La vie mouvementée
d'un grand équipement : Le barrage de Perregaux Construction
d'un premier barrage Barrage
de l'oued Fergoug avant sa rupture. |
Dès
1863, le centre de colonisation de Perrégaux fut créé ; le
village doit son nom au célèbre général, héros
de la conquête, mort à la suite d'une blessure au siège de
Constantine.
Les colons, qui n'étaient qu'une trentaine à
l'époque, avaient tout de suite compris que, dans une région où
pendant l'été sévissait une grande sécheresse, l'eau
ferait toujours défaut. La meilleure solution pour résoudre ce problème
c'était de construire un barrage dans la plaine de l'Habra.
Ils
demandèrent alors aux autorités l'autorisation de construire une
digue à leurs frais. La retenue d'eau ainsi réalisée, barrage
primitif sans doute, devait permettre d'arroser leurs terres en toutes saisons.
Après constitution d'un solide dossier, les colons, se rendirent en délégation
auprès des autorités de tutelle. Ils voulaient obtenir l'autorisation
d'engager les travaux. Mais malgré de forts appuis politiques la délégation
reçut une fin de non-recevoir. On leur fit dire que l'administration centrale
avait un projet plus grandiose : construire un vaste barrage-réservoir
sur l'Oued Fergoug.
C'est alors qu'on vit apparaître Dupré
de Saint Maur, un riche colon de la région, Président de la Chambre
d'Agriculture d'Oran et Président du Conseil Général d'Oran.
Comme il connaissait les tergiversations de l'administration centrale, celui qu'on
appelait le " colon d'Arbal " prit les choses en mains.
Pour
parvenir à ses fins, le 24 juin 1864, à la tête d'une dizaine
de personnalités, il lança un appel dans la presse pour reconstituer
" l'Association oranaise ", un organisme qui était devenu moribond,
afin d'acquérir toutes les terres de la région de l'Habra mises
en vente par l'État en 1864.
Le " colon d'Arbal " décida
de son propre chef la construction d'un barrage au nord-ouest de l'agglomération
afin de dompter les eaux torrentielles des oueds et surtout irriguer les terres
fertiles de la plaine de l'Habra.
C'est alors que le Colonel Deligny, qui
commandait militairement la province, s'opposa violemment à Dupré
de Saint Maur. Il était irrité par l'irruption de cet homme qui
se souciait fort peu des personnes en place et encore moins de l'armée.
Il ordonna aussitôt une perquisition dans les locaux de l'Écho d'Oran
et opéra la saisie de la lettre-circulaire que Dupré de Saint Maur
se proposait d'adresser à tous les colons de l'Oranie Mais ce dernier,
qui disposait de solides appuis politiques à Oran, ouvrit immédiatement
une souscription dans les colonnes de " l'Écho d'Oran ". Il voulait
atteindre le montant du cautionnement demandé et participer à l'adjudication.
Les capitaux nécessaires furent réunis en un temps record et ce
fut la Société Jules Cahen, dirigée par François Debrousse,
un ami de Dupré de Saint Maur qui fut déclarée adjudicataire
des 24.000 hectares de la Société de l'Habra. Le but avait été
atteint grâce à la pugnacité du colon d'Arbal, qui avait déjoué
les plans des adversaires du projet ; les terres échappaient à la
tutelle de l'Etat tentaculaire et il attaqua les travaux grâce à
ses généreux donateurs. Mais ceux-ci avaient été
ajournés à cause de l'insurrection de 1864, qui fit partir quelques
colons et en empêcha d'autres de s'installer dans la plaine. On ne les commença
qu'en 1865. Les pionniers espéraient beaucoup qu'ils aboutiraient et que
leurs terres seraient irriguées très vite mais hélas, ils
ne purent en profiter que bien plus tard, car les travaux furent freinés
par divers incidents.
En effet, l'ouvrage, qui fut appelé par la
suite " barrage Saint Maur ", ne fut terminé qu'en 1872. Très
simple dans sa conception il se présentait sous la forme d'un immense mur
d'une longueur de 316 mètres flanqué en rive droite d'un mur de
30 mètres faisant un angle de 120° avec l'ouvrage central, tandis que
sur la rive gauche, on avait créé un déversoir de 125 mètres
de long faisant un angle de 35° avec le prolongement de l'axe du barrage.
Ce déversoir était formé de deux murs verticaux réunis
par un glacis en pente. Sa crête se trouvait à 1,60 mètres
en contrebas de la plateforme du barrage. Le déversoir était un
élément essentiel pour un barrage de ce type. En effet, il permettait
d'écouler le trop-plein des eaux lorsque le réservoir avait atteint
le niveau critique.
Hélas ! Manque de chance, cette année-là
des pluies d'une ampleur exceptionnelle saluèrent sa mise en service et
provoquèrent la rupture du mur engendrant une brèche de 55 mètres
de longueur sur une hauteur de 12 mètres.
