Cherchell sur la côte turquoise algéroise
Cherchel (avec un "l" au moins jusqu'en 1955)
Guide archélogique des environs d'Alger (Cherchel, Tipasa, tombeau de la Chrétienne)
par Stéphane Gsell - 1896

Chapitre 2
: VISITE DES RUINES
LES THERMES DE L'OUEST, LE PORT, L'ESPLANADE, LES THERMES DE L'EST,...

Guides Bleus 1955 :« ville de 15.700 hab.,ch.-l.d'une commune mixte de 32.000 hab;,, dans un site pittoresque en bordure de la mer, au revers N. de pentes verdoyantes, contreforts du massif des Beni Menasser.- École municipale d'artisanat.». Suivent un historique, un plan, une visite..
sur site le 10-8-2009
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CHAPITRE II
VISITE DES RUINES

LES THERMES DE L'OUEST


plan des thermes de Cherchel
plan des thermes de Cherchel

La ruine la plus intéressante de Cherchel se trouve au nord-ouest de la petite ville, près de la mer (n° 1 sur notre carte). Les Arabes l'appelaient le palais du Sultan, mais ce sont des thermes ou bains publics, ainsi que l'ont prouvé des fouilles faites à diverses époques : en 1842, en 1856, et surtout en 1886-1889, ces dernières sous la direction de M. Waille et des commandants du pénitencier militaire. Nous donnons ci-contre le plan des salles visibles une partie de l'édifice est en effet recouverte par les constructions voisines : la manutention à l'est, la prison civile au sud. - Ce qui frappe tout d'abord, c'est la symétrie presque parfaite des aménagements : on voit que ces thermes ont été élevés d'un seul coup, suivant un plan bien conçu. D'après leurs dispositions architecturales et leur décoration, ils paraissent appartenir à la fin du second siècle ou au commencement du troisième, époque de grande prospérité pour Césarée, comme nous l'avons t. Quelques remaniements, du reste peu importants, ont été faits plus tard. La construction est en éclats de pierre, noyés dans du mortier, avec des assises de petites pierres plus ou moins rectangulaires pour parement, et des parties en briques plates (surtout aux angles, aux niches, aux portes, aux fenêtres). Sauf de très rares exceptions, on n'a pas employé de grandes pierres de taille, matériaux plus coûteux, plus longs à préparer, plus difficiles à mettre en place: on était pressé et on voulait faire des économies sur les parties de œuvre qui devaient rester cachées aux yeux ; le luxe était réservé aux revêtements et à la décoration. Les parois étaient en effet couvertes de plaques de marbre de différentes couleurs ; les plafonds, de mosaïques ou de stucs peints; le sol des salles, de dallages en mosaïque ou e marbre. De nombreuses statues- on a retrouvé les fragments de. plus de cinquante d'entre elles - animaient les niches ou étaient placées sur des bases, le long des murs. C'étaient des divinités, Jupiter, Mercure, Apollon, Bacchus., Esculape, Vénus, Hercule, etc.; des satyres et des pans, compagnons de Bacchus, personnages aussi familiers à l'art gréco-romain que les amours à notre art du dix-huitième siècle ; des sujets de genre, comme le Tireur d'épine; des femmes drapées dans de larges manteaux, aux plis harmonieux. La plupart de ces statues ont été transportées au musée, où nous les retrouverons. Elles sont d'un travail fort inégal, car les commandes furent données à divers artistes qui ne se valaient pas tous; il semble aussi qu'un certain nombre d'entre elles aient été, lors de la construction des thermes, enlevées à des monuments datant d'une époque plus ancienne, où l'habileté des sculpteurs était plus grande. On ne les avait pas disséminées au hasard dans ce vaste édifice : elles paraissent, au contraire, avoir été groupées de telle sorte que, dans les diverses pièces et dans les niches symétriques de chaque salle, les figures semblables ou analogues se fissent pendant ou vis-à-vis : dieux avec déesses, satyres avec satyres, etc. Aux premiers siècles de notre ère, les thermes ne servaient pas seulement à prendre des bains, dont les Romains, il faut le dire, ressentaient le besoin beaucoup plus fréquemment que nous ; c'étaient aussi des lieux de rendez-vous, ayant sur les places l'avantage de pouvoir être fréquentés en tout temps : l'on y venait causer, flâner, jouer, essayer les modes nouvelles, parfois traiter d'affaires sérieuses. C'étaient les cafés de l'époque, avec cette différence que les thermes étaient des établissements publics, construits par des municipalités soucieuses de l'hygiène et, plus encore, de l'agrément de leurs concitoyens. Aussi ne doit-on pas s'étonner des grandes dimensions et de la magnificence de ces monuments, que l'on rencontre partout dans le monde romain. A Cherchel, il y en avait au moins trois, répartis dans divers quartiers ; mais ceux dont nous parlons en ce moment étaient certainement les plus importants.

