Cherchell sur la côte turquoise algéroise
Cherchel (avec un "l" au moins jusqu'en 1955)
Guide archélogique des environs d'Alger (Cherchel, Tipasa, tombeau de la Chrétienne)
par Stéphane Gsell - 1896

LIVRE 2 : TIPASA
CHAPITRE III
ŒUVRES D'ART ANTIQUES CONSERVÉES A TIPASA

Guides Bleus 1955 :« ville de 15.700 hab.,ch.-l.d'une commune mixte de 32.000 hab;,, dans un site pittoresque en bordure de la mer, au revers N. de pentes verdoyantes, contreforts du massif des Beni Menasser.- École municipale d'artisanat.». Suivent un historique, un plan, une visite..
sur site le 10-8-2009
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CHAPITRE III
ŒUVRES D'ART ANTIQUES CONSERVÉES A TIPASA

Avec les objets trouvés à Tipasa depuis près de quarante ans, M. Trémaux a constitué dans son parc une sorte de musée. On y voit des inscriptions, des fragments d'architecture, des jarres ayant contenu autrefois du vin, de l'huile ou des grains, etc. Quelques petits bas-reliefs, d'une facture très grossière, nous montrent des hommes ou des femmes tenant une offrande, grappe de raisin, oiseau, plat ; ils sont debout entre deux colonnes qui soutiennent un fronton. Ce sont sans doute des ex-voto placés jadis dans quelque sanctuaire où l'on célébrait un culte d'origine carthaginoise, comme paraissent l'indiquer les symboles puniques tracés au-dessus des personnages : croissant renversé sur un disque ( Sur ces signes, voir plus haut, p. 75.), et petite image de femme, les mains levées vers le ciel, figure qui, reproduite d'une manière toute conventionnelle, était considérée comme le symbole de la prière.

Mais les monuments les plus intéressants de cette collection sont les sarcophages sculptés, en marbre.

Deux d'entre eux, celui des époux et celui du bon Pasteur, ont été découverts dans un même caveau, près de la porte de Césarée.

La face du premier, assez endommagée, est séparée en quatre compartiments par des colonnes qui supportent des arcades. L'un des compartiments du milieu représente un mariage. Les époux, en costume romain, se donnent la main et le mari tient un rouleau de papyrus sur lequel doit être écrit le contrat. Le sculpteur dans le magasin duquel on est allé choisir ce sarcophage s'était contenté d'ébaucher les deux figures, se réservant de leur donner, lors de la vente, les traits des défunts, d'après les indications de l'acquéreur : ce qui pourtant n'a pas été fait, soit parce qu'on n'a pas eu le temps d'attendre, soit pour toute autre raison que nous ne pouvons guère deviner. Par derrière, apparaît la déesse qui préside aux mariages, Junon, dont la tête est ceinte d'un diadème, et qui pose les mains sur les épaules des époux ; en avant, l'Hyménée, sous la forme d'un petit amour ailé, tient une torche; enfin, de chaque côté, un jeune parent ou ami assiste à l'union. - Dans le compartiment voisin, le mari, en costume militaire, accomplit un acte religieux : il fait sur un autel portatif une libation, à laquelle sa femme assiste. Ce sujet a été emprunté à des sarcophages d'époque plus ancienne, sur lesquels on voit représentée, en plusieurs tableaux, toute la vie de l'époux : son mariage n'est qu'une des scènes de cet ensemble ; une autre est un sacrifice offert par lui à la suite de victoires qu'il a remportées comme général : il fait une libation à Jupiter et, à ses pieds, on immole un taureau. C'est une représentation abrégée de ce tableau que présente notre sarcophage. Dans les deux compartiments extrêmes, se voient les Dioscures Castor et Pollux, vêtus seulement d'un court manteau attaché sur l'épaule, coiffés d'un bonnet surmonté d'une étoile, une lance à la main ; ils tiennent leur cheval par la bride. Ces deux frères jumeaux apparaissent très fréquemment sur les monuments funéraires. Ils passaient pour des divinités protectrices des hommes. On racontait en outre que, Castor ayant été tué dans un combat, Pollux avait fait abandon, en sa faveur, de la moitié de son immortalité : ils vivaient et mouraient tour à tour, de deux jours l'un ; leur image, rappelant cette légende d'un passage perpétuel de la vie à la mort et de la mort à la vie, était donc bien à sa place sur des tombeaux. Les petits côtés du sarcophage offrent l'un et l'autre le même sujet : un taureau, portant sur la tête un ornement triangulaire en métal, est amené pour le sacrifice du mariage. Le serviteur tient une hache avec laquelle il va tuer l'animal et porte un couteau pour le dépecer.

