sur site le 15/01/2002
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30 ANS APRES, L'ALGÉRIE :
NON AUX PROFANATIONS DES SÉPULTURES CHRETIENNES ET ISRAELITES

Pnha n°27 juin 1992

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on enlève le marbre des tombes
on creuse, on sort les os
Pourquoi toutes ces horreurs ?
cheveux et crâne de femme.
profanation systématique
On récupère ce que l'on peut : les poignées de cercueils pour les malles à linge, les dents et bijoux en or, le zinc des cercueils. "Ils" enlèvent le marbre des tombes pour faire des tables basses de salon !
Cercueils exhumés. On creuse, on fouille partout
Cercueils exhumés. On creuse, on fouille partout
on ouvre comme des conserves.
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------30 ans après, sur fond de profanations des cimetières Juifs et Chrétiens, l'Algérie harassée par la crise économique, est à la recherche d'un équilibre qu'elle n'a jamais su trouver depuis 1962.

------30ans après les Accords d'Evian, elle offre l'image d'un pays arrêté dans le temps. Il n'est pas rare de voir dans les hôtels subsister l'ascenseur datant des années 50, souvenir d'une époque révolue, ou d'y retrouver un mobilier suranné et d'origine du temps de la France. L'économie pétrifiée dans son startingblok de 1962, a favorisé la misère. Pauvreté qui au lieu de réduire le nombre de naissance, a contribué comme dans tous les pays du tiers monde, à accélérer le taux de natalité. Aujourd'hui, les rues grouillent d'une jeunesse à la recherche d'un emploi, tiraillée entre un modernisme représenté par la France, à la fois lointaine et proche, et les traditions d'un Islam radical. Cette double identité, héritage de l'Algérie Française est toujours très présente dans le paysage social. Elle est à la source d'un affrontement de civilisations entre les tenants d'un modernisme et les représentants d'un retour aux valeurs ancestrales de l'Islam. L'incapacité du F.L.N. a gérer le pays a conduit de nombreux algériens à se laisser séduire par les sirènes du Front Islamique du Salut. L'Algérie présente le spectacle d'un gâchis humain, culturel et matériel. Tout Pied-Noir éprouve devant cette décomposition la nostalgie d'un pays stoppé dans son dialogue entre communautés et dans ses réformes, victime de ses passions et de manoeuvres politiciennes. Malheureusement, on ne refait pas l'histoire.

L'HORREUR DES PROFANATIONS

--------Peu de Pieds-Noirs retournent en Algérie pour des raisons de contraintes matérielles. L'appréhension psychologique d'un séjour sur une terre symbole de leur souvenir et de leur souffrance, est aussi un facteur difficile à surmonter pour nombreux d'entre eux. Chaque période de la Toussaint ranime dans leur coeur la douleur de ne pouvoir honorer sur place la mémoire de leur aïeux. Pour tout candidat au retour, après le temps de la découverte de l'Algérie d'hier et d'aujourd'hui, le cimetière est un passage obligé. Les Pieds-Noirs, comme toute communauté du bassin méditerranéen, ont un profond respect de leurs morts. Le drame de l'exil se conjugue souvent avec la tristesse de l'abandon des siens enterrés là-bas. Tant de bruits circulent sur l'état de ces nécropoles que la visite des tombes est une épreuve supplémentaire au voyage. Malheureusement, la réalité est à la hauteur des rumeurs. Des milliers de tombes chrétiennes et juives profanées en Algérie, 500 cimetières saccagés sur 600 répertoriés par l'Association de Sauvegarde des Cimetières en Algérie (la liste serait trop longue et trop cruelle, de Oued-ElAlleug, Fort de l'Eau, Mouzaïaville, Birtouta,tous devenus irrécupérables). Seuls les cimetières des grandes métropoles sont épargnés. Force est de constater que les années et le manque d'entretien n'est pas à la source de ce drame. Ces profanations sont-elles perpétrées par des idéologues tentant d'effacer toute trace de présence française ? Par des intégristes musulmans irrités de voir sur le sol algérien des sépultures chrétiennes et judaïques, religions pourtant existantes avant l'Islam en Afrique du Nord ? Ou par des pilleurs de tombés à la
recherche de dents en or ou du zinc des cercueils, métal rare en Algérie ? Une chose est certaine, elles sont l'oeuvre de bandes organisées et outillées car le déplacement des pierres tombales demande un attirail adéquat et ne peut être l'oeuvre d'herbes folles ou de pluies abondantes. Notre objectif n'est pas de lancer des condamnations, mais il est difficile de comprendre cette violence sur les tombes d'innocents. Les Pieds-Noirs étaient dans l'ensemble des gens de condition modeste et non des suppôts du colonialisme. Il est important de trouver une solution, car ces morts, ces hommes et ces femmes, ces pionniers de l'Algérie moderne, sont des enfants de cette terre et méritent comme tout être humain le respect de leur repos. IL est indiscutable que l'ensemble des Algériens eux?mêmes sensibles à la mémoire des morts, ne peut être tenu pour responsable. Mais il est regrettable de constater que l'État Algérien et plus particulièrement l'Ambassade de France à Alger, alertés par l'A.S.C.A., n'ont jamais daigné se pencher sur ce problème.