L'entrée principale se trouvait, croit-on, à l'est, à l'endroit où s'élève actuellement la manutention. On a exhumé là les restes d'un beau .portique, auquel plusieurs marches donnaient accès. Les colonnes, en granit vert, avaient plus de huit mètres de hauteur, et des chapiteaux à volutes, de l'ordre que l'on appelle ionique, les surmontaient. La tradition veut qu'au seizième siècle, les constructeurs de la grande mosquée ( hôpital militaire, n° 14 sur la carte), y aient pris les fûts qui ont fait donner à ce monument religieux le nom de mosquée aux cent colonnes. Il est possible que d'autres portiques, dont il ne reste plus trace, aient fait le tour des thermes tout entiers.

Dans la partie que l'on peut visiter aujourd'hui, la principale salle, longue de vingt-quatre mètres, large de quatorze, est indiquée sur notre plan par la lettre A. Le sol en était recouvert de dalles faites d'un bel onyx, aux veines jaunes, brunes et blanches, provenant de carrières situées dans la province d'Oran. Quatre énormes colonnes de granit, d'un mètre de diamètre, soutenaient le toit; quelques débris en sont conservés. Cette salle était ornée de statues de satyres, représentés dans diverses attitudes : tenant une flûte, jouant avec une panthère, ou groupés avec de voluptueux hermaphrodites, au sexe ambigu . En avant, s'étend une grande piscine pour les bains froids, B, pavée d'une mosaïque grossière et plaquée de marbre. On y descendait par quatre marches. Les niches latérales étaient occupées par des images de femmes drapées ; celles du fond, probablement par quatre grandes statues de dieux : un Jupiter, qui est maintenant au Louvre ; un Neptune, qu'on a transporté à Alger, et deux Vénus nues, dont l'une se trouve au musée de Cherchel (no 20 de notre catalogue, au chapitre III), tandis que le torse de l'autre fait l'ornement du musée d'Alger. Ce bassin a été plus tard rétréci, nous ne savons pourquoi (Les deux murs d'époque postérieure sont indiqués sur notre plan par des traits inclinés. ). - La salle A était aussi flanquée de deux autres bassins plus petits, C et D, jadis surmontés de statues de femmes analogues à celles de la piscine principale.

A droite comme à gauche de cet ensemble, deux grandes pièces, E et F, G et H, sont pavées de mosaïques présentant des ornements divers, aux brillantes couleurs : lignes brisées, losanges, tresses, rosaces enfermées dans des cercles et dans des hexagones, croix aux branches recourbées. On n'y trouve aucun bassin : c'étaient sans doute soit des vestibules, soit des salles de conversation ou de jeu. Les cabinets ou couloirs I, J, K étaient aussi décorés de mosaïques. Dans de petits réduits, L et M, s'élèvent des cages d'escaliers qui menaient aux parties hautes de l'édifice : sur une terrasse, ou à des chambres situées au-dessus des pièces B, S, T, car les dimensions de la salle A ne comportaient certainement pas d'étage supérieur.

Par derrière, deux grands vestibules, N et 0, pavés aussi de mosaïques, d'une facture assez grossière (On ne voit actuellement que celles de la salle 0; le sol de la salle N est recouvert de terre.), occupent les deux extrémités d'une longue série de chambres, P, Q, H, S, T, U, V, qui pouvaient être chauffées : on y prenait des bains chauds ou tièdes dans des baignoires Mobiles, qui ne sont pas conservées. Les murs en étaient doublés par des tuiles, posées verticalement et qui formaient, quelques centimètres en avant, une sorte de paroi ou rideau, de telle manière qu'un vide étroit fût ménagé dans l'intervalle. Sur l'aire des chambres, se dressaient, à des distances égales, de nombreuses piles de petites briques, hautes d'environ un mètre, qui supportaient un deuxième sol en béton, aujourd'hui disparu dans les salles R, S, T, U,

