CHAPITRE II
VISITE DES RUINES
LES THERMES DE L'OUEST
plan des thermes
de Cherchel
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La ruine la plus intéressante de Cherchel
se trouve au nord-ouest de la petite ville, près de la mer (n°
1 sur notre carte). Les Arabes l'appelaient le palais du Sultan, mais
ce sont des thermes ou bains publics, ainsi que l'ont prouvé des
fouilles faites à diverses époques : en 1842, en 1856, et
surtout en 1886-1889, ces dernières sous la direction de M. Waille
et des commandants du pénitencier militaire. Nous donnons ci-contre
le plan des salles visibles une partie de l'édifice est en effet
recouverte par les constructions voisines : la manutention à l'est,
la prison civile au sud. - Ce qui frappe tout d'abord, c'est la symétrie
presque parfaite des aménagements : on voit que ces thermes ont
été élevés d'un seul coup, suivant un plan
bien conçu. D'après leurs dispositions architecturales et
leur décoration, ils paraissent appartenir à la fin du second
siècle ou au commencement du troisième, époque de
grande prospérité pour Césarée, comme nous
l'avons t. Quelques remaniements, du reste peu importants, ont été
faits plus tard. La construction est en éclats de pierre, noyés
dans du mortier, avec des assises de petites pierres plus ou moins rectangulaires
pour parement, et des parties en briques plates (surtout aux angles, aux
niches, aux portes, aux fenêtres). Sauf de très rares exceptions,
on n'a pas employé de grandes pierres de taille, matériaux
plus coûteux, plus longs à préparer, plus difficiles
à mettre en place: on était pressé et on voulait
faire des économies sur les parties de uvre qui devaient
rester cachées aux yeux ; le luxe était réservé
aux revêtements et à la décoration. Les parois étaient
en effet couvertes de plaques de marbre de différentes couleurs
; les plafonds, de mosaïques ou de stucs peints; le sol des salles,
de dallages en mosaïque ou e marbre. De nombreuses statues- on a
retrouvé les fragments de. plus de cinquante d'entre elles - animaient
les niches ou étaient placées sur des bases, le long des
murs. C'étaient des divinités, Jupiter, Mercure, Apollon,
Bacchus., Esculape, Vénus, Hercule, etc.; des satyres et des pans,
compagnons de Bacchus, personnages aussi familiers à l'art gréco-romain
que les amours à notre art du dix-huitième siècle
; des sujets de genre, comme le Tireur d'épine; des femmes drapées
dans de larges manteaux, aux plis harmonieux. La plupart de ces statues
ont été transportées au musée, où nous
les retrouverons. Elles sont d'un travail fort inégal, car les
commandes furent données à divers artistes qui ne se valaient
pas tous; il semble aussi qu'un certain nombre d'entre elles aient été,
lors de la construction des thermes, enlevées à des monuments
datant d'une époque plus ancienne, où l'habileté
des sculpteurs était plus grande. On ne les avait pas disséminées
au hasard dans ce vaste édifice : elles paraissent, au contraire,
avoir été groupées de telle sorte que, dans les diverses
pièces et dans les niches symétriques de chaque salle, les
figures semblables ou analogues se fissent pendant ou vis-à-vis
: dieux avec déesses, satyres avec satyres, etc. Aux premiers siècles
de notre ère, les thermes ne servaient pas seulement à prendre
des bains, dont les Romains, il faut le dire, ressentaient le besoin beaucoup
plus fréquemment que nous ; c'étaient aussi des lieux de
rendez-vous, ayant sur les places l'avantage de pouvoir être fréquentés
en tout temps : l'on y venait causer, flâner, jouer, essayer les
modes nouvelles, parfois traiter d'affaires sérieuses. C'étaient
les cafés de l'époque, avec cette différence que
les thermes étaient des établissements publics, construits
par des municipalités soucieuses de l'hygiène et, plus encore,
de l'agrément de leurs concitoyens. Aussi ne doit-on pas s'étonner
des grandes dimensions et de la magnificence de ces monuments, que l'on
rencontre partout dans le monde romain. A Cherchel, il y en avait au moins
trois, répartis dans divers quartiers ; mais ceux dont nous parlons
en ce moment étaient certainement les plus importants.
L'entrée principale se trouvait, croit-on, à l'est, à
l'endroit où s'élève actuellement la manutention.
