Théodore
Chassériau
( 1819 - 1856 ) et l'Algérie
Le legs du baron Chassériau au musée
du Louvre..., ce qu'il en est advenu.
Baron Arthur Chassériau,
photographie anonyme, coll. part.
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L'oeuvre de ce peintre brutalement disparu
à l'âge de trente-sept ans témoigne avec force et
originalité des différents courants, des différentes
tensions et parfois contradictions propres à l'art de son temps
: goût de la couleur et de la ligne sinueuse, sensualité,
grande austérité des portraits, intérêt constant
pour les sujets littéraires, rêveries orientales...
Cet article est le premier volet d'une enquête,
que nous nous proposons de mener, concernant La restitution des oeuvres
d'art faite à l'Algérie de 1963 à 1969.
Le legs du baron Arthur Chassériau 1935
Arthur Chassériau, légataire universel du peintre, rachète
systématiquement tout ce qui passe en vente, ayant de près
ou de loin, un rapport avec ce grand artiste qui n'est pour lui qu'un
cousin éloigné.
Arthur Nedjma Chassériau naît en 1850 à Alger, il
est le fils de l'architecte Frédéric Chassériau.
Ayant effectué ses classes élémentaires à
Paris, le baron Arthur achève ses études secondaires en
Algérie et s'engage en 1871 pour se battre en Kabylie. Il se lance
dans les affaires, travaille pour la Compagnie algérienne à
partir de 1868, devient le correspondant parisien de Ferdinand de Lesseps
et consolide sa fortune en devenant le principal associé d'un agent
de change. Passionné d'art, - il fait partie des premiers membres
de la Société des Amis du Louvre - et consacre d'importants
moyens à la mémoire de Théodore Chassériau.
Chez lui, rue de la Neva, racontent ses amis, " les oeuvres du peintre
tapissent les murs, des corniches aux plinthes ", le lieu ressemblait
" à ces chapelles dédiées à un saint
particulièrement vénéré ", le descendant
du peintre ayant pourchassé, " pendant près d'un demi-siècle,
à travers le monde, les oeuvres menacées de destruction
de son cousin ".
Marchand arabe présentant
une jument.
1853, huile/bois, musée des Beaux-Arts, Lille.
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Le travail acharné du baron Arthur aboutit à plusieurs donations
à l'Etat français et, enfin au legs en 1934 au musée
du Louvre de sa collection de peintures et de dessins - ensemble partagé
aujourd'hui entre le Louvre, le musée d'Orsay et de nombreux musées
en région dont le musée d'Alger.
Une note du ministre d'État, chargé des affaires culturelles
au secrétariat d'Etat auprès du Premier Ministre chargé
des affaires algériennes, nous apprend en 1963 que les tableaux
provenant de dons ou legs, mis en dépôt au musée d'Alger
par le Louvre, sont au nombre de 7 dont celui du baron Chassériau.
Théodore Chassériau, entre La Rochelle
et les Antilles, commerce et exotisme
Bien que le berceau de sa famille soit situé en Charente, les Chassériau
devaient bourlinguer le long des côtes américaines. L'arrière-grand-mère
et la grand-mère de Théodore étaient originaires
des Antilles.
Ce puissant atavisme familial, qui unit dans une commune attraction la
mer, le commerce et les contrées lointaines a sûrement conditionné
la fascination du peintre pour les mystères et les sensualités
de l'Orient.
Théodore Chassériau naît le 20 septembre 1819 à
Saint-Domingue, n'y vivra pas puisque sa famille revient en France et
s'installe à Brest. Parmi ses illustres ancêtres, Théodore
compte le général baron Victor Frédéric Chassériau
mort à la bataille de Waterloo. Le général est le
père de Frédéric Chassériau, le futur architecte
des ports de Marseille et d'Alger, lui-même père du baron
Arthur Chassériau, le généreux donateur du musée
du Louvre.
Il devient l'élève du peintre Ingres à l'âge
de 12 ans. De cette époque date le portrait du Broyeur de couleurs
qui lui vaut les compliments du maître qui apostrophant les élèves
de l'atelier s'écria : " Venez voir, Messieurs, venez voir,
cet enfant-là sera le Napoléon de la peinture. ". Théodore
intègre l'Ecole des Beaux-Arts en 1833. A 16 ans, il participe
pour la première fois au Salon et obtient sa première médaille.