A travers ces couloirs latéraux et ce sous-sol, circulait la vapeur d'eau produite par des fourneaux voisins, et ainsi un température douce, humide, semblable à celle des bains maures, régnait dans les chambres. Il y a au fond de salle Q une vaste baignoire, maçonnée sans doute à une époque tardive ; on y entrait après avoir franchi trois marches. En face, dans une niche
carrée, une statue représentant une divinité, Vénus drapée ou Coré (Voir le n° 29 du musée, au chapitre III.), s'élevait sur une base de marbre blanc, encore en place. De l'autre côté des thermes, dans la salle 13, symétrique celle-là, la niche paraît avoir été occupée par un Hercule. En l'état actuel, il est impossible de reconnaître avec certitude la destination précise des diverses pièces. Celle qui est indiquée par la lettre S, et dont le sol se trouvait jadis de plain- pied avec les seuils, encore apparents, des portes, était flanquée de deux cabinets; elle mettait en communication la salle dallée d'onyx A avec une autre grande salle, X. Cette dernière pièce, qui pouvait aussi être chauffée, et dont la voûte reposait sur d'énormes massifs de maçonnerie, se terminait à l'ouest par un espace en forme de demi-cercle. A droite et à gauche, étaient des couloirs de dégagement, des conduites amenant les eaux aux thermes ou les évacuant vers la mer (l'égout Y Y Y est très reconnaissable), des réservoirs, probablement aussi de vastes fourneaux.

Nos thermes n'eurent sans doute pas trop à souffrir des dévastations de Firmus. Aux derniers temps de la domination romaine, ils semblent être devenus une sorte de musée, un asile pour les statues des dieux déchus, anciennes idoles qui n'étaient plus maintenant que des œuvres d'art. Plusieurs piédestaux, que l'on a trouvés dans les fouilles, et dont l'un, de forme hexagonale, est encore aux thermes (salle G), portent l'inscription : "translata de sordentibus lotis" c'est-à-dire : statue transportée des lieux de souillure . Ces mots désignent-ils des temples tombés presque en ruines? ou bien des cachettes, des grottes dans lesquelles des païens dévots auraient porté jadis secrètement leurs idoles, pour les soustraire aux profanations des chrétiens triomphants? ou bien encore des cloaques dans lesquels des fanatiques de la religion nouvelle auraient jeté ces pauvres images, et d'où elles auraient été tirées longtemps après, quand les passions se furent calmées ?. Il est bien difficile de se décider pour l'une ou l'autre de ces hypothèses.

L'édifice intéressant que nous venons de décrire, et qui est laissé aujourd'hui dans un si complet abandon, mériterait de redevenir le musée de Césarée. Il suffirait pour cela d'aménager deux ou trois salles en les couvrant d'une toiture légère. Les statues, entassées dans la cour qui leur sert aujourd'hui de dépôt, retrouveraient là un cadre digne d'elles.


LE PORT

Des thermes, on peut descendre vers le port. On rencontre en chemin, à gauche, un bassin rectangulaire, long de trente-cinq mètres, large de dix, profond d'un peu moins de deux mètres, dont les parois sont entièrement recouvertes de ciment (n° 2 sur la carte). On y descend par des escaliers en pierre, placés aux angles ; au centre, émerge un massif de maçonnerie triangulaire. Il semble qu'il y ait eu là une réserve de poissons, un vivier.

Le port actuel, très exigu, n'ayant que trois ,u quatre mètres de fond, n'est pas toujours sûr, par les mauvais temps, son entrée devient très difficileà franchir, à cause des écueils qui la tanguent. Quelques barques s'y abritent et il est visité de temps en temps par de petits vapeurs venant prendre des chargements de vin ou de poisson salé. A l'époque romaine, Césarée avait deux bassins. L'un, le port militaire servant à la division navale de Maurétanie, correspondait au port actuel, mais était encore plus petit (no 3 de la carte). Il était protégé au nord par l'îlot Joinville, et à l'ouest par une jetée unissant l'îlot à la terre. Actuellement, il ne reste à l'entour aucun vestige de constructions antiques. Mais au dix-huitième siècle, d'après le célèbre voyageur anglais Shaw, ce bassin se montrait encore avec une enceinte de grands magasins et de beaux portiques. Ajoutons que l'on a trouvé dans la vase, il y a une quarantaine d'années, deux carcasses de galères romaines. Le port marchand (no 4) était beaucoup plus vaste. Il s'ouvrait entre deux môles dont les assises ont été retrouvées : l'un partait de la pointe nord-est de l'îlot Joinville et se dirigeait vers le large, tandis que l'autre se détachait du rivage et courait à l'encontre du premier.

