| PRÉFACE Ce petit livre n'a aucune prétention scientifique. 
        Répondant à un désir qui nous a été 
        plus d'une fois exprimé, il s'adresse aux touristes qui, passant 
        à Cherchel et à Tipasa, souhaiteront quelques renseignements 
        sur le passé de ces deux localités, ainsi que de brèves 
        explications sur leurs ruines et sur les uvres d'art que leur sol 
        a livrées. Un chapitre est consacré au Tombeau de la Chrétienne, 
        fréquemment visité par les voyageurs. Je me suis naturellement 
        beaucoup servi des ouvrages savants qui traitent de ces antiquités. 
        Ceux qui voudront les consulter en trouveront la liste à la fin 
        du volume, mais je dois indiquer ici, comme m'ayant été 
        particulièrement utiles, les divers mémoires que M. Vaille 
        a écrits sur Cherchel, la description du musée de cette 
        ville par M. Gauckler et l'Exploration du Tombeau de la Chrétienne 
        par Berbrugger. J'ai fréquemment reproduit des passages d'une étude 
        sur Tipasa, que j'ai publiée en 1894 dans les Mélanges de 
        l'École française de Rome.  GUIDE ARCHÉOLOGIQUE 
        DES ENVIRONS D'ALGER(CHERCHEL, TIPASA, TOMBEAU DE LA CHRÉTIENNE)
 LIVRE PREMIER
 CHERCHEL
 
 CHAPITRE PREMIER
 HISTOIRE DE LA VILLE
 A environ cent kilomètres à l'ouest d'Alger, 
        au delà de la masse énorme du Chenoua, qui, s'avançant 
        dans la mer, s'élève jusqu'à près de neuf 
        cents mètres, au delà des embouchures de deux petites rivières, 
        l'Oued-el-Hacheur et l'Oued-Bellah, s'étend le long du rivage un 
        plateau bas et large d'à peine un kilomètre. Au nord, ses 
        flancs sont rongés et déchirés par les flots; au 
        sud, il est dominé par un ruban de collines, hautes de deux cents 
        mètres, aux pentes assez rapides, et, plus loin, par les montagnes 
        confuses qu'occupe la tribu des Beni-Menasser. Cette bande de terre est 
        d'une grande fertilité et jouit d'un climat doux et salubre. La 
        roche calcaire, facile à tailler, qui forme le plateau, les forêts 
        qui couronnaient jadis les hauteurs voisines, fournissaient les matériaux 
        nécessaires à la construction de maisons et de vaisseaux 
        ; la région environnante abonde en cuivre, en fer, en marbre et 
        en granit.
 Les avantages de cette position furent remarqués par les Phéniciens, 
        qui fondèrent, sur toute la côte de l'Afrique septentrionale, 
        une suite de comptoirs de commerce, d'abris et de places de ravitaillement 
        le long de la route de l'Atlantique. Comme en bien d'autres lieux, ils 
        établirent leur port en arrière d'une petite île (aujourd'hui 
        l'îlot Joinville), très voisine de la terre : c'était 
        un brise-lames naturel et un refuge isolé en cas d'attaque des 
        indigènes. Leur petite colonie, qui est mentionnée au quatrième 
        siècle avant J.-C., s'appelait Iol : on ne sait guère autre 
        chose sur elle. - Après la chute de Carthage, elle tomba au pouvoir 
        des rois maures et, au temps de César, l'un d'eux, Bocchus, la 
        choisit pour capitale. Maître du pays qui correspond à nos 
        départements d'Oran, d'Alger et à une partie de celui de 
        Constantine, il s'y trouvait à peu près au centre de ses 
        Étals. Cependant Iol n'était encore qu'une bourgade, presque 
        ignorée du monde civilisé. A l'époque de l'empereur 
        Auguste, Juba II, qui y résida, en fit une grande ville.
 
 Le père de ce prince était Juba Ier, roi de Numidie, qui, 
        ayant pris parti pour Pompée contre César, avait été 
        vaincu par ce dernier et s'était tué après sa défaite, 
        en 46 avant notre ère. Son fils, âgé de cinq à 
        six ans, fut emmené en Italie, où il figura au triomphe 
        du dictateur. Il grandit auprès d'Octave, qui l'éleva dans 
        le respect de Rome et le confia à des maîtres illustres : 
        ceux-ci lui donnèrent, selon la coutume du temps, une éducation 
        plus grecque encore que latine. Il prit, comme son protecteur, le nom 
        de Caius Julius, et il combattit avec lui contre Antoine et Cléopâtre. 
        Sa bonne conduite, sa soumission sincère furent récompensées 
        par la couronne de Numidie, qu'Octave lui donna en l'an 29 avant J.-C. 
        Après dix-sept ans d'un exil honorable, il fut ainsi rétabli 
        dans une partie des États de son père. Il n'y resta d'ailleurs 
        pas longtemps, car, en 25, il reçut en échange la Maurétanie, 
        c'est-à-dire le Maroc et les trois quarts de l'Algérie. 
        La mort du roi Bocchus, qui rie laissait pas d'héritier, avait 
        mis cette contrée à la disposition d'Octave, devenu Auguste; 
        mais celui-ci n'avait point voulu en faire une province, ne la jugeant 
        pas encore mûre pour une simple annexion. Juba fut donc chargé 
        d'assouplir ses nouveaux sujets, dont on connaissait la turbulence, et 
        de favoriser le développement des colonies de citoyens romains, 
        établies çà et là en Maurétanie pour 
        y répandre les murs latines. En même temps qu'un royaume, 
        il avait reçu de l'empereur une femme, Cléopâtre Séléné, 
        fille de la fameuse Cléopâtre et d'Antoine, emmenée 
        comme Juba en Italie après la mort tragique de ses parents et comme 
        lui recueillie par Auguste. Elle lui fut associée, sinon en fait, 
        du moins en droit, dans le gouvernement de la Maurétanie, et ainsi 
        ces deux enfants d'ennemis acharnés de Rome s'unirent pour devenir 
        ses vassaux dévoués.
 
