14-18, l'Armée d'Afrique
L'Aviation d'AFN entre en guerre
Auteur : général Yves riondet
extraits du numéro 70, 3è et 4è trimestres 2018, de "Mémoire vive", magazine du Centre de Documentation Historique de l'Algérie, avec l'autorisation de son président.
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ici, en déc. 2018

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Léonc ERHMANN
Léonc Erhmann

La conquête de la 3ème dimension débuta en Algérie par les essais d'aérostation entrepris par Fiévée et Rey de 1893 à 1896 à l'Arba et par une ascension en ballon le 30 août 1905 à Constantine. Une section de la Ligue Nationale Aéronautique présidée par André Maginot, futur ministre de la Guerre, vit alors le jour à Alger en mars 1909.

Parmi les pionniers, René Métrot, né en janvier 1873 à Blida, après avoir appris à piloter au camp de Chalons, effectua le 1er vol motorisé le 18 novembre 1909 avec son biplan Voisin en parcourant un kilomètre au-dessus de l'hippodrome du Caroubier, à côté d'Alger. Après l'obtention de son brevet en janvier 1910 il créa une école de pilotage à Blida mais, faute d'élèves, il abandonnera l'aviation. Quant à Julien Serviès, né le 24 mars 1876 à Saint-Denis-Du-Sig, il réalisa le ter vol sur Sommer à La Sénia le 14 décembre 1909 et fonda une école de pilotage avant de devenir le ter pilote militaire français le 13 octobre 1911. A la déclaration de guerre, il donna à l'Armée les 3 avions de son école mais il sera abattu et fait prisonnier. Son plus jeune frère Ferdinand, pilote de l'escadrille MF32 sera tué en combat aérien le 22 juin 1915 au nord d'Arras et son autre frère, André, trouvera la mort près d'Angers en 1919 en essayant un prototype Letord 7. Une fois libéré Julien Serviès deviendra Président fondateur du Comité d'entente des aéro-clubs d'AFN. Enfin Léonce Ehrmann, champion cycliste né à Boufarik le 31 août 1877, après avoir obtenu son brevet en octobre 1911, devient chef
pilote d'une école de pilotage à Mourmelon, avant de revenir en Algérie. Il fut le 1er à voler dans le Constantinois en février 1912 mais il sera victime d'un grave accident en juillet en Autriche. À Boufarik, malgré sa " jambe folle " il reprit les vols après avoir adapté un monoplan Borel à son infirmité pour réaliser des présentations aériennes, mais en effectuant une " boucle " à Bône le 18 avril 1914 il s'écrasa après la rupture en vol de son avion.
Alors même que l'aviation militaire n'en était qu'à ses débuts en France, plusieurs territoires de l'Empire connurent des essais d'implantation aéronautique, mais en AFN le développement d'une aviation militaire coloniale fut ralenti lors du déclenchement du conflit. Il redémarra dès 1916 avec le développement de fronts périphériques et les armées, pour résister à la poussée des Senoussis dans le Sud Tunisien et aux tribus révoltées au Maroc et utilisèrent l'aviation pour des reconnaissances à longue distance. De nouvelles escadrilles furent d'abord créées en Tunisie et au Maroc puis en Algérie et la révolte des Touareg du Hoggar entraîna la constitution d'une escadrille saharienne qui n'a pu atteindre l'objectif prévu en raison des dangers engendrés par le survol des contrées désertiques avec les avions de l'époque. En revanche, dans le Sud Tunisien, le capitaine de Lafargue, pour permettre à ses avions de voler sans trop de risques, les fit accompagner par un échelon roulant avec lequel les aviateurs restaient en liaison radio durant toute la mission. L'action efficace de l'aviation au Maroc et en Tunisie conduisit à son renforcement constant si bien qu'en novembre 1918 on ne comptait pas moins de 16 escadrilles opérationnelles en Afrique du Nord, dont 4 en Tunisie, 4 en Algérie et 8 au Maroc.

