Le monument de
Hammam-Bou-Hadjar,
oeuvre d'Albert Pommier (188o-1943 ),
ce qu'il est devenu...
Né sur le sol d'Algérie pour
célébrer l'armistice, ce monument réduit à
un poilu de la guerre de 1914- 1918 à l'expression grave, d'un
style immuable en dépit de l'emplacement, est aujourd'hui seul,
proche de la mer à Fréjus Plage tout près d'une Marina
sur un rond-point ; il traversera le temps.
Edifié sur la commune oranaise d'Hammam-BouHadjar ce monument remarquable
est l'oeuvre du sculpteur Pommier.
Le sculpteur Albert Pommier, sa formation
En 1880, la sculpture française s'impose avec L'Age d'airain de
Rodin. Le jeune sculpteur Albert Pommier appartient à la génération
qui s'imprègne de l'oeuvre de la maturité du grand artiste.
L'art de la sculpture, considéré dans sa simplicité,
est restauré avec lui dans la grande dignité de la statuaire
gothique. L'époque est à la recherche, Pommier en est conscient.
Dans son enfance, admirateur de Bernard Palissy, il reçoit les
leçons d'Aube puis il fait du dessin et rien que du dessin chez
Joseph Bail.
Pommier s'écarte très vite de l'emprise de l'École
des beaux-arts, travaille chez lui pour acquérir la science de
son métier. A partir de 1905, Pommier expose au salon des Artistes
français, des statues influencées par la statuaire de Dalou.
Son art tend progressivement vers la sobriété et la simplicité.
A l'exemple de ses contemporains, Bourdelle et Maillol, il est conduit
par la recherche de la plastique pure. Un grand mouvement de rénovation
sculpturale se fait alors sentir; Pommier se fait remarquer à la
Société nationale des Artistes français et au Salon
des Tuileries. La décoration l'attire, il réalise un projet
de fontaine et se consacre également à la médaille.
A la veille de la guerre, Pommier obtient une bourse de voyage pour l'Algérie,
ayant présenté une Maternité et un Buste d'enfant.
Il ne pourra bénéficier de sa bourse qu'en 1919, après
sa démobilisation, les nominations ayant été suspendues
à la Villa Abd-el-Tif.
Au cours de la guerre, il fixe les aspects émouvants de la vie
du soldat dans les tranchées et écrit quelques pages définitives
et véridiques de la Grande Guerre, il est brancardier au 11'''
d'infanterie, troisième bataillon. Au lendemain de l'armistice,
le sculpteur rejoint l'Algérie, réalise surtout des études
fort belles de nus, dans ce style plein et calme qui, par la suite, caractérisera
ses oeuvres sculptées. Pour Pommier c'est alors une époque
de recueillement, de méditation. Le critique Edmond Gojon dans
la Méditerranée Illustrée du 11 juin 1921 remarque
:
Artiste rigoureux, anatomiste, capable de faire à la fois petit
et grand, d'enfermer dans le cadre le plus restreint l'impression la plus
émouvante. Ce jeune artiste se double d'un parfait savant ".
Le monument aux morts d'HammamBou-Hadjar (
Hammam-Bou-Hadjar,
situé à 70 km au sud d'Oran, est une station thermale que
les Romains surent déjà apprécier en leur temps.
Les nombreuses sources chaudes sortant d'un amphithéâtre
de collines débitent à 63° des eaux sulfureuses, salines,
alcalines ou bicarbonatées. Les guides précisaient que "
l'établissement thermal européen se trouvait au milieu d'un
parc ombragé à proximité du village ". Ils notaient
aussi " Monument aux Morts. ", précise Alain Amato.
Quand il eut à faire le monument de Hammam-Bou-Hadjar, la simplicité
de son projet dérouta les notables de l'endroit. Un maire, parfaitement
compréhensif, les rallia et prit la décision de l'élever
face à la mairie.
" C'est en 1931 que la municipalité commanda à Albert
Pommier, grand prix des Arts décoratifs de Paris, ce monument qui
coûta cent vingt mille francs, payés en louis de vingt francs
", souligne Alain Amato. Pommier se met à l'oeuvre. Sur un
socle, formé de quelques marches, s'élève une base,
une sorte de parallélipipède presque cubique, dont les quatre
faces latérales, bordées d'un bandeau plat, portent un bas-
relief. De cette base monte une colonne unie, de section carrée,
où se liront, d'un
côté les deux dates 1914-1918, de l'autre les noms des morts.
Au sommet de cette colonne de 8 mètres, posée sur toute
la surface de la section, se trouve la grande figure, sobrement équarrie,
d'un homme de la guerre en marbre de Carrare. Il est engoncé dans
sa capote alourdie de boue et de pluie. Il réfugie à demi,
dans son cache-nez épais, un visage durci par les fatigues, mais
où palpite beaucoup d'esprit. Entre ses pieds et ses genoux, repose
à terre le sac bouclé dont l'homme tient les courroies,
sac pesant, symbole de cette guerre harassante " qui nous obligeait
à remonter au sommet de nos âmes un espoir sans cesse basculant
et qui fit de nous tous, pendant quatre années, une armée
de sisyphes ", souligne Robert Rey.
Les bas-reliefs de la base n'ont pas moins de simplicité. Celui
de face montre une victoire ouvrant des ailes apaisées et tenant
en chacune de ses mains tendues une branche de laurier. Derrière
c'est le trio tant de fois vu qui dessinait sur l'horizon, en Champagne,
comme une lettre H qui marchait : les deux hommes qui portent, l'un sous
les bras, l'autre par les jarrets, leur camarade expirant. Sur un des
flancs, l'homme vigilant surveille les lignes d'en face. " Sur l'autre,
il marche, un peu courbé sous le poids du sac, du fusil, des musettes,
de la boîte à masque, de tout cet avoir à la fois
précaire et si lourd qui résume pour l'instant sa richesse
et sa vie ".