 Juba, qui régna un demi-siècle, ne réussit pas toujours 
        à maintenir dans le devoir les barbares dont il était le 
        souverain, et il lui arriva d'être obligé de demander contre 
        eux l'appui du gouverneur de la. province voisine d'Afrique. Quant à 
        lui, sa docilité envers Rome semble ne s'être jamais démentie. 
        Sur ses monnaies, c'était en latin que son nom et son titre de 
        roi étaient gravés, et il y faisait souvent représenter 
        des images à la gloire de l'État romain ou de la personne 
        de l'empereur; il célébrait un culte en l'honneur de la 
        divinité d'Auguste ; il se montrait fier des décorations 
        que le Sénat lui décernait pour des victoires plus ou moins 
        authentiques sur des nomades pillards.
 
 A Rome, dans la maison d'Octave, il s'était pris de goût 
        pour les lettres, les arts et les sciences : sa jeunesse de prince exilé 
        n'avait pas trouvé de meilleur passe- temps. Plus tard, sentant 
        peut-être combien son rôle de roi était effacé, 
        il voulut se faire un grand nom comme homme de lettres. Il fut, dit Plutarque, 
        le meilleur des historiens couronnés. Historien, il le fut ; mais 
        il fut aussi géographe, naturaliste, grammairien, critique d'art 
        et même quelquefois poète. Sa curiosité gloutonne, 
        sa manie d'écrire se portèrent sur tout. Il fit des livres 
        sur l'histoire de Rome, depuis sa fondation jusqu'à la mort d'Auguste, 
        sur les institutions romaines, sur l'Arabie, sur les Assyriens, sur la 
        Libye, sur la peinture, sur le théâtre, sur des plantes médicinales; 
        cet Africain s'avisa même d'écrire un traité sur la 
        corruption du langage grec. Il avait lu Latins, Carthaginois, Grecs de 
        la Grèce et de l'Orient. Ne ressentait-il pas l'influence, n'était-il 
        pas l'héritier des civilisations les plus diverses: numide par 
        sa naissance, punique par la puissance d'attraction que Carthage avait 
        exercée pendant des siècles sur sa race, romain par ses 
        premières années passées dans la capitale du monde, 
        par les attaches d'intérêt et de reconnaissance qui le liaient 
        à Auguste, grec par son éducation, égyptien grécisé 
        par son mariage? Mais la Grèce surtout s'empara de son esprit. 
        C'était en grec qu'il écrivait, c'étaient des coutumes, 
        des mots grecs qu'il retrouvait au fond des coutumes et des mots romains, 
        c'était de légendes helléniques qu'il assaisonnait 
        l'histoire de son pays, la Libye. Les Athéniens l'en récompensèrent 
        en lui élevant une statue : honneur auquel il fut sans doute aussi 
        sensible qu'au bâton d'ivoire, à la chaise curule et à 
        la couronne d'or que le Sénat de Borne lui avait un jour envoyés.
 
 Les auteurs grecs et latins qui vinrent après lui firent grand 
        cas des uvres de ce confrère de race illustre : Pline l'Ancien 
        y puisa une bonne part de ses connaissances en géographie, en zoologie, 
        en botanique; Plutarque, une foule de renseignements sur les antiquités 
        romaines; bien d'autres les pillèrent sans en rien dire. Ce n'était 
        pourtant pas par une critique bien sévère que Juba méritait 
        l'estime des érudits. Il recueillait sans défiance ce qu'il 
        lisait dans les livres anciens et ce que venaient lui raconter des gens 
        qui se jouaient peut-être un peu de sa crédulité; 
        comme le firent ces fripons grecs qui lui vendirent un jour, sous le nom 
        de manuscrits d'Aristote, des grimoires auxquels d'habiles manipulations 
        avaient donné un aspect vénérable. Ce fut Juba qui 
        se fit l'éditeur responsable de contes de bonne femme sur les éléphants, 
        - qu'il aurait pourtant été à même de bien 
        connaître, puisqu'ils abondaient dans son royaume, - sur leur esprit 
        de charité envers leurs semblables, sur leurs ruses de guerre, 
        sur leur religion pour le soleil et la lune, etc. Mais il était 
        toujours si bien informé de ce que les auteurs de tout pays avaient 
        dit avant lui !
 
