Ce sujet, ô combien sensible, ne
figure pas dans la rubrique des " mémoires apaisées
". Il aura été l'objet de dénis successifs,
d'omissions honteuses, de reconnaissances toujours partielles, de commentaires
divers voire haineux.
Grâce aux études historiques de ces dernières années,
aux témoignages recueillis, les différentes facettes du
thème s'éclairent progressivement d'une vérité
quelquefois difficile à assumer par les décideurs de l'époque.
Mémoire Vive souhaite apporter sa contribution à
une connaissance élargie du sujet, en proposant des articles abordant
quelques aspects moins traités à ce jour. Le dossier, à
l'évidence, n'a pas pour ambition l'exhaustivité d'un drame
qui restera comme l'un des épisodes les plus tragiques de l'histoire
contemporaine française.
Rappel historique sur
l'histoire des Harkis
La lecture de l'histoire des Harkis sur le
Web, et les ouvrages récents, imposent de préciser certains
faits d'histoire qui sont ignorés ou présentés de
façon erronée. Ils sont rappelés ici de façon
succincte ; chacun peut faire l'objet de développements explicatifs.
- De 1954 à 1956, des organisations diversifiées de forces
supplétives ont été créées sous l'impulsion
de J. Servier, J. Vaujour, du général Parlange et du Gouverneur
Soustelle, puis du général Lorillot et du bachaga Boualem.
- A la fin de 1957 et au début de 1958, le général
Salan attribue des armes de guerre à des harkas dites amalgamées
( environ 20.000 hommes ) ; il refuse la création de harkas autonomes.
- Fin 58 et début 59, le général Challe obtient de
porter les effectifs de 33.000 à 60.000 Harkis, crée des
commandos de chasse à base de Harkis et envisage de fédérer
autodéfenses et unités territoriales ; à Paris le
capitaine Montaner met sur pied la Force de police auxiliaire. En mai
1959 sont créés des Quartiers de pacification confiés
à des SAS renforcées.
- Le 5 janvier 1961, le général Crépin privilégie
l'avenir des Harkis et promet qu'ils ne seront pas abandonnés ;
le total de 120.000 supplétifs armés est atteint, mais des
réductions d'effectifs sont alors programmées. Au total
3.270 supplétifs ont été tués au combat ou
par attentat.
- Le 23 mars, le général de Gaulle subordonne l'aide de
la France à la liberté des " musulmans fidèles
" ( sic ). En mai-juin, Bernard Tricot et les diplomates se préoccupent
de leur protection.
- Les décrets du 30 mars, 31 octobre et 6 novembre 1961 assimilent
les services supplétifs au service militaire et en règlementent
l'administration ( contrats renouvelables de 1 à 6 mois ). Les
SAS sont démilitarisées et transformées en Centres
d'aide administrative en janvier 1962.
- En novembre 1961 à Bâle, le FLN promet qu'il n'y aura pas
de représailles.
- Le 10 mars 1962, le ministre Messmer propose trois solutions d'avenir
; des centres d'accueil sont créés en Algérie ; l'ordre
de désarmer les Harkis est prescrit le 13 mars.
- Un arrêté du 30 mars institue la force locale, dite Force
de l'ordre, 114 GMS ( groupe mobile de sécurité ), 114 unités
d'appelés musulmans et 110 pelotons de gendarmerie y sont affectés.
Elle comprend 37.000 hommes, encadrés par 456 officiers et 800
sous-officiers français, 2.166 cadres musulmans. En juillet, 113
unités passent à l'ALN, emportant 25.300 armes de guerre
et 590 véhicules. Tous les GMS ne se rallient pas au FLN.
- Le 11 avril, le ministre Louis Joxe privilégie le maintien en
Algérie du maximum de supplétifs ; le 19 avril, il rejette
le plan Massenet de rapatriement. La grande majorité des supplétifs
fait confiance au gouvernement et rejoint son village. Les wilayas promettent
le pardon mais planifient la condamnation des supplétifs.
- Les massacres de Harkis commencent le 19 mars et redoublent de violence
en juillet ; l'estimation de 150.000 tués ( contrôleur de
Saint-Salvy ) est jugée fausse par l'historien X.Yacono ; plusieurs
historiens font un bilan de 60 à 80.000 morts, mais leur estimation
n'est pas vérifiable.
- Le 12 mai les ministres Joxe et Messmer condamnent les initiatives de
rapatriement.
- Le 26 mai, Messmer accepte d'ouvrir le camp du Larzac " pour trois
mois " ( et Bourg Lastic le 19 juin ), le service civil des rapatriés
étant chargé de l'accueil. 11.000 personnes y sont installées
en juillet. - Le 21 juin, le Comité des Affaires Algériennes
s'oppose aux initiatives d'interventions, ce qui revient à une
non-assistance aux personnes menacées. Priorité est donnée
à l'accueil des rapatriés européens. - Le 3 août,
un conseil restreint de gouvernement confie à l'armée l'hébergement
et le reclassement des supplétifs rapatriés. Cette décision
tardive explique les improvisations de 1962, qui ont peu à peu
été corrigées. D'autres solutions que des camps militaires
auraient pu être choisies ( centres mobilisateurs ). Les rapatriés
musulmans doivent faire une déclaration recognitive de nationalité
; les crédits d'aide individuelle sont attribués au financement
des camps de transit.