" Ce monument, d'où les rhétoriques de la pierre ont
été bannies, célèbre en somme la ténacité
dépensée par les vainqueurs dans une guerre qui fut un concours
d'endurance effective et morale plus encore que de courage ", poursuit
Robert Rey.
Ces bas-reliefs forment une saillie légère dont les bords
ont été savamment variés dans leur inclinaison en
vue d'accrocher ici les ombres, là, de les éviter. Jamais
un détail ne vient déborder inutilement. Le simple bon sens
inspira Pommier.
Ce monument aux morts, expression des graves et vastes commémorations
guidée par une pensée à la fois originale et juste,
d'une grande qualité plastique, sans style déclamatoire,
même amputé de son piédestal, est à voir.
Au-delà de cette grande oeuvre nous devons à Albert Pommier,
une grande médaille " l'Oued ", des bustes très
étudiés dans leur structure anatomique; il travaille à
l'exécution d'un bas-relief et de statues destinées au paquebot
Normandie. Il immortalise dans une effigie " Robinet ", l'auteur
de Cagayous, le " titi algérien ". Jean Alazard directeur
du musée des beaux-arts d'Alger, lui rend hommage : " La souplesse,
la sincérité de son talent, l'adaptation heureuse aux buts
les plus divers, l'émotion vraie, assurent à Pommier une
place fort enviable parmi les sculpteurs indépendants ".
Le Poilu exilé
Ecoutons Alain Amato qui nous relate le départ d'Algérie
et les péripéties qui suivront :
" Arrive l'indépendance, aussitôt les plaques de marbre
étaient descendues et détruites, sous prétexte que
des noms de musulmans y figuraient ! C'est à ce moment qu'intervient
M. Gaston Montamat. Cette personnalité née en 1894 à
Fleurance dans le Gers, fit la Première Guerre mondiale dans la
Marine nationale et fut démobilisé en Algérie où
il s'établit comme quincaillier à Hammam-Bou-Hadjar. En
juillet 1962, il resta sur place pour tenter de sauver son commerce. Au
printemps 1963, un ancien combattant musulman vint le prévenir
que la destruction des plaques n'avait été qu'un début
et que c'était le monument entier qui allait bientôt disparaître.
M. Montamat, résidant dans ce village depuis quarante-deux ans
intervint alors auprès des autorités algériennes,
il obtint l'autorisation de disposer librement de la statue. " Alain
Amato poursuit : " M. Montamat alerta donc le Génie qui arriva
un matin de juin 1963 pour enlever le " poilu ". La dépose
de la statue put alors se dérouler. A midi, M. Montamat offrit
un repas aux douze soldats du Génie. Au retour, stupeur ! le maire
avait profité de leur absence pour faire recouvrir de ciment les
quatre bas- reliefs, afin qu'ils ne puissent pas êtres récupérés
! Restait la statue, elle fut descendue de son perchoir de huit mètres,
puis démontée en trois morceaux, emballée aux frais
de M. Montamat et expédiée à Toulon, via Mers-el-Kébir,
par les soins de la Marine nationale. M. Montamat l'offrit alors au maire
de Fréjus, à l'époque M. Léotard, qui l'accepta
et la plaça, face à l'entrée de la Base aéronavale,
tout près des plages du débarquement d'août 1944.
La cérémonie d'inauguration eut lieu l'année suivante,
le 19 avril 1964, en présence des autorités civiles et militaires.
Les drapeaux des Anciens Combattants et Anciens Marins de Hammam-Bou-Hadjar
ont été confiés aux sections de Fréjus-SaintRaphaël.
Au moment de l'arrivée du " poilu " de Hammam-Bou-Hadjar
à Fréjus, les associations d'Anciens Combattants de SaintAygulf
et de Saint-Raphaël demandèrent à M. Montamat si d'autres
monuments pouvaient être ramenés. De retour en Oranie, il
prit contact avec l'armée qui, en évacuant les villes de
l'intérieur, avait sauvé quelques Monuments aux Morts. Ce
fut le cas pour ceux de Tlemcen et de Mascara et, dès lors, M.
Mantamat s'occupa de les faire transférer dans le Var.
Alain Amato poursuit : " Rentré définitivement en France,
M. Montamat, résidant à Saint Raphaël, y fut élu
en 1965 adjoint au Maire. Il a contribué, comme secrétaire
du comité local, à l'érection du Mémorial
National à la gloire de l'Armée d'Afrique, inauguré
à Saint-Raphaël en 1975 ".
Elisabeth Cazenave
Bibliographie
L'Afrique du Nord illustrée, 11 juin 1921, Edmond Gojon : "
L'Exposition des Abd-el-Tif ". Art et Décoration, novembre
1922, Robert Rey,
" Le monument de Hammam-Bou-Hadjar. " L'Art et les Artistes,
1935, p. 89 à 94, Jean Alazard :
" Le sculpteur Albert Pommier ".
Alain Amato, Monuments en exil, Editions de l'Atlanthrope, 1979, Paris.
Elisabeth Cazenave, La Villa Abd-el-Tif, un demi-siècle de vie
artistique en Algérie, Association Les Abd-el-Tif, 1998, Paris.
La Décoration monumentale peinte et sculptée en Algérie,
1830-1962, Editions Abd-el-Tif, Venise, 2013.
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