Cela commençait
mal mais, contrairement aux habitudes, les pouvoirs publics intervinrent très
rapidement et le barrage fut tout de suite remis en service. Il se présentait
maintenant sous la forme d'un simple mur rectiligne qui s'étendait d'un
bout à l'autre de la plaine de l'Habra mais dont le déversoir avait
été renforcé.
Désormais, le barrage de l'Oued
Fergoun allait métamorphoser la région apportant la fertilité
dans une plaine brûlée par le soleil. Dès l'année 1875
le bassin connut un essor économique exceptionnel.
Les
grandes crues de 1881
Hélas, encore une fois, le 18 décembre
1881, à la suite de fortes pluies, le barrage fut à nouveau rompu
sur 125 mètres. Cet accident fut sans doute imputable à des fondations
de très mauvaise qualité ou à une maçonnerie de faible
résistance. L'eau qui se déversa dans la plaine entraîna de
nouvelles et importantes inondations. Le flot dévastateur détruisit
de nombreuses maisons et une partie de l'église. Les voies ferrées
furent coupées et les ponts enlevés. On dénombra 250 morts.
Les
secours accordés rapidement par la métropole permirent de remettre
l'ouvrage en service dès 1883, mais avec une importante modification du
profil. Il atteignait maintenant une longueur de 428 mètres y compris le
déversoir de 128 mètres. L'eau arrêtée par le barrage
forma un immense lac et elle s'écoulait vers un bief inférieur par
d'immenses vannes qu'un seul homme pouvait actionner grâce à un ingénieux
mécanisme. Sur une colline surplombant le plan d'eau, l'ingénieur
concepteur de l'ouvrage avait fait construire une tour dans laquelle il avait
placé deux énormes robinets qui réglaient les vannes. Ils
permettaient en cas de besoin d'évacuer les eaux en peu de temps pour alléger
la pression du liquide. Ce bâtiment, qui surplombait le barrage, était
en fait un véritable château d'eau où le liquide était
aspiré par une pompe à bras actionnée par un seul homme.
La pression maintenue dans le château d'eau permettait à l'employé
chargé de la surveillance d'ouvrir ou de fermer les vannes en quelques
minutes sans effort démesuré. C'était là un système
inventif dont l'ingénieur Barrelier, constructeur de l'ouvrage, était
très fier.
Ainsi, grâce à cette oeuvre imposante, l'agglomération
put se développer et s'embellir. Car malgré tous ces malheurs il
faisait bon vivre dans cette charmante bourgade.
En 1890 la population
atteignait 8560 habitants parmi lesquels on comptait 1558 Français, 3136
étrangers pour la plupart des Espagnols et 3866 Indigènes. Dans
la plaine généreusement irriguée par les eaux du barrage,
on cultivait le blé, l'orge, l'avoine, le maïs et les fèves
tandis que les plantations d'oliviers se multipliaient et que l'élevage
de boeufs et de moutons prospérait.
Novembre
1927 nouvelle rupture du barrage Cliquer
sur l'image pour agrandirLocomotive
renversée par les eaux | Cliquer
sur l'image pour agrandirBarrage
actuel? |
À
l'automne de l'année 1927, il avait plu sur tout l'Oranais sans interruption
et l'Oued Fergoun était sorti de son lit. Les Perrégaulois du haut
de la passerelle du chemin de fer scrutaient avec anxiété la montée
des eaux, car la catastrophe de 1881 était restée inscrite dans
toutes les mémoires.
Ils se rendaient sur le pont, qui se trouvait
à l'orée de l'agglomération. De cette élévation,
d'où l'on surplombe la voie qui relie Alger à Oran, ils assistaient
impuissants et avec grande anxiété à l'inexorable montée
des eaux.
Au barrage, constatant l'élévation du niveau, conséquence
de ces pluies incessantes, l'ingénieur responsable décida alors
d'ouvrir les vannes d'évacuation. Mais cette opération ne suffit
pas à diminuer la pression qui s'exerçait sur l'ouvrage. En 24 heures,
le niveau s'était élevé de 30 mètres.
Ayant
été alerté par l'ingénieur, le maire, Pascal Serres,
très inquiet mit en garde ses administrés car il convenait de se
montrer vigilants. Les Perrégaulois avaient déjà donné.
Les villageois dormaient tout habillés, prêts à se rendre
sur une colline très proche pour se mettre à l'abri de la montée
des eaux.
Au matin du samedi 26 novembre, un sinistre craquement avertit
l'ingénieur de service au barrage. Il se passait quelque chose d'anormal.
Puis le barrage se mit à vibrer et soudain il s'effondra par son milieu.
L'ouvrage était rompu et une vague gigantesque descendit à l'assaut
de la plaine du Habra. Par téléphone, l'ingénieur avait pu
avertir le maire qui donna aussitôt l'alarme. Le curé de l'église
Saint Martin fit sonner le tocsin, tandis que le chef de gare actionnait les sirènes
du dépôt des chemins de fer.
