L'Organisation Commune des Régions Sahariennes ( OCRS)
extraits du numéro 60, 2è trimestre 2015, de "Mémoire vive", magazine du Centre de Documentation Historique de l'Algérie, avec l'autorisation de son président.
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ici, en juin 2015

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Périmètre de l'OCRS.
Périmètre de l'OCRS.


L'Organisation Commune des
Régions Sahariennes ( OCRS)

Le Sahara est considéré par les spécialistes de la décolonisation comme " un cas de décolonisation sans heurts " et, objectivement, les " événements " n'ont que très peu concerné le Sahara. Cette région, que le FLN appelait la wilaya VI, ne fut pas un lieu de confrontations armées répétées. La seule action d'envergure fut la destruction d'un convoi de la compagnie pétrolière algérienne aux alentours de Timimoun, en novembre 1957.

Cela peut paraître paradoxal, étant donné l'importance stratégique et économique croissante de ce territoire au cours des années 1954-1962, tant pour la France que pour le FLN.

Les négociations entre la France et le GPRA échouèrent à plusieurs reprises sur la question du Sahara, que la France tenta de séparer du reste de l'Algérie, de manière à conserver un contrôle direct sur les ressources en hydrocarbures ainsi que sur les bases de Reggane et d'In Ekker, centres d'essais nucléaires aériens et souterrains et de lancements de fusées, éléments essentiels d'une force de frappe nucléaire indépendante. Et pourtant, dans sa volonté de mettre un terme rapide au conflit algérien, De Gaulle abandonna les prétentions de la France sur le Sahara, s'en remettant à un accord d'association illusoire qui, selon lui, sauvegarderait les intérêts de la France.

L'OCRS, tentative de conserver le Sahara à la France

Entre les mois de mars 1952 et mars 1956, la question de la création d'une Afrique saharienne française regroupant les territoires du Sud algérien, AOF et AEF, avait fait l'objet de propositions destinées à moderniser le mode de gestion de ces territoires, gérés par trois gouverneurs différents. De nombreux débats eurent lieu, qui n'aboutirent pas, tant au sein de l'Assemblée Nationale française qu'au sein de l'Assemblée de l'Union française.

Il faudra attendre la loi 57-27 du 10 janvier 1957 pour assister à la création de l'OCRS, dont " l'objet est la mise en valeur, l'expansion économique et la promotion sociale des zones sahariennes de la République Française, et à la gestion de laquelle participent l'Algérie, la Mauritanie, le Soudan, le Niger et le Tchad ".
Liaisons hertziennes et aériennes..
Liaisons hertziennes et aériennes..

Concrètement, le " bureau du Sahara ", qui existait à Alger, fut remplacé par un Ministère du Sahara, localisé à Paris, et confié d'abord à Jacques Soustelle, puis à Max Lejeune, qui exerça également la fonction de Délégué général de l'OCRS, à partir du 13 juin 1957.

Parvenu au pouvoir, De Gaulle attacha personnellement une très grande importance au Sahara, et en août 1960, il nomma à la tête de l'OCRS Olivier Guichard, un de ses fidèles compagnons.

De son côté, le FLN avait affirmé, dès le 20 août 1956, lors de la plate-forme de la Soummam, qu'il recherchait l'indépendance absolue de l'ensemble Algérie-Sahara. Il se montra d'emblée violemment opposé aux principes mêmes de l'OCRS, soutenu en cela par toutes les radios du monde arabe.

Les limites de la Régence turque en 1830 ne dépassaient pas 300.000 km, et l'autorité des Deys d'Alger n'avait jamais porté sur les régions sahariennes. C'est grâce à l'expansion réalisée par la France vers le sud, que l'Algérie de 1962 couvrait 2.381.741 km2. D'autre part, en 1957-58, les populations sahariennes nomades refusèrent catégoriquement d'appartenir à un autre gouvernement que celui de la France, qu'il soit d'Afrique du Nord ou du Soudan, les chefs traditionnels et religieux de la région d'Ouargla allant jusqu'à écrire au Président de la République française, le 30-121957 : "... Nous avons l'honneur de vous exprimer très sincèrement que nous voulons rester toujours Français-Musulmans, partie intégrale de la République Française... Nous n'accepterons à aucun prix que la France glorieuse nous considère comme une partie de l'Algérie, ou d'une partie quelconque de l'Afrique du Nord ".

Il n'a pas échappé non plus aux observateurs américains que la création de l'OCRS trahissait l'intention de la France de " couper complètement le Sahara du reste de l'Algérie ". Toutefois, bien que les Etats- Unis aient soutenu les nationalistes algériens, ils ne s'opposèrent pas à la création de l'OCRS, " par sympathie à l'égard d'un projet dont l'objectif principal annoncé était l'avancement de la population d'une partie sous-développée du monde, dans une démarche exemplaire d'utilisation des revenus pétroliers dans le domaine du développement socio-économique ".