L'ESPLANADE

La place de l'esplanade (no 5 sur la carte), plantée de vigoureux bellombras, est ornée de quelques beaux fragments d'architecture antique, en marbre blanc: colonnes, chapiteaux à feuilles d'acanthe, bases aux moulures élégantes, corniches richement décorées. Tout récemment, la municipalité de Cherchel y a fait construire une grande fontaine, dans laquelle on a très malencontreusement encastré des sculptures, des corniches et des pilastres, enlevés au musée, mais découverts jadis en arrière de l'esplanade, comme ces autres débris architecturaux. Ce sont quatre figures colossales, masques qui ont dû être appliqués, de distance en distance, à la partie supérieure d'un édifice, le long d'une corniche droite, dont ils rompaient l'uniformité. Ces belles oeuvres décoratives sont d'une exécution large, dédaignant le détail, mais exprimant avec une grande énergie les traits caractéristiques. La bouche est entrouverte; les yeux, profondément enfoncés sous les arcades sourcilières, se relèvent pour porter leurs regards dans le lointain ; la tête est fortement inclinée ; les cheveux, groupés en masses épaisses que divisent de profonds sillons, paraissent flotter au gré des vents : de cet ensemble se dégage une expression de vie intense. Ce sont là de bonnes copies d'oeuvres faites probablement au second siècle avant notre ère. Elles représentent un vieillard et trois jeunes femmes. Devons-nous chercher à donner à ces personnages des noms mythologiques? et lesquels ? ou bien ne faut-il y voir que des figures décoratives, sans signification précise ? C'est ce dernier parti qui nous paraît le plus sage. Quant aux pilastres employés dans la fontaine avec ces masques, ils offrent des motifs très élégants: rinceaux, arabesques, frêles tiges fleuries, entremêlées d'oiseaux becquetant des fruits.

Tous les restes dont nous venons de parler proviennent d'un vaste monument, peut-être d'un temple, qui occupait l'espace compris entre la mairie et l'église. Le plan nous en échappe ; mais sa construction en belles pierres de taille, bien ajustées, sa décoration luxueuse, la valeur artistique et l'âge que l'on peut attribuer aux. sculptures qui y ont été trouvées permettent de croire qu'il date de l'époque du roi Juba. Peut- être sommes-nous sur l'emplacement de ce grand temple, qu'au seizième siècle, l'Espagnol Marmot signale ' sur le bord de la mer " et qui était bâti de marbre et d'albâtre ( Il se pourrait cependant que Marmot ait voulu parler des thermes.).

LES THERMES DE L'EST

En sortant de Cherchel par la porte d'Alger, on arrive au champ de manœuvres, à l'extrémité duquel de grands pans de murs attirent œil. La construction rappelle les thermes de l'ouest, et ce sont aussi des thermes (no 6 sur la carte).

La salle principale, dallée de marbre, qui mesure vingt mètres sur douze, est flanquée au sud de deux grandes niches. On entrait dans cette salle par deux portes, s'ouvrant à l'ouest. En face, un bassin arrondi servait aux bains froids ; il était surmonté d'une statue d'homme vêtu du costume national romain, la toge : c'était peut-être le portrait du généreux citoyen dont la munificence avait gratifié ses compatriotes de ce bel édifice. D'autres salles voisines, dont les murs sont à peine apparents, pouvaient être chauffées par les procédés que nous avons indiqués plus haut dans la description des autres thermes ; des plaques de marbre et des stucs peints en ornaient les parois.

