Histoire d'entreprises
Les établissements ALTAIRAC à Alger
De 1845 à 1968, une dynastie d'industriels a oeuvré pour
l'économie de l'Algérie.
Antoine-Frédéric Altairac était
né à Alès dans le Gard en 1821 dans une famille de
jardiniers. Il avait appris le métier d'ouvrier tailleur ; il était
très travailleur, organisé, énergique, intelligent
et persévérant. Il était aussi aventureux et, en
1843 il s'embarqua pour Alger. En 1845 il créa un atelier de confection
: les Etablissements ALTAIRAC. En 1859, il s'orienta vers la confection
du petit équipement militaire et la fabrication de chaussures.
Il employait près de quatre cents ouvriers et surtout ouvrières.
En quinze ans, il était devenu le 1er industriel d'Algérie.
En 1868 il obtint, après plusieurs demandes appuyées du
Général Chanzy, Gouverneur Général, que l'habillement
d'une partie des troupes d'Afrique ( environ dix mille hommes ) soit détaché
de l'Entreprise GODILLOT et soit effectué en Algérie. Après
la défaite de 1870 et la coupure avec la Métropole, la nécessité
de faire fabriquer en Algérie les équipements militaires
était devenue évidente.
Il ouvrit en 1877 de nouveaux et vastes ateliers dans une importante construction
dont il avait dirigé lui-même l'édification dans le
nouveau centre d'Alger. Une grande manufacture était née.
Le Conseil Municipal d'Alger conféra le nom de " rue de l'Industrie
" à la voie qu'elle animait. Plus tard, cette rue disparut
dans le réaménagement du centre d'Alger. Elle était
située non loin du futur siège de " l'Echo d'Alger
"
En 1878 l'Administration, au renouvellement des marchés, décida
que tout ce qui était nécessaire au 19ème Corps d'Armée
en habillement, chaussures et équipements serait exclusivement
fabriqué en Algérie. Dès ce moment, les Etablissements
ALTAIRAC prirent une extension considérable. Ils employaient directement
plus de huit cents ouvriers et ouvrières et un nombre équivalent
travaillait à domicile.
Toujours en 1878 il acquit le domaine d- Aïn Schrouna ", la
propriété de Monsieur Gimbert d'une superficie de trois
cent trente hectares située à la sortie de
Maison-Carrée sur la gauche de la route de l'Arba.
En 1882, il compléta l'industrie de la fourniture militaire en
y installant une importante usine de tannerie-corroierie et peausserie.
Là, plus de cent cinquante ouvriers trouvèrent un travail
permanent produisant trente mille cuirs de boeufs, vaches et veaux et
trois cent mille peaux de moutons et chèvres. Ce ne fut pas tout.
Il créa au même lieu une briqueterie-tuilerie, nouvelle usine
qui employait constamment près de deux cents ouvriers, fabriquant
dix millions de briques et deux millions de tuiles par an.
De grands travaux furent aussi effectués sur la propriété
agricole. Un système d'irrigation fut mis en place permettant de
l'arroser dans toute son étendue. Ainsi cent trente hectares furent
plantés en vigne ( ils produisaient dix mille hectolitres par an
), cent quarante en céréales et dix en orangers. Du fait
de ses origines cévenoles, il développa la culture du mûrier
pour alimenter une magnanerie ( ver à soie ). Une jumenterie fut
créée pour produire des mulets pour l'armée. La propriété
agricole occupait une centaine de personnes dont beaucoup étaient
indigènes.
Pour aider son personnel, ses usines étant loin de la ville, il
construisit à côté d'elles des logements d'ouvriers
qui abritaient cinq cents personnes dans des conditions parfaites d'hygiène,
une partie pour les européens, et une autre pour les indigènes,
afin de respecter les coutumes de chacun. Enfin il fit construire une
école qui comprenait plusieurs classes. Les habitants de Maison-Carrée
pour le remercier, l'envoyèrent pour les représenter, au
Conseil Général. Il s'apprêtait à être
décoré de la Légion d'Honneur lorsque sa mort survint
en 1887.
Il laissa deux fils qui héritèrent de ses qualités
et assurèrent le succès de son oeuvre en poursuivant le
développement des " Etablissements ALTAIRAC " . La manufacture
de la rue de l'Industrie fut transférée dans de nouveaux
locaux, construits spécialement à cet effet, rue des Colons
près du
Champ de Manoeuvre, avec de nouvelles réalisations (
ateliers de bourrellerie, de sellerie et de chaussures ).
L'aîné, Frédéric, né à Alger
en octobre1852, fut élu Conseiller Municipal d'Alger en 1884. Il
démissionna en 1886 pour remplacer son père comme Conseiller
Général de Maison- Carrée. Membre puis Vice-président
de la Chambre de Commerce, il fut élu 21ème maire d'Alger
en juin 1902, fonction qu'il occupa jusqu'en mai 1908, c'est lui qui eut
l'honneur d'accueillir à Alger le Président de la République
Emile Loubet lors de sa visite en avril 1903. Il était Officier
de la Légion d'Honneur, et mourut à Blois en juillet 1917.