On a exhumé là les restes d'un beau .portique, auquel plusieurs
marches donnaient accès. Les colonnes, en granit vert, avaient
plus de huit mètres de hauteur, et des chapiteaux à volutes,
de l'ordre que l'on appelle ionique, les surmontaient. La tradition veut
qu'au seizième siècle, les constructeurs de la grande mosquée
( hôpital militaire, n° 14 sur la carte), y aient pris les fûts
qui ont fait donner à ce monument religieux le nom de mosquée
aux cent colonnes. Il est possible que d'autres portiques, dont il ne
reste plus trace, aient fait le tour des thermes tout entiers.
Dans la partie que l'on peut visiter aujourd'hui, la principale salle,
longue de vingt-quatre mètres, large de quatorze, est indiquée
sur notre plan par la lettre A. Le sol en était recouvert de dalles
faites d'un bel onyx, aux veines jaunes, brunes et blanches, provenant
de carrières situées dans la province d'Oran. Quatre énormes
colonnes de granit, d'un mètre de diamètre, soutenaient
le toit; quelques débris en sont conservés. Cette salle
était ornée de statues de satyres, représentés
dans diverses attitudes : tenant une flûte, jouant avec une panthère,
ou groupés avec de voluptueux hermaphrodites, au sexe ambigu .
En avant, s'étend une grande piscine pour les bains froids, B,
pavée d'une mosaïque grossière et plaquée de
marbre. On y descendait par quatre marches. Les niches latérales
étaient occupées par des images de femmes drapées
; celles du fond, probablement par quatre grandes statues de dieux : un
Jupiter, qui est maintenant au Louvre ; un Neptune, qu'on a transporté
à Alger, et deux Vénus nues, dont l'une se trouve au musée
de Cherchel (no 20 de notre catalogue, au chapitre III), tandis que le
torse de l'autre fait l'ornement du musée d'Alger. Ce bassin a
été plus tard rétréci, nous ne savons pourquoi
(Les deux murs d'époque postérieure
sont indiqués sur notre plan par des traits inclinés. ).
- La salle A était aussi flanquée de deux autres bassins
plus petits, C et D, jadis surmontés de statues de femmes analogues
à celles de la piscine principale.
A droite comme à gauche de cet ensemble, deux grandes pièces,
E et F, G et H, sont pavées de mosaïques présentant
des ornements divers, aux brillantes couleurs : lignes brisées,
losanges, tresses, rosaces enfermées dans des cercles et dans des
hexagones, croix aux branches recourbées. On n'y trouve aucun bassin
: c'étaient sans doute soit des vestibules, soit des salles de
conversation ou de jeu. Les cabinets ou couloirs I, J, K étaient
aussi décorés de mosaïques. Dans de petits réduits,
L et M, s'élèvent des cages d'escaliers qui menaient aux
parties hautes de l'édifice : sur une terrasse, ou à des
chambres situées au-dessus des pièces B, S, T, car les dimensions
de la salle A ne comportaient certainement pas d'étage supérieur.
Par derrière, deux grands vestibules, N et 0, pavés aussi
de mosaïques, d'une facture assez grossière (On
ne voit actuellement que celles de la salle 0; le sol de la salle N est
recouvert de terre.), occupent les deux extrémités
d'une longue série de chambres, P, Q, H, S, T, U, V, qui pouvaient
être chauffées : on y prenait des bains chauds ou tièdes
dans des baignoires Mobiles, qui ne sont pas conservées. Les murs
en étaient doublés par des tuiles, posées verticalement
et qui formaient, quelques centimètres en avant, une sorte de paroi
ou rideau, de telle manière qu'un vide étroit fût
ménagé dans l'intervalle. Sur l'aire des chambres, se dressaient,
à des distances égales, de nombreuses piles de petites briques,
hautes d'environ un mètre, qui supportaient un deuxième
sol en béton, aujourd'hui disparu dans les salles R, S, T, U,
A travers ces couloirs latéraux et ce sous-sol, circulait la vapeur
d'eau produite par des fourneaux voisins, et ainsi un température
douce, humide, semblable à celle des bains maures, régnait
dans les chambres. Il y a au fond de salle Q une vaste baignoire, maçonnée
sans doute à une époque tardive ; on y entrait après
avoir franchi trois marches. En face, dans une niche
carrée, une statue représentant une divinité, Vénus
drapée ou Coré (Voir le
n° 29 du musée, au chapitre III.), s'élevait
sur une base de marbre blanc, encore en place. De l'autre côté
des thermes, dans la salle 13, symétrique celle-là, la niche
paraît avoir été occupée par un Hercule. En
l'état actuel, il est impossible de reconnaître avec certitude
la destination précise des diverses pièces. Celle qui est
indiquée par la lettre S, et dont le sol se trouvait jadis de plain-
pied avec les seuils, encore apparents, des portes, était flanquée
de deux cabinets; elle mettait en communication la salle dallée
d'onyx A avec une autre grande salle, X. Cette dernière pièce,
qui pouvait aussi être chauffée, et dont la voûte reposait
sur d'énormes massifs de maçonnerie, se terminait à
l'ouest par un espace en forme de demi-cercle. A droite et à gauche,
étaient des couloirs de dégagement, des conduites amenant
les eaux aux thermes ou les évacuant vers la mer (l'égout
Y Y Y est très reconnaissable), des réservoirs, probablement
aussi de vastes fourneaux.
