Un siècle de médecine civile dans le bled
extraits du numéro 59, 1er trimestre 2015, de "Mémoire vive", magazine du Centre de Documentation Historique de l'Algérie, avec l'autorisation de son président.
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ici, en mars 2015

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Un siècle de médecine civile
dans le bled

Le service médical de colonisation fut créé par un arrêté du Ministre de la guerre, le Maréchal Comte de Saint-Arnaud en date du 21 janvier 1853, le général Randon étant Gouverneur général de l'Algérie.

Principales raisons ayant conduit à la création de ce nouveau corps médical de statut civil

L'état sanitaire de la Régence

Lors de la prise d'Alger, le 5 juillet 1830, les premiers représentants de la médecine moderne sur ce territoire qui deviendra l'Algérie furent les médecins de l'armée française. Ils furent pris au dépourvu en découvrant l'état sanitaire de la Régence. Fièvres, dysenteries décimaient les populations. La syphilis était très répandue, la variole sévissait à l'état endémique et de nombreuses cécités résultaient des affections oculaires contagieuses. Ajoutons à cela des maladies de carence et de sous-alimentation, des accidents obstétricaux, une mortalité infantile très lourde en raison des facteurs climatiques et du manque d'hygiène.

Le pouvoir turc se désintéressait totalement du bien-être des populations locales, et cela durait depuis 300 ans ! Il n'existait aucune organisation collective de soins médicaux, aucune police sanitaire, et les épidémies, le plus souvent importées d'Orient à l'occasion des pèlerinages à La Mecque, causaient de terribles ravages dans les populations. L'hygiène urbaine était totalement inconnue, les ruelles encombrées d'immondices.

Les soins aux malades étaient dispensés par des guérisseurs, rebouteux, vendeurs d'amulettes, arracheurs de dents, poseurs de ventouses scarifiées, applicateurs de pointes de feu. Des marabouts possédant la baraka, des sorcières ayant partie liée avec les " djnoun " intervenaient également.

Dans quelques villes importantes, des médecins maures appelés tobba avaient pignon sur rue.

Une médecine ambulante existait à l'intérieur du pays où des tobba se rendaient sur les marchés hebdomadaires, où l'on rencontrait aussi des marchands de plantes médicinales, ainsi que des barbiers, également arracheurs de dents et sachant pratiquer la circoncision rituelle.

L'organisation sanitaire devient vite l'une des premières préoccupations des autorités nouvelles

En raison de la situation décrite plus haut, les médecins de l'armée française furent immédiatement chargés de dispenser leurs soins, non seulement aux militaires, mais aussi aux premiers colons et aux populations autochtones. Et durant 132 ans on peut dire que " L'organisation sanitaire a été la préoccupation constante de la haute administration, comme celle du corps universitaire avec, en première urgence, la médecine du bled, assurée par les officiers de santé, les médecins de colonisation, les praticiens de l'assistance médico-sociale. La décentralisation, oeuvre des directions départementales de la santé, répondait de mieux en mieux aux besoins des populations. " ( Félix Lagrot ).

Médecine militaire et médecine civile

Progressivement, médecins et officiers de santé civils s'installèrent en Algérie, en priorité dans les grandes villes. En 1835, on comptait 81 médecins civils en Algérie.

Mais au fur et à mesure que s'étendait la colonisation, l'importance des territoires et des populations correspondantes augmentèrent, si bien que les médecins militaires ne suffirent plus. Ils ne purent plus assurer les soins à domicile dans les villes et les consultations dans les campagnes. La création du corps des médecins de colonisation, en 1853 permit de doter très tôt d'importantes zones rurales du secours médical.

En 1853, les statistiques officielles faisaient état de :
85 praticiens civils ( 62 docteurs en médecine et 23 officiers de santé ), inégalement répartis : 25 à Alger 13 à Oran, 4 à Constantine, les autres dans les villes de moindre importance,

418 médecins militaires affectés dans les hôpitaux qui accueillaient indifféremment civils et militaires.

Il faudra attendre que l'école de médecine d'Alger, créée en 1857 devenue faculté en 1909, ait atteint son plein développement, pour que le nombre de praticiens formés sur place devienne l'important corps de santé civil qui comptait plus de 2.000 membres en 1962.

Dans les territoires du Sud les médecins militaires conserveront la lourde charge de la protection sanitaire des quelques 600.000 habitants disséniinés sur plus de 2 millions de km2 de désert.

Lors de la guerre d'Algérie, l'insécurité régnant dans les zones rurales interdira leur accès aux personnels des services d'assistance médicale, si bien qu'il faudra recourir aux médecins du contingent pour pallier la carence de leurs confrères civils.

En 1958, on revint aux temps lointains de la conquête et de la pacification.

La médecine de colonisation

À partir de 1844, la création d'un " Bureau arabe " s'accompagna toujours de l'installation d'une consultation médicale, tandis que les hôpitaux militaires accueillirent les malades civils.
Carte assistance et hygiène en 1922.
Carte assistance et hygiène en 1922.