Installation de Baraki
Installation de Baraki ( Ardhan)


L'Aéronautique Navale


Le Service de l'Aéronautique maritime, créé en juillet 1914, était scindé entre l'Aviation pour les hydravions et les avions et l'Aérostation pour les dirigeables et les ballons captifs. Lors des grandes manoeuvres navales de mai 1914 une douzaine d'hydravions fut utilisée pour des reconnaissances en divers points de la Méditerranée, principalement à Toulon et Bizerte. En Algérie des patrouilles aériennes destinées à l'observation et à la lutte anti sous marine eurent lieu à partir de 1917 et plusieurs CAM ( Centres d'Aviation Maritime ) furent créés à Oran, à Arzew, à Alger ( hydrobase de l'Agha ), puis en 1918 à Bône et Djidjelli. De ces centres dépendaient plusieurs postes de combat et centres de relâche ( Bougie, Cherchell, Tenes, Mosta-ganem et Beni-Saf ). Les hydravions jouèrent un rôle essentiel dans la détection des mines et la reconnaissance mais ils ont été peu efficaces contre les sous-marins ennemis
Hydravion à Bougie
Hydravion à Bougie



La Marine, soucieuse de développer conjointement l'utilisation des dirigeables, créa plusieurs centres le long des côtes méditerranéennes, tout d'abord à Bizerte, puis à Baraki et à La Sénia. L'Astra-Torrès AT-6 en provenance d'Au-bagne arriva le 17 novembre 1917 à Baraki réalisant ainsi la première liaison aérienne entre la métropole et l'Algérie. Le 6 février 1918, le dirigeable Zodiac ZD-1 se posa à La Sénia, après avoir transité à Baraki. Les dirigeables, utiles pour leur effet dissuasif sur les sous-marins, demandaient cependant des installations coûteuses et étaient très dépendants des conditions météorologiques.

L'Aéronautique Maritime, qui a connu une forte expansion au cours de la Grande Guerre, était surtout installée en Tunisie et de fait a eu une faible activité en Algérie, même si le porte hydravions Commandant Teste a fait de nombreuses traversées entre Hyères et Bizerte, Alger ou Oran pour transporter les avions monomoteurs et le matériel roulant des escadres de chasse et de bombardement.

L'Aviation Militaire

Le développement de l'aviation en métropole avait été suivi avec intérêt dans les colonies françaises et, dès la création de l'Aviation Militaire, son emploi au Sahara fut envisagé. Le commandement militaire à Alger demanda fin 1910 la création d'une unité aérienne spécialisée dans les vols désertiques. Le colonel Hirschauer vint en Algérie en janvier 1911 pour étudier les installations nécessaires au " centre d'expériences d'aviation coloniale militaire " et l'escadrille d'Henry Farman s'implanta alors à Biskra. Son commandant, le lieutenant Max de Lafargue, effectua le premier vol le 17 février 1912 puis entreprit aussitôt des voyages tout autour de l'oasis vers Touggourt et Ouargla. L'Aéronautique militaire implantée sur ce territoire fut placée sous l'autorité du Gouvernement Général d'Algérie mais releva de la Direction de l'Aéronautique du Ministère de la Guerre. En 1913, Emile Dewoitine, soldat de l'escadrille de Biskra, construit un étrange engin avec un moteur et des roues d'avion, dans le but d'assurer des liaisons rapides au Sahara. Il parviendra à relier Biskra à Touggourt et El-Oued en transportant le Général Bailloud, commandant le 20ème Corps, qui sera un promoteur de l'aviation. A la suite du raid Biskra-Tunis le général Pistou, en charge de la division de Tunis, obtint en 1914 l'implantation d'une
escadrille à Kassar-Saïd commandée par le lieutenant Reimbert.