Le cadet, Louis, né à Alger en 1855, était Délégué
financier de l'Algérie et également Directeur du syndicat
des viticulteurs Algériens. Il était chevalier de la Légion
d'Honneur, et mourut à Alger en janvier 1909.
A la suite de ce décès, Frédéric demanda à
son fils aîné Georges, né à Alger en janvier
1888, de l'assister dans la direction de ses affaires, ce qu'il fit jusqu'à
la mort de son père à qui il succéda. Son frère
Frédéric, né à Alger en décembre 1893,
sera ensuite associé à la direction de l'affaire. Ils poursuivront
le développement en procédant aux améliorations commandées
par l'évolution économique et les progrès de la technique,
notamment en ce qui concerne la briqueterie-tuilerie.
Une usine de fournitures militaires et administratives fut créée
à Casablanca au Maroc. Elle fut dirigée, jusqu'à
sa vente à la fin des années 60, par Claude André,
cousin de la famille.
Georges fut élu conseiller général de Maison-Carrée
en 1919, juge au Tribunal de Commerce en 1922, président de la
Société des Courses d'Alger en 1927 enfin maire de Maison-Carrée
en 1929.
Il était chevalier de la Légion d'Honneur et mourut en 1956.
Il avait demandé à son fils René, né à
Maison Carrée en septembre 1912, de le remplacer dès 1936
aux affaires à côté de son frère Frédéric,
qui décédera en 1961. Ils assumeront les transformations
et adaptations nécessaires pendant la période difficile
de la 2ème guerre mondiale.
Très vite arrivèrent les épreuves des événements
d'Algérie si difficiles tant sur le plan humain que sur le plan
industriel. René Altairac était devenu maintenant le seul
dirigeant, son frère André, né à Alger en
avril 1920, était en charge de la propriété agricole
puis de la briqueterie-tuilerie ; leur cousin germain Jacques, né
à Alger en juillet 1924, était chargé lui, de l'usine
de confection.
Pour la partie confection ce fut la fin de l'activité de fournitures
de l'Armée et l'orientation vers les fournitures des administrations
: Banque de l'Algérie, TA, RSTA, CRS et d'autres. Ce fut aussi
la fermeture de la tannerie- corroierie et des activités autour
du cuir.
Pour la briqueterie-tuilerie ce fut l'adaptation aux techniques nouvelles,
avec l'appui du Plan de Constantine et la découverte du gaz d'Hassi
R'Mel. Le séchage des tuiles et des briques se faisait de manière
naturelle, sur un temps très long, ce qui occupait beaucoup de
place ; il se fit désormais à l'intérieur d'un tunnel
chauffé au gaz naturel dans lequel les produits céramiques
défilaient mécaniquement. Les fours de cuisson des produits
céramiques qui fonctionnaient au charbon furent eux aussi adaptés
au gaz naturel. La production en 1960 était de trente trois mille
tonnes de briques et pour les tuiles de seize mille tonnes, soit près
du quart de la production de l'Algérie.
1962 arriva.
Les " Etablissements ALTAIRAC " occupaient encore plus de mille
personnes et avaient près de cent vingt ans d'existence. Les Altairac
pouvaient-ils mettre la clef sous la porte et partir ? Ils décidèrent
de rester et continuèrent à prendre encore beaucoup de risques.
En quelques mois tout l'encadrement européen ainsi que la plupart
des employés européens quittèrent le pays. Le défi
pour continuer à fonctionner fut immense. Les Altairac étaient
obstinés, ils arrivèrent à coup de promotions internes
à faire tourner la boutique.
La propriété agricole fut nationalisée en 1963 en
même temps que toutes les autres propriétés.
En 1968 dans le cadre d'une vaste opération orchestrée par
des cabinets suisses travaillant pour le nouveau pouvoir algérien,
les usines des " Etablissements ALTAIRAC ", " LAFARGE ",
" BERLIET " et bien d'autres furent nationalisées.
Les " Etablissements ALTAIRAC " ont été opérationnels
pendant presque toute la période française de l'Algérie.
René Altairac fut le dernier d'une longue lignée d'industriels.
Il travailla à Alger, jusqu'à sa mort en octobre 1980, à
sauvegarder des biens familiaux qui n'avaient pas été nationalisés.
En tant que Président de " l'Association Française
de Bienfaisance d'Alger " il oeuvra pour venir en aide à beaucoup
de nos compatriotes en très grandes difficultés qui avaient
fait le choix de rester sur la terre de leurs ancêtres. Il fut,
pour cela, fait Chevalier de l'Ordre National du Mérite en 1974.
Pierre Altairac
Bibliographie
- Mémoire Vive N° 17 (1er trimestre 2002).
- Afrique du Nord illustrée. N° 511 (14 février 1911).
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