Après un séjour en Italie, à Rome et Naples, son
compagnon de voyage, le peintre Lehmann adresse à Marie d'Agoult
le bilan de son voyage : " c'est un génie gigantesque, je
crois, la compréhension noble et sauvage des moindres événements
me le garantit ". Après le succès critique au Salon
de 1839 et l'exécution de la décoration de l'église
de Saint Merri, l'année 1844 constitue pour Théodore Chassériau
une nouvelle rupture : rupture humaine, d'abord, avec la mort de son père
; rupture professionnelle ensuite, avec la commande du décor de
la Cour des Comptes, dans l'ancien palais d'Orsay.
Le séjour de Théodore Chassériau
en Algérie
Des travaux épuisants entrepris à la Cour des Comptes' sont
interrompus de mai à juillet 1846 par un rapide séjour en
Algérie, effectués à la suite de l'invitation d'Ali-BenHamet,
Khalifat de Constantine.
Les récits enthousiastes et " romancés " des membres
actifs du " cénacle romantique ", Maxime du Camp ( en
Algérie en 1844 ), Gérard de Nerval, Théophile Gautier...,
sont sans doute déterminants dans la décision de partir.
Le fait qu'un membre de la famille Chassériau, Frédéric,
soit alors installé à Alger a sûrement facilité
la décision du peintre.
Frédéric né à Port-au-Prince en Haïti
est architecte à Alger, il crée la ville moderne, effectuant
les grands travaux du port, le boulevard de l'Impératrice, il est
aussi l'auteur du théâtre municipal. C'est auprès
de lui, en juin et juillet 1846 après quelques semaines vécues
dans les milieux militaires, entre Philippeville et Constantine, que Théodore
Chassériau passe une partie de son voyage algérien.
Durant son séjour, à la manière de Delacroix, l'artiste
régénère sa vision poétique de l'Afrique du
Nord, fondée sur la description véridique d'une réalité
éternelle.
A son retour d'Algérie, il tente en 1847 de synthétiser
dans une grande toile présentée au Salon ses sensations
d'Orient et les conséquences de ce voyage sur son art. Refusé
par le jury, Le Jour du Sabbat, dans le quartier juif de Constantine,
exposé finalement en 1848 ( toile détruite ), ne parvient
pas à convaincre son public, en dépit du grand enthousiasme
de Théophile Gautier.
Dans sa brève notice de 1833, Charles Sterling remarque : Ali-Ben-Hamet,
Khalifat de Constantine, cheïk des Haractas, a joué un certain
rôle politique, au lendemain de la bataille d'Isly, lorsque Abd-el-Kader
se vit abandonné de ses partisans ".
La victoire de Bugeaud sur l'armée marocaine, alliée malheureuse
d'Abd-el-Kader, marque en août 1844 un tournant dans la lutte menée
contre l'émir depuis 1839. Le 16 mai 1843, le duc d'Aumale s'était
emparé de la Smalah du grand chef de guerre.
Le portrait du Khalifat de Constantine est un tableau de circonstance,
sa réalisation étant étroitement liée à
la venue en France de certains chefs arabes. Accepter qu'on publiât
une image de soi était un acte de soumission au même titre
que partager les bienfaits de la civilisation occidentale. La commande
de ce portrait doit beaucoup au milieu où Chassériau et
son frère gravitent. Le tableau possède la majesté
des vieux portraits équestres et la soudaineté d'une image
d'actualité. Le visage intense du personnage et la croix de la
Légion d'Honneur marquent le sommet d'une composition globalement
pyramidale. Exposé au Salon, le tableau attire les regards du public
par son caractère et sa beauté, séduit par sa composition,
la noblesse des accessoires, la fierté des poses et la largeur
de la touche.
De cette rencontre avec Ali-Ben-Hamet devait naître une amitié,
qui décida Chassériau à se rendre en Algérie
en 1846 à son invitation. Tocqueville lui adresse une lettre de
recommandation destinée au général Lamoricière
et blâme l'époque de son départ : " Vous allez
tomber dans les chaleurs et dans la saison des fièvres ".
Le Khalifat, Ali-ben-Hamet lui remet une partie de la somme qu'il lui
doit pour la réalisation du portrait monumental et lui offre un
très beau yatagan en argent. Le peintre se rend à Philippeville
d'où il écrit à son frère : " J'ai vu
des choses bien curieuses, primitives et éblouissantes, touchantes
et singulières (...), on voit la race arabe et la race juive comme
elles étaient à leur premier jour. Le peintre arrive à
Alger où il loge chez son cousin l'architecte Frédéric
et écrit à son frère :« L'aspect de la ville
est blanc sur la mer bleue et a l'air de marbre grec ".