 Il était si complet sur tout sujet ! Pour les savants, surtout 
        pour les faux savants désireux de faire montre d'une érudition 
        facilement acquise, ses livres furent, pendant plusieurs siècles, 
        de véritables dictionnaires, une sorte de Grande Encyclopédie. 
        On poussa même la bienveillance envers lui jusqu'à le trouver 
        spirituel; et pourtant un de ses bons mots, parvenu jusqu'à nous, 
        ne nous donne guère le désir d'en connaître d'autres. 
        Un jour qu'il se promenait à cheval, sa bête éclaboussa 
        un passant, qui osa s'en prendre au cavalier : " Que me veux-tu, 
        lui répondit Juba, me prends-tu donc pour un centaure? " 
        - Une tête en marbre, qui est son portrait, a été 
        trouvée récemment à Cherchel et envoyée au 
        Louvre : on croit voir un bon vieux savant, à l'air sérieux, 
        calme, doux et quelque peu niais; cette image laisse deviner le zèle, 
        le soin minutieux que ce brave homme dut apporter à ses utiles 
        travaux de compilation; elle nous fait aussi comprendre que ses sujets 
        aient parfois cédé à la tentation de le traiter comme 
        un roi soliveau.
 
 Un souverain aussi cultivé devait chercher à s'entourer 
        de gens de science et d'artistes. Il appela auprès de lui des acteurs 
        fameux et eut pour médecin le grec Euphorbe, frère d'un 
        praticien illustre qui avait guéri Auguste et inventé une 
        méthode d'hydrothérapie. Il aimait le faste et l'on vantait 
        ses tables en bois de citronnier, qui valaient bien plus que leur pesant 
        d'or. On ne s'étonne donc pas qu'il se soit piqué de transformer 
        sa capitale Iol en une ville gréco-romaine. Il la plaça 
        tout d'abord sous le patronage de l'empereur, en l'appelant Cesarea. Il 
        la peupla de statues; il y construisit de luxueux édifices, dont 
        quelques-uns sont représentés sur ses monnaies : les temples 
        d'Auguste, d'Isis, de la déesse Céleste. Nous verrons plus 
        tard que c'est peut-être de son règne qu'il faut faire dater 
        un monument imposant, dont les débris ont été découverts 
        contre l'Esplanade, et, à quelques lieues de Cherchel, nous retrouverons 
        le magnifique mausolée qu'il fit élever, pour lui et pour 
        sa famille. Il voulut aussi faire de Césarée un grand port 
        de commerce : sur des monnaies de cette époque, les armes de la 
        ville sont un dauphin et un navire ; des vaisseaux qui en partirent alors 
        s'avancèrent jusqu'à Madère et aux îles Canaries, 
        où furent fondées des teintureries de pourpre.
 
 Juba mourut en 23 après J.-C. Quelques années auparavant 
        (peut-être en 21), il s'était associé son fils Ptolémée, 
        dont le nom rappelait les illustres rois égyptiens dans la famille 
        desquels Juba était entré par son mariage avec Cléopâtre 
        Séléné. Le nouveau souverain, jeune homme sans intelligence 
        ni énergie, abandonna le gouvernement à des favoris et mena 
        une vie de débauches : il ne l'interrompit guère que pour 
        aller seconder les armées romaines, aux prises avec une révolte 
        terrible, qui dura plusieurs années. Caligula, devenu empereur 
        à la mort de Tibère, se montra d'abord bien disposé 
        pour son royal cousin - ils descendaient tous deux d'Antoine le triumvir 
        ; - il semble même lui avoir permis de frapper de la monnaie d'or, 
        droit que Juba n'avait jamais possédé. Il l'invita à 
        venir à Rome : c'était, il est vrai, moins par désir 
        de le voir que pour faire figurer dans son cortège un prince puissant. 
        Mais Ptolémée eut le mauvais goût de ne pas se tenir 
        au second plan ; un jour qu'il entrait au théâtre avec l'empereur, 
        son superbe manteau de pourpre attira tous les regards et excita des murmures 
        d'admiration. Caligula, furieux de jalousie, le fit jeter en prison, l'affama, 
        ne lui laissa à boire que l'eau des gouttières, et enfin 
        le mit à mort (40 ans après J.-C.)
 
