Le monument aux
morts d'Alger
L'oeuvre de Paul LANDOWSKI, ce qu'il est advenu...
La plus belle oeuvre à mes yeux, sera toujours celle
où une grande idée sera enclose dans une belle forme.
Le sculpteur Paul Landowski ( 1 8 7 5 - 1
9 6 1 ) reste un artiste majeur du XXe siècle. Sa production, alimentée
par la commande publique et privée, s'est poursuivie sur plus d'un
demi-siècle. Auteur de monuments de réputation mondiale,
comme le Christ rédempteur de Rio de Janeiro ou le Mur de la Réformation
à Genève, il a également réalisé un
grand nombre de monuments commémoratifs de la Grande Guerre.
Paul Landowski
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Landowski incarne l'attachement à
la tradition classique face à la montée des avant-gardes.
Pur produit d'une formation et d'une carrière académiques
- directeur de la villa Médicis en 1933, directeur de l'école
nationale supérieure des beaux-arts en 1937 -, ce sculpteur symbolise
à la fois les choix officiels et la pérennité d'une
éthique qui est celle de la Troisième République.
Les oeuvres de Landowski représentatives de l'art monumental de
l'entre-deux-guerres, longtemps associé à des souvenirs
historiques douloureux, se dégagent aujourd'hui de cette gangue
idéologique.
L'homme et son temps, un apprentissage dans la tradition.
L'histoire de Landowski en France commence dans les années 1860.
Paul Landowski, son oncle, officier polonais révolutionnaire, évadé
de Sibérie, arrive à Marseille. La France a déjà
accueilli son frère Edouard, médecin qui a fondé
un sanatorium à Alger et qui meurt, ainsi que sa femme, laissant
six orphelins dont le sculpteur.
L'enfance en Algérie est vite interrompue ; l'oncle Paul les prend
en charge puis le frère aîné Ladislas assure la relève,
dans l'austérité et le dénuement.
Après l'Académie Julian et l'école nationale supérieure
des beaux-arts en 1895, Landowski obtient le Prix de Rome en 1900, découvre
l'Italie avec ravissement et participe à des fouilles archéologiques.
Accompagné d'Henri Bouchard (Henri
Bouchard est l'auteur du monument " Au génie colonisateur
" élevé à Boufarik en 1930.) il effectue,
en 1903, un voyage en Tunisie : " C'est l'antique, c'est l'Orient
d'il y a je ne sais combien d'années ! ", s'émerveille-t-il
devant ces paysages méditerranéens dont il gardera toujours
le goût, tant ils portent en eux de réminiscences classicisantes.
L'année 1906 marque le retour à Paris, il installe son atelier
à Boulogne-Billancourt où il vivra et travaillera jusqu'à
sa mort, en 1961. Grand Prix de Rome, Landowski est alors bien placé
pour débuter dans la commande publique qui, en ce début
de siècle, excelle dans l'allégorie décorative et
pédagogique. Le renouveau est à la taille directe qui privilégie
les thèmes simples, essentiellement le nu féminin. Ce néoclassicisme
durera toute la période de l'entre- deux-guerres.
Il fréquente les salons littéraires et musicaux et le monde
politique de son époque grâce aux relations de sa femme,
fille de sénateur et ministre. (Landowski
veuf épouse Amélie Cruppi, fille de Louise Crémieux
et de Jean Cruppi) La notoriété du sculpteur
s'établit avec les grandes commandes. Très tôt, il
apparaît comme le tenant de deux conceptions : la première,
classique, dominée par le " modèle " et "
l'idéal ", références majeures de l'Académie
des beaux-arts, et la seconde, d'inspiration sociale, qui demande à
l'art de traiter de faits de société.
Puis, c'est la guerre, Landowski est affecté à la section
de camouflage. Un sursis militaire, demandé par la Suisse, lui
est accordé pour exécuter le Mur de la Réformation
à Genève en collaboration avec Bouchard. L'époque
redécouvre la notion du bas-relief intégré à
l'architecture.
L'après-guerre a connu la triste floraison de monuments aux morts.
Landowski en a sa part ( au total une vingtaine ).
Boulonnais depuis 1906, le sculpteur participe à la vie de la ville.
Boulogne-Billancourt est alors la ville exemplaire de l'architecture moderne
où travaillent Le Corbusier, Auguste Perret, Robert Mallet-Stevens.
Peintres, sculpteurs, architectes se retrouvent le premier dimanche de
chaque mois dans son salon avec le monde de la littérature représenté
par Jules Romain, Paul Valéry et Henry de Montherlant.
L'Algérie
Landowski renoue avec l'Algérie de son enfance en 1919. Il évoque,
dans son journal, le projet d'un Monument aux Armées d'Afrique
commandé par Gaston Thomson, député de Constantine
et oncle de son épouse Amélie. L'oeuvre est restée
à l'état de projet dont un témoignage en plâtre
est conservé à Boulogne- Billancourt, au musée des
"Années Trente". En 1926, le sculpteur entre à
l'Institut. Un bonheur en entraînant un autre, il retrouve bientôt
l'Algérie de son enfance car on lui a commandé le Monument
aux morts d'Alger surnommé Le Pavois.
A Alger, il se promène dans la casbah en compagnie du peintre Paul-Élie
Dubois, alors pensionnaire de la villa Abd-el-Tif. Avec le sculpteur Paul
Belmondo, le peintre Georges Rochegrosse ou le collectionneur
Frédéric Lung il évoque, avec nostalgie le folklore
oriental où toujours il verra le reflet de l'Antiquité.
