Cherchell sur la côte turquoise algéroise
Cherchel (avec un "l" au moins jusqu'en 1955)
Guide archélogique des environs d'Alger (Cherchel, Tipasa, tombeau de la Chrétienne)
par Stéphane Gsell - 1896

LIVRE 2 : TIPASA
CHAPITRE II
VISITE DES RUINES

Guides Bleus 1955 :« ville de 15.700 hab.,ch.-l.d'une commune mixte de 32.000 hab;,, dans un site pittoresque en bordure de la mer, au revers N. de pentes verdoyantes, contreforts du massif des Beni Menasser.- École municipale d'artisanat.». Suivent un historique, un plan, une visite..
sur site le 10-8-2009
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CHAPITRE II
VISITE DES RUINES

Les ruines de Tipasa comptent parmi les moins mal conservées de l'Algérie. Sauf sur l'emplacement du village moderne et sur quelques espaces livrés à la culture, la direction des rues et le plan des constructions peuvent encore se reconnaître. Cependant, par suite des apports d'un ruisseau qui a plusieurs fois changé de lit, tout le quartier central, où se trouvent les thermes et Pamphithéétre, est aujourd'hui remblayé de plusieurs mètres; d'autre part, la mer, qui est en continuel progrès de ce côté, a, en Minant le littoral rocheux, fait écrouler une parfie des édifices qui la bordaient. On doit ajouter que Tipasa a, comme les ruines de Rusguniœ situées au cap Matifou, servi de carrière sous la domination turque pour les bâtisses qui se faisaient à Alger ou aux alentours.

LES THERMES, - L'AMPHITHÉÂTRE

Le principal édifice de Tipasa à l'époque romaine était un établissement de bains publics. Il se trouvait au coeur mème de la ville (no 1 sur la carte). La disposition des salles, le mode de construction en moellons et en briques rappellent assez les grands thermes de Césarée probablement contemporains (fin du second ou début du troisième siècle). Malheureusement plusieurs pièces ont été récemment transformées en caves, et le reste est très enterré, si bien que ces thermes ne présentent pas grand intérét. Au sud, du côté du village, on voit d'énormes pans de murs délimitant une vaste salle, jadis voûtée, qui devait avoir au moins quinze mètres de hauteur.

En quittant cette ruine et en se dirigeant vers l'ouest, on traverse le parc de M. Trémaux, libéralement ouvert aux visiteurs, et on arrive à l'amphithéâtre, encore plus mal conservé que celui de Cherchel (no 2). Le grand axe mesure environ cent mètres de longueur.

LE CHÂTEAU D'EAU, - L'AQUEDUC

Un monument curieux se trouve à deux cents mètres environ de là, du côté du couchant. C'est une grande fontaine, presque un château d'eau, en forme d'hémicycle (n° 3). L'eau y était amenée par une ramification de l'aqueduc dont nous parlerons tout à l'heure. Elle se répandait d'abord, le long de la muraille drt fond, sur une sorte de plate-forme cimentée, haute d'environ deux mètres, animée par des statues, dont on a retrouvé quelques fragments, et bordée d'un portique de colonnes en marbre bleu. Puis, à travers divers conduits, elle coulait dans des bassins que limitaient en avant des dalles dressées et des piliers, s'élevant à hauteur d'appui. C'était là qu'on venait la puiser, c'était là peut- être aussi que l'on faisait boire les chevaux. Par derrière aboutissait l'aqueduc qui alimentait Tipasa. Il avait son point de départ à neuf kilomètres au sud-ouest, près du confluent de trois rivières qui se réunissent pour former l'oued Nador. Son parcours généralement souterrain, se reconnaît fort bien en divers endroits de la campagne; d'ailleurs la conduite actuelle est en partie l'ancienne conduite romaine. Il entrait dans la ville en traversant la partie inférieure de la tour d'angle du sud-ouest qui, pour cette raison, a été cimentée, et, à quelques mètres de la fontaine, il se bifurquait. D'un côté, une conduite se rendait à cette fontaine, en passant sur une suite de piles encore en place; de l'autre, un canal vertical allait déboucher dans la voûte d'un caveau, aux fortes parois, renforcées par des banquettes intérieures (no 4). Cette pièce, encore bien conservée, était la chambre de distribution de l'eau qui alimentait la ville : des conduites la portaient de là dans les différents quartiers,

LE MAUSOLÉE PYRAMIDAL, - L'ÉGLISE BYZANTINE

A l'est, à une trentaine de pas, se trouve un petit mausolée carré, dont des pilastres cannelés ornent les angles (n. 5). Les murs intérieurs sont percés de niches, dans lesquelles étaient autrefois placées les urnes qui contenaient les cendres des morts. Ce mausolée était surmonté d'une pyramide massive à base octogonale, qui gît à côté, presque intacte. Le monument complet avait une dizaine de mètres de hauteur. On sait que c'était chez les Romains une règle très stricte de ne pas souffrir de tombeaux à rifitériettr de leurs villes. Il faut donc admettre qnn le Mausolée dont nous parlons est antérieur à l'agrandissement de Tipasa : il date du temps où elle ne couvrait encore que la colline centrale, probablement du premier siècle deo notre ère.

Dirigeons-nous maintenant vers la route départementale qui passe à quelques mètres au sud. En chemin, nous rencontrons un grand mur qui se détache pittoresquement sur le ciel (n° 6). Percé d'une large baie que fermait jadis une grille, il faisait partie d'un édifice public de vastes dirriensierts, dont le plan n'est plus reconnaissable, Escaladons sans scrupule un mur de clôture; traversons la rente et allons jeter un coup d'oeil sur les restes d'une petite église chrétienne, datant probablement de l'époque byzantine (no 7). Elle était, selon l'usage, de forme rectangulaire et avait son entrée à l'ouest. On distingue encore quelques bases des deux colonnades qui séparaient la nef des bas-côtés ; deux fûts ont été redressés et quelques chapiteaux gisent à côté : ils sont ornés de grosses volutes et ressemblent assez aux chapiteaux de certaines de nos plus anciennes églises romanes. Au fond de la nef, à l'est, une pièce, en forme de demi-cercle, et ne communiquant avec l'église que par une ouverture assez étroite, est aujourd'hui envahie par des acanthes : c'était l'abside où se tenait le clergé pendant les offices.