Cette oeuvre n'a aucun mérite d'originalité. La fière allure de Castor et de Pollux, la composition harmonieuse des groupes, la division en tableaux bien distribués, qui, par l'habileté de la décoration architecturale, forment un ensemble d'une belle unité, tout cela a été reproduit d'après des modèles qui couraient partout ( Le sculpteur a commis une faute de copiste dans le placement des deux images de Castor et Pollux, qui, comme divinités protectrices, devraient regarder les époux. II a mis à gauche le Dioscure qui aurait dû être à droite, et réciproquement.). Mais c'est une assez bonne copie d'atelier, que l'on peut attribuer à la fin du second siècle ou au début du troisième. Le praticien qui l'a faite a été plus heureux dans les nus, qui sont rendus avec exactitude et précision, quoique avec sécheresse, que dans les draperies, dont les plis sont mesquins et disgracieux.

L'autre sarcophage sorti de la même chambre funéraire est bien conservé. Au centre, se voit le Christ en Bon Pasteur; selon l'usage, il est debout, vêtu d'une tunique, les jambes entourées de courroies, une bourse de peau suspendue au flanc gauche. De ses deux mains, il tient sur ses épaules une brebis : deux autres brebis, placées à sa droite et à sa gauche, le regardent. Cette représentation est très fréquente sur les tombeaux chrétiens ( Voir plus haut, p. 67), en Afrique comme ailleurs. A chacune des deux extrémités de la face, un lion dévore une gazelle : symbole de la puissance de la mort. On peut observer que le corps des lions est entouré de bandelettes d'étoffe, qui montrent que l'on a voulu représenter ici un épisode d'un spectacle de l'amphithéâtre. Le reste de la cuve est orné de cannelures parallèles en forme d'S. Ce monument, où l'arrangement des figures est simple et le dessin correct, peut être daté de la première Moitié du quatrième siècle.

Un troisième sarcophage se trouve dans le parc de M. Trémaux. Il est bien inférieur aux précédents. Le marbre en est commun et le style fort mauvais. Les attitudes sont gauches, les fautes de dessin nombreuses et grossières, le travail a été fait avec une extrême négligence. Il provient d'un mausolée chrétien, voisin de l'église de l'évêque Alexandre. Au milieu, entre deux méchantes colonnes, trône le Christ (dont la tête manque). D'une main, il fait un geste de bénédiction ; de l'autre, il semble tenir le volume roulé sur lequel la Loi est écrite. Debout à ses côtés, se tiennent des génies représentant les quatre saisons, soit pour indiquer que la puissance du Christ s'exerce en tout temps, soit pour rappeler les bienfaits divers que la Providence répand sur le monde en assurant le retour régulier des diverses périodes de l'année. A gauche, c'est le Printemps, qui tient une branche fleurie et une corbeille dans laquelle devraient se voir des fleurs; à côté de lui, l'Été, avec une gerbe d'épis et une faucille ; à droite, l'Automne avec une grappe de raisin, vers laquelle grimpe un lézard, et l'Hiver, chaudement vêtu, encapuchonné, portant une houe et tenant deux canards sauvages : il préside en effet aux travaux de la terre et à la chasse. A l'extrémité de droite du sarcophage, un tableau isolé nous montre Moïse frappant le rocher, auquel deux Hébreux viennent boire : ces deux personnages sont figurés beaucoup plus petits que le prophète. La scène qui correspondait à celle-là, à l'autre extrémité, est malheureusement perdue.