Nos thermes n'eurent sans doute pas trop à souffrir des dévastations
de Firmus. Aux derniers temps de la domination romaine, ils semblent être
devenus une sorte de musée, un asile pour les statues des dieux
déchus, anciennes idoles qui n'étaient plus maintenant que
des uvres d'art. Plusieurs piédestaux, que l'on a trouvés
dans les fouilles, et dont l'un, de forme hexagonale, est encore aux thermes
(salle G), portent l'inscription : "translata de sordentibus lotis"
c'est-à-dire : statue transportée des lieux de souillure
. Ces mots désignent-ils des temples tombés presque en ruines?
ou bien des cachettes, des grottes dans lesquelles des païens dévots
auraient porté jadis secrètement leurs idoles, pour les
soustraire aux profanations des chrétiens triomphants? ou bien
encore des cloaques dans lesquels des fanatiques de la religion nouvelle
auraient jeté ces pauvres images, et d'où elles auraient
été tirées longtemps après, quand les passions
se furent calmées ?. Il est bien difficile de se décider
pour l'une ou l'autre de ces hypothèses.
L'édifice intéressant que nous venons de décrire,
et qui est laissé aujourd'hui dans un si complet abandon, mériterait
de redevenir le musée de Césarée. Il suffirait pour
cela d'aménager deux ou trois salles en les couvrant d'une toiture
légère. Les statues, entassées dans la cour qui leur
sert aujourd'hui de dépôt, retrouveraient là un cadre
digne d'elles.
LE PORT
Des thermes, on peut descendre vers le port. On rencontre en chemin, à
gauche, un bassin rectangulaire, long de trente-cinq mètres, large
de dix, profond d'un peu moins de deux mètres, dont les parois
sont entièrement recouvertes de ciment (n° 2 sur la carte).
On y descend par des escaliers en pierre, placés aux angles ; au
centre, émerge un massif de maçonnerie triangulaire. Il
semble qu'il y ait eu là une réserve de poissons, un vivier.
Le port actuel, très exigu, n'ayant que trois ,u quatre mètres
de fond, n'est pas toujours sûr, par les mauvais temps, son entrée
devient très difficileà franchir, à cause des écueils
qui la tanguent. Quelques barques s'y abritent et il est visité
de temps en temps par de petits vapeurs venant prendre des chargements
de vin ou de poisson salé. A l'époque romaine, Césarée
avait deux bassins. L'un, le port militaire servant à la division
navale de Maurétanie, correspondait au port actuel, mais était
encore plus petit (no 3 de la carte). Il était protégé
au nord par l'îlot Joinville, et à l'ouest par une jetée
unissant l'îlot à la terre. Actuellement, il ne reste à
l'entour aucun vestige de constructions antiques. Mais au dix-huitième
siècle, d'après le célèbre voyageur anglais
Shaw, ce bassin se montrait encore avec une enceinte de grands magasins
et de beaux portiques. Ajoutons que l'on a trouvé dans la vase,
il y a une quarantaine d'années, deux carcasses de galères
romaines. Le port marchand (no 4) était beaucoup plus vaste. Il
s'ouvrait entre deux môles dont les assises ont été
retrouvées : l'un partait de la pointe nord-est de l'îlot
Joinville et se dirigeait vers le large, tandis que l'autre se détachait
du rivage et courait à l'encontre du premier.