LE THÉÂTRE

Après avoir franchi de nouveau la route, on peut aller au théâtre, qui est en fort mauvais état (no 8). Il ne reste que quelques pierres de la scène. Quant à la partie réservée aux spectateurs, elle est couverte de broussailles; les gradins, encore presque intacts il y a cinquante ans, ont servi à la construction de l'hôpital du village de Marengo. La salle était assez petite : elle pouvait contenir tout au plus deux mille spectateurs.

LA PORTE DE CÉSARÉE, - LE REMPART

A quelques mètres de là, à l'intersection de la route de Cherchel et du sentier qui passe devant la fontaine, se voient les débris d'une grosse tour ronde, qui avait trente mètres de circonférence (no 9). De l'autre côté de la route, on remarque la base d'une autre tour symétrique et de même grosseur. Là se trouvait une des portes de la ville antique. La voie romaine conduisant à Césarée passait entre les deux tours, qui faisaient partie de l'enceinte. Cette enceinte, dont on pourra suivre une section en remontant dans la direction de la mer, vers la grande église (no 10), est facilement reconnaissable tout autour de Tipasa.

Construit en moellons noyés dans un ciment très dur, le rempart mesure 1m60 de largeur, et sa hauteur - il n'en reste aujourd'hui que le bas - devait être de sept à neuf mètres. Il était sans doute couronné par un chemin de ronde, bordé de créneaux. Des bastions rectangulaires se dressaient à des distances variables, voisins les uns des autres sur les points les plus exposés, plus espacés ailleurs. Ils avaient de 5m50 à sept mètres de front et l'on peut calculer qu'ils étaient élevés d'environ quinze mètres. On accédait aux parties supérieures par des escaliers appliqués contre les bastions et le long du mur d'enceinte. Les deux extrémités du rempart, les angles qu'il formait en divers endroits, les abords des portes étaient défendus par des tours rondes, semblables à celles que nous venons de rencontrer. Les portes paraissent avoir été peu nombreuses; on n'en peut compter actuellement que trois : à l'ouest, celle de Césarée; au sud, celle par laquelle sortait la route se dirigeant vers Hammam Righa; enfin, à l'est, celle qui livrait passage aux deux routes d'Icosium (Alger) et de Mouzaïaville. Ce rempart, qui brava Firmus, fut élevé vraisemblablement au second siècle, vers la même époque que celui de Césarée, bàti de la même manière. Quant à sa destruction, elle n'a pas été seulement l'oeuvre du temps. A divers endroits, il est visible que l'on a entaillé des deux côtés le mur près de sa base, puis qu'à l'aide de puissants leviers, on l'a culbuté en avant. Il faut probablement reconnaître là l'oeuvre des Vandales : leur roi Genséric fit démanteler les murailles de presque toutes les villes d'Afrique, pour empêcher ses sujets de se révolter et les Romains de trouver des places fortifiées dans le cas où ils viendraient lui faire la guerre.

LA GRANDE ÉGLISE

Le sommet de la colline de l'ouest est occupé par un intéressant ensemble de ruines (no 10). Là se trouvait la principale église ou basilique chrétienne de Tipasa, construite, autant qu'il semble, au quatrième siècle. La colline en a gardé le nom : les Arabes l'appellent en effet Ras el Knissa, qui veut dire le cap de l'église. Des fouilles, malheureusement inachevées, y ont été faites récemment et permettent de reconnaître le plan général, que nous donnons ici ; les murs ne s'élèvent pourtant pas beaucoup au-dessus du niveau du sol.

- L'édifice mesurait 52 mètres de long sur 45 de large. Comme de coutume, son entrée s'ouvrait à l'ouest : elle était toute voisine du rempart, que renforçait près de là un bastion rectangulaire, et qui, un peu plus au nord, se terminait par une tour ronde.

L'intérieur de l'église était divisé en sept nefs séparées par des piliers carrés : ils sont presque tous détruits, sauf trois d'entre eux, que surmontent encore deux arcades. Suivant un usage très fréquent dans les basiliques d'Afrique, comme dans celles d'Orient, la nef centrale, large de I 3m50, est entièrement décorée d'une mosaïque, qui couvre prés de sept cents mètres carrés de superficie; les motifs représentés sont des ornements qui se répètent à l'infini : lignes de petits triangles enfermés entre des filets, carrés remplis par des tresses. Cette mosaïque semble avoir été faite à la hale et avec peu de soin : aussi est-elle fort endommagée. L'autel devait etre placé vers le fond de la nef centrale ; on n'en a retrouvé aucun vestige, ce qui ne doit pas étonner, car il était sans doute en bois, comme la plupart des autels chrétiens d'Afrique : il aura été détruit par le temps ou par quelque incendie. En arrière, s'ouvrait l'abside, dont la paroi, en demi-cercle, s'est presque tout entière écroulée dans la mer. L'entrée, qui a été plus tard rétrécie par un mur transversal, était primitivement flanquée de deux grandes colonnes : la base de celle de gauche est encore en place. Les autres nefs, dont le sol est recouvert d'une couche de béton, sont étroites : elles mesurent 3,.75 à quatre mètres de largeur. Les rangées de piliers et d'arceaux, de hauteurs décroissantes dans la direction des murs latéraux, soutenaient des toits inclinés, en charpente et en tuiles. Quant à la nef du milieu, les deux rangées qui la limitaient étaient surmontées de murs, percés de larges fenêtres et supportant les extrémités des poutres d'un toit en dos d'aile (Comparer, pour ces dispositions, la vignette donnée plus loin, qui représente l'intérieur restauré de la basilique de sainte Salsa.). Mais cet espace central était trop large, et ce fut peut-être autant pour diminuer la portée de la toiture que pour embellir l'église qu'on le divisa plus tard en trois galeries séparées par de hautes colonnades : la basilique eut dès lors neuf nefs. Les colonnes, en pierre ou en granit, avec des chapiteaux à volutes ou à feuilles d'acanthe, furent en partie empruntées à des monuments d'époque antérieure et on les posa simplement sur la mosaïque.