 Le temps semblait d'ailleurs venu d'annexer définitivement la Maurétanie. 
        Elle fut partagée en deux vastes districts, dont l'un correspondit 
        au Maroc, et l'autre, le plus étendu, aux départements d'Oran, 
        d'Alger et à une partie de celui de Constantine. Cette dernière 
        province prit le nom de Maurétanie Césarienne, parce qu'elle 
        reçut pour capitale Césarée. C'était là 
        que résidait le procurateur, représentant du prince, S'il 
        n'appartenait pas à la haute aristocratie, à la caste sénatoriale, 
        il était un des plus importants fonctionnaires de l'ordre des chevaliers, 
        seconde noblesse de l'empire, noblesse personnelle et non héréditaire 
        comme l'autre, Il réunissait en ses mains tous les pouvoirs : commandement 
        des nombreuses troupes campées dans la contrée, perception 
        des finances, direction des travaux publics, surveillance des communes, 
        administration des indigènes, juridictions civile et criminelle. 
        C'était à Césarée qu'il avait ses bureaux, 
        dans lesquels il employait un personnel nombreux; c'était là 
        qu'était établi l'escadron de cavalerie qui formait sa garde 
        particulière. Il avait en outre auprès de lui divers corps 
        de troupes, avec lesquels il surveillait le pays montagneux qui avoisinait 
        son lieu de résidence, et qu'il pouvait emmener en campagne immédiatement, 
        aussitôt que quelque grave péril était. signalé 
        sur un point quelconque de sa province, toujours menacée par des 
        bandes de pillards. Ces troupes consistaient surtout en cavalerie ; une 
        partie des soldats qui les formaient venaient, du moins à l'origine, 
        des pays du Danube et de la Syrie. Des bas-reliefs conservés au 
        musée nous montrent les images de quelques-uns d'entre eux, avec 
        leur armement : grande lance, cuirasse, bouclier allongé. - Derrière 
        le port marchand, fut creusé un bassin dans lequel s'abritait la 
        flotte militaire mise à la disposition du gouverneur contre les 
        pirates : c'était une division formée à l'aide de 
        navires et d'équipages des flottes d'Alexandrie et de Syrie.
 
 Peu après l'annexion, l'empereur Claude fit de Césarée 
        une colonie : elle s'appela désormais Colonia Claudia Caesarea. 
        Comme les autres cités de même condition, elle eut son conseil 
        municipal, ou conseil des décurions, ses deux maires ou duumvirs, 
        ses deux édiles chargés de l'entretien des rues et de la 
        police. Restée capitale d'une vaste région qui, sous la 
        domination romaine, a joui d'une grande richesse agricole, ville de fonctionnaires, 
        de soldats, de marchands, d'industriels, d'artistes, elle s'agrandit et 
        s'embellit. Son enceinte, qui fut peut-être construite au second 
        siècle de notre ère, enferma un espace de deux kilomètres 
        et demi de long sur un kilomètre et demi de large, où se 
        pressa une population que l'on peut évaluer, d'une manière 
        bien approximative, il est vrai, à cent cinquante mille habitants. 
        Ce fut, semble-t-il, à la fin du deuxième siècle 
        et au commencement du troisième qu'elle parvint à la plus 
        brillante prospérité; alors régnait une dynastie 
        qui fit beaucoup pour le pays où était né son chef, 
        Septime Sévère : les nombreuses inscriptions que les gens 
        de Césarée gravèrent en l'honneur de ces princes 
        sont autant d'hommages de reconnaissance. En 218, ils virent un de leurs 
        compatriotes, Macrin, arriver à l'empire.
 
 Les gouverneurs et la municipalité rivalisaient de zèle 
        pour faire du chef-lieu de la province une ville magnifique, surpassant 
        en éclat la capitale de l'illustre roi Juba. Une inscription du 
        début du troisième siècle, qui nous rapporte un petit 
        détail d'édilité, nous laisse entrevoir ces prétentions. 
        Elle nous raconte comment une rue était, par son aspect peu régulier, 
        une honte pour la cité : les conseillers municipaux y mirent bon 
        ordre; ils la firent paver " de manière qu'elle répondit 
        à la splendeur de leur " patrie. " En divers lieux, s'élevaient 
        de vastes bains publics, des temples, un théâtre, un cirque, 
        des arènes. Ces édifices étaient ornés d'une 
        profusion de marbres, dont les uns provenaient des carrières voisines, 
        exploitées dans le Chenoua, mais dont les autres étaient 
        apportés de loin, des environs de Philippeville et de Guelma, de 
        la province d'Otan, de la Tunisie, voire même de l'Italie, de l'Asie 
        mineure et de l'Égypte. Les particuliers imitaient ces exemples 
        et se faisaient construire de riches maisons de plaisance. Le travail 
        ne manquait pas aux mosaïstes, aux peintres décorateurs, aux 
        sculpteurs, fabricants de statues de divinités et de souverains, 
        de portraits, de tombeaux couverts de bas-reliefs, de sujets de genre 
        destinés à décorer des fontaines, des bains, des 
        cours : c'étaient, à vrai, dire, moins des artistes que 
        des praticiens, qui copiaient, le plus souvent d'une manière assez 
        servile, des cahiers de modèles; cependant ils se montraient quelquefois 
        assez fiers de leurs uvres pour les signer. Des industries diverses 
        occupaient un grand nombre de bras : une inscription nous fait connaître 
        une corporation de ciseleurs en argent; beaucoup de lampes en argile, 
        recueillies à Cherchel et dans toute la région environnante, 
        portent des réclames de potiers : " Achetez des lampes pour 
        un sou !
 - ". Achetez des lampes, achetez des figurines
 - " Achetez une bonne veilleuse ! D La fabrication de poésies 
        sur commande était aussi, semble-t-il, un métier assez lucratif, 
        à en juger par le grand nombre d'éloges funèbres 
        versifiés que des pierres tumulaires nous ont conservés.
 Les gens de l'intérieur qui venaient visiter Césarée 
        se perdaient dans la foule des étrangers que les affaires, la curiosité, 
        la douceur du climat y attiraient. On a retrouvé la pierre tombale 
        d'un touriste espagnol qui y mourut, et voici ce que son épitaphe 
        lui faisait dire :
 " La terre de Bétique m'a donné le jour. Désireux 
        de connaître le pays de la Libye, je suis venu à Césarée. 
        Ma destinée s'est accomplie et maintenant je repose sur un rivage 
        étranger. J'ai vécu cinquante ans. Tant qu'il m'a été 
        donné de vivre, j'ai vécu cher aux miens, pieux, habile 
        en toutes choses. Allez, ô vous qui fûtes les miens, retournez 
        sans moi vers ceux des miens qui sont restés en Espagne, et toi, 
        passant, dis-moi, je t'en prie : Que la terre te soit légère 
        et que tes os reposent mollement ! "
 
