pépé le Moko, Aventures àAlger et autres randonnées casbatiques qu'on hésite à tenter une nouvelle expérience.

, une rue de la Casbah très hollywoodienne...
Voici, nest-ce-pas, une rue de la Casbah très hollywoodienne...
Mais, cette fois-ci il ne faut pas jeter la pierre à yankees. Car il s'agit précisément d'un décor conçu et réalisé dans les studios algériens de la Télévision française. Et ça n'est pas meilleur ! Pire peut-être, puisqu'on y retrouve les défauts sans les qualités.

La richesse anecdotique devrait pourtant suffire à satisfaire le plus maniaque des cinéastes. En travaillant dans une pâte humaine aussi singulière, tiraillée entre deux civilisations, torturée par les passions, un artiste peut et doit faire oeuvre originale. Le malheur veut qu'il y ait peu d'artistes dans la profession cinématographique.

L'actualité algérienne - si l'on excepte Le Grand Rendez-vous de Dréville se rapportant au débarquement allié du 8Novembre 1942 - n'a jamais intéressé le cinéma, pas plus, disons-le, que la littérature.

Le drame est dans la rue, la vie bouillonne et les tenants du néo-réalisme italien trouveraient matière à ample réflexion dans l'univers hétéroclite de Bab-el-Oued à Alger ou du quartier de la Marine à Oran.

Le Centre Régional d'Art Dramatique a donné récemment avec La famille Hernandez un échantillon savoureux de ce qu'on pourrait faire dans ce domaine

Mais la tentation pour un cinéaste, même animé des meilleures intentions, restera toujours le soleil et l'univers bigarré des faubourgs indigènes.

Il ne faut pas s'étonner que le folklore tente à ce point les producteurs et l'usage qu'en firent un Hitchcock au Maroc (L'homme qui en savait trop) et à la rigueur un Ronald Neame en Tunisie (La Salamandre d'or) pourrait justifier le procédé. Mais pour un Hitchcock, combien de Maurice Labro, de Georges Peclet et de René Chassas !

Attendons malgré tout et - je l'avoue - sans trop d'espoir, le metteur en scène décidé qui viendra quelque jour tourner sous notre ciel un petit " Marius " algérois ou encore un Voyage en Italie mnstantinois.

Nos rivages sont toujours ensoleillés.

Hormis une prétendue élite pensante qui s'appelle, ici comme ailleurs, minorité de snobs, nul, me semble-t-il, ne saurait prendre au sérieux les propos nécessairement décousus qui viennent de s'aligner sous ma plume.

Le thème de l'indifférence pourrait donc se greffer, en fin de compte, sur le fond d'un hypothétique cinéma algérien, en exergue duquel on me permettra de placer cette question que posait incidemment un personnage de Fenétre sur cour :. Ne pouvons-nous être plus près les uns des autres, entre voisins ? "

Paul DESVALLIERES.

une troupe d'acteurs et actrices musulmans. Jeux de corps, de mains et de télévisions sous l'oeil impassible d'une caméra
Sur la toile de fond des usines d'Hussein-Dey, s'ébat une troupe d'acteurs et actrices musulmans. Jeux de corps, de mains et de télévisions sous l'oeil impassible d'une caméra tapie dans l'ombre. à l'affût d'une proie ensoleillée. Image de demain ?