Plan de la grande basilique de Tipasa
Plan de la grande basilique de Tipasa

Au nord de cette église, s'élevaient des bâtiments qui en dépendaient, mais les progrès de la mer, rongeant le roc, les ont fait en partie disparaître. On remarque d'abord une petite chapelle, A, avec une seule nef et une abside à l'ouest : une mosaïque, assez mal conservée et aujourd'hui recouverte de terre, y représente des agneaux paissant parmi des asphodèles : symbole des chrétiens vivant en paix sous la loi du Christ, qui s'était comparé lui-même à un bon pasteur. Puis vient le baptistère, B. C'est une salle carrée, pavée aussi d'une mosaïque consistant en ornements divers; au centre se trouvent les fonts, bassin rond de 3m40 de diamètre avec trois degrés à l'intérieur. On sait que, dans les premiers temps du christianisme, on ne se contentait pas de répandre de l'eau sur le front des néophytes : dépouillés de tous leurs vêtements, ils devaient entrer dans la piscine, où ils se tenaient debout. L'évêque prenait un peu d'eau et la leur versait sur la tête, un prêtre leur faisait au front une onction avec de l'huile sainte ; ensuite, ils sortaient des fonts et revêtaient des habits blancs. Ces cérémonies s'accomplissaient la veille de Pâques ou de la Pentecôte.

- Dans notre piscine, on voit le trou par lequel l'eau s'écoulait vers la mer, mais il n'y a aucune trace de conduit servant à l'introduire : il est vraisemblable qu'elle était amenée au sommet de la salle par un ou plusieurs tuyaux et se répandait en pluie dans le bassin.

On entrait dans le baptistère par un vestibule, C, dont le pavement de mosaïque porte une inscription en vers : elle recommande à ceux qui veulent acquérir la vraie science de la vie de venir se laver ici dans l'eau du baptême, don céleste. Ce vestibule donnait sur une sorte de couloir, D, qu'une abside, presque entièrement détruite, fermait au nord. C'était peut-être là que les néophytes se dépouillaient de leurs vêtements. Une mosaïque, d'un assez joli travail, y représente des oiseaux, coq, canard, perdrix, flamant, entourés de branches, de poires, d'oranges et de grenades. Des salles E et F, il ne subsiste presque rien. Quant aux chambres G, II, I, communiquant entre elles, elles pouvaient être chauffées ; leur dallage, formé de grandes tuiles carrées, était supporté par de nombreuses petites piles en briques et, dans les sous-sols ainsi formés, la vapeur d'eau se répandait ( Sur ce mode de chauffage, voir plus haut, p. 45-46. ). Au fond de la chambre I, il y avait une baignoire qui servait sans doute aux néophytes, car ils devaient présenter au baptême un corps pur de toute souillure. C'était peut-être dans les espaces J, K, L, bas et voûtés, qu'on préparait la vapeur d'eau nécessaire au chauffage des salles précédentes. Enfin, il y avait dans le voisinage deux citernes, M et N; la margelle de celle-ci a la forme d'une base de colonne évidée.

LE CIMETIÈRE CHRÉTIEN DE L'OUEST

En franchissant le rempart, nous nous trouverons aussitôt au milieu d'un cimetière.

Après l'agrandissement de la ville, les sépultures païennes furent en général disposées de chaque côté des routes qui sortaient de Tipasa, comme c'était l'usage chez les Romains. On n'en a pas encore découvert beaucoup, car les terrains qu'elles occupaient sont aujourd'hui très remblayés et en partie couverts de cultures (Au delà de l'ancienne porte de Césarée, sur la droite de la route départementale et de chaque côté d'un ruisseau, on remarque les restes de plusieurs colombaires.). Ces- tombes par leurs formes et leur mobilier funéraire sont semblables à celles de Cherchel, dont nous avons dit quelques mots.

Quant aux sépultures chrétiennes, elles se trouvent presque toutes dans deux vastes cimetières, à l'ouest et à l'est de Tipasa, en dehors du rempart, sur des collines qui dominent la mer et d'où la vue embrasse de charmants paysages. Vieilles d'environ quinze siècles, meurtries par le temps et les hommes, foulées par les troupeaux, encadrées de sauvages broussailles, ces milliers de tombes laissent à l'esprit une impression profonde. Elles sont en général disposées de telle manière que la tête du mort se trouve à l'ouest, regardant le soleil levant, et, comme les tombes chrétiennes de Cherchel, elles ne contiennent jamais aucun mobilier.

Beaucoup d'entre elles ont été creusées dans le roc. Les plus simples sont des fosses, de forme rectangulaire, ou arrondies du côté de la tête: elles présentent souvent une feuillure, pour recevoir la dalle qui les couvrait. Les caveaux sont nombreux aussi. On y pénètre soit par une petite ouverture horizontale, placée à fleur de terre, soit par une porte verticale; ces entrées étaient jadis défendues par des dalles. A l'intérieur, un ou plusieurs morts ont été déposés sur le sol même (probablement dans un cercueil de bois qui a disparu), ou bien dans des fosses. Tout près du rempart, on peut, si l'on a le pied sur, aller visiter plusieurs de ces grottes funéraires, voisines les unes des autres : elles sont placées le long d'un étroit sentier qui domine la mer d'une cinquantaine de mètres (no 11). A l'intérieur de la plus grande, de larges niches en forme d'arcades, disposées à droite, à gauche et au fond, surmontent des fosses creusées dans des banquettes qui ont été ménagées dans le roc à cet effet. Trois autres tombes y ont été faites plus tard : l'une d'elles a été pratiquée dans le sol, immédiatement derrière la porte ; les deux autres sont en partie maçonnées, en partie creusées sous la banquette du fond. Ce caveau était décoré de peintures qui, par malheur, sont détruites à peu près complètement. Au plafond, on distingue des restes de tiges vertes; dans le fond de la niche de droite, deux personnages vêtus de manteaux rouges et une bête dont l'espèce n'est pas reconnaissable; au-dessus de la porte, un animal qui se dirige à droite en galopant. Ces peintures rappellent celles dont les chrétiens de Rome aimaient à orner, dans les catacombes, les tombes de leurs morts.