Les grandes commandes publiques réalisées par Landowski
affichent une virilité certaine. Le Mur de la Réformation,
réalisé en collaboration avec Bouchard, est reconnu comme
une étape dans la sculpture monumentale de l'époque. Le
Monument au Génie colonisateur de Boufarik,
de Bouchard et Bigonet, s'en inspire par son adéquation à
l'architecture grâce à la verticalité massive des
rondes- bosses et la symétrie des bas-reliefs.
Trois monuments se détachent des ensembles commémoratifs
réalisés par Landowski. Le Monument de la Victoire de Casablanca,
aujourd'hui à Senlis, le monument aux morts d'Alger ou Le Pavois
et celui de la plaine de Chalmont " Les Fantomes ".
Le Monument aux morts d'Alger, Le Pavois
Ce monument, une commande de la ville d'Alger, est érigé
par souscription publique ( Comité présidé par Charles
de Galland et M. Celly ). Le concours, organisé par la ville, est
remporté par Landowski en 1922. La décision est contestée
par l'un des concurrents, Gaudissart. Le jugement est cassé le
6 mars et confirmé le 15 mars par 16 voix contre 20. L'inauguration
a lieu le 11 septembre 1928. Les architectes associés
sont Maurice Gras et Edouard Monestés. La totalité du monument,
avec le socle sculpté de bas- reliefs par Bigonet, mesure quatorze
mètres de hauteur pour une largeur de sept mètres. Le sculpteur
construit une oeuvre spectaculaire " qui ferait bien sous le soleil
d'Afrique ", remarque-t-il. Il a recours à l'allégorie
antique de la Victoire ailée et donne de surcroît un sous-titre
révélateur à son monument : " Le Pavois ".
L'ambition est de renouer avec une iconographie somptueuse voire "
festive ". " Les chevaux sont caparaçonnés et
décorés comme aux plus beaux temps médiévaux.
Pour conforter l'image, l'ensemble monumental est dominé par la
silhouette d'un gisant. La présence de deux cavaliers contemporains
( européen et africain ) de part et d'autre de la Victoire, vient
encore démontrer cet étonnant souci de syncrétisme
qu'on trouve fréquemment dans l'oeuvre de Landowski : l'Antiquité,
le Moyen âge et le monde contemporain réunis comme pour viser
à une image symbolique intemporelle dépassant la commémoration
ponctuelle qui lui était assignée ", remarque Michèle
Lefrançois.
Dans son journal ( En 1902, Landowski
commence à rédiger son Journal, trente-neuf cahiers d'écolier,
fidèles réceptacles de ce demi-siècle artistique,
littéraire et politique, illustrant ses théories.)
, Landowski confie : " Enfin j'ai trouvé
l'arrangement du groupe du dos du monument d'Alger. Les deux femmes, les
deux vieillards, l'Européen et l'Arabe s'appuient l'un sur l'autre.
L'unité de sentiments a conduit à l'heureux effet plastique
". Pour Landowski, l'aspect achevé de la sculpture monumentale
demande la nécessaire complémentarité de la ronde-bosse
et du bas- relief. Les commandes publiques de statuaires monumentales
lui donnent l'occasion d'une collaboration avec ses contemporains. Autre
satisfaction pour lui lors de ce passage en Algérie : le monument
qu'il y a dressé, Le Pavois, a répondu à ses convictions.
Des bas-reliefs, sculptés par Charles Bigonet, sur le socle, évoquent
des scènes quotidiennes de guerre et de paix sur la terre d'Algérie.
La sculpture s'accommode admirablement au paysage.
Ce monument devait connaître des heures difficiles. Issu de l'époque
coloniale, la décolonisation lui est fatale. Il est désormais
caché sous une chape de ciment. Sur le socle sont maintenant sculptées
deux mains faisant éclater leurs chaînes, symboles de l'indépendance.
Aujourd'hui, l'État algérien a confié à l'artiste
Issiakhem le soin de restaurer la gaine en ciment entourant le monument
qui se fissure.
Le monument actuel.
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Le Monument de la Victoire, érigé
à Casablanca eut, lui aussi, un destin agité. Il devint
un de ces " monuments en exil ", réédifié
à Senlis en 1961.
Le rôle de Landowski comme professeur est reconnu officiellement,
il assure les charges de directeur de l'école des beaux-arts et
de la villa Médicis. Les bases de son enseignement sont traditionnelles.
Il écrit : " Que sera mon enseignement ? surtout technique.
Un professeur ne doit enseigner que la technique. Apprendre à construire.
Donner l'amour du métier. Respecter l'indépendance de chaque
tempérament ".
L'art de Landowski connaît tôt son heure de gloire. L'Académie
reconnaît en lui, " le jeune moderne " qui, en poursuivant
le changement apporté par Rodin par là même le régénère.
Comme tel, il devient l'espoir de l'art officiel. Une sorte de "
purgatoire " plonge Landowski et nombre de sculpteurs figuratifs
dans l'oubli. La redécouverte de l'école néoclassique
des années 1930, grâce à deux expositions dans les
années 1980-1990, rend à cette sculpture figurative plus
qu'une juste reconnaissance, une renommée mondiale, et le rang
de maillon essentiel dans l'histoire de l'art. Landowski reprend la place
qu'il mérite.
Elisabeth Cazenave
Bibliographie :
-Raymond Isay, Paul Landowski, 1932.
-Gérard Caillet, La Main et l'Esprit, 1961.
-Exposition, 1980, " L'Atelier d'un sculpteur ", musée
Paul Landowski, Boulogne-Billancourt.
*Michèle Lefrançois, Paul Landowski, l'oeuvre sculptée,
Créaphis éditions, 2009.
-Élisabeth Cazenave, La décoration monumentale en Algérie,
peinte et sculptée 1830-1962, Association Les Abd-el-Tif 2013.
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