Sur les pentes qui dominent cette ruine, des maisons s'élevaient jadis, plus clairsemées qu'ailleurs, mais plus luxueuses. C'était là, semble-t-il, que se trouvait le quartier aristocratique de Césarée. Dans la ferme Nicolas (no 7), une riche demeure a livré à ceux qui l'ont fouillée quelques sculptures, dont une statue du dieu Bacchus, et d'intéressantes mosaïques, que l'on a recouvertes de terre pour les préserver : l'une d'elles représente un cavalier qui donne la chasse à un cerf et à un lion ; une autre, le groupe des trois Grâces, nues, souriantes et étroitement enlacées, copie d'un célèbre tableau grec, du quatrième siècle avant notre ère, qui, à l'époque romaine, fut très populaire et imité partout, en peinture, en statuaire, en bas-relief, sur des monnaies, des lampes et des pierres gravées.

L'AMPHITHÉATRE

Après avoir jeté un coup œil sur les thermes de l'est, le visiteur n'aura qu'à suivre un sentier qui se détache à cet endroit de l'extrémité du champ de manœuvres, dans la direction du levant, et, après cinq minutes de marche, il arrivera à la hauteur de l'amphithéâtre, qui se trouve à une centaine de mètres sur la gauche. Ce monument servait dans l'antiquité aux combats de gladiateurs, aux chasses d'apparat, aux luttes contre les bêtes féroces. De forme ovale, selon l'usage, il mesure cent vingt mètres de long sur quarante de large ; les deux entrées se trouvaient aux extrémités du grand axe. Il y a une cinquantaine d'années, c'était le mieux conservé des édifices antiques de Cherchel, mais on y a pris tant de pierres, qu'il ne reste plus en ce lieu que quelques décombres, envahis par les oliviers, les aloès, les acanthes, les cactus, les absinthes ; au centre, s'étend un champ de maïs.

Plusieurs gradins sont encore visibles au nord- est. Un bas-relief, trouvé à Cherchel, nous fait connaître un certain Flavius Sigerus, maître des gladiateurs qui combattaient dans cette arène ; il est figuré debout, tenant à la main la longue baguette qui lui servait à tracer sur le sable les limites de l'espace assigné aux exercices de ses élèves. Un autre souvenir, plus intéressant, se rattache à notre amphithéâtre. Ce fut là qu'eut lieu le martyre de la vierge Martienne. On en a gardé le récit, écrit, il est vrai, longtemps après l'événement et entremêlé de détails fort suspects ; il mérite néanmoins quelque créance, car l'auteur qui le composa connaissait certainement très bien Césarée. Cette jeune fille, née à Rusuccuru, aujourd'hui Tigzirt, sur la côte de la grande Kabylie, était d'une rare beauté et d'une noble naissance ; cependant elle avait voulu se consacrer à Dieu. Étant venue à Césarée, elle y vivait loin du monde, dans une cellule. Un jour, pourtant, elle céda à la tentation de visiter la ville. Arrivée devant l'amphithéâtre, non loin de la porte de Tipasa, elle remarqua sur une place une statue de la déesse Diane, ornant une fontaine. Saisie de colère à la vue de cette idole, elle lui brisa la tête et la renversa. La foule s'empara d'elle, la roua de coups et l'entraîna auprès du gouverneur. Celui-ci ordonna qu'elle fût livrée à des gladiateurs, mais un mur qui s'éleva à plusieurs reprises entre eux et la vierge les empêcha d'attenter à sa chasteté. Au milieu de ces épreuves, elle fut insultée lâchement par un juif et par sa famille, dont la maison était voisine de la caserne des gladiateurs. Marcienne alors supplia Dieu d'incendier cette demeure, prière qui, comme nous allons le voir, fut exaucée. Le jour suivant, on la mena à l'amphithéâtre. Elle y fut attachée à un poteau et présentée à un lion, qui ne voulut pas d'elle. Mais le juif et ses amis, qui s'acharnaient contre elle, demandèrent à grands cris qu'on la livrât à un taureau : ce qui fut fait. La bête furieuse la blessa au sein ; puis survint un léopard, qui l'acheva. En ce moment même, la maison du juif prit feu. Bien souvent, plus tard, on essaya de la reconstruire, mais toujours elle retomba en ruines. - Sainte Marcienne périt ainsi le 9 janvier ou le 11 juillet, on ne sait pas en quelle année, ni sous quel empereur. Aux yeux des docteurs de l'Église, l'acte qu'elle avait commis était répréhensible : ils condamnaient le zèle téméraire des chrétiens, qui couraient au-devant de la mort en renversant des idoles et risquaient, par leur imprudence, d'attirer de grands malheurs sur toute la communauté. Cependant de tels traits d'héroïsme excitaient tant d'admiration parmi les fidèles, que l'autorité ecclésiastique devait souvent céder à la pression du peuple et accorder le titre glorieux de martyrs à ceux qui étaient morts pour ce motif. La mémoire de Marcienne fut vénérée non seulement en Afrique, mais même en Espagne, en particulier à Tolède, où l'on composa à sa louange une hymne que nous avons conservée.