L'ESPLANADE
La place de l'esplanade (no 5 sur la carte), plantée de vigoureux
bellombras, est ornée de quelques beaux fragments d'architecture
antique, en marbre blanc: colonnes, chapiteaux à feuilles d'acanthe,
bases aux moulures élégantes, corniches richement décorées.
Tout récemment, la municipalité de Cherchel y a fait construire
une grande fontaine, dans laquelle on a très malencontreusement
encastré des sculptures, des corniches et des pilastres, enlevés
au musée, mais découverts jadis en arrière de l'esplanade,
comme ces autres débris architecturaux. Ce sont quatre figures
colossales, masques qui ont dû être appliqués, de distance
en distance, à la partie supérieure d'un édifice,
le long d'une corniche droite, dont ils rompaient l'uniformité.
Ces belles oeuvres décoratives sont d'une exécution large,
dédaignant le détail, mais exprimant avec une grande énergie
les traits caractéristiques. La bouche est entrouverte; les yeux,
profondément enfoncés sous les arcades sourcilières,
se relèvent pour porter leurs regards dans le lointain ; la tête
est fortement inclinée ; les cheveux, groupés en masses
épaisses que divisent de profonds sillons, paraissent flotter au
gré des vents : de cet ensemble se dégage une expression
de vie intense. Ce sont là de bonnes copies d'oeuvres faites probablement
au second siècle avant notre ère. Elles représentent
un vieillard et trois jeunes femmes. Devons-nous chercher à donner
à ces personnages des noms mythologiques? et lesquels ? ou bien
ne faut-il y voir que des figures décoratives, sans signification
précise ? C'est ce dernier parti qui nous paraît le plus
sage. Quant aux pilastres employés dans la fontaine avec ces masques,
ils offrent des motifs très élégants: rinceaux, arabesques,
frêles tiges fleuries, entremêlées d'oiseaux becquetant
des fruits.
Tous les restes dont nous venons de parler proviennent d'un vaste monument,
peut-être d'un temple, qui occupait l'espace compris entre la mairie
et l'église. Le plan nous en échappe ; mais sa construction
en belles pierres de taille, bien ajustées, sa décoration
luxueuse, la valeur artistique et l'âge que l'on peut attribuer
aux. sculptures qui y ont été trouvées permettent
de croire qu'il date de l'époque du roi Juba. Peut- être
sommes-nous sur l'emplacement de ce grand temple, qu'au seizième
siècle, l'Espagnol Marmot signale ' sur le bord de la mer "
et qui était bâti de marbre et d'albâtre ( Il
se pourrait cependant que Marmot ait voulu parler des thermes.).
LES THERMES DE L'EST
En sortant de Cherchel par la porte d'Alger, on arrive au champ de manuvres,
à l'extrémité duquel de grands pans de murs attirent
il. La construction rappelle les thermes de l'ouest, et ce sont
aussi des thermes (no 6 sur la carte).
La salle principale, dallée de marbre, qui mesure vingt mètres
sur douze, est flanquée au sud de deux grandes niches. On entrait
dans cette salle par deux portes, s'ouvrant à l'ouest. En face,
un bassin arrondi servait aux bains froids ; il était surmonté
d'une statue d'homme vêtu du costume national romain, la toge :
c'était peut-être le portrait du généreux citoyen
dont la munificence avait gratifié ses compatriotes de ce bel édifice.
D'autres salles voisines, dont les murs sont à peine apparents,
pouvaient être chauffées par les procédés que
nous avons indiqués plus haut dans la description des autres thermes
; des plaques de marbre et des stucs peints en ornaient les parois.
Sur les pentes qui dominent cette ruine,
des maisons s'élevaient jadis, plus clairsemées qu'ailleurs,
mais plus luxueuses. C'était là, semble-t-il, que se trouvait
le quartier aristocratique de Césarée. Dans la ferme Nicolas
(no 7), une riche demeure a livré à ceux qui l'ont fouillée
quelques sculptures, dont une statue du dieu Bacchus, et d'intéressantes
mosaïques, que l'on a recouvertes de terre pour les préserver
: l'une d'elles représente un cavalier qui donne la chasse à
un cerf et à un lion ; une autre, le groupe des trois Grâces,
nues, souriantes et étroitement enlacées, copie d'un célèbre
tableau grec, du quatrième siècle avant notre ère,
qui, à l'époque romaine, fut très populaire et imité
partout, en peinture, en statuaire, en bas-relief, sur des monnaies, des
lampes et des pierres gravées.