SAUVONS LES CIMETIERES

--------Certains Pieds-Noirs ont déjà pris conscience de ce drame. Ainsi Jean-Paul GAVINO et Alain BOURDON, responsables de l'Association pour la Sauvegarde des Cimetières en Algérie, dont l'action sur le terrain est remarquable, proposent d'ouvrir le débat sur le devenir des nécropoles. Selon eux, après étude de la situation, le regroupement des petits cimetières non protégés dans les grandes nécropoles urbaines gardiennées (sous forme d'ossuaires spécifiques), apparaît comme une solution raisonnable. Mais cette hypothèse risque de heurter la sensibilité de certaines familles préférant conserver le caveau familial. Le danger est grand de voir aussi disparaître de nombreux cimetières témoignages d'un patrimoine historique. Cependant le gardiennage de tous les cimetières semble une entreprise difficile. De toute manière, selon l'option choisie, les opérations de sauvegarde ne peuvent être financées que par la France et l'Algérie. Les Pieds-Noirs ont déjà été spoliés de leurs biens, ils n'ont pas à assumer la réparation de ces profanations. A ce propos, le magazine désire connaître le sentiment de ses lecteurs sur ce problème, et ouvre ses tribunes afin d'élargir le débat. Il est temps de se mobiliser et de soutenir les actions de l'A.S.C.A. Participez à la pétition nationale et soyez présents au grand Rassemblement Mondial des Pieds-Noirs et Harkis, les 13 et 14 Juin, pour montrer notre détermination à sauvegarder notre mémoire. Notre but n'est pas de juger ou de soulever une polémique, mais de combattre le silence afin que les hommes politiques de tous bords et les responsables d'associations dites humanitaires, prennent position comme pour Carpentras, au nom des Droits de l'Homme. A l'heure du dialogue Nord?Sud devenu incontournable pour l'équilibre méditerranéen, l'Algérie comme la France ont tout intérêt à apporter une solution au devenir des cimetières chrétiens et israélites.

L'INSULTE FAITE À NOS MORTS.