Il devint rapidement nécessaire d'organiser pour les civils les soins et surtout la prévention sanitaire. Ce sera le service médical de colonisation créé par arrêté du 21 janvier 1853.

En quinze articles, ce texte règlementait la création des circonscriptions médicales, la nomination des médecins placés à leur tête, le traitement annuel de ces praticiens, leur subordination aux autorités locales, leurs obligations :
- Soins gratuits aux indigents,
- Direction des infirmeries civiles,
- Visites des malades,
- Tournées périodiques dans chacun des centres de leur circonscription,
- Propagation de la vaccine,
- Délivrance de médicaments dans les localités dépourvues de pharmaciens,
- Rapports aux autorités sanitaires.

Un autre arrêté définit quelques mois plus tard la création de 60 circonscriptions médicales de colonisation. Il était fait obligation aux médecins de disposer d'une monture, voire de deux dans certains secteurs.

Au début les recrutements furent difficiles en raison des conditions matérielles et morales très dures, et d'une rémunération sans rapport avec les sujétions et les responsabilités. De nombreuses circonscriptions continuèrent à être desservies par des médecins militaires. Toutefois, le
traitement de ces médecins fonctionnaires, qui était de 2.000 francs par an, " n'excluait pas de se faire une clientèle payante parmi les colons aisés de leur circonscription ".

Les principales évolutions apportées au service médical de colonisation

À l'aube du XXème siècle, le service médical de colonisation était assuré par moins d'une centaine de praticiens, isolés, livrés à eux-mêmes, débordés par les charges qui pesaient sur eux, disposant de moyens réduits, dans des circonscriptions étendues, dont l'équipement était insuffisant.

L'assistance médicale aux indigènes se substitua progressivement au secours médical aux colons qui constituaient l'essentiel de la clientèle privée du médecin de colonisation. Les fonctionnaires et les gendarmes furent soignés gratuitement. Les habitants des douars furent pratiquement tous considérés comme indigents. Ils affluèrent de plus en plus nombreux aux consultations gratuites. Il devint de plus en plus nécessaire de donner aux médecins des aides recrutés dans la population autochtone, parlant la langue et connaissant les usages du pays.

Le corps des auxiliaires médicaux indigènes

Ce corps fut créé en 1901. Recrutés parmi les diplômés des médersas, les auxiliaires médicaux indigènes furent affectés auprès des médecins de colonisation, après deux années d'études pratiques dans une école spécialisée fonctionnant dans les services de l'Hôpital universitaire de Mustapha à Alger. Leur rôle consistait à seconder les médecins dans toutes leurs activités professionnelles :
- Service d'infirmerie,
- Consultation gratuite aux indigents,
- Application des traitements prescrits par le chef de service,
- Pratique des vaccinations obligatoires,
- Dépistage des affections contagieuses, - Lutte contre les épidémies. Parallèlement, furent aménagées des " infirmeries d'urgences ", disposant de 8 lits pour les hommes et 4 pour les femmes.

Les années de l'entre-deux-guerres ( 1920-1940 )

Le service médical de colonisation placé directement sous l'autorité du Gouverneur Général (1920), et non plus auprès des autorités locales, l'organisation sanitaire s'améliora et se perfectionna :

- Par la création en 1923 d'un Institut d'hygiène et de médecine coloniale à la faculté de médecine d'Alger afin de favoriser la formation des médecins appelés à exercer en Algérie et en particulier dans les services de colonisation. Il deviendra l'Institut d'hygiène et de médecine d'Outre-Mer.

- En 1925, les hôpitaux auxiliaires d'une cinquantaine de lits se substituèrent aux anciennes infirmeries indigènes. Une centaine de ces établissements fonctionnera au moment du centenaire.
- Des salles de consultations furent construites dans les douars et des dispensaires ophtalmologiques de premiers soins créés sous le nom de " biout el aïnin " (maisons des yeux), dans les zones d'endémie des affections oculaires.
Une salle de visite.
Une salle de visite.

- En 1926, un service d'assistance aux mères et nourrissons fut créé par le gouverneur général Viollette. Des infirmières-visiteuses-coloniales furent recrutées et affectées auprès des médecins de colonisation pour les seconder dans les soins aux femmes et aux jeunes enfants. Les infirmeries indigènes se transformèrent en " hôpitaux auxiliaires " de 34 lits. Furent également construits des postes de secours et des abris pour les consultations rurales.

- En 1929, le statut des médecins de colonisation fut réorganisé. Les praticiens, placés sous l'autorité des préfets, furent recrutés parmi les anciens internes des hôpitaux ou les titulaires du diplôme d'hygiène et de médecine coloniale, ou encore par concours sur épreuves écrites et cliniques.

- En 1931, le corps des adjoints techniques de la santé, ayant accompli une scolarité de trois années, remplaça celui des auxiliaires médicaux indigènes.

- En 1932, une Direction de la santé publique fut créée au Gouvernement Général. L'organisation sanitaire s'améliora avec la création d'équipes sanitaires mobiles motorisées pour la lutte contre les épidémies, contre le paludisme, contre les affections oculaires, etc.