A peu de distance de l'amphithéâtre, se trouvait, comme nous l'apprend l'écrit que nous venons d'analyser, la porte de Tipasa : de là partait la route qui allait rejoindre cette ville et, plus loin, lcosium (Alger). Des deux côtés de la chaussée, s'étendaient de vastes cimetières, où l'on a trouvé un très grand nombre de tombes païennes et chrétiennes, semblables à celles des cimetières occidentaux dont nous parlerons tout à l'heure. L'une de ces sépultures était recouverte d'une mosaïque où l'on voyait Orphée charmant les animaux par sa divine musique : image commune aux chrétiens et aux païens, car elle était, pour les uns et les autres, l'affirmation de la croyance à l'immortalité de l'âme, qu'Orphée passait pour avoir enseignée aux hommes.

LE THÉÂTRE. - LES THERMES DU CENTRE. - LES CITERNES

En quittant l'amphithéâtre, on pourra se diriger du côté de la mer, jusqu'à la grande route, qu'on suivra ensuite pour revenir en ville par la porte d'Alger. Après avoir longé l'esplanade et fait une centaine de pas dans la rue principale, on tournera à gauche par la rue du Théâtre. A l'extrémité de cette rue, on arrivera en face d'une carrière de tuf (n* 9 sur la carte). C'est l'emplacement du théâtre romain qui, en 1840, était encore bien conservé. Vingt- sept gradins superposés recevaient autrefois les spectateurs; en avant, régnait un portique, avec des colonnes de granit et de marbre blanc. Les matériaux ont été pris pour construire la caserne que l'on voit au-dessus, et actuellement ce théâtre n'a plus laissé d'autre souvenir que le nom de la rue qui y conduisait. De pareils actes de vandalisme ont été malheureusement trop fréquents en Algérie depuis notre conquête.

Non loin de là, à l'intersection des rues du Centre et du Caire, s'élevaient des thermes, décorés avec luxe comme les deux établissements semblables dont nous avons déjà parlé (no 10). Près du croisement des deux rues, on voit encore un pilier ayant appartenu à cet édifice et émergeant au milieu d'une maison arabe. Là aussi, on a trouvé diverses sculptures, entre autres une statue de la déesse Diane se livrant à son plaisir favori, la chasse.

La caserne des tirailleurs (no 11) ,a été bâtie sur de vastes citernes, consistant en six salles contiguës, dont chacune a vingt mètres de long, six mètres de large et environ huit mètres de hauteur. Elles sont fort bien conservées et sont encore employées à l'alimentation de la ville. A l'époque romaine, elles recevaient l'eau de diverses sources voisines et surtout d'un aqueduc, long de sept lieues, qui prenait naissance au village actuel de Marceau, à la partie supérieure de la rivière appelée l'oued El-Hachem. Le tracé de cet aqueduc est facile à reconnaître. La conduite, large d'un mètre et plus haute qu'un homme, couverte par de grandes dalles plates et éclairée par de nombreux regards, était tantôt souterraine, tantôt soutenue par des arcades. A trois lieues de Cherchel, on admire, près de la route d'Alger ( Sur la gauche, quand on vient de Marengo), les restes majestueux d'un vaste pont à trois étages qui, portant l'aqueduc, traversait à cet endroit la vallée d'un affluent de l'oued El-Hachera. Ce sont dix-sept arches, hautes d'une vingtaine de mètres, en belles pierres de taille, que les siècles ont dorées. Plus près, à cinq kilomètres de la ville, un autre pont, qui était moins élevé et dont il ne reste que quelques piliers, franchissait la plaine étroite de l'oued Bellah. On voit que les Romains n'avaient pas reculé devant un travail gigantesque afin de doter Césarée d'une excellente eau.

