| CHAPITRE IIIUVRES D'ART ANTIQUES CONSERVÉES A TIPASA
 Avec les objets trouvés à Tipasa 
        depuis près de quarante ans, M. Trémaux a constitué 
        dans son parc une sorte de musée. On y voit des inscriptions, des 
        fragments d'architecture, des jarres ayant contenu autrefois du vin, de 
        l'huile ou des grains, etc. Quelques petits bas-reliefs, d'une facture 
        très grossière, nous montrent des hommes ou des femmes tenant 
        une offrande, grappe de raisin, oiseau, plat ; ils sont debout entre deux 
        colonnes qui soutiennent un fronton. Ce sont sans doute des ex-voto placés 
        jadis dans quelque sanctuaire où l'on célébrait un 
        culte d'origine carthaginoise, comme paraissent l'indiquer les symboles 
        puniques tracés au-dessus des personnages : croissant renversé 
        sur un disque ( Sur ces signes, voir 
        plus haut, p. 75.), et petite image de femme, les mains levées 
        vers le ciel, figure qui, reproduite d'une manière toute conventionnelle, 
        était considérée comme le symbole de la prière.
 Mais les monuments les plus intéressants de cette collection sont 
        les sarcophages sculptés, en marbre.
 
 Deux d'entre eux, celui des époux et celui du bon Pasteur, ont 
        été découverts dans un même caveau, près 
        de la porte de Césarée.
 
 La face du premier, assez endommagée, est séparée 
        en quatre compartiments par des colonnes qui supportent des arcades. L'un 
        des compartiments du milieu représente un mariage. Les époux, 
        en costume romain, se donnent la main et le mari tient un rouleau de papyrus 
        sur lequel doit être écrit le contrat. Le sculpteur dans 
        le magasin duquel on est allé choisir ce sarcophage s'était 
        contenté d'ébaucher les deux figures, se réservant 
        de leur donner, lors de la vente, les traits des défunts, d'après 
        les indications de l'acquéreur : ce qui pourtant n'a pas été 
        fait, soit parce qu'on n'a pas eu le temps d'attendre, soit pour toute 
        autre raison que nous ne pouvons guère deviner. Par derrière, 
        apparaît la déesse qui préside aux mariages, Junon, 
        dont la tête est ceinte d'un diadème, et qui pose les mains 
        sur les épaules des époux ; en avant, l'Hyménée, 
        sous la forme d'un petit amour ailé, tient une torche; enfin, de 
        chaque côté, un jeune parent ou ami assiste à l'union. 
        - Dans le compartiment voisin, le mari, en costume militaire, accomplit 
        un acte religieux : il fait sur un autel portatif une libation, à 
        laquelle sa femme assiste. Ce sujet a été emprunté 
        à des sarcophages d'époque plus ancienne, sur lesquels on 
        voit représentée, en plusieurs tableaux, toute la vie de 
        l'époux : son mariage n'est qu'une des scènes de cet ensemble 
        ; une autre est un sacrifice offert par lui à la suite de victoires 
        qu'il a remportées comme général : il fait une libation 
        à Jupiter et, à ses pieds, on immole un taureau. C'est une 
        représentation abrégée de ce tableau que présente 
        notre sarcophage. Dans les deux compartiments extrêmes, se voient 
        les Dioscures Castor et Pollux, vêtus seulement d'un court manteau 
        attaché sur l'épaule, coiffés d'un bonnet surmonté 
        d'une étoile, une lance à la main ; ils tiennent leur cheval 
        par la bride. Ces deux frères jumeaux apparaissent très 
        fréquemment sur les monuments funéraires. Ils passaient 
        pour des divinités protectrices des hommes. On racontait en outre 
        que, Castor ayant été tué dans un combat, Pollux 
        avait fait abandon, en sa faveur, de la moitié de son immortalité 
        : ils vivaient et mouraient tour à tour, de deux jours l'un ; leur 
        image, rappelant cette légende d'un passage perpétuel de 
        la vie à la mort et de la mort à la vie, était donc 
        bien à sa place sur des tombeaux. Les petits côtés 
        du sarcophage offrent l'un et l'autre le même sujet : un taureau, 
        portant sur la tête un ornement triangulaire en métal, est 
        amené pour le sacrifice du mariage. Le serviteur tient une hache 
        avec laquelle il va tuer l'animal et porte un couteau pour le dépecer.
 