Les cuves rectangulaires, en pierre calcaire, simplement déposées à la surface du sol et jadis protégées par un couvercle, qui a généralement disparu, sont bien plus nombreuses encore que les tombes percées dans le roc. Quelques-unes d'entre elles sont doubles et pouvaient recevoir deux corps. Des cuves semblables avaient été couvertes par un massif demi-cylindrique en maçonnerie, - c'est une forme de tombe que les Phéniciens semblent avoir importée en Afrique, où elle s'est maintenue jusqu'à une très basse époque ; - le devant de ce caisson était parfois orné d'un revêtement en mosaïque, portant le nom du mort.

On rencontre moins fréquemment des mausolées, monuments plus coûteux, qui convenaient aux riches. D'ordinaire carrés ou rectangulaires et de dimensions très variables (2m50 à 13 mètres de côté), ils étaient surmontés d'une voûte en berceau ou d'une toiture de tuiles, et contenaient plusieurs cercueils en pierre, semblables à ceux dont nous venons de parler, plus rarement quelque sarcophage en marbre, orné de bas-reliefs. Certains de ces mausolées offraient des dispositions particulières. L'un d'eux, situé dans le cimetière occidental, à une soixantaine de mètres du rempart, a été fouillé récemment par M. l'abbé Grandidier, curé de Tipasa (no 12). De forme ronde, il mesure dix-huit mètres de diamètre. Des colonnes engagées dans la maçonnerie en ornaient le pourtour extérieur. L'entrée regardait la mer. Au dedans, il présentait quatorze grandes niches à arcades, occupant tout le pourtour du monument, et dont chacune abritait un cercueil. Plus tard, la partie centrale fut envahie par d'autres tombes semblables.

L'ÉGLISE DE L'ÉVÊQUE ALEXANDRE

L'édifice le plus important de ce cimetière a été découvert en 1892 par l'abbé Saint-Gérand. Il se trouve à environ cent cinquante pas de ce mausolée (no 13). C'est une construction en. moellons, d'une forme assez irrégulière, qui a été déterminée par l'existence de salles voisines, d'époque antérieure. Le plan présente à peu près l'aspect d'un trapèze, dont le plus grand côté mesure vingt-trois mètres. Cette chapelle, dans laquelle on entrait par de petites portes ouvertes sur les flancs , est divisée, dans le sens de la longueur, en trois nefs, séparées par deux rangées de piliers. A l'est, au fond de la nef centrale, qui est entièrement pavée en mosaïque, se trouve une sorte d'estrade à laquelle on accède par deux petits escaliers latéraux. Elle est constituée par neuf tombeaux en pierre, alignés, et elle supportait un autel, aujourd'hui détruit. Qu'étaient ces tombeaux? L'inscription commémorative, tracée sur la mosaïque de la nef, au bas de l'estrade ( Elle est actuellement recouverte de terre, comme l'épitaphe d'Alexandre, dont il sera question tout à l'heure), va nous le dire. Elle est en vers (avec de maladroites imitations de Virgile), amphigourique et très prétentieuse :
""
Ce brillant édifice que l'on admire, ces toits aux faîtes éclatants, ce saint autel que vous voyez ici ne sont pas l'oeuvre des grands de la terre, mais celle de l'évêque Alexandre, dont ce travail glorieux fera vivre le nom triomphant à travers les siècles. La renommée fait connaître à tous son noble ouvrage. C'est qu'il a placé dans cette belle demeure les justes du temps passé, qu'un long oubli avait soustraits aux regards. Maintenant, ils brillent au grand jour, reposant sous un bel autel, et ils se réjouissent de voir fleurir leurs couronnes unies. Voilà ce qu'a conçu, ce qu'a a exécuté leur noble gardien. De tous côtés, pressée du désir de voir, la foule des chrétiens accourt; heureux de toucher de leurs pieds les seuils sacrés, et chantant des cantiques, ils viennent tendre leurs. mains pour recevoir la communion.

Ces tombeaux sont donc ceux des " justes du temps passé ", probablement des premiers évêques de Tipasa, dont les corps furent réunis par leur successeur Alexandre, et en l'honneur desquels il fit construire l'église que nous visitons, vers la fin du quatrième siècle.

Une abside se voit à l'autre extrémité de la nef centrale, au couchant. Mais la disposition des pierres prouve qu'elle n'existait pas dans le plan primitif de la chapelle. En avant, la mosaïque présente sept rangées de poissons, puis l'épitaphe d'Alexandre, enseveli à cet endroit. Dans le même style ampoulé que l'inscription voisine, elle vante les vertus de ce saint évêque, fidèle toute sa vie à l'égliSe catholique, observateur de la chasteté, ami des pauvres, adonné tout entier aux oeuvres de charité, et dont les enseignements ont su rendre florissante l'innombrable population de Tipasa. " Son àme est dans le séjour de délices, son corps repose ici en paix, attendant la résurrection des morts, afin d'être associé aux saints dans la possession du royaume céleste. "

C'était pour les premiers chrétiens un grand privilège d'être enterrés auprès des saints, des personnages vénérés : on croyait que, par la vertu de ce voisinage, leurs corps ressusciteraient plus vite au jour du jugement dernier. Aussi la petite église contient-elle de nombreuses tombes : la nef de droite en est encombrée ; d'autres ont été placées entre les piliers, et, selon une coutume que l'on retrouve souvent en Afrique, leur couvercle a reçu un placage en mosaïque, avec le nom et l'éloge du mort. A un vieillard, on décerne cette belle louange : " Même après sa mort, il vit par ses bienfaits ; on dit d'une jeune femme, Astania, qu'elle était " très illustre par ses grands ancêtres ".