LE CIRQUE

Pour visiter les ruines du cirque (no 12 sur la carte), voisin du cimetière arabe, il faut monter à droite de la caserne et sortir par la porte de Miliana. On fait une centaine de pas sur la route, puis on prend, à droite, un sentier bordé d'aloès et de cyprès, que l'on suit pendant environ trois minutes. Le cirque, qui a plus de quatre cents mètres de longueur, présente la forme d'un rectangle, dont un des petits côtés, le plus rapproché de la ville, est arrondi. Au sud, les gradins s'adossaient aux pentes qui dominaient l'arène ; au nord, au contraire, ils étaient soutenus par des voûtes, maintenant perdues au milieu des ronces et des aloès.

L'Afrique était la patrie des meilleurs chevaux de course et des cochers les plus renommés ; les représentations du cirque devaient donc être un grand attrait pour les citoyens de Césarée. Une mosaïque trouvée dans une maison romaine, au-dessus du champ de manœuvres, montre un beau cheval bai, se dirigeant vers un laurier, symbole des victoires qu'il avait remportées, sans doute à Césarée même. C'est, comme l'indique une inscription, Muccosus, le Morveux. Le Morveux t on aurait pu, sans doute, donner à cette noble bête un nom plus flatteur. Sur sa croupe, on a eu soin de tracer le nom de son maître, qui était probablement aussi le propriétaire de la maison, Claudius Sabinus. Enfin trois lettres (P R A), que l'on remarque sur son cou, nous apprennent qu'il appartenait au parti des verts (prasiniani). Comme nos jockeys, les cochers de cirque portaient en effet des casaques de différentes couleurs, bleue, verte, blanche, rouge, et les partis que ces couleurs représentaient avaient chacun leurs chevaux, leurs chars, leur personnel, leurs amis passionnés dans le public.

Si l'on en a le temps, on fera bien de monter jusqu'au sommet des crêtes qui couronnent Cherchel et d'où une vue splendide embrasse la ville, la mer, la côte dans la direction de Gouraya, à l'ouest, et du Chenoua, à l'est. Le long de ces crêtes, se distinguent çà et là des restes de la vaste muraille qui protégeait Césarée. Semblable au rempart de Tipasa, qui est en moins mauvais état,. elle avait deux mètres de largeur et présentait, de distance en distance, de grosses tours rondes ou carrées; quatre portes livraient passage à des routes menant à Tipasa, à Gunugu (Gouraya), à Aquœ (Hammam Righa) et à Zuccabar (Miliana). En dehors de cette enceinte, les collines voisines étaient surmontées de fortins, servant de postes-vigies.