L'OCRS concerna dans ses débuts les deux départements algériens des Oasis et de la Saoura, ainsi que le Niger et le Tchad, qui avaient accepté de signer une convention de coopération, ce que refusèrent la Mauritanie et le Soudan. L'Organisation fut remplacée, après l'indépendance, et pour peu de temps, par un Organisme saharien algérofrançais, présidé par Lamine Khene ( futur secrétaire général de l'OPEP ) et dirigé par Claude Cheysson ( futur ministre des affaires étrangères de Mitterrand ). Moins d'un an après l'indépendance, le décret 63-111 du 24 mai 1963 mit fin à l'OCRS et organisa la liquidation de ses services, ce qui prendra presque quatre ans. La dissolution de l'OCRS sera constatée par un décret du 17 mars 1967.

Les réalisations de l'OCRS


Au départ, le budget annuel de l'OCRS était de l'ordre de 200 millions de NF, d'abord entièrement assuré par le budget de l'Etat français puis, à partir de 1960, de plus en plus par la redevance pétrolière. Le budget prévu pour 1962 était de 400 millions de NF avec une prévision de redevance pétrolière à hauteur de 130 millions de NF
.

En 1957, l'OCRS consacra tous ses efforts à la mise en place de l'infrastructure indispensable à l'exploitation du sous-sol saharien. Le système d'évacuation de la production d'Hassi-Messaoud nécessitera 63 milliards d'anciens francs d'investissements. Celui d'Edjeleh, un oléoduc reliant In-Amenas à La Skirah dans le golfe de Gabès, achevé en octobre 1960, demandera encore 55 milliards d'anciens francs.

Pour assurer le développement socio-économique des populations sahariennes, l'OCRS investit dans les infrastructures hydrauliques, l'aéronautique, les télécommunications, les liaisons hertziennes et aériennes, les infrastructures routières, l'urbanisme, l'habitat, l'électrification, l'action culturelle et sociale, mais aussi l'hôtellerie et les petits travaux d'infrastructure légère.

L'ordonnance n° 58-1248, du 18 décembre 1958 a conduit à la création de la Compagnie Française du Sahara ( CFS ) et de la Société pour le Développement des Régions Sahariennes ( SDRS ).

Le décret du 31 décembre 1959 institua une Caisse Saharienne de Solidarité. Recentré en 1959 sur les territoires sahariens, le Bureau des Investissements en Afrique ( BIA ), autorisa les participations de l'Etat dans les sociétés qu'il créa ou contribua à créer en accordant des prêts, des garanties ou en contractant des emprunts.

C'est le cas de la Société d'Equipement pour l'Infrastructure Saharienne ( SELIS ) qui interviendra notamment dans :
- la construction de logements pour la CILOF ( Compagnie Immobilière pour le Logement des Fonctionnaires ), à Colomb Béchar, Laghouat, Touggourt et Ouargla...

- la réalisation de routes en gypse compacté, pour les voies intérieures de la cité pétrolière d'Hassi Messaoud,
- la réalisation de la cité pétrolière d'In Amenas,
- la rénovation de la base de vie à Hassi Messaoud,
- l'élaboration des plans de la future cité d'Hassi R'Mel,
- l'étude de la base de vie des mines de phosphates du Djebel-Onk,
- la réalisation de l'hôtel Transat à Ouargla, la réalisation de l'alimentation en eau de l'agglomération de Ouargla par forage dans la nappe albienne,
- l'étude du village coopératif d'agriculteurs sur des terres irriguées au voisinage de Ouargla, etc.

Grandes infrastructures.
Grandes infrastructures.


En conclusion, utopie, échec programmé, incurie ?

Le premier paradoxe concernant la création de l'OCRS fut que six mois plus tôt, en juin 1956, les états africains possédant un espace saharien obtinrent leur autonomie interne, le Maroc et la Tunisie venant de leur côté d'accéder en mars 1956 à l'indépendance. Comment alors a-t-on pu concevoir, à ce moment précis, un projet où l'ancienne puissance coloniale proposait de reprendre la main sur une partie des mêmes territoires devenus indépendants ou en voie de le devenir ?
Le second paradoxe fut qu'en même temps que l'on cherchait, au travers de la création de l'OCRS, à conserver le Sahara à la France, à le traiter séparément de l'Algérie, on instituait 6 mois plus tard, par le décret du 7 août 1957, la départementalisation du Sahara, en transformant les " Territoires du Sud ", créés en 1902, et jusque-là toujours considérés " territoires militaires ", en deux départements de la Saoura et des Oasis, donc à les ramener juridiquement au niveau des autres
départements algériens. On peut évidemment penser que le maintien du statut de " Territoires du Sud ", sous administration militaire, aurait été plus cohérent avec l'objectif recherché.

Il semble toutefois difficile d'évoquer un échec programmé.