 Cette grande ville ne présentait guère une physionomie africaine 
        : on se serait cru dans quelque cité de l'Italie du sud, toute 
        pénétrée des murs helléniques. Ses habitants 
        portaient surtout des noms. latins ou grecs; quant aux noms maures ou 
        puniques, sentant la barbarie native ou rappelant l'influence exercée 
        jadis par la civilisation carthaginoise, ils étaient très 
        peu nombreux.
 Comme les hommes, les divinités de tous les pays s'y donnaient 
        rendez-vous. C'étaient d'abord les dieux indigènes, les 
        " dieux maures ", et surtout les anciens rois, auxquels, dans 
        cette contrée, on rendait un culte. C'était Baal, le grand 
        dieu punique, qui, sous le nom de Saturne, avait été naturalisé 
        latin et que l'on adorait dans toute l'Afrique du Nord. C'étaient 
        les dieux grecs et romains. Puis les divinités orientales : Mithra, 
        le dieu-soleil des Perses; Cybèle, la grande mère des dieux, 
        amenée jadis d'Asie mineure en Occident, avec ses prêtres 
        eunuques, parés comme des femmes; Isis et Sérapis venus 
        d'Égypte. C'étaient surtout les empereurs divinisés, 
        dont le culte était un témoignage perpétuel des bienfaits 
        de la paix romaine. Chaque année, des sacrifices somptueux leur 
        étaient offerts par des députés, venus de toutes 
        les parties de la Maurétanie, et une magnifique procession promenait, 
        à travers les rues de la capitale, leurs statues en or, entourées 
        d'enseignes et de bannières, accompagnées du gouverneur 
        et de prêtres vêtus de pourpre. Les juifs, nombreux à 
        Césarée, où le commerce les attirait, y avaient une 
        synagogue et un grand rabbin, l'archisynagogus.
 
 Quant à la religion chrétienne, elle avait dû faire 
        d'assez bonne heure des prosélytes dans cette ville, ouverte à 
        toutes les influences du dehors et en relations continuelles avec l'Asie, 
        le golfe de Naples et Rome. Le premier évêque connu de Césarée 
        vivait au commencement du quatrième siècle, au temps de 
        l'empereur Constantin, mais il avait eu probablement plusieurs prédécesseurs, 
        dont les noms rie nous sont pas parvenus. Des épitaphes chrétiennes 
        portent le très ancien symbole de l'ancre, espoir de salut pour 
        les navigateurs que secouent les tempêtes de la vie : elles paraissent 
        dater du troisième siècle. Plus tard, s'élevèrent 
        plusieurs églises et chapelles chrétiennes : l'une d'elles 
        a été retrouvée récemment près de la 
        porte de Ténès. On a conservé les noms de quelques 
        martyrs qui souffrirent pour leur foi é Césarée. 
        L'un d'entre eux, le porte-enseigne Fabius, avait refusé, sous 
        l'empereur Dioclétien, de prendre la place qui lui était 
        assignée dans la procession en l'honneur des empereurs divinisés 
        : le gouverneur lui fit trancher la tête. D'autres victimes célèbres 
        dans l'Église, mais dont le martyre est d'une date incertaine, 
        furent la vierge Marcienne, Marcus Antonins Julius Severianus et sa femme 
        Aquila : c'étaient des personnages d'un rang élevé. 
        Nous les retrouverons quand nous décrirons les ruines de Cherchel.
 