------Le témoignage que les représentants de l'ASCA (Association de Sauvegarde des Cimetières en Algérie) rapportent d'Algérie repousse les limites de l'horreur. Ce qui devait être pour nos camarades un pieux pèlerinage sur les tombes des morts, s'est transformé bien vite en un voyage au bout du désespoir.
------Leur désespoir. Celui de leurs familles. Notre désespoir aussi. Celui de toutes les familles piedsnoires meurtries et humiliées.
------Dans les villages de la campagne algérienne - ceux en tout cas que l'ASCA a visités - le constat est trop souvent le même. Ou bien les cimetières ont disparu, rasés au bulldozer pour faire place à des constructions de fortune, ou bien ils sont abandonnés après avoir été profanés. Ce ne sont que tombes éventrées, caveaux saccagés, stèles brisées et parfois même -vision macabre - ossements extraits de cercueils parsemant les allées.
------L'insulte faite aux morts est inexplicable. Nous la recevons comme une blessure toujours présente. Mais par delà le chagrin et la révolte, se pose un problème politique d'une gravité exceptionnelle.
------Comment en effet, dans tant de centre ruraux, où chacun naguère se connaissait et s'estimait, les profanateurs ont-ils pu agir au fil des mois et des années en toute impunité ? S'agit-il, comme certains l'avancent sur place, de détrousseurs de cadavres, de simples d'esprit ou de petits voyous en mal de jeux interdits ? S'agit-il plutôt d'initiatives concertées de prédateurs idéologiques acharnés à effacer, dans l'isolement des campagnes algériennes, les dernières traces- les plus symboliques, les plus profondes - de la présence française ? Et qui pour cela, transforment nos nécropoles chrétiennes et juives en champs d'épandage.
------La question est posée, mais force nous est de constater que jamais les autorités algériennes-religieuses, administratives politiques n'ont, de leur propre initiative, condamner le sacrilège, contraire à toutes les croyances et traditions de l'Islam.
------Que dire encore de l'inertie des responsables français ? Que dire du silence des autorités morales de notre pays si promptes d'habitude à défendre les justes causes ? La grande détresse des cimetières français d'Algérie pose aujourd'hui un problème national. C'est à Paris d'intervenir pour mettre un terme immédiat à des pratiques indignes de la France comme de l'Algérie. Que doit-on faire ? Est-il encore possible d'obtenir des dirigeants algériens qu'ils fassent respecter les cimetières isolés ? Faut-il plutôt organiser le rapatriement collectif des cercueils ou leur regroupement dans trois ou quatre grandes villes algériennes ?La communauté des rapatriés doit bien entendu être consultée sur ces points essentiels, mais c'est au gouvernement français, une fois l'avis des familles exprimé, de prendre les dispositions qui s'imposent. L'heure est venue pour les Pieds?Noirs, toutes confessions et toutes opinions confondues, de se mobiliser. Pour tous, le devoir est clair. Nous ne tolèrerons pa, que, près de trente ans après l'exil nos morts eux-mêmes, dans un tra gigue symbole, soient arrachés
leur terre.
L'opinion française révoltée à juste titre par la profanation de Carpentras, ne peut pas ne pas nous comprendre.
----- -Robert SOULE, journaliste à Paris depuis trente ans, est un Pied-Noirs qui a débuté en Algérie, à "l'Echo d'Alger", d'Alain de SERIGNY en qualité de Grand Reporter puis directeur de l'information
à France-Soir.

Robert SOULE

 

CIMETIÉRE de FORT de L'EAU :Le symbole l'horreur

-------La vision de ce cimetière révèle les tristes dérapages d'une Algérie confrontée à un problème d'identité.
-------Il est difficile de retenir son émotion devant le spectacle de ces profanations... Ce cimetière n'est que l'une des cinq cent nécropoles dévastées, répertoriées par l'Association de Sauvegarde des Cimetières d'Algérie dont nous tenons à saluer le travail et le courage (cette association piednoire mérite tout notre soutien
A.S.C.A. BP 68 - 94440 Villecresnes). Les noms gravés sur ces tombes attestent l'état-civil d'une communauté où s'écrit l'histoire d'un peuple de pionniers, qui, à la sueur de son front avait su construire un pays moderne. Pour les jeunes générations nées en France par accident historique, le nombre de familles regroupées par sépulture frappe l'esprit et rappelle, si besoin était, l'origine de ses racines. Quelle douleur pour les Pieds-Noirs impuissants devant ces horreurs de ne pouvoir honorer, comme en France, une ascendance plus nombreuse enterrée en cette terre d'Algérie.
-------Mais pourquoi cette violence gratuite ? Pourquoi ces croix et ces étoiles de David arrachées comme pour symboliser le rejet de religions, pourtant présentes en Algérie bien avant l'Islam ?
-------Pourquoi ces tombes démolies, ces cercueils éventrés, ces ossements livrés aux chiens errants ?
-------L'Algérie a-t-elle peur des fantômes d'un époque où l'islam, le judaïsme e1 le christianisme cohabitaient pacifiquement, au point aujourd'hui de s'acharner avec plus de violence qu'en 1962 sur ses propres cimetières ? Car ces morts, juifs ei chrétiens sont des hommes de cette terre d'Algérie.
-------Ferhat ABBAS, leader musulman de, années 50, avait dit : "J'ai beau interroger les cimetières, il n'existe pas de nation algérienne"*
-------Est-ce finalement cette appartenance à un creuset de plusieurs civilisations qui force l'Algérie d'aujourd'hui à détruire les traces d'histoire bien réelle, à éduquer les masses dans le rejet de la France, à distiller une dialectique falsifiée encourageant à son insu la montée de l'intégrisme ?

* Référence "Entente Franco Musulmane du 26 Février 1936. "