LA COLLINE CENTRALE

Quittons cet intéressant cimetière de la colline de l'ouest et revenons à l'intérieur de la ville, en suivant la côte. Nous arriverons ainsi à la colline centrale, aujourd'hui couronnée par un phare. C'était en ce lieu, nous l'avons dit, que Tipasa se trouvait resserrée aux premiers temps de son existence. Les maisons, disposées le long de rues droites et bien dallées, y sont plus nombreuses que partout ailleurs. On y reconnaît aussi des puits et, de grandes citernes bien conservées. Un écrivain ancien (celui qui écrivit la vie de sainte Salsa, dont nous parlerons tout à l'heure) nous apprend que sur cette colline, dont il donne une description très exacte, s'élevaient aussi un grand nombre de sanctuaires païens et que, pour cette raison, on l'appelait le quartier des temples. La végétation y est si touffue qu'on ne saurait reconnaître la place de ces édifices ; d'ailleurs, ils ont pu être emportés par les flots ou recouverts par des constructions postérieures. On a cependant trouvé, au point désigné sur la carte par le n° 14, des fragments d'architecture, colonnes, bases, corniches, fausse porte, d'un bon travail et qui ont dû appartenir à quelque temple important, construit peut-être au premier siècle de notre ère.

LA PARTIE ORIENTALE DE LA VILLE

En redescendant par le chemin du phare, nous gagnons le port actuel. Près de là, on remarque un curieux monument (no 15), aujourd'hui baigné par la mer qui, comme on le sait, a fait d'assez grands progrès sur ce rivage. De forme rectangulaire, haut d'environ 3m50, creux à l'intérieur, il n'a pas été construit en matériaux apportés à cet endroit, mais on l'a ménagé dans le roc, dont, tout autour, le niveau a été très abaissé et aplani, par suite de l'exploitation de carrières. Ce monument avait un couvercle en pierres de taille qui s'est en partie conservé ; l'action des vagues a miné sa base, si bien qu'il est aujourd'hui très incliné. C'était peut-être un mausolée, antérieur à l'agrandissement de la ville, comme celui que nous avons rencontré à côté de la fontaine ( Voir plus haut, p. 106.). - Poursuivons notre route le long de la mer, dans la direction de l'est. En chemin, nous rencontrerons un petit cimetière romain, remontant aussi aux premiers temps de l'empire, et qui, englobé plus tard dans la nouvelle enceinte, fut recouvert par des habitations (no 16). Un certain nombre de tombes ont été fouillées; elles présentaient le mobilier funéraire usuel. Ce sont soit des fosses où étaient couchés des squelettes, soit des trous qui contenaient des urnes enfermant des cendres humaines.

LA BASILIQUE DE SAINTE SALSA

Basilique de Sainte salsa à Tipasa
Basilique de Sainte salsa à Tipasa



On franchit ensuite le rempart et on entre dans le grand cimetière chrétien de l'est. Il est inutile d'en décrire les sépultures, qui ressemblent à celles que nous avons vues de l'autre côté de la ville. Mais on devra y visiter un édifice important par les souvenirs historiques qui s'y rattachent : la basilique de sainte Salsa (no 17).

Un savant jésuite a retrouvé, il y a quelques années, dans deux manuscrits de la Bibliothèque Nationale, à Paris, un écrit dû à un Tipasien qui vivait vers le début du cinquième siècle de notre ère. Il y raconte la mort glorieuse d'une sainte locale, Salsa, dont le nom se retrouve dans des listes de martyrs africains. Bien que les parents de Salsa fussent restés attachés aux pratiques du paganisme, elle avait reçu le baptême et, quoiqu'elle fût àgée de quatorze ans à peine, elle était animée d'une foi enthousiaste. Il n'y avait encore qu'un petit nombre de chrétiens à Tipasa ; cependant les persécutions avaient cessé. Les cultes païens n'étaient plus célébrés officiellement; sur la colline des temples, les sanctuaires des dieux et des empereurs divinisés tombaient en ruines. On n'y adorait plus qu'un dragon de bronze à tète dorée. - Ces indications nous reportent vers l'époque où régnait Constantin le Grand, au premier tiers du quatrième siècle (aucune date précise n'est donnée par notre auteur).

Un jour les parents de Salsa l'emmenèrent contre son gré à une fête qui se célébrait sur la colline. La jeune fille fut prise d'indignation en voyant les sacrifices, les réjouissances impures, les danses,les contorsions fanatiques des idolâtres; mais le sermon qu'elle leur fit excita leur risée. La fête terminée, tous ces gens, ivres, s'endormirent; Salsa en profita aussitôt pour saisir la tête du dragon et la précipiter dans la mer, sans être vue de personne.

Peu de temps après, elle revint au sanctuaire, avec l'intention de jeter cette fois dans les flots le corps même de l'idole. Elle y réussit, mais la statue de bronze fit en tombant un tel fracas que les gardiens accoururent. La populace s'empara de la jeune fille. Lapidée, percée de coups d'épée, piétinée, mise en pièces, elle fut enfin jetée à la mer, car ses meurtriers voulaient qu'elle reslàt sans sépulture.