 Cette oeuvre n'a aucun mérite d'originalité. La fière 
        allure de Castor et de Pollux, la composition harmonieuse des groupes, 
        la division en tableaux bien distribués, qui, par l'habileté 
        de la décoration architecturale, forment un ensemble d'une belle 
        unité, tout cela a été reproduit d'après des 
        modèles qui couraient partout (  
        Le sculpteur a commis une faute de copiste dans le placement des deux 
        images de Castor et Pollux, qui, comme divinités protectrices, 
        devraient regarder les époux. II a mis à gauche le Dioscure 
        qui aurait dû être à droite, et réciproquement.). 
        Mais c'est une assez bonne copie d'atelier, que l'on peut attribuer à 
        la fin du second siècle ou au début du troisième. 
        Le praticien qui l'a faite a été plus heureux dans les nus, 
        qui sont rendus avec exactitude et précision, quoique avec sécheresse, 
        que dans les draperies, dont les plis sont mesquins et disgracieux.
 
 L'autre sarcophage sorti de la même chambre funéraire est 
        bien conservé. Au centre, se voit le Christ en Bon Pasteur; selon 
        l'usage, il est debout, vêtu d'une tunique, les jambes entourées 
        de courroies, une bourse de peau suspendue au flanc gauche. De ses deux 
        mains, il tient sur ses épaules une brebis : deux autres brebis, 
        placées à sa droite et à sa gauche, le regardent. 
        Cette représentation est très fréquente sur les tombeaux 
        chrétiens ( Voir plus haut, p. 
        67), en Afrique comme ailleurs. A chacune des deux extrémités 
        de la face, un lion dévore une gazelle : symbole de la puissance 
        de la mort. On peut observer que le corps des lions est entouré 
        de bandelettes d'étoffe, qui montrent que l'on a voulu représenter 
        ici un épisode d'un spectacle de l'amphithéâtre. Le 
        reste de la cuve est orné de cannelures parallèles en forme 
        d'S. Ce monument, où l'arrangement des figures est simple et le 
        dessin correct, peut être daté de la première Moitié 
        du quatrième siècle.
 
 Un troisième sarcophage se trouve dans le parc de M. Trémaux. 
        Il est bien inférieur aux précédents. Le marbre en 
        est commun et le style fort mauvais. Les attitudes sont gauches, les fautes 
        de dessin nombreuses et grossières, le travail a été 
        fait avec une extrême négligence. Il provient d'un mausolée 
        chrétien, voisin de l'église de l'évêque Alexandre. 
        Au milieu, entre deux méchantes colonnes, trône le Christ 
        (dont la tête manque). D'une main, il fait un geste de bénédiction 
        ; de l'autre, il semble tenir le volume roulé sur lequel la Loi 
        est écrite. Debout à ses côtés, se tiennent 
        des génies représentant les quatre saisons, soit pour indiquer 
        que la puissance du Christ s'exerce en tout temps, soit pour rappeler 
        les bienfaits divers que la Providence répand sur le monde en assurant 
        le retour régulier des diverses périodes de l'année. 
        A gauche, c'est le Printemps, qui tient une branche fleurie et une corbeille 
        dans laquelle devraient se voir des fleurs; à côté 
        de lui, l'Été, avec une gerbe d'épis et une faucille 
        ; à droite, l'Automne avec une grappe de raisin, vers laquelle 
        grimpe un lézard, et l'Hiver, chaudement vêtu, encapuchonné, 
        portant une houe et tenant deux canards sauvages : il préside en 
        effet aux travaux de la terre et à la chasse. A l'extrémité 
        de droite du sarcophage, un tableau isolé nous montre Moïse 
        frappant le rocher, auquel deux Hébreux viennent boire : ces deux 
        personnages sont figurés beaucoup plus petits que le prophète. 
        La scène qui correspondait à celle-là, à l'autre 
        extrémité, est malheureusement perdue.
 