- Le 19 septembre 1962, le premier ministre Pompidou prescrit d'assurer
le transfert des supplétifs menacés et d'accélérer
leur recasement en France.
- Les rapatriés du Larzac et de Bourg-Lastic sont transférés
en octobre à Rivesaltes et St Maurice l'Ardoise, où transitent
22.000 et 10.000 rapatriés musulmans. Ils sont logés dans
des tentes avant que des baraquements ne soient construits. Le général
de Segonzac et le préfet Perony prescrivent la formation professionnelle
des hommes, ménagère des femmes, scolaire des enfants. La
surveillance des camps, destinée à éviter la pénétration
de militants politiques, est nécessaire mais insuffisante. Le Comité
National des Musulmans Français est créé en mars
1963 sous la direction de M. Parodi.
- Les camps dits de transit sont fermés à la fin de 1964
et les Harkis rapatriés sont dispersés dans les départements
industriels ou dans les hameaux forestiers ( 72 hameaux en 1966 avec 9.815
personnes, 30 hameaux en 1975 avec 5.200 personnes, 5 à 9 hameaux
en 1985 avec 134 familles soit 800 personnes ).
- Les rapatriés incasables pour cause d'inaptitude sont hébergés
dans les centres d'accueil de Bias ( créé en janvier 1963
) et St Maurice l'Ardoise créé en 1965.
- En 1972, le rapport de l'ethnologue Servier fait état de la surnatalité,
des retards scolaires et des conflits de génération. La
sénatrice Anne Heinis rapporte le grand dévouement des monitrices.
Le lieutenant Yvan Durand se distingue dans le sud-est ( Ongles, Mouans-Sartoux
et Sallerans ).
- Au total, 21.100 supplétifs ont été rapatriés
( 66.000 avec les familles ) selon le rapport au gouvernement de février
2006. La relégation prolongée dans des " réserves
d'indiens " est une légende non fondée. Les 42 cités
urbaines créées par la Sonacotra ou la SNCF ne sont pas
des prisons, mais des logements type HLM où résident 26%
de Harkis ; des assistantes sociales y sont mises en place pour faciliter
l'adaptation des familles à la société française.
En 1975, il ne reste que 640 personnes à Bias ( 1.852 personnes
sont sorties du centre ) et 204 en 1992. Ce sont ces reliquats qui se
révoltent en 1975 et 1990, révoltes fomentées de
l'extérieur, qui aboutissent à la décision de fermeture
des centres d'accueil et des hameaux forestiers en 1976.
- Des Services d'accueil se sont succédés de 1962 à
1981 ( SFIM, ONASEC, BIAC, DNAS ). Parallèlement, de nombreux rapports
d'enquêtes se sont préoccupés de l'intégration
des Harkis ( Prioux et le CES en 1963, Barbeau en 1973, Leveau-Meliani
en 1991, Rossignol en 1994, Diefenbacher en 2003, l'IGAS en 2005, la MIR
en 2006 ). Le ministre Hernu met en place en 1985 des appelés éducateurs
et aides à l'emploi.
Les ministres Santini et Cabana consentent un effort financier appréciable
; en 1994, le plan Romani favorise l'acquisition de la résidence
principale. Un statut des victimes de la captivité et une aide
aux veuves sont adoptés. De nouveaux avantages sociaux sont accordés
par madame Aubry.
- Le 21 février 1963, le colonel suisse Gonard, vice-président
du CICR, rencontre Ben Bella ; il obtient la libération de 300
Harkis ; il lance une enquête sur 1.200 disparus ; d'avril à
septembre 1963, 20 délégués du CICR, en marge de
cette enquête, visitent 2.500 Harkis emprisonnés. Leur rapport,
resté secret jusqu'en 2003, conclut que 70% à 90% des disparus
sont décédés. 500 Harkis sont libérés
en décembre 1965.
- Le 9 décembre 1990, le gouvernement socialiste rend hommage aux
Harkis aux Invalides et diffuse le timbre " Hommage aux Harkis soldats
de la France ".
- Le 11 novembre 1996 le Président Chirac inaugure le monument
du Chapeau Rouge ; en 2001 il institue la journée d'hommage aux
Harkis du 25 septembre ; il reconnaît que " la France n'a pas
su sauver ses enfants ".
- Le 28 septembre 2003, un décret fixe au 5 décembre la
journée d'hommage aux morts de la guerre d'Algérie.
- Le 23 février 2005, est votée la loi reconnaissant les
souffrances et les sacrifices des combattants des forces supplétives.
- Le 25 septembre 2013, l'ONAC a présenté aux Invalides
une exposition sur " le parcours des Harkis et de leur famille ".
Général Maurice Faivre
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