LES CIMETIÈRES DE L'OUEST

A l'ouest de Cherchel, une route moderne, qui sort de la porte de Ténès, se dirige parallèlement à la côte, et, au bout d'un kilomètre environ, franchit un pont jeté sur un petit ravin (El-Kantara). C'était dans cette région, aux abords de la voie qui conduisait à Gunugu, que se trouvaient plusieurs cimetières, correspondant à ceux qui bordaient, de l'autre côté de Césarée, la voie de Tipasa et dlcosium. Les tombes, détruites ou recouvertes de terre, ne sont plus visibles ( On remarque cependant sur la route, à gauche, deux cents mètres avant le pont, le soubassement, orné de moulures, d'un mausolée.). Le commandant Archambeau, qui en a exhumé un très grand nombre dans sa propriété d'El-Kantara, située à gauche de la route, a constitué chez lui une intéressante collection, formée des objets trouvés dans ses fouilles. Les païens avaient, on le sait, l'habitude de déposer auprès de leurs morts tout un mobilier funéraire : vaisselle, vases à boire, fioles à parfums, lampes, objets de parure, instruments de toilette, monnaies. Les poteries, très nombreuses, présentent les formes les plus diverses, plats, écuelles, tasses, brocs, burettes, bouteilles à goulot allongé, etc. Les unes ont été fabriquées à Césarée même : elles sont d'ordinaire d'une terre jaune assez grossière et de formes lourdes. D'autres, légères, gracieuses de contours, recouvertes d'un vernis rouge éclatant, parfois rehaussées d'ornements et de figures, provenaient de fabriques célèbres d'Italie, et elles portent des marques répandues dans tout le monde romain. Les petites lampes, de forme ronde, avec un ou deux becs dans lesquels étaient glissées les mèches, ont été décorées de plantes, d'animaux divers, de personnages : gladiateurs combattant, amoureux; divinités, etc. Les fioles de verre, que l'on trouve rarement intactes, sont d'une finesse et d'une élégance parfaites. Quant aux morts, tantôt on les enterrait, tantôt on les brûlait. On déposait les premiers sous une sorte de toit formé par des tuiles appuyées les unes contre les autres, ou dans une cuve rectangulaire en briques maçonnées, avec un couvercle de larges briques plates, ou bien encore à l'intérieur d'une auge creusée dans une seule pierre. Les enfants recevaient parfois une sépulture originale. On prenait une grande amphore que l'on sciait par le milieu, dans le sens de la longueur : on plaçait le petit corps dans l'une des moitiés, contre laquelle l'autre était ensuite soudée, et, ainsi, ce vase-cercueil paraissait intact. Les restes des morts incinérés étaient enfermés dans des pots en argile ou en verre, qu'abritait soit un cadre de tuiles, soit une sorte de caisson massif en maçonnerie, de forme demi-cylindrique, soit une grosse boîte constituée par un bloc de tuf, en partie évidé, et par un couvercle plein, de même matière. Au-dessus du soi, on dressait souvent des plaques de marbre, ornées d'une image qui était censée représenter le mort, mais qui, généralement, n'était pas un portrait, car on n'avait guère l'habitude de faire fabriquer ces bas-reliefs sur commande ; on se contentait d'aller les choisir dans quelque magasin, rempli d'articles tout confectionnés. Il suffisait d'ajouter au-dessous le nom, la profession, l'âge et, si l'on voulait, l'éloge du défunt avec les regrets de ses héritiers. Il y avait aussi des sépultures de famille ou de corporation, consistant en une ou plusieurs salles ; on y avait ménagé, le long des parois, plusieurs séries de petites niches, qui ressemblaient assez aux ouvertures d'un pigeonnier, et dans lesquelles étaient placés les vases ou les petites boîtes de marbre contenant les cendres. On appelait ces tombeaux des colombaires à cause de la forme des niches. Les gens fortunés se faisaient construire des mausolées, parfois luxueux, et, dans le cas où leurs restes étaient inhumés, on les déposait clans des sarcophages décorés de sculptures.

Plus tard, les chrétiens, dont le nombre augmentait sans cesse, eurent aussi leurs cimetières contre les routes de Gunugu et de Tipasa. Leurs tombes, qui ne renferment pas dé mobilier funéraire et ne contiennent que des corps inhumés, sont en général plus simples que celles des païens. On a cependant trouvé quelques sarcophages où se voit le Christ en Bon Pasteur, avec une brebis sur les épaules ; un autre, découvert dans la région d'El-Kantara, représente l'adoration des Mages et les trois Hébreux dans la fournaise : il est actuellement chez le curé de Cherchel et sera encastré dans le maître autel de la nouvelle église. C'est aussi près de la route de Gouraya, à gauche, à un kilomètre et demi environ de la porte de Ténès, que l'on a reconnu les ruines d'un cimetière chrétien très ancien. Au milieu d'une sorte de jardin, avait été ménagée une aire, longue d'une trentaine de mètres, large de moitié, fermée par des murs assez élevés pour en cacher l'intérieur, et ne présentant qu'une entrée. Elle a servi de lieu de repos : à certains endroits les tombes formaient jusqu'à six étages superposés; elle a servi peut-être aussi de lieu de réunion et de culte pour les fidèles, au temps des persécutions, lorsqu'il leur était défendu de s'assembler ailleurs qu'autour de leurs morts. Une petite chapelle voûtée s'élevait, dit-on, au centre de cet espace. Une inscription, qu'on y a trouvée et qui est aujourd'hui au musée d'Alger, nous apprend que l'Église dut l'aire et la chapelle à la générosité d'un certain Evelpius et qu'en cet endroit était enseveli M. Antonius Julius Severianus. Le nom de ce personnage, qui était sénateur et appartenait par conséquent à la plus haute aristocratie de l'empire, figure aussi sur des listes de martyrs : il mourut pour sa foi à Césarée, en même temps que sa femme Aquila, un 23 janvier : on ignore en quelle année.