 Sous le Bas-Empire, à partir de la tin du troisième siècle, 
        les pouvoirs du gouverneur qui résidait à Césarée 
        furent amoindris : on lui retira d'abord ses attributions militaires, 
        puis on les lui rendit, mais bien diminuées, au profit du comte 
        d'Afrique, général en chef des forces romaines. D'autre 
        part, une nouvelle province, ayant pour capitale Sétif, était 
        constituée avec la partie orientale de la Maurétanie Césarienne. 
        La prospérité de l'Afrique déclinait, l'insécurité 
        devenait de plus en plus grande, sur mer comme sur terre, et gênait 
        le commerce et l'agriculture; les arts, l'industrie étaient en 
        pleine décadence; des querelles religieuses entre les catholiques 
        et des schismatiques, les donatistes, excitaient partout des troubles. 
        Vers 371, Césarée reçut un coup terrible. Firmus, 
        un petit roi maure ambitieux et en butte à l'hostilité d'un 
        puissant fonctionnaire, s'était révolté contre l'empereur 
        : son armée se composait de bandes de pillards, d'indigènes 
        qui voulaient s'affranchir de la domination de Rome et de ses impôts, 
        de donatistes que le gouvernement persécutait. Il la lança 
        sur les villes les plus riches de la côte maurétanienne. 
        Icosium (Alger) fut mise à sac, Césarée fut enlevée 
        et incendiée : seule, Tipasa, comme nous le verrons dans la suite, 
        sut repousser le rebelle. Quelques mois plus tard, le général 
        romain Théodose, venu à Césarée, la trouva 
        presque détruite : il y laissa deux légions pour en déblayer 
        les ruines, déjà couvertes de mousse, et pour la protéger 
        contre toute nouvelle attaque. Elle eut sans doute bien de la peine à 
        se relever, et nous savons par une lettre d'un contemporain, le préfet 
        de Rome Symmaque, qu'elle dut étaler toute sa misère aux 
        yeux des empereurs, pour obtenir, à force de supplications, que 
        le fisc n'achevât point uvre de Firmus. Elle n'en resta pas 
        moins la capitale de la province. En 418, saint Augustin y vint, et, dans 
        la principale église, il soutint contre l'évêque donatiste 
        Emeritus une controverse qui eut un grand retentissement et dont le texte 
        nous est resté. Vers ce temps, naissait à Césarée 
        Priscien, qui fut un des plus illustres professeurs de Constantinople 
        et dont les ouvrages grammaticaux eurent une immense popularité 
        dans les derniers temps de l'antiquité et au moyen àge
 
 .Lors du passage des Vandales, venus d'Espagne, notre ville fut sans doute 
        de nouveau saccagée, et, moins de trente ans après, en 455, 
        ces barbares, détestés de tous, s'y établirent en 
        maître : toute l'Afrique septentrionale leur fut alors soumise. 
        Ils se montrèrent cependant incapables de protéger la Maurétanie 
        contre les dévastations des indigènes qui, à la fin 
        du cinquième siècle et au début du sixième, 
        faisaient ce que bon leur semblait dans toute la contrée comprise 
        entre l'Océan et Cherchel. On a découvert près de 
        Mouzaïaville, une inscription qui nous apprend que l'évêque 
        du lieu, exilé plusieurs fois par les Vandales à cause de 
        sa foi catholique, avait été enfin tué en 495, lors 
        d'une incursion des Maures.
 
 Bélisaire, qui mit fin à ce qui restait de la domination 
        vandale en Afrique et y établit celle de l'empereur de Constantinople, 
        envoya en 534 un de ses lieutenants, Jean, pour reprendre Césarée. 
        Elle redevint le chef-lieu d'une province (qui n'existait guère 
        qu'en théorie) et le siège d'un commandement militaire. 
        Nous ne savons guère quel fut son sort au temps des Byzantins. 
        Les Maures la menacèrent à plusieurs reprises, en particulier 
        vers 580 : ils avaient alors pour roi un certain Gasmul, que le général 
        Gennadius vainquit et tua de sa propre main. Une cinquantaine de sous 
        d'or byzantins, trouvés sur la place de l'église, représentent 
        peut-être un trésor caché, à une heure de grand 
        péril, par quelque habitant, que la mort ou toute autre cause empêcha 
        d'aller le reprendre.
 
 Les Arabes ruinèrent Césarée, qui eut aussi à 
        souffrir de plusieurs tremblements de terre. Nous apprenons cependant 
        par un auteur du dixième siècle, Ibn Haukal, que ce lieu 
        n'était pas alors tout à fait inhabité : on l'appelait 
        Cherchel, mot qui est sans doute une corruption du nom antique. " 
        Cherchel, dit-il, est une ville qui remonte à une haute antiquité; 
        elle est maintenant en ruines, mais son port subsiste. Des débris 
        d'anciens édifices s'y font remarquer, ainsi que quelques constructions 
        énormes et des idoles de pierre. " Cent ans plus tard, 
        le géographe El-Bekri dit que la ville est déserte et que 
        le port est comblé. Il y a là sans doute quelque exagération, 
        puisque, vers le milieu du douzième siècle, Edrisi vantait 
        ses vignes, ses figues, ses autres fruits et surtout ses coings, qui étaient, 
        prétend-il, d'une grosseur énorme et d'une qualité 
        très estimée. En 1300, Cherchel tomba au pouvoir d'Abou 
        Yacoub ben Abou Youcef, sultan de Fez et ennemi acharné des souverains 
        de Tlemcen, dont notre ville dépendait. Puis les rois de Tlemcen 
        et de Fez se la disputèrent et elle changea plusieurs fois de maîtres.
 
