Rappel historique sur l'histoire des Harkis
Texte du Général Maurice Faivre
Dossier : les Harkis

extraits du numéro 62, 1er trimestres 2016, de "Mémoire vive", magazine du Centre de Documentation Historique de l'Algérie, avec l'autorisation de son président.
www.cdha.fr

ici, en juin 2016

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Ce sujet, ô combien sensible, ne figure pas dans la rubrique des " mémoires apaisées ". Il aura été l'objet de dénis successifs, d'omissions honteuses, de reconnaissances toujours partielles, de commentaires divers voire haineux.

Grâce aux études historiques de ces dernières années, aux témoignages recueillis, les différentes facettes du thème s'éclairent progressivement d'une vérité quelquefois difficile à assumer par les décideurs de l'époque.

Mémoire Vive
souhaite apporter sa contribution à une connaissance élargie du sujet, en proposant des articles abordant quelques aspects moins traités à ce jour. Le dossier, à l'évidence, n'a pas pour ambition l'exhaustivité d'un drame qui restera comme l'un des épisodes les plus tragiques de l'histoire contemporaine française.

Rappel historique sur l'histoire des Harkis

La lecture de l'histoire des Harkis sur le Web, et les ouvrages récents, imposent de préciser certains faits d'histoire qui sont ignorés ou présentés de façon erronée. Ils sont rappelés ici de façon succincte ; chacun peut faire l'objet de développements explicatifs.

- De 1954 à 1956, des organisations diversifiées de forces supplétives ont été créées sous l'impulsion de J. Servier, J. Vaujour, du général Parlange et du Gouverneur Soustelle, puis du général Lorillot et du bachaga Boualem.

- A la fin de 1957 et au début de 1958, le général Salan attribue des armes de guerre à des harkas dites amalgamées ( environ 20.000 hommes ) ; il refuse la création de harkas autonomes.

- Fin 58 et début 59, le général Challe obtient de porter les effectifs de 33.000 à 60.000 Harkis, crée des commandos de chasse à base de Harkis et envisage de fédérer autodéfenses et unités territoriales ; à Paris le capitaine Montaner met sur pied la Force de police auxiliaire. En mai 1959 sont créés des Quartiers de pacification confiés à des SAS renforcées.

- Le 5 janvier 1961, le général Crépin privilégie l'avenir des Harkis et promet qu'ils ne seront pas abandonnés ; le total de 120.000 supplétifs armés est atteint, mais des réductions d'effectifs sont alors programmées. Au total 3.270 supplétifs ont été tués au combat ou par attentat.

- Le 23 mars, le général de Gaulle subordonne l'aide de la France à la liberté des " musulmans fidèles " ( sic ). En mai-juin, Bernard Tricot et les diplomates se préoccupent de leur protection.

- Les décrets du 30 mars, 31 octobre et 6 novembre 1961 assimilent les services supplétifs au service militaire et en règlementent l'administration ( contrats renouvelables de 1 à 6 mois ). Les SAS sont démilitarisées et transformées en Centres d'aide administrative en janvier 1962.

- En novembre 1961 à Bâle, le FLN promet qu'il n'y aura pas de représailles.

- Le 10 mars 1962, le ministre Messmer propose trois solutions d'avenir ; des centres d'accueil sont créés en Algérie ; l'ordre de désarmer les Harkis est prescrit le 13 mars.

- Un arrêté du 30 mars institue la force locale, dite Force de l'ordre, 114 GMS ( groupe mobile de sécurité ), 114 unités d'appelés musulmans et 110 pelotons de gendarmerie y sont affectés. Elle comprend 37.000 hommes, encadrés par 456 officiers et 800 sous-officiers français, 2.166 cadres musulmans. En juillet, 113 unités passent à l'ALN, emportant 25.300 armes de guerre et 590 véhicules. Tous les GMS ne se rallient pas au FLN.

- Le 11 avril, le ministre Louis Joxe privilégie le maintien en Algérie du maximum de supplétifs ; le 19 avril, il rejette le plan Massenet de rapatriement. La grande majorité des supplétifs fait confiance au gouvernement et rejoint son village. Les wilayas promettent le pardon mais planifient la condamnation des supplétifs.

- Les massacres de Harkis commencent le 19 mars et redoublent de violence en juillet ; l'estimation de 150.000 tués ( contrôleur de Saint-Salvy ) est jugée fausse par l'historien X.Yacono ; plusieurs historiens font un bilan de 60 à 80.000 morts, mais leur estimation n'est pas vérifiable.

- Le 12 mai les ministres Joxe et Messmer condamnent les initiatives de rapatriement.