La raison profonde de cet échec est très certainement à chercher dans l'évolution politique de De Gaulle lui-même, concernant le Sahara. Le FLN n'a jamais varié dans ses prétentions, et comme l'a écrit l'ancien président du GPRA, Ben Khedda " Le pétrole va prolonger la guerre de trois ans ". Les émissaires du GPRA, dans les négociations d'Evian, se présentaient comme les délégués d'un Etat souverain disposant d'un droit imprescriptible sur le Sahara. C'est bien De Gaulle qui, exaspéré par ces prolongations, voulut mettre un terme au conflit algérien, quoi qu'il en coûtat. Il était en effet persuadé que prolonger la guerre équivalait à prendre un retard irrémédiable dans la mise sur pied de la force de frappe nucléaire française.

Trois points essentiels de son revirement sont à rappeler


Tout d'abord, après avoir annoncé que la France n'entamerait des négociations qu'après le cessez-le-feu, après " la paix des braves " de sa conférence du 23 octobre 1958, De Gaulle accepta finalement que celles-ci démarrent, à Melun, du 25 au 29 juin 1960. En second lieu, dans son discours du 16 septembre 1959 sur l'autodétermination, De Gaulle ne parla que de douze départements, " ... je m'engage à demander, d'une part aux Algériens, dans leurs douze départements, ce qu'ils veulent être en définitive et, d'autre part, à tous les Français d'entériner ce que sera ce choix... ". Le Sahara fut donc exclu du dispositif. En revanche, dans sa conférence de presse du 5 septembre 1961, la question du Sahara fut abordée dans des termes nouveaux " La question de la souveraineté du Sahara n'a pas à être considérée... ce qui nous intéresse, c'est qu'il sorte de ces accords, s'ils doivent se produire, une association qui sauvegarde nos intérêts.. ". En réalité, comme le fait remarquer Xavier Yacono " De Gaulle a renoncé au Sahara et à l'OCRS. Dès le 13 septembre 1961 il informait de sa décision Olivier Guichard et, début octobre, il renouait le dialogue avec le GPRA, devenu l'allié objectif de De Gaulle contre l'OAS ".

Enfin, et c'est peut-être l'argument qui l'emportera au bout du compte, De Gaulle savait que pour la poursuite des essais nucléaires français, il n'y avait que deux solutions, le Sahara et l'archipel des Tuamotu, dans le Pacifique. En l'absence d'un aérodrome en Polynésie française, la première solution s'imposa à court terme. Or précisément, le 25 février 1962, quelques jours avant l'ouverture de la phase finale des négociations d'Evian, le Général Jean Thiry, conduisant une équipe de onze ingénieurs, partit pour le Pacifique et confirma la faisabilité technique d'un projet de construction d'un aérodrome dans l'archipel des Gambier... Coïncidence, deux jours plus tard, le 27 février 1962, l'ALN organisa à Ouargla une manifestation populaire monstre, dans le but d'apporter la démonstration aux négociateurs d'Evian de la volonté du peuple saharien de rejeter " les visées de la France coloniale " de séparer le Sahara du reste du pays. Comme l'a écrit Remy Kauffer, " les accords d'Evian ont permis l'achèvement de la force de frappe ", en autorisant la présence française au Sahara cinq années de plus. Les essais nucléaires se déroulèrent tout d'abord au Sahara, de 1960 à 1966, puis dans le Pacifique à partir de 1966.

Jean-Pierre Simon

Sources
- Démontage d'empires : Actes académiques d'un colloque organisé sous la direction de Jean Fremigacci, Daniel Lefeuvre et Marc Michel. Ed. Riveneuve, 2012, et particulièrement article de Berny Sèbe ( lecteur à l'université de Birmingham ) : Les Etats-Unis et la décolonisation du Sahara Français : une non-intervention bienveillante ?
- OCRS : Bilan, perspectives. Publié par l'OCRS fin 1960.
- Frédéric Médard - Université Paul-Valéry Montpellier III - Le Sahara, 1957-1962. Mutation administrative, économique et sociologique. Session thématique France, guerre d'Algérie et enjeux internationaux Mercredi 21 juin 2006.
- Archives du CDHA. Témoignages d'Ingénieurs des Ponts et Chaussées ayant travaillé en Algérie.
- Xavier Yacono : De Gaulle et le FLN, 1958-1962. Ed. l'Atlanthrope, 1989, 127 p.
- Document de travail du Ministère du Sahara sur le clivage entre les populations blanches ( Touareg, Maures,... ) et noires du Sahara, 1957.
- Yvan du Jonchay : L'infrastructure de départ du Sahara et de l'OCRS. Revue de géographie de Lyon, 1957, n° 4. - Roger Faligot et Jean Guisnel ( sous la direction de ) : Histoire secrète de la V' République. La Découverte/Poche, 2007, 752 p.