La mer reçut le corps comme dans un berceau ; elle ne l'accrocha pas aux roches, elle ne l'ensevelit pas au milieu des algues profondes, mais, le caressant doucement de ses vagues, elle le porta jusque dans le port. Presque à ce moment, un certain Saturninus, venant de Gaule, y jetait l'ancre par un temps calme. Mais voilà que soudain une tempête violente s'élève et fait courir au vaisseau les plus grands dangers. Dans son sommeil, Saturninus reçoit l'ordre de recueillir le corps de la martyre, qui se trouve sous son navire : sinon il périra. Une fois réveillé, il crut à un songe menteur et ne tint aucun compte de cet avertissement. Le lendemain et le jour suivant, la tempête redoubla : les gens de l'équipage avaient perdu tout espoir de sauver le vaisseau et ne souhaitaient plus que leur propre salut. Saturninus reçut un second avertissement, puis un troisième. Il se décida enfin à obéir et
plongea dans la mer. Aussitôt sa main, guidée par Dieu, toucha la ceinture de la martyre : il prit dans ses bras le corps et reparut à la surface, " rapportant d u sein des flots cette précieuse perle du Christ." Dès que l'air revit le corps sacré, la mer s'apaisa et les vents tombèrent. Saturninus et ses compagnons, rendant grâces à Dieu, portèrent sur la côte la dépouille de Salsa, qui fut ensevelie dans une humble chapelle, au-dessus même du port.

L'auteur ajoute que le rebelle Firmus, n'étant pas parvenu, après plusieurs jours d'efforts, à ouvrir une brèche dans les remparts de Tipasa qu'il assiégeait, entra dans le sanctuaire de sainte Salsa, situé en dehors des murs. Il implora la protection de la martyre, mais ses prières furent repoussées, le pain et le vin qu'il offrit à l'autel tombèrent à terre, les cierges qu'il alluma s'éteignirent. Furieux, il frappa de sa lance le tombeau de Salsa. Dans le vestibule même, il tomba de cheval ; ce jour-là et dans la nuit qui suivit, son armée fut vaincue et mise en déroute : lui-même dut lever le siège et, peu de temps après, il périt, victime de son impiété.

Quand les lois impériales eurent aboli le paganisme, le sanctuaire du dragon, sur la colline des temples, fut occupé par les Juifs qui en firent une synagogue. Mais bientôt l'Église prit possession de ce lieu, sanctifié par la mort de Salsa, et elle y fit bâtir une basilique, placée sous son vocable. - Cet édifice n'a pas été retrouvé et il est possible qu'il se soit écroulé dans la mer.
Comme nous l'avons fait remarquer à propos de sainte Martienne, l'acte accompli par la jeune Salsa était contraire à la discipline chrétienne. Elle n'en reçut pas moins le titre de martyre, et les habitants de Tipasa la vénérèrent comme la patronne de leur cité. Plusieurs générations s'appliquèrent à agrandir, à embellir la basilique qui fut construite au-dessus de sa tombe.

L'auteur du touchant récit qui vient d'être résumé nous apprend qu'elle s'élevait au-dessus du port et hors de la ville. L'indication est très exacte. C'est en effet à trois cents mètres environ au delà du rempart que se dresse cette ruine respectable. Nous en donnons ci-joint le plan.

L'édifice a été construit par-dessus un petit cimetière païen, dont on a retrouvé. plusieurs tombes, enfouies dans ses fondations. L'une d'elles pourtant, conservée religieusement, a été longtemps comme le centre de cette basilique (A sur notre plan). Elle consiste en un cercueil en pierre dont on a trouvé le couvercle brisé et l'intérieur vide, car il avait été violé ; en avant, était placé un bloc taillé en forme de caisson demi-cylindrique, sur lequel se lit le nom de la morte qui reposait dans ce cercueil. C'était une païenne, riche et vénérable matrone de soixante- trois ans, appelée Fabia Salsa : ses fils, filles et petits-enfants lui avaient élevé ce monument en reconnaissance de l'éducation qu'ils avaient reçue d'elle, et aussi, ajoutent-ils, de la fortune qu'elle leur avait laissée. Fabia Salsa était certainement de la même famille que la jeune sainte : l'apparition en ce lieu du nom de Salsa, si rare qu'on ne t'a rencontré nulle part ailleurs, le prouve assez. Ainsi la martyre fut ensevelie dans le lieu 41e sépulture des siens, qui semblent avoir tenu un rang assez distingué à Tipasa. C'est sans doute à cause de cette parenté que le monument de Fabia Salsa, malgré son caractère païen, resta intact et bien en évidence au milieu de la nef de la basilique.


Coupe de la façade
Coupe de la façade

Le sanctuaire, bâti en belles pierres de taille, était d'abord carré et ne mesurait que quinze mètres de côté : c'est là probablement l'humble chapelle dont parle l'écrivain. L'entrée principale, comme dans les églises de la ville que nous avons décrites, regardait l'occident. En outre, une petite porte s'ouvrait sur le côté gauche. A l'intérieur, deux rangées de piliers, surmontés d'arceaux, séparaient les deux bas-côtés de la nef centrale, qui se prolongeait au fond par une abside, en forme d'hémicycle, réservée au clergé. Sur les flancs des piliers les plus rapprochés de l'abside, ont été pratiqués à des hauteurs assez variables des trous carrés où entraient jadis des barres, auxquelles on attachait sans doute des rideaux. D'autres trous plus petits, percés plus bas dans les mêmes piliers, peuvent faire croire à l'existence d'une grille entre la nef et les bas-côtés.