 A la fin du quinzième siècle, douze cents familles de Maures 
        chassées d'Andalousie vinrent s'y établir. Ces fugitifs 
        étaient des gens laborieux, aussi habiles dans l'industrie que 
        dans la culture du sol. Pour ne pas être inquiétés 
        par les Espagnols, maîtres à cette époque d'Oran, 
        de Bougie et de l'îlot qui précédait le port d'Alger, 
        ils leur promirent un tribut annuel et s'engagèrent à ne 
        pas abriter les navires de leurs ennemis. Cherchel n'en devint pas moins 
        un nid de pirates : un certain Hassan le Noir, corsaire turc, s'y installa 
        et organisa la course. Mais il porta ombrage à son ancien compagnon, 
        Aroudj, le premier Barberousse. Celui-ci rêvait de se rendre maître 
        d'Alger, dont les habitants, sans défiance, l'avaient appelé 
        contre les Espagnols, puis d'en faire la capitale d'un état qui 
        s'étendrait sur tout le nord de l'Afrique. Mais il devina en Hassan 
        un futur compétiteur. Aussi, prenant à peine le temps de 
        s'arrêter dans Alger, il se rendit à Cherchel, demanda une 
        entrevue à Hassan, s'empara de lui, et lui fit trancher la tête 
        ; après quoi, laissant en ce lieu une centaine d'hommes, il reprit 
        la route d'Alger, où il exécuta ses projets ambitieux. Dans 
        la suite, il maintint la garnison de Cherchel et y construisit une forteresse 
        commandant le port. L'inscription qui était placée au-dessus 
        de la porte d'entrée est encore conservée : " Au 
        nom " de Dieu clément et miséricordieux Que Dieu répande 
        ses bénédictions sur notre seigneur Mohammed et sur sa famille! 
        Ceci est le fort de Cherchel qu'a fait construire le caïd Mahmoud 
        ben Fàres ez-Zaki, pendant le gouvernement et par l'ordre de l'Émir 
        qui exécute les ordres de Dieu, qui combat dans la voie de Dieu, 
        Aroudj ben Yacoub, à la date de l'année 924 (1518 après 
        J.-C.). "
 
        
          | Cliquer sur 
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 |  Le frère d'Aroudj, Khair ed-Din , devenu nominalement 
        le lieutenant du sultan de Constantinople, fit cruellement réprimer 
        une révolte survenue à Cherchel. La ville, qui paya désormais 
        un tribut annuel de trois cents pièces d'or, fut confiée 
        à un gouverneur turc ayant pour mission de surveiller les Beni-Menasser 
        du pays voisin, montagnards turbulents et pillards, et de maintenir dans 
        le devoir les citadins, plus faciles à manier : il était 
        assisté d'un conseil de dix notables. Auprès ou plutôt 
        en face de ce maître officiel, la famille des Ghobrini exerçait 
        une puissante autorité morale. Un de ses ancêtres, parti 
        du Maroc, était venu, vers la fin du quinzième siècle, 
        s'établir à Cherchel. Son fils Sidi Braham fut un marabout 
        fameux. On racontait de lui divers miracles. Devenu dans sa jeunesse esclave 
        d'un Turc d'Alger qui l'avait mis à la charrue, il passait son 
        temps en oraisons, tandis que ses bêtes faisaient d'elles-mêmes 
        la besogne qu'il aurait dit diriger. Plus lard, rentré à 
        Cherchel, après être allé s'instruire au Caire, il 
        avait nourri ses ouvriers avec deux simples petits plats, remplis l'un 
        de pain, l'autre de miel, qu'une main invisible remplaçait dès 
        qu'ils étaient vides. Ses actes de sainteté lui avaient 
        valu une grande fortune, dont ses descendants héritèrent, 
        ainsi que de son influence religieuse. Les Cherchelois étaient 
        en effet de bons musulmans, comme en témoigne cette inscription, 
        gravée sur la chaire de la grande mosquée, aujourd'hui hôpital 
        militaire : " Au nom du Dieu clément et miséricordieux 
        !" En des édifices dont Dieu a permis la construction, et où 
        il a voulu que son nom fut proclamé, on entend célébrer 
        ses louanges, le matin et le soir, par des hommes que les préoccupations 
        des affaires commerciales ne détournent pas du souvenir de Dieu, 
        de l'accomplissement de la prière, ni du don de l'aumône, 
        et qui redoutent le jour où les curs et les yeux seront l'objet 
        des plus scrupuleuses investigations. Que la louange de Dieu soit proclamée 
        ! Que le Dieu très puissant soit loué dans sa gloire ! 0 
        mon Dieu, affermissez la science de votre loi et accordez votre pardon 
        aux croyants et aux croyantes!' - Ouvrage terminé en l'année 
        981 (1573 après J.-C.). " La piété des gens 
        de Cherchel ne se montrait cependant pas toujours assez généreuse, 
        du moins au gré de ceux qui vivaient de la religion. On a prêté 
        cette épigramme au fameux marabout Si Ahmed ben Yousef " Cherchel 
        n'est que honte, avarice et rebut de la société. Son visage 
        est une face de brebis; son coeur, un coeur de loup. Sois-y marin ou forgeron 
        ; sinon, sors de ses murs ! "
 