Une
population affolée
Affolée, la population se réfugia
sur les hauteurs ou dans les étages supérieurs des maisons. Trois
quarts d'heure après l'annonce de la rupture du barrage, une vague immense
déferla sur l'agglomération. Elle entraîna tout sur son passage.
Le pont du chemin de fer fut emporté, et les locomotives du dépôt
furent balayées et charriées jusqu'au milieu du village. Dans la
plaine, les routes furent submergées, les vergers arrachés et les
récoltes anéanties. Les eaux boueuses qui atteignaient deux mètres
de hauteur envahirent la plaine.
Quand le flot se retira, les Perrégaulois
découvrirent un spectacle de désolation. Le flot avait dégradé
toutes les routes et détruit les ponts. Dans le village, une cinquantaine
de maisons s'étaient effondrées et les agriculteurs avaient vu toutes
les récoltes détruites. Le flot s'était étalé
sur 20 kilomètres, heureusement que la vague en s'étendant dans
la vaste plaine avait perdu de sa puissance. Rapidement les secours s'organisèrent.
Le 19° Génie arriva rapidement d'Alger, tandis que les légionnaires
de Sidi-Bel-Abbès s'étaient rendus sur les lieux immédiatement.
Travaillant d'arrache pieds, ils remirent très vite en état la voie
du chemin de fer pour assurer les approvisionnements. Dès le 31 décembre,
grâce aux fameux ponts Pigeaud qu'on avait fait venir de Métropole,
le train pouvait circuler tandis que les liaisons télégraphiques
qui avaient été coupées sur plusieurs kilomètres étaient
rétablies.
Mais il pleuvait encore sans discontinuer et le 31 décembre
les digues de l'ancien barrage Saint Maur, le premier construit, situé
en amont, cédèrent à leur tour sous la pression des eaux.
Les pauvres habitants de Perrégaux, à peine remis de leurs émotions,
virent cette nouvelle vague les submerger. Courageux, malgré ce mauvais
coup du sort, pataugeant dans le cloaque, ils se remirent à nettoyer à
grands coups de balais les maisons et les rues de l'agglomération. À
bord d'une large barque maniée par des rameurs du Génie, le Gouverneur
Général Pierre Bordes accourut pour constater les dégâts.
Il visita longuement les lieux du sinistre et distribua des paroles de réconfort.
Courageusement les Perrégaulois ne ménageaient pas leur peine, car
il y avait de la boue partout, des montagnes de vase gluante dans les rez-de-chaussée
des maisons, sur les trottoirs, sur les routes et dans la campagne environnante.
L'eau avait envahi les fermes et les pauvres agriculteurs de la plaine, montés
sur les toits de leurs maisons, avaient vu avec effroi leurs terres envahies par
les eaux et leurs arbres déracinés sous la violence du flot. Ces
hommes, qui avaient défriché ces sols sous un soleil de plomb, arraché
les palmiers nains pendant qu'ils subissaient l'assaut des moustiques, insectes
propagateurs du paludisme, de la malaria et autres fièvres, tout en devant
monter une garde vigilante, car dans la région les maraudeurs et autres
bandits de grands chemins rodaient autour des fermes, étaient complètement
anéantis.
Dans toute l'Algérie un vaste mouvement de solidarité
se développa en faveur des sinistrés. Vous pouvez d'ailleurs consulter
au C.D.H.A. les séries de cartes postales émises au profit des pauvres
Perrégaulois. Pendant des décennies la trace de l'inondation restera
visible sur les murs du village.
Mohammedia aujourd'hui
Après
l'indépendance, la majorité des habitants européens est partie.
Seul un petit nombre resta après l'exode pour assurer certaines activités,
comme l'atelier des chemins de fer, les écoles, l'église ; mais
dix ans après il ne restait plus que dix pieds-noirs au village.
Ce
départ entraîna des conséquences désastreuses sur le
plan économique. Au bout de trente années, faute de compétences
dans l'agriculture, et surtout à cause de l'envasement du barrage, il n'y
avait plus d'eau non seulement pour l'irrigation mais également pour l'eau
potable.
Une agriculture sans eau ne peut exister et aujourd'hui la plaine
d'El Habra ne peut plus suffire à nourrir les populations de la région
et la sécheresse estivale entraîne des conséquences irrémédiables
sur les cultures. Les usines de conditionnement d'agrumes ont fermé leurs
portes entraînant un chômage catastrophique. De plus, l'explosion
démographique a porté la population à 136.000 habitants.
Le chômage allié au manque de débouchés ne laisse plus
aux habitants que le choix d'émigrer dans les villes avoisinantes ou vers
L'étranger, l'Europe et la France notamment. L'activité culturelle
est devenue totalement inexistante. Gérard
Seguy Sources : Le remarquable site
internet de l'Amicale des Perrégaulois. L'illustration N° 4423 du 10
déc. 1927 : Les eaux déchaînées en Oranie. Biographie
de Dupré de Saint Maur, par Roland Villot. L'Algérianiste N°
83 de Septembre 1998: L'inondation de Perrégaux, Témoignage de André
Kappes. |