Au cinquième siècle, toute cette nef, sauf l'espace occupé par la tombe de Fabia Salsa, a été recouverte d'une mosaïque aux brillantes couleurs, aux dessins variés, tresses, zigzags, losanges, rangées d'écailles, etc. Elle est très endommagée, ce qui tient à sa mauvaise fabrication et aussi aux remaniements qu'a subis plus tard cette partie de l'église. Après l'avoir découverte en 1891, on eut la précaution de la recouvrir, mais, depuis, la terre qui la préservait a été enlevée par les visiteurs et, si des mesures préservatrices ne sont pas prises promptement, elle sera bientôt entièrement perdue (Cette observation peut s'appliquer aux mosaïques de l'église d'Alexandre et à celles du baptistère.). Entre la tombe de Fabia Salsa et l'abside, sur le côté gauche de la nef, un cadre a été ménagé dans la mosaïque (B, sur le plan). On y lit une inscription en mauvais vers, qui donne le nom de la martyre : u Ces dons que vous voyez, au lieu où brille le saint autel, sont dus aux soins, sont l'oeuvre de Potentius, qui se réjouit d'accomplir la tache qui lui a été confiée. C'est ici que repose la martyre Salsa, toujours plus douce que le nectar ( Il y a là un jeu de mots, fort piteux, qu'il n'est pas possible de traduire. Le nom de Salsa, qui veut dire salée, y est opposé à la douceur du nectar. De semblables calembours ne sont pas rares chez les plus graves écrivains ecclésiastiques, chez saint Augustin par exemple.), qui a mérité d'habiter toujours au ciel, en pleine béatitude. Heureuse d'accorder au pieux Potentius une faveur qui puisse le récompenser de sa peine, elle rendra " témoignage de son mérite dans le royaume des cieux. " On connaît un évêque appelé Potentius qui, vers 446, fut chargé par le pape Léon le Grand de faire une enquête au sujet d'irrégularités commises, en Maurétanie Césarienne, dans des élections épiscopales. C'est peut-être le même
personnage qui est nommé ici. Le style de cette mosaïque permet de la dater du milieu du cinquième siècle, et cette époque paraît bien convenir aux travaux d'embellisement mentionnésdans l'inscription. Venus d'Espagne en 429, les Vandales avaient ravagé l'Afrique, et les édifices chrétiens avaient été surtout atteints par les dévastations de ces hérétiques. Mais, par un traité conclu en 442, leur roi Genséric rendit à l'empereur les Maurétanies, qui eurent alors quelques années de répit et purent réparer leurs ruines. Cette tranquillité dura peu : en 455, Genséric s'empara de toute l'Afrique romaine.

Ce fut, il y a quelque vraisemblance à l'admettre, pendant ce court intervalle que Potentius fit exécuter dans le sanctuaire de sainte Salsa les travaux dont il s'agit : il était peut-être évêque de Tipasa.

Où se trouvaient, au quatrième et au cinquième siècles, le tombeau de Salsa et l'autel, sans doute placé auprès ou au-dessus de ce tombeau ? Il est difficile de le dire. On pourrait se demander si le corps de la martyre, recueilli, par Saturninus et ses compagnons, ne fut pas déposé dans le cercueil de Fabia Salsa : ce serait la meilleure explication à donner de la vénération profonde témoignée par les chrétiens de Tipasa à cette sépulture païenne, ainsi que de la place occupée par l'inscription commémorative, qui a été tracée juste derrière elle. Cependant si Salsa avait été ensevelie dans la tombe d'une de ses parentes et y avait reposé encore au temps où vécut l'écrivain qui célébra ses louanges, il y a tout lieu de croire que celui-ci l'aurait dit. Il est plus probable que le tombeau de la sainte était dans l'abside, dont l'intérieur est aujourd'hui détruit. Par-dessus, aurait été placé un autel, sans doute en bois, abrité peut- être par une sorte de dais, qu'auraient supporté quatre colonnes de marbre dont on a retrouvé çà et là des fragments.

Plus tard, l'église subit d'importantes modifications..Une partie de la mosaïque et la tombe de Fabia Salsa (placée, comme on le sait, vers le milieu de la nef) furent cachées sous un grand socle en maçonnerie (lettre C du plan), construit à la hâte et avec des matériaux disparates, mais revêtu extérieurement de plaques de marbre dont. quelques-unes, celles des angles, étaient ornées. de rameaux sculptés (La plus grande partie de ce socle a dû être' détruite pour examiner le tombeau de Fabia Salsa qu'il dissimulait.). On entoura ce socle d'une grille, dont les piliers en pierre sont encore visibles, et, par devant, on plaça une balustrade, en pierre aussi, avec des dessins ajourés reproduisant divers ornements, entre autres une croix sur laquelle est posée une colombe. Sur le socle même, fut dressé un grand sarcophage en marbre, fabriqué au troisième siècle. Il représente une aventure galante de la mythologie grecque : la déesse Séléné (la Lune), descendue du ciel sur son char pour venir rendre une visite nocturne au beau pâtre Endymion, dont elle s'était éprise. Les chrétiens pressés avaient mis la main sur ce sarcophage, sans s'inquiéter de l'indécence du sujet ; ils n'avaient voulu y voir qu'une belle oeuvre du temps passé, propre à orner leur église : à cette époque de profonde décadence artistique, on ne se sentait plus capable de faire aussi bien. La place d'honneur que le sarcophage occupait au milieu du sanctuaire, la sauvagerie incroyable avec laquelle il fut brisé plus tard, par les musulmans probablement, et réduit en petits morceaux (On en a retrouvé plus de trois cents qui sont loin de suffire à le reconstituer tout, entier.), doivent faire croire qu'il a enfermé des restes très vénérés, sans aucun doute ceux de la sainte à laquelle l'église était dédiée. Il y a donc eu, lors de la construction du socle, une translation du corps de Salsa. Or les premiers chrétiens éprouvaient une grande répugnance à déplacer les restes de leurs martyrs; ils ne s'y décidaient que pour des motifs très sérieux. On peut se demander si, lors de leur fuite en Espagne sous le roi vandale Hunéric, les Tipasiens n'emportèrent pas avec eux les ossements de leur patronne, dont la protection, en ce temps d'épreuves, leur paraissait plus que jamais nécessaire..