 C'était en effet par son port et par son industrie que prospérait 
        la petite ville. Les Maures d'Espagne y fabriquaient surtout de la vaisselle 
        en terre, des fers à cheval, des objets en acier, de la cordonnerie. 
        Le port expédiait de grandes quantités de figues sèches, 
        commerce dont Cervantès parle dans son Don Quichotte. Il en sortait 
        aussi des corsaires, ce qui attira à plusieurs reprises l'attention 
        des États chrétiens sur Cherchel. En 1531, Charles-Quint, 
        songeant à s'emparer d'Alger, voulut s'assurer un lieu de débarquement 
        à proximité : il fut décidé que Cherchel serait 
        prise par l'illustre amiral André Doria. Celui-ci partit de Gênes 
        avec vingt vaisseaux, débarqua quinze cents hommes auprès 
        de la ville, qu'il surprit, et délivra plusieurs centaines de captifs 
        chrétiens, occupés à la construction d'un môle. 
        Mais ses soldats s'étant répandus par les rues pour piller, 
        les Turcs, réfugiés dans le fort, reprirent courage, se 
        jetèrent sur eux, en massacrèrent un grand nombre et en 
        firent prisonniers six cents. Doria se rembarqua en toute hale et s'éloigna. 
        Sans cet échec,Charles-Quint aurait eu un point d'appui lorsqu'il 
        vint, quelques années plus tard, assiéger Alger, et son 
        expédition ne se serait peut-être pas terminée par 
        un désastre. Sous Louis XIV, en 1665, le duc de Beaufort parut 
        devant Cherchel, y coula deux navires de corsaires et en prit trois. Dix-sept 
        ans après, l'amiral Duquesne s'arrêta en face de ce port, 
        avant d'aller bombarder Alger, et ses boulets y firent de grands dégâts.
 
 En 1830, la ville comptait environ deux mille cinq cents habitants. Affranchie 
        de la domination turque, elle fut pendant quelque temps gouvernée 
        par la famille des Ghobrini, qui s'efforça de vivre en bonne intelligence 
        avec les Français, maîtres d'Alger, et de repousser les tentatives 
        de pillage des Beni Menasser. Mais l'émir Abd el Kader étendit 
        en 1838 son autorité sur les Cherchelois, qui durent se soumettre 
        à lui, d'assez mauvais gré ; l'année suivante, il 
        vint faire sa prière dans la grande mosquée, et il favorisa 
        l'établissement de corsaires dans le port. Au mois de décembre 
        1839, en sortit une tartane portant vingt-quatre hommes d'équipage; 
        elle rencontra un navire de commerce français, immobilisé 
        par un calme plat, le captura et le ramena à Cherchel, où 
        la cargaison fut pillée.
 
 Cet acte de brigandage ne resta pas longtemps impuni. Le maréchal 
        Valée partit de Blida, en mars 1840, et il marcha sur Cherchel 
        qu'il trouva déserte: les habitants avaient fui à son approche 
        et il n'y était resté qu'un aveugle et un bossu. Valée 
        y laissa le commandant Cavaignac, qui eut à subir diverses attaques 
        des indigènes et put les repousser. L'année suivante, son 
        successeur, le commandant Gauthrin, fut moins heureux: dans une sortie, 
        les ennemis l'attaquèrent et le massacrèrent avec son arrière-garde. 
        Enfin, en 1843, Bugeaud et Changarnier vainquirent les Beni Menasser, 
        et Cherchel, protégée d'ailleurs par une enceinte de plus 
        d'un kilomètre et demi de long, n'eut plus à les craindre.
 
 Le 20 septembre 1840, un arrêté du gouverneur général 
        y avait créé une colonie de cent familles. Sept ans après, 
        la ville comptait une population d'un millier d'Européens, et des 
        villages, rattachés à elle, étaient créés 
        à Novi, à l'ouest, sur le littoral, et à Zurich, 
        au sud-est, sur l'Oued el Hachem. En 1854, elle était organisée 
        en commune. Un petit port avait été aménagé, 
        dans les années précédentes, entre la côte 
        et l'îlot.
 
 Le seul fait notable de l'histoire locale depuis la conquête est 
        le soulèvement des Beni Menasser, au mois de juillet 1871. Les 
        rebelles bloquèrent alors Cherchel et attaquèrent les villages 
        voisins. Au bout de quinze jours, le danger se trouvait écarté 
        par la mort du chef de la révolte, Malek el Berkani, et, trois 
        semaines après, l'insurrection était complètement 
        domptée. En 1891, la ville de Cherchel avait 3,812 habitants ; 
        son territoire en comptait 8 786, à savoir 6 306 Indigènes 
        et 2 480 Européens, dont 1 679 Français.
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