L'aviation n'était pas encore considérée comme un véritable outil de guerre lors du déclenchement du premier conflit mondial qui débuta, en Algérie, le 4 août 1914 avec le bombardement par des croiseurs allemands, le Goeben et le Breslau, de Bône et de Philippeville. La 1 ère mission aérienne fut réalisée en Farman le 15 septembre 1916 par le Sous-Lieutenant de Chattenay de l'escadrille F 541 accompagné du lieutenant-colonel Le Boeuf ( directeur des affaires indigènes en Tunisie ). Partis de Foum-Tataouine pour bombarder Nalout à la frontière tripolitaine, ils ne reviendront pas et leur avion ne sera retrouvé que le 10 janvier 1917 en Algérie près de la frontière. D'autres troubles se développeront au Sahara, avec notamment l'assassinat du père de Foucauld à Tamanrasset le ter décembre 1916 et dans le Sud-Constantinois, ce qui entraîna des vols d'intimidation sur l'Aurès par l'escadrille F 546. Celle-ci entreprendra au départ de Biskra, du 4 juin au 16 septembre 1917, un long périple au cours duquel elle effectua des vols vers Bougie, Aumale et Aïn-Boucif puis survola à plusieurs reprises la Kabylie avant de se diriger vers Sétif, Aïn-M'Lila et Guelma. Elle rayonna ensuite vers Bône et Souk-Ahras avant de regagner Biskra par Batna. Ce raid consacra l'Aviation militaire en Algérie car, avec des avions vétustes, l'escadrille avait parcouru un chemin considérable en survolant les massifs montagneux dans des conditions très difficiles. Elle avait aussi créé de nombreux aérodromes, ramené des photographies et mis en évidence les possibilités offertes par l'aviation comme moyen de reconnaissance. Dès lors devgrands voyages furent entrepris dans le Nord-Sahara puis dans toute l'Algérie pour mieux définir les conditions de vol en milieu désertique. À cette fin l'escadrille Saharienne F 547 fut créée à Ouargla puis fin 1918 les escadrilles VR 548 et VR 549 virent le jour. Trois Farman entreprendront le voyage aller-retour d'Ouargla à In Salah en mars 1918, puis ils participeront à une reconnaissance mixte autos avions d'Ouargla à Colomb-Béchar en janvier 1919, mais seulement 2 avions termineront le circuit.

En octobre l'escadrille 305 équipée de Farman renforça le dispositif aérien qui participera à des missions de bombardement et de reconnaissance. Malgré les dégâts subis après les ouragans de début 1917, l'escadrille 302 ( futur 551 ) participera en avril à des opérations dans la région de Fez et la 305 du côté d'Agadir. Quatre nouvelles escadrilles ( 553 à Meknès, 554 à Marrakech, 555 à Taza et 556 à Rabat ), aux ordres du commandant Cheutin, furent créées en juin pour renforcer les différents secteurs, sachant que la 552 ( ex 305 ) fut affectée en particulier à la surveillance des côtes.

En raison de l'agitation rencontrée dans différentes régions l'aviation sera employée de façon intensive pour des missions de réglage de tirs d'artillerie et de bombardement de tribus dissidentes notamment dans la région du Tafilalet.

À l'armistice le matériel aérien étant très fatigué il fut difficile de mettre sur pied les nouvelles escadrilles car les Breguet arrivèrent au compte-gouttes.

Portraits de quelques As Français célèbres nés en AFN

Un aviateur était qualifié d'As après avoir obtenu cinq victoires homologuées en combat aérien. René Fonck ( 1894-1953 ) fut le plus titré avec 75 victoires à son palmarès mais parmi les As cinq sont nés en AFN :

Georges Madon (1892-1924) - 41 victoires Né à Bizerte le 28 juillet 1892 il se passionne pour l'aviation et dès son arrivée en France en 1911 il s'inscrit à l'aérodrome d'Étampes. En 1912 il s'engage au 1er régiment de génie de Versailles puis il est affecté au centre école d'Avord où il obtient son brevet militaire. Au déclenchement de la guerre il est affecté à l'escadrille BL30 pour réaliser sur Farman des missions de reconnaissance, de bombardements nocturnes et de réglage d'artillerie. Passé dans la chasse à la Spa 38 en 1916 il abat le 23 septembre son premier Fokker puis enchaîne les victoires dont celle sur Lothar Richthofen, frère de l'As des As allemand. Au cours de l'année 1918 il remportera 21 victoires dont un quadruplé le 1er juin. Promu capitaine à titre temporaire, Madon avait pour devise " Qui s'y frotte s'y pique " mais il meurt en service aérien commandé au cours d'une exhibition aérienne à Tunis le 11 novembre 1924.