- Le 26 mai, Messmer accepte d'ouvrir le camp du Larzac " pour trois mois " ( et Bourg Lastic le 19 juin ), le service civil des rapatriés étant chargé de l'accueil. 11.000 personnes y sont installées en juillet. - Le 21 juin, le Comité des Affaires Algériennes s'oppose aux initiatives d'interventions, ce qui revient à une non-assistance aux personnes menacées. Priorité est donnée à l'accueil des rapatriés européens. - Le 3 août, un conseil restreint de gouvernement confie à l'armée l'hébergement et le reclassement des supplétifs rapatriés. Cette décision tardive explique les improvisations de 1962, qui ont peu à peu été corrigées. D'autres solutions que des camps militaires auraient pu être choisies ( centres mobilisateurs ). Les rapatriés musulmans doivent faire une déclaration recognitive de nationalité ; les crédits d'aide individuelle sont attribués au financement des camps de transit.

- Le 19 septembre 1962, le premier ministre Pompidou prescrit d'assurer le transfert des supplétifs menacés et d'accélérer leur recasement en France.

- Les rapatriés du Larzac et de Bourg-Lastic sont transférés en octobre à Rivesaltes et St Maurice l'Ardoise, où transitent 22.000 et 10.000 rapatriés musulmans. Ils sont logés dans des tentes avant que des baraquements ne soient construits. Le général de Segonzac et le préfet Perony prescrivent la formation professionnelle des hommes, ménagère des femmes, scolaire des enfants. La surveillance des camps, destinée à éviter la pénétration de militants politiques, est nécessaire mais insuffisante. Le Comité National des Musulmans Français est créé en mars 1963 sous la direction de M. Parodi.

- Les camps dits de transit sont fermés à la fin de 1964 et les Harkis rapatriés sont dispersés dans les départements industriels ou dans les hameaux forestiers ( 72 hameaux en 1966 avec 9.815 personnes, 30 hameaux en 1975 avec 5.200 personnes, 5 à 9 hameaux en 1985 avec 134 familles soit 800 personnes ).

- Les rapatriés incasables pour cause d'inaptitude sont hébergés dans les centres d'accueil de Bias ( créé en janvier 1963 ) et St Maurice l'Ardoise créé en 1965.

- En 1972, le rapport de l'ethnologue Servier fait état de la surnatalité, des retards scolaires et des conflits de génération. La sénatrice Anne Heinis rapporte le grand dévouement des monitrices. Le lieutenant Yvan Durand se distingue dans le sud-est ( Ongles, Mouans-Sartoux et Sallerans ).

- Au total, 21.100 supplétifs ont été rapatriés ( 66.000 avec les familles ) selon le rapport au gouvernement de février 2006. La relégation prolongée dans des " réserves d'indiens " est une légende non fondée. Les 42 cités urbaines créées par la Sonacotra ou la SNCF ne sont pas des prisons, mais des logements type HLM où résident 26% de Harkis ; des assistantes sociales y sont mises en place pour faciliter l'adaptation des familles à la société française. En 1975, il ne reste que 640 personnes à Bias ( 1.852 personnes sont sorties du centre ) et 204 en 1992. Ce sont ces reliquats qui se révoltent en 1975 et 1990, révoltes fomentées de l'extérieur, qui aboutissent à la décision de fermeture des centres d'accueil et des hameaux forestiers en 1976.

- Des Services d'accueil se sont succédés de 1962 à 1981 ( SFIM, ONASEC, BIAC, DNAS ). Parallèlement, de nombreux rapports d'enquêtes se sont préoccupés de l'intégration des Harkis ( Prioux et le CES en 1963, Barbeau en 1973, Leveau-Meliani en 1991, Rossignol en 1994, Diefenbacher en 2003, l'IGAS en 2005, la MIR en 2006 ). Le ministre Hernu met en place en 1985 des appelés éducateurs et aides à l'emploi.

Les ministres Santini et Cabana consentent un effort financier appréciable ; en 1994, le plan Romani favorise l'acquisition de la résidence principale. Un statut des victimes de la captivité et une aide aux veuves sont adoptés. De nouveaux avantages sociaux sont accordés par madame Aubry.

- Le 21 février 1963, le colonel suisse Gonard, vice-président du CICR, rencontre Ben Bella ; il obtient la libération de 300 Harkis ; il lance une enquête sur 1.200 disparus ; d'avril à septembre 1963, 20 délégués du CICR, en marge de cette enquête, visitent 2.500 Harkis emprisonnés. Leur rapport, resté secret jusqu'en 2003, conclut que 70% à 90% des disparus sont décédés. 500 Harkis sont libérés en décembre 1965.

- Le 9 décembre 1990, le gouvernement socialiste rend hommage aux Harkis aux Invalides et diffuse le timbre " Hommage aux Harkis soldats de la France ".

- Le 11 novembre 1996 le Président Chirac inaugure le monument du Chapeau Rouge ; en 2001 il institue la journée d'hommage aux Harkis du 25 septembre ; il reconnaît que " la France n'a pas su sauver ses enfants ".

- Le 28 septembre 2003, un décret fixe au 5 décembre la journée d'hommage aux morts de la guerre d'Algérie.

- Le 23 février 2005, est votée la loi reconnaissant les souffrances et les sacrifices des combattants des forces supplétives.

- Le 25 septembre 2013, l'ONAC a présenté aux Invalides une exposition sur " le parcours des Harkis et de leur famille ".

Général Maurice Faivre