À la veille de la seconde guerre mondiale le service médical de colonisation fut à son apogée. En 1939, Il existait 112 circonscriptions médicales de colonisation. La plupart étaient dotées d'un hôpital auxiliaire de 40 à 50 chambres, de salles de consultation dans les douars, d'abris de mères et nourrissons et, dans les zones d'endémie trachomateuse, d'un ou plusieurs " biout el aïnin " ( maison des yeux ).

Le personnel d'une circonscription type comptait :
- Un médecin de colonisation,
- Un ou deux adjoints techniques de la santé,
- Une, quelquefois deux infirmières visiteuses coloniales.

Aux sentiers muletiers succédèrent des pistes carrossables. Les circonscriptions médicales de colonisation couvrirent alors les neuf dixièmes du pays, habités par 10 % d'Européens, 73 % de Musulmans, soit 63 % de la population totale ( 1941 ).

La difficile période de la seconde guerre

Les médecins de colonisation, après avoir été mobilisés, furent maintenus à leur poste après le débarquement allié en Afrique du Nord le 8 novembre 1942, par décision du Gouverneur Général de l'Algérie, en raison de la crainte de voir s'étendre les épidémies au sein des populations du bled (variole, typhus, fièvre récurrente), tandis que les Français d'Algérie furent massivement mobilisés pour former le corps expéditionnaire français en Italie.

Le 17 novembre 1944
fut créé le corps des médecins de la santé d'Algérie, dont firent partie les médecins de circonscription, ex- médecins de colonisation.

En 1951 ce nouveau corps de médecins fonctionnaires fut scindé en deux par arrêté du Gouverneur Général.

Les médecins de circonscription formèrent un corps séparé et prirent le nom de médecins de l'assistance médico-sociale (médecins de l'AMS). Ils demeurèrent polyvalents et poursuivirent l'oeuvre de leurs devanciers de colonisation. En même temps se déroulait un vaste programme de construction et de rénovation des établissements hospitaliers, des logements de fonction des médecins de circonscription et des infirmières visiteuses médicales, des centres de santé, des salles de consultation dans les douars. Certaines circonscriptions rurales furent dotées de camions de consultation spécialement
Elèves de l'école d'infirmières de Sétif.
Camion de consultation.
Camion de consultation.


conçus et aménagés.
Le nombre des circonscriptions médicales fut porté à 151, auxquelles s'ajoutèrent 125 circonscriptions de médecins conventionnés exerçant aussi la médecine libérale.
Le centenaire du service médical de colonisation
Commémoration du centenaire du service médical de colonisation
( Alger, 5-8 janvier 1955 ).
De gauche à droite :
Le Dr L.Sultana, président du syndicat des médecins de la santé ; le Pr Ed. Sergent, directeur de l'Institut Pasteur ; le gouverneur général Léonard, prononçant son allocution ; le Pr Ch. Sarrouy, doyen de la faculté de médecine (en partie caché) ; le Dr J. Lartigue, directeur de la santé ; le Dr Dana, président de la Fédération des syndicats médicaux d'Algérie.


Le centenaire du service médical de colonisation

Il sera célébré avec faste à l'initiative du syndicat professionnel des médecins de la santé. Le 5 janvier 1955 eut lieu à Alger la séance inaugurale présidée par le Gouverneur Général, entouré notamment du Pr. Edmond Sergent, directeur de l'Institut Pasteur, et du Pr. Sarrouy, doyen de la faculté de médecine et de pharmacie. La fidélité à l'oeuvre entreprise par les devanciers sera célébrée par l'apposition, sur le seuil de l'Institut d'Hygiène et de Médecine d'Outre-Mer, d'une plaque commémorative avec l'inscription suivante : " Le 7 janvier 1955 a été célébré le centenaire des médecins de colonisation, en hommage aux médecins qui ont contribué à la grandeur et au développement de l'Algérie, en souvenir de ceux qui lui ont sacrifié leur vie ".

La guerre subversive et la fin d'une belle épopée généreuse et humaine

Plusieurs médecins de bled seront victimes d'attentats terroristes. Les uns succomberont, d'autres disparaîtront sans que leurs familles connaissent jamais leur sort, quelques-uns survivront portant toujours dans leur corps les séquelles de leurs blessures.

À partir de 1956, l'insécurité ambiante contraint le personnel des services de santé à restreindre ses activités itinérantes. Des médecins militaires viendront prendre la place des médecins civils dans le bled.

En 1962, les médecins de l'AMS suivirent le sort de leurs compatriotes et prirent le chemin de l'exil.

Jean-Pierre Simon

Sources :
- Raymond Féry. L'ceuvre médicale française en Algérie. Préface du Pr. Félix Lagrot. Jacques Gandini. 1994. 98 pages.
- Pierre Goinard. Algérie, L'ceuvre française. 21ème édition. Jacques Gandini. 2001. 398 pages.