Pendant son séjour en Algérie, Chassériau rencontre
les officiers français. Dans ses carnets algériens, nous
le voyons notamment consigner ses projets artistiques : " faire toutes
les scènes militaires mêler adroitement l'Afrique française
et faire des scènes de la vie de nos troupes là-bas les
spahis surtout, tout ce que j'en ai vu ".
Au-delà des possibilités picturales que lui offre la conquête
de l'Algérie, il y a son ambition de dépasser les scènes
de batailles épiques peintes par les maîtres anciens et modernes.
1849-1856 " ... inventer, toujours inventer
".
Après son voyage en Algérie, la représentation des
femmes langoureuses de l'Orient et des scènes de harem qu'elles
animent, apparaît significative de sa conception artistique du nu
et de son désir de le régénérer.
Dans la continuité de ce thème - à la fois du bain
et de l'odalisque -, Chassériau peindra, les Danseuses mauresques,
Femme sortant du
bain, Intérieur de Harem.
Par des références aux détails pittoresques des vêtements
et l'évocation de la communauté des Juifs nord-africains,
Femmes juives au balcon, il développe le thème utilisé
par Delacroix dans des toiles, telles que les Femmes d'Alger.
Au Salon de 1850, Chassériau présente un grand tableau Cavaliers
arabes enlevant leurs morts dont on conserve de nombreux dessins préparatoires.
A l'occasion de toutes ces variations orientalistes, le génie du
peintre est d'avoir su conserver intactes ses émotions de voyageur,
d'avoir su restituer la réalité de la vie quotidienne, des
coutumes et des vêtements de cette civilisation algérienne
et, surtout, d'être parvenu à transpos .r toutes ces expériences
dans un langage pictural éternel, mariant les traditions classiques
et les innovations romantiques.
Le 8 octobre 1856, Chassériau à 37 ans est inhumé
au cimetière Montmartre et Théophile Gautier remarque :
un Arabe à la chéchia retenue par des cordelettes en poil
de chameau, qui suivait le convoi avec la gravité de la douleur
orientale, et de sa main brune tatouée de versets du Coran, jetait
de l'eau bénite au cercueil et suspendait une couronne jaune à
la chapelle mortuaire ".
Inaliénabilité des collections
Huit des oeuvres de la donation Arthur Chassériau faite aux Musées
nationaux sont conservées à Alger : Combat de cavaliers
arabes, Tête de jeune romain, Le broyeur de couleurs ( 1839 ), Deux
cavaliers arabes à la fontaine, Ariane abandonnée, Marché
arabe à Constantine, Mendiants arabes ( esquisse ), La tentation
du Christ.
Ces oeuvres sont retournées au musée national des beaux-arts
d'Alger, en 1969. Pourtant faisant partie du patrimoine national, on sait
que les collections restent inaliénables et imprescriptibles.
Les musées locaux et les objets mobiliers qu'ils contiennent ne
peuvent perdre leur caractère d'inaliénabilité que
s'ils cessent d'appartenir au domaine public de la collectivité
envisagée. Un tel résultat est obtenu par la procédure
habituelle de déclassement, subordonné à l'accord
du ministère de l'Education nationale.
L'Etat français s'est éloigné de la procédure
au point de l'oublier totalement. Un événement récent
servira d'exemple.
Le Président de la République devait offrir à Abdelaziz
Bouteflika les 19 et 20 décembre 2012 les clés d'Alger,
conservées au musée de l'Armée.
Des militaires et des hauts fonctionnaires du ministère de la Défense
y sont également opposés et prennent l'initiative de faire
déposer une requête devant le juge des référés
du tribunal administratif de Paris. Ce projet illégal a rencontré
une forte résistance au sein du ministère de la culture.
Elle rappelle les bases juridiques de l'inaliénabilité des
collections publiques, qui ne peut être contournée qu'à
la suite d'une procédure très précise, et si la commission
spécifique donne un avis conforme.
Elisabeth Cazenave
Bibliographie :
Catalogue de l'exposition Chassériau, Un autre romantisme, Galeries
nationales du Grand- Palais 26 février - 27 mai 2002, Paris.
Archives de la direction des musées de France et du ministère
des Affaires Etrangères. Renseignements communiqués par
l'association Les Amis de Théodore Chassériau.
1- Le décor de l'escalier d'honneur de la Cour des Comptes a été
en partie détruit par l'incendie qui a ravagé le Palais
d'Orsay le 23 mai 1871, durant la Commune. C'est sur cet emplacement que
fia édifiée la gare d'Orsay.
2- Bou-Maza est reçu chez la princesse de Beljiojoso, pose pour
Chassériau et se rend souvent à l'Opéra.
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