L'AMPHITHÉATRE
Après avoir jeté un coup il sur les thermes de l'est,
le visiteur n'aura qu'à suivre un sentier qui se détache
à cet endroit de l'extrémité du champ de manuvres,
dans la direction du levant, et, après cinq minutes de marche,
il arrivera à la hauteur de l'amphithéâtre, qui se
trouve à une centaine de mètres sur la gauche. Ce monument
servait dans l'antiquité aux combats de gladiateurs, aux chasses
d'apparat, aux luttes contre les bêtes féroces. De forme
ovale, selon l'usage, il mesure cent vingt mètres de long sur quarante
de large ; les deux entrées se trouvaient aux extrémités
du grand axe. Il y a une cinquantaine d'années, c'était
le mieux conservé des édifices antiques de Cherchel, mais
on y a pris tant de pierres, qu'il ne reste plus en ce lieu que quelques
décombres, envahis par les oliviers, les aloès, les acanthes,
les cactus, les absinthes ; au centre, s'étend un champ de maïs.
Plusieurs gradins sont encore visibles au nord- est. Un bas-relief, trouvé
à Cherchel, nous fait connaître un certain Flavius Sigerus,
maître des gladiateurs qui combattaient dans cette arène
; il est figuré debout, tenant à la main la longue baguette
qui lui servait à tracer sur le sable les limites de l'espace assigné
aux exercices de ses élèves. Un autre souvenir, plus intéressant,
se rattache à notre amphithéâtre. Ce fut là
qu'eut lieu le martyre de la vierge Martienne. On en a gardé le
récit, écrit, il est vrai, longtemps après l'événement
et entremêlé de détails fort suspects ; il mérite
néanmoins quelque créance, car l'auteur qui le composa connaissait
certainement très bien Césarée. Cette jeune fille,
née à Rusuccuru, aujourd'hui Tigzirt, sur la côte
de la grande Kabylie, était d'une rare beauté et d'une noble
naissance ; cependant elle avait voulu se consacrer à Dieu. Étant
venue à Césarée, elle y vivait loin du monde, dans
une cellule. Un jour, pourtant, elle céda à la tentation
de visiter la ville. Arrivée devant l'amphithéâtre,
non loin de la porte de Tipasa, elle remarqua sur une place une statue
de la déesse Diane, ornant une fontaine. Saisie de colère
à la vue de cette idole, elle lui brisa la tête et la renversa.
La foule s'empara d'elle, la roua de coups et l'entraîna auprès
du gouverneur. Celui-ci ordonna qu'elle fût livrée à
des gladiateurs, mais un mur qui s'éleva à plusieurs reprises
entre eux et la vierge les empêcha d'attenter à sa chasteté.
Au milieu de ces épreuves, elle fut insultée lâchement
par un juif et par sa famille, dont la maison était voisine de
la caserne des gladiateurs. Marcienne alors supplia Dieu d'incendier cette
demeure, prière qui, comme nous allons le voir, fut exaucée.
Le jour suivant, on la mena à l'amphithéâtre. Elle
y fut attachée à un poteau et présentée à
un lion, qui ne voulut pas d'elle. Mais le juif et ses amis, qui s'acharnaient
contre elle, demandèrent à grands cris qu'on la livrât
à un taureau : ce qui fut fait. La bête furieuse la blessa
au sein ; puis survint un léopard, qui l'acheva. En ce moment même,
la maison du juif prit feu. Bien souvent, plus tard, on essaya de la reconstruire,
mais toujours elle retomba en ruines. - Sainte Marcienne périt
ainsi le 9 janvier ou le 11 juillet, on ne sait pas en quelle année,
ni sous quel empereur. Aux yeux des docteurs de l'Église, l'acte
qu'elle avait commis était répréhensible : ils condamnaient
le zèle téméraire des chrétiens, qui couraient
au-devant de la mort en renversant des idoles et risquaient, par leur
imprudence, d'attirer de grands malheurs sur toute la communauté.