 Parmi les autres débris de sculptures conservés en ce lieu, 
        on pourra encore remarquer une femme descendant d'un char : c'est la déesse 
        Séléné visitant Endymion. Ce fragment a appartenu 
        au sarcophage qui était placé sur un socle au milieu de 
        la basilique de sainte Salsa ( Voir 
        plus haut, p. 137.).
 
 Si, de Tipasa, on se rend au Tombeau de la Chrétienne ou à 
        Alger par la route du littoral, on pourra s'arrêter à trois 
        kilomètres du village, pour voir, dans le parc de Madame Demonchy, 
        un autre sarcophage sculpté. On l'aperçoit de la route, 
        à gauche, à travers les arbres.
 
 Le sujet représenté est la légende de Pélops 
        et d'nomaüs.
 
 nomaüs, roi de Pise, en Grèce, avait une tille unique, 
        Hippodamie, d'une merveilleuse beauté. Il ne voulait pas la marier, 
        car il lui avait été prédit qu'il serait tué 
        par son gendre. A tous ceux qui se présentaient, il imposait comme 
        condition de se mesurer avec lui dans une course de chars : il était 
        convenu que, si le prétendant sortait vainqueur de l'épreuve, 
        sa demande serait agréée, mais que, s'il était vaincu, 
        il devrait périr. Le roi exigeait en outre que le jeune homme prît 
        avec lui, sur son char, Hippodamie, afin que, séduit par la beauté 
        de cette princesse, il ne prêtât qu'une attention distraite 
        à la course, dont son sort dépendait pourtant. Grâce 
        à la rapidité de ses chevaux et à l'habileté 
        de son cocher Myrtile, OEnomatis triomphait facilement et perçait 
        son rival de sa lance. Dix-huit prétendants avaient ainsi péri, 
        quand arriva d'Asie Mineure Pélops, fils de Tantale. Il sut se 
        faire aimer d'Hippodamie et tous deux s'entendirent avec Myrtile pour 
        qu'il trahit son maître. Myrtile enleva de l'axe du char les chevilles 
        qui retenaient les roues, si bien qu'au milieu de la course nomaus 
        fut précipité à terre et se blessa grièvement 
        : Pélops l'acheva. Celui-ci retourna ensuite avec Hippodamie dans 
        sa patrie, en traversant la mer sur son char; quant à Myrtile, 
        qui réclamait le prix de sa trahison, il se débarrassa de 
        lui en le jetant dans les flots.
 
 C'est le commencement de cette histoire qui se voit sur trois faces de 
        notre sarcophage. Le petit côté de gauche nous montre Pélops 
        arrivant à Pise. Il porte le costume asiatique ; bonnet phrygien, 
        tunique, manteau flottant et pantalon. Son serviteur l'accompagne et paraît 
        faire de tristes réflexions, en voyant accrochées à 
        la porte de la ville les têtes de trois prétendants. Mais 
        voici, sur le devant du sarcophage, l'entrevue d'OEnomaus et de Pélops. 
        Vêtu d'une longue tunique et d'un manteau, tenant un sceptre, assis 
        sur un trône richement sculpté, entouré de gardes, 
        le roi expose ses conditions, au nouveau venu. Puis ce sont les préparatifs 
        de la course. Quatre chevaux sont attelés à chacun des deux 
        chars ; un cavalier les accompagne. 0enomaus et Pélops tiennent 
        déjà les rênes ; on amène au prétendant 
        Hippodamie, qui doit monter sur son char. Sur le petit côté 
        de gauche, un serviteur, peut-être Myrtile, armé d'un bâton, 
        calme l'ardeur des chevaux de son maître. L'histoire est incomplète 
        : la face postérieure, qui est lisse, aurait dû tout au moins 
        nous présenter la chute et la mort d'OEnomaiis.
 
 Des gaucheries et des négligences se remarquent dans les sculptures 
        de ce sarcophage, qui parait appartenir au second siècle de notre 
        ère : les chevaux surtout choquent par leur taille trop petite 
        et leurs mauvaises proportions; les physionomies des personnages sont 
        vulgaires. Mais les scènes sont bien distribuées, et sans 
        trop de surcharge, défaut ordinaire des sarcophages romains. D'une 
        manière générale, l'exécution est bonne : 
        les plis des vêtements sont surtout rendus avec vérité 
        et aisance.
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