Maurice Boyau (1888-1918) - 35 victoires Né le 8 mai 1888 à Mustapha en Algérie,
Maurice Boyau s'installe à Dax en 1907. Joueur international de rugby, ce sportif est mobilisé en 1914 au 18ème escadron de train puis est envoyé fin 1915 à l'école Blériot de Buc où il sera nommé moniteur après l'obtention de son brevet de pilote militaire. Il rejoint la N°77 ( escadrille des sportifs ) où il accomplit des missions de chasse. Sa lère victoire est homologuée le 16 mars 1917 et il remporte un triplé le 22 juillet 1918. Pionnier du bombardement d'assaut, ayant à son palmarès 20 drachens et 15 avions, il sera abattu le 16 septembre 1918 lors de l'attaque d'un ballon du côté de Mars la Tour mais ni son avion ni son corps ne furent retrouvés.

Gabriel Guérin (1892-1918) - 23 victoires Né le 25 juillet 1892 au Maroc, Gabriel Guérin commence la guerre au 18ème régiment d'infanterie avant d'être affecté dans l'aviation à l'escadrille N°15 de bombardement, puis il devient chef de l'escadrille SPA 88 où il obtiendra la majeure partie de ses victoires. Il se tue le 1er août 1918 près de Senlis en Spad suite à une panne moteur au décollage. Le lieutenant Gabriel Guérin repose au cimetière Sainte Marie de la ville du Havre.

Albert Auger (1889-1917) - 7 victoires
Né le 26 janvier 1889 à Constantine, Albert Auger était sous-lieutenant au 31ème d'infanterie quand la guerre éclate. Blessé dans les Ardennes il rejoint l'école d'aviation de Pau en février 1915 et il est affecté en mai à l'escadrille C11 sur Caudron. Promu capitaine en décembre 1915 il commande l'escadrille N°3 du Groupe de Chasse 12 des Cigognes. Ce pilote audacieux, deux fois cité à l'ordre de l'Armée, est mortellement blessé au cou lors d'un combat aérien le 28 juillet 1917. Son corps repose au cimetière de Passy.

Paul Homo (1892- 1968) - 5 victoires
Né le 10 avril 1892 à Arba ( Alger ), Paul Homo est incorporé au 16ème régiment d'artillerie. Promu sous lieutenant il rejoint le 2ème groupe d'artillerie lourde en avril 1915 puis, affecté à l'escadrille 209, il suit les cours de l'école d'aviation du Crotoy, d'Avord, de Pau et de Cazaux pour les exercices de tir aérien. Promu capitaine à titre temporaire il commande l'escadrille BR 235 le 9 juillet 1918 et il obtiendra 5 victoires aériennes en qualité d'observateur mitrailleur. À l'issue du conflit il se retrouvera au 3ème groupe d'aviation d'Afrique puis au 36ème régiment d'aviation. Rappelé au service le 1er septembre 1939 à la base aérienne de Sétif il est démobilisé le 20 juillet 1940. Il décède le 20 avril 1968 à Rocquencourt.


Conclusion

Il n'y a pas eu d'usage autonome de l'aviation lors du 1er conflit mondial qui avait montré la nécessité de concentrer les forces aériennes pour mener une action efficace mais la voie du transport aérien était ouverte. En effet, après la guerre, l'aviation militaire en Algérie fut réorganisée avec la création de trois Groupes d'Aviation Autonomes ( 1er GAA à Alger, 2ème GAA à Oran et 3ème GAA à Sétif ) qui auront la charge d'aménager chacun une voie transsaha-rienne ( ouest, centrale et est ). Dès 1919, avec la constitution à la Sénia du 36ème Régiment d'Aviation d'Afrique, commencera le rééquipement des unités avec des Breguet 14, biplaces de bombardement et de reconnaissance, qui seront adaptés aux conditions du vol saharien grâce à de notables améliorations ( réservoirs supplémentaires, coffre à outillage et à vivres ). Le 4ème GAA de Tunisie, quant à lui, n'existera que de 1920 à 1923.

Général Yves Riondet