Cependant de tels traits d'héroïsme excitaient tant d'admiration
parmi les fidèles, que l'autorité ecclésiastique
devait souvent céder à la pression du peuple et accorder
le titre glorieux de martyrs à ceux qui étaient morts pour
ce motif. La mémoire de Marcienne fut vénérée
non seulement en Afrique, mais même en Espagne, en particulier à
Tolède, où l'on composa à sa louange une hymne que
nous avons conservée.
A peu de distance de l'amphithéâtre, se trouvait, comme nous
l'apprend l'écrit que nous venons d'analyser, la porte de Tipasa
: de là partait la route qui allait rejoindre cette ville et, plus
loin, lcosium (Alger). Des deux côtés de la chaussée,
s'étendaient de vastes cimetières, où l'on a trouvé
un très grand nombre de tombes païennes et chrétiennes,
semblables à celles des cimetières occidentaux dont nous
parlerons tout à l'heure. L'une de ces sépultures était
recouverte d'une mosaïque où l'on voyait Orphée charmant
les animaux par sa divine musique : image commune aux chrétiens
et aux païens, car elle était, pour les uns et les autres,
l'affirmation de la croyance à l'immortalité de l'âme,
qu'Orphée passait pour avoir enseignée aux hommes.
LE THÉÂTRE. - LES THERMES DU CENTRE.
- LES CITERNES
En quittant l'amphithéâtre, on pourra se diriger du côté
de la mer, jusqu'à la grande route, qu'on suivra ensuite pour revenir
en ville par la porte d'Alger. Après avoir longé l'esplanade
et fait une centaine de pas dans la rue principale, on tournera à
gauche par la rue du Théâtre. A l'extrémité
de cette rue, on arrivera en face d'une carrière de tuf (n* 9 sur
la carte). C'est l'emplacement du théâtre romain qui, en
1840, était encore bien conservé. Vingt- sept gradins superposés
recevaient autrefois les spectateurs; en avant, régnait un portique,
avec des colonnes de granit et de marbre blanc. Les matériaux ont
été pris pour construire la caserne que l'on voit au-dessus,
et actuellement ce théâtre n'a plus laissé d'autre
souvenir que le nom de la rue qui y conduisait. De pareils actes de vandalisme
ont été malheureusement trop fréquents en Algérie
depuis notre conquête.
Non loin de là, à l'intersection des rues du Centre et du
Caire, s'élevaient des thermes, décorés avec luxe
comme les deux établissements semblables dont nous avons déjà
parlé (no 10). Près du croisement des deux rues, on voit
encore un pilier ayant appartenu à cet édifice et émergeant
au milieu d'une maison arabe. Là aussi, on a trouvé diverses
sculptures, entre autres une statue de la déesse Diane se livrant
à son plaisir favori, la chasse.
La caserne des tirailleurs (no 11) ,a été bâtie sur
de vastes citernes, consistant en six salles contiguës, dont chacune
a vingt mètres de long, six mètres de large et environ huit
mètres de hauteur. Elles sont fort bien conservées et sont
encore employées à l'alimentation de la ville. A l'époque
romaine, elles recevaient l'eau de diverses sources voisines et surtout
d'un aqueduc, long de sept lieues, qui prenait naissance au village actuel
de Marceau, à la partie supérieure de la rivière
appelée l'oued El-Hachem. Le tracé de cet aqueduc est facile
à reconnaître. La conduite, large d'un mètre et plus
haute qu'un homme, couverte par de grandes dalles plates et éclairée
par de nombreux regards, était tantôt souterraine, tantôt
soutenue par des arcades. A trois lieues de Cherchel, on admire, près
de la route d'Alger ( Sur la gauche,
quand on vient de Marengo), les restes majestueux d'un vaste
pont à trois étages qui, portant l'aqueduc, traversait à
cet endroit la vallée d'un affluent de l'oued El-Hachera. Ce sont
dix-sept arches, hautes d'une vingtaine de mètres, en belles pierres
de taille, que les siècles ont dorées. Plus près,
à cinq kilomètres de la ville, un autre pont, qui était
moins élevé et dont il ne reste que quelques piliers, franchissait
la plaine étroite de l'oued Bellah. On voit que les Romains n'avaient
pas reculé devant un travail gigantesque afin de doter Césarée
d'une excellente eau.