Parmi les autres débris de sculptures conservés en ce lieu, on pourra encore remarquer une femme descendant d'un char : c'est la déesse Séléné visitant Endymion. Ce fragment a appartenu au sarcophage qui était placé sur un socle au milieu de la basilique de sainte Salsa ( Voir plus haut, p. 137.).

Si, de Tipasa, on se rend au Tombeau de la Chrétienne ou à Alger par la route du littoral, on pourra s'arrêter à trois kilomètres du village, pour voir, dans le parc de Madame Demonchy, un autre sarcophage sculpté. On l'aperçoit de la route, à gauche, à travers les arbres.

Le sujet représenté est la légende de Pélops et d'Œnomaüs.

Œnomaüs, roi de Pise, en Grèce, avait une tille unique, Hippodamie, d'une merveilleuse beauté. Il ne voulait pas la marier, car il lui avait été prédit qu'il serait tué par son gendre. A tous ceux qui se présentaient, il imposait comme condition de se mesurer avec lui dans une course de chars : il était convenu que, si le prétendant sortait vainqueur de l'épreuve, sa demande serait agréée, mais que, s'il était vaincu, il devrait périr. Le roi exigeait en outre que le jeune homme prît avec lui, sur son char, Hippodamie, afin que, séduit par la beauté de cette princesse, il ne prêtât qu'une attention distraite à la course, dont son sort dépendait pourtant. Grâce à la rapidité de ses chevaux et à l'habileté de son cocher Myrtile, OEnomatis triomphait facilement et perçait son rival de sa lance. Dix-huit prétendants avaient ainsi péri, quand arriva d'Asie Mineure Pélops, fils de Tantale. Il sut se faire aimer d'Hippodamie et tous deux s'entendirent avec Myrtile pour qu'il trahit son maître. Myrtile enleva de l'axe du char les chevilles qui retenaient les roues, si bien qu'au milieu de la course Œnomaus fut précipité à terre et se blessa grièvement : Pélops l'acheva. Celui-ci retourna ensuite avec Hippodamie dans sa patrie, en traversant la mer sur son char; quant à Myrtile, qui réclamait le prix de sa trahison, il se débarrassa de lui en le jetant dans les flots.

C'est le commencement de cette histoire qui se voit sur trois faces de notre sarcophage. Le petit côté de gauche nous montre Pélops arrivant à Pise. Il porte le costume asiatique ; bonnet phrygien, tunique, manteau flottant et pantalon. Son serviteur l'accompagne et paraît faire de tristes réflexions, en voyant accrochées à la porte de la ville les têtes de trois prétendants. Mais voici, sur le devant du sarcophage, l'entrevue d'OEnomaus et de Pélops. Vêtu d'une longue tunique et d'un manteau, tenant un sceptre, assis sur un trône richement sculpté, entouré de gardes, le roi expose ses conditions, au nouveau venu. Puis ce sont les préparatifs de la course. Quatre chevaux sont attelés à chacun des deux chars ; un cavalier les accompagne. 0enomaus et Pélops tiennent déjà les rênes ; on amène au prétendant Hippodamie, qui doit monter sur son char. Sur le petit côté de gauche, un serviteur, peut-être Myrtile, armé d'un bâton, calme l'ardeur des chevaux de son maître. L'histoire est incomplète : la face postérieure, qui est lisse, aurait dû tout au moins nous présenter la chute et la mort d'OEnomaiis.

Des gaucheries et des négligences se remarquent dans les sculptures de ce sarcophage, qui parait appartenir au second siècle de notre ère : les chevaux surtout choquent par leur taille trop petite et leurs mauvaises proportions; les physionomies des personnages sont vulgaires. Mais les scènes sont bien distribuées, et sans trop de surcharge, défaut ordinaire des sarcophages romains. D'une manière générale, l'exécution est bonne : les plis des vêtements sont surtout rendus avec vérité et aisance.