Ils répandirent en tout cas son culte dans la Péninsule hispanique, car on le célébrait encore à Tolède au septième siècle, et les deux manuscrits qui nous ont conservé le récit du martyre de Salsa ont été écrits en Espagne. Mais, rentrés chez eux après la persécution, ils rapportèrent peut-être ces reliques et les déposèrent dans le sarcophage dont les débris ont été recueillis.
En même temps qu'on construisait le socle, on agrandissait l'ancienne église, qui eut désormais trente mètres de longueur. Au-dessus des bas-côtés, on éleva des tribunes auxquelles conduisirent deux petits escaliers, placés de chaque côté de la porte d'entrée et en partie conservés. Ces galeries supérieures furent bordées du côté de la nef par des colonnes basses et massives, portant des chapiteaux grossiers, à larges volutes. La nef, plus élevée que les tribunes, était éclairée en haut par des fenêtres, munies de chàssis en pierre. La hauteur de l'édifice devait dépasser dix mètres. On peut, par les dessins que nous donnons ici ( D'après l'habile architecte algérien, M. Gavault, dont nous regrettons la perte récente.), se rendre compte de l'aspect que présentaient la façade et l'intérieur. Par devant, se voient les restes d'un porche, dont le toit incliné s'appuyait sur six piliers et que bordait une balustrade formée de dalles ajourées. Deux portes (lettres D et E) s'ouvraient sur les côtés latéraux de l'église. Celle du nord est encore bien conservée; au-dessus d'elle, à droite et à gauche, ont été ménagées de petites lucarnes qui éclairaient les bas-côtés. - Tous ces travaux paraissent dater de la première moitié du sixième siècle. Peut-être ont-ils été faits sous le règne du souverain vandale Hildéric, qui, adoptant une politique nouvelle, rendit la paix aux catholiques de ses États, en 523. Le culte fut alors rétabli partout, les basiliques tombées en ruines se relevèrent et d'autres furent construites.

Nous avons dit, en décrivant la chapelle de l'évêque Alexandre, que c'était un honneur d'être enseveli auprès des martyrs. Aussi les tombes chrétiennes sont-elles nombreuses dans la basilique de sainte Salsa. Elles abondent surtout dans le bas-côté de gauche, mais on en rencontre à peu près partout, même sous le porche. Deux d'entre elles étaient des amphores, dans lesquelles reposaient des enfants (Sur ce genre de sépulture, voir plus haut, p. 65); presque toutes les autres, des auges rectangulaires en pierre. Celle qui a été creusée à côté du socle, à droite (F), a très probablement contenu les restes d'un personnage important. Quelques- unes sont recouvertes d'un dallage en mosaïque où se lit, au milieu d'un cadre richement orné, le nom du mort, d'ordinaire accompagné de la mention : " Il s'est retiré en paix. "

A une très basse époque, sans doute au temps de la domination byzantine, on construisit, à l'intérieur de la nef et en avant des piliers, une double colonnade très barbare et composée des éléments les plus divers, pris un peu partout : fûts de hauteurs inégales, en pierre calcaire, en marbre ou en granit, chapiteaux aux moulures variées, bases élégantes ou à peine dégrossies. En arrière de la porte d'entrée, les colonnades furent remplacées par deux murs pleins (G, H).

Enfin, peu de temps sans doute avant la conquête définitive du pays par les Arabes, et après que l'édifice eût été en grande partie détruit par le feu, on entoura à la hâte d'un mur très grossier la partie de la nef où était conservé le tombeau de la sainte. Ce mur a été bâti avec les débris mêmes de l'église. Ce fut vraisemblablement le dernier témoignage de dévotion des Tipasiens à l'égard de leur martyre. La destruction complète du sanctuaire vint ensuite, et des indigènes établirent, au milieu de la ruine, des gourbis dont on a constaté les restes.

A quelques pas au sud de la basilique, se trouve une petite construction qui en était sans doute une dépendance. Elle n'a été déblayée qu'en partie. On y reconnaît un couloir orné de colonnes, flanqué, au nord, par une pièce en forme de demi-cercle, - probablement une chapelle, et, au sud, par une grande salle qu'on a trouvée remplie de tombes, mais qui servait peut-être primitivement à un autre usage; tin étage s'élevait jadis au-dessus.

LA CAMPAGNE

Au delà du rempart, au delà des cimetières, s'étendait la campagne avec ses nombreuses fermes et villas. II y avait aux environs de Tipasa plusieurs grandes propriétés. L'une d'elles, située à un kilomètre au sud-est de la ville, appartenait aux Hortensii : on y a retrouvé des salles pavées de riches mosaïques et une curieuse fabrique de vin, avec des pressoirs et des cuves bien conservés. A l'ouest, à une distance de trois kilomètres et contre la mer, dans la propriété actuelle de Madame Demonchy, se trouvait le domaine d'un certain Saedius Octavius Felix, qui fut duumvir ou maire de lipasa : entre divers bâtiments, on distingue des bains particuliers, pavés de mosaïques, et, récemment, un beau sarcophage en marbre, orné de reliefs, a été découvert en ce lieu (en voir la description au chapitre suivant). Sur la route de Cherchel, à neuf kilomètres et demi de Tipasa, se dresse la ruine imposante d'un château, rappelant les forteresses féodales de France. La porte monumentale était flanquée de deux grosses tours carrées, et la façade, longue de vingt-cinq mètres, se terminait à droite et à gauche par deux tours rondes. Cette puissante construction témoigne de la richesse du propriétaire, dont le nom est gravé au-dessus de la porte : c'était un certain M. Cincius Hilarianus, qui vivait au troisième ou au quatrième siècle. Mais elle prouve aussi combien était grande l'insécurité dans la campagne, presque aux portes d'une capitale où résidait une nombreuse garnison. Jamais le pouvoir impérial n'a su pacifier entièrement les Maurétanies, et de graves révoltes, des invasions de pillards étaient sans cesse à craindre. Contre ces menaces perpétuelles, les villes construisaient de solides murailles, comme celles qui entouraient Césarée et Tipasa; quant aux paysans, que le gouvernement ne savait pas défendre, ils se groupaient autour des grands propriétaires, dont les chàteaux-forts les abritaient en cas de danger, mais qui naturellement se faisaient payer cher leur protection : la féodalité se constituait ainsi en Afrique.