LE CIRQUE
Pour visiter les ruines du cirque (no 12 sur la carte), voisin du cimetière
arabe, il faut monter à droite de la caserne et sortir par la porte
de Miliana. On fait une centaine de pas sur la route, puis on prend, à
droite, un sentier bordé d'aloès et de cyprès, que
l'on suit pendant environ trois minutes. Le cirque, qui a plus de quatre
cents mètres de longueur, présente la forme d'un rectangle,
dont un des petits côtés, le plus rapproché de la
ville, est arrondi. Au sud, les gradins s'adossaient aux pentes qui dominaient
l'arène ; au nord, au contraire, ils étaient soutenus par
des voûtes, maintenant perdues au milieu des ronces et des aloès.
L'Afrique était la patrie des meilleurs chevaux de course et des
cochers les plus renommés ; les représentations du cirque
devaient donc être un grand attrait pour les citoyens de Césarée.
Une mosaïque trouvée dans une maison romaine, au-dessus du
champ de manuvres, montre un beau cheval bai, se dirigeant vers
un laurier, symbole des victoires qu'il avait remportées, sans
doute à Césarée même. C'est, comme l'indique
une inscription, Muccosus, le Morveux. Le Morveux t on aurait pu, sans
doute, donner à cette noble bête un nom plus flatteur. Sur
sa croupe, on a eu soin de tracer le nom de son maître, qui était
probablement aussi le propriétaire de la maison, Claudius Sabinus.
Enfin trois lettres (P R A), que l'on remarque sur son cou, nous apprennent
qu'il appartenait au parti des verts (prasiniani). Comme nos jockeys,
les cochers de cirque portaient en effet des casaques de différentes
couleurs, bleue, verte, blanche, rouge, et les partis que ces couleurs
représentaient avaient chacun leurs chevaux, leurs chars, leur
personnel, leurs amis passionnés dans le public.
Si l'on en a le temps, on fera bien de monter jusqu'au sommet des crêtes
qui couronnent Cherchel et d'où une vue splendide embrasse la ville,
la mer, la côte dans la direction de Gouraya, à l'ouest,
et du Chenoua, à l'est. Le long de ces crêtes, se distinguent
çà et là des restes de la vaste muraille qui protégeait
Césarée. Semblable au rempart de Tipasa, qui est en moins
mauvais état,. elle avait deux mètres de largeur et présentait,
de distance en distance, de grosses tours rondes ou carrées; quatre
portes livraient passage à des routes menant à Tipasa, à
Gunugu (Gouraya), à Aqu (Hammam Righa) et à Zuccabar
(Miliana). En dehors de cette enceinte, les collines voisines étaient
surmontées de fortins, servant de postes-vigies.
LES CIMETIÈRES DE L'OUEST
A l'ouest de Cherchel, une route moderne, qui sort de la porte de Ténès,
se dirige parallèlement à la côte, et, au bout d'un
kilomètre environ, franchit un pont jeté sur un petit ravin
(El-Kantara). C'était dans cette région, aux abords de la
voie qui conduisait à Gunugu, que se trouvaient plusieurs cimetières,
correspondant à ceux qui bordaient, de l'autre côté
de Césarée, la voie de Tipasa et dlcosium. Les tombes, détruites
ou recouvertes de terre, ne sont plus visibles ( On
remarque cependant sur la route, à gauche, deux cents mètres
avant le pont, le soubassement, orné de moulures, d'un mausolée.).
Le commandant Archambeau, qui en a exhumé un très grand
nombre dans sa propriété d'El-Kantara, située à
gauche de la route, a constitué chez lui une intéressante
collection, formée des objets trouvés dans ses fouilles.
Les païens avaient, on le sait, l'habitude de déposer auprès
de leurs morts tout un mobilier funéraire : vaisselle, vases à
boire, fioles à parfums, lampes, objets de parure, instruments
de toilette, monnaies. Les poteries, très nombreuses, présentent
les formes les plus diverses, plats, écuelles, tasses, brocs, burettes,
bouteilles à goulot allongé, etc. Les unes ont été
fabriquées à Césarée même : elles sont
d'ordinaire d'une terre jaune assez grossière et de formes lourdes.
D'autres, légères, gracieuses de contours, recouvertes d'un
vernis rouge éclatant, parfois rehaussées d'ornements et
de figures, provenaient de fabriques célèbres d'Italie,
et elles portent des marques répandues dans tout le monde romain.
Les petites lampes, de forme ronde, avec un ou deux becs dans lesquels
étaient glissées les mèches, ont été
décorées de plantes, d'animaux divers, de personnages :
gladiateurs combattant, amoureux; divinités, etc. Les fioles de
verre, que l'on trouve rarement intactes, sont d'une finesse et d'une
élégance parfaites. Quant aux morts, tantôt on les
enterrait, tantôt on les brûlait. On déposait les premiers
sous une sorte de toit formé par des tuiles appuyées les
unes contre les autres, ou dans une cuve rectangulaire en briques maçonnées,
avec un couvercle de larges briques plates, ou bien encore à l'intérieur
d'une auge creusée dans une seule pierre. Les enfants recevaient
parfois une sépulture originale. On prenait une grande amphore
que l'on sciait par le milieu, dans le sens de la longueur : on plaçait
le petit corps dans l'une des moitiés, contre laquelle l'autre
était ensuite soudée, et, ainsi, ce vase-cercueil paraissait
intact. Les restes des morts incinérés étaient enfermés
dans des pots en argile ou en verre, qu'abritait soit un cadre de tuiles,
soit une sorte de caisson massif en maçonnerie, de forme demi-cylindrique,
soit une grosse boîte constituée par un bloc de tuf, en partie
évidé, et par un couvercle plein, de même matière.
Au-dessus du soi, on dressait souvent des plaques de marbre, ornées
d'une image qui était censée représenter le mort,
mais qui, généralement, n'était pas un portrait,
car on n'avait guère l'habitude de faire fabriquer ces bas-reliefs
sur commande ; on se contentait d'aller les choisir dans quelque magasin,
rempli d'articles tout confectionnés. Il suffisait d'ajouter au-dessous
le nom, la profession, l'âge et, si l'on voulait, l'éloge
du défunt avec les regrets de ses héritiers. Il y avait
aussi des sépultures de famille ou de corporation, consistant en
une ou plusieurs salles ; on y avait ménagé, le long des
parois, plusieurs séries de petites niches, qui ressemblaient assez
aux ouvertures d'un pigeonnier, et dans lesquelles étaient placés
les vases ou les petites boîtes de marbre contenant les cendres.
On appelait ces tombeaux des colombaires à cause de la forme des
niches. Les gens fortunés se faisaient construire des mausolées,
parfois luxueux, et, dans le cas où leurs restes étaient
inhumés, on les déposait clans des sarcophages décorés
de sculptures.
Plus tard, les chrétiens, dont le nombre augmentait sans cesse,
eurent aussi leurs cimetières contre les routes de Gunugu et de
Tipasa. Leurs tombes, qui ne renferment pas dé mobilier funéraire
et ne contiennent que des corps inhumés, sont en général
plus simples que celles des païens. On a cependant trouvé
quelques sarcophages où se voit le Christ en Bon Pasteur, avec
une brebis sur les épaules ; un autre, découvert dans la
région d'El-Kantara, représente l'adoration des Mages et
les trois Hébreux dans la fournaise : il est actuellement chez
le curé de Cherchel et sera encastré dans le maître
autel de la nouvelle église. C'est aussi près de la route
de Gouraya, à gauche, à un kilomètre et demi environ
de la porte de Ténès, que l'on a reconnu les ruines d'un
cimetière chrétien très ancien. Au milieu d'une sorte
de jardin, avait été ménagée une aire, longue
d'une trentaine de mètres, large de moitié, fermée
par des murs assez élevés pour en cacher l'intérieur,
et ne présentant qu'une entrée. Elle a servi de lieu de
repos : à certains endroits les tombes formaient jusqu'à
six étages superposés; elle a servi peut-être aussi
de lieu de réunion et de culte pour les fidèles, au temps
des persécutions, lorsqu'il leur était défendu de
s'assembler ailleurs qu'autour de leurs morts. Une petite chapelle voûtée
s'élevait, dit-on, au centre de cet espace. Une inscription, qu'on
y a trouvée et qui est aujourd'hui au musée d'Alger, nous
apprend que l'Église dut l'aire et la chapelle à la générosité
d'un certain Evelpius et qu'en cet endroit était enseveli M. Antonius
Julius Severianus. Le nom de ce personnage, qui était sénateur
et appartenait par conséquent à la plus haute aristocratie
de l'empire, figure aussi sur des listes de martyrs : il mourut pour sa
foi à Césarée, en même temps que sa femme Aquila,
un 23 janvier : on ignore en quelle année.
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