La colonne "
Bailloud "du Fort l'Empereur à Alger
Le Fort l'Empereur
Le choix du site dominant Alger est décidé pour des raisons
historiques.
Le fort, ouvrage très primitif, est édifié en 1545
par le dey Hassan Pacha, sur la position où Hugues de Moncade,
Vice- Roi de Sicile, plante sa tente au cours de son expédition
malheureuse de 1518.
Cette campagne, qui vise à s'emparer de la ville des corsaires,
est suivie par celle de l'empereur Charles Quint, en octobre 1541. Il
décide de donner une leçon à ce repère de
brigands qu'est Alger à cette époque.
L'expédition, trop tardive dans l'année, se heurte au mauvais
temps. La flotte malmenée cherche refuge de l'autre côté
de la baie d'Alger, à l'abri relatif du cap Matifou. Et les troupes
partent à pied bien sûr, le parcours leur offrant l'obstacle
de deux oueds en crue : l'oued Hamiz et l'oued Harrach. Une fois arrivé,
l'Empereur pose son camp au sommet de ce relief pour y passer la nuit.
Des averses diluviennes mouillent la poudre de ses canons et de ses mousquets.
Dès lors, ses troupes sont désarmées et livrées
à la cruauté de cavaliers arabes fanatiques. C'est le souvenir
de cette aventure qui a valu au Fort, édifié sur le site,
le nom de " Fort l'Empereur ".
Des fortifications complémentaires sont élevées en
1580 et 1673.
La prise d'Alger, 1830
Après le débarquement de Sidi Ferruch, l'Armée de
la conquête, dans le prolongement de sa rapide victoire de Staouéli,
s'apprête à fondre sur Alger. Devant cette menace, le dey
Hussein met le fort en état de défense.
Huit cents Turcs et mille deux cents Arabes s'y enferment. Ils soutiennent
le siège des troupes françaises, conduites par le général
La Hitte.
La garnison du fort comprenant que toute résistance est inutile
se retire le 4 juillet. Seuls quelques hommes restent pour mettre le feu
aux poudres et, tout de suite après l'évacuation, l'ensemble
de l'ouvrage est détruit.
Après l'explosion, les troupes françaises prennent possession
de ce qui reste du fort. Alors que les troupes du débarquement
s'occupent dans la journée du 29 juin 1830, à investir le
Fort l'Empereur à Alger, avec Berthezène, Loverdo et d'Escars,
M. Alphonse de Fontvanne adresse à La Gazette de France la lettre
suivante :
" Permettez-moi de proposer par la voix de votre journal, un but
de souscription éminemment digne de la France, de son Roi et du
glorieux fait d'armes de ses enfants.
Qu'une colonne triomphale s'élève, couronnée de la
statue de notre Roi Charles X, Charles le Bienfaisant. Que le bronze cette
fois serve à consacrer le succès obtenu en faveur de l'humanité.
Que sur ce monument soient consignés l'hommage de la France, à
la gloire de son Roi et la reconnaissance pour ses braves armées
de terre et de mer et les dignes chefs qui ont été appelés
à l'honneur de les commander. Que tous les Français dignes
de ce nom contribuent à son érection ; que même la
plus petite souscription soit accueillie dans ce nouveau concours de tous
les sentiments qui ont fait la gloire de la France. "
C'est la première manifestation de statuomanie inspirée
par l'histoire en Algérie. Le projet en reste là, il est
repris en 1908, sensiblement modifié.
La colonne Aux morts de l'Année d'Afrique
à Alger - Colonne Bailloud du Fort l'Empereur, 1908
Élevée sur l'ordre du général Bailloud dans
les dépendances du Fort l'Empereur, elle avait pour objet de perpétuer
la gloire de l'Armée d'Afrique.
Le choix du lieu où doit être construit ce monument de ciment
soulève de nombreuses discussions.
La Souscription, 1908
Une souscription nationale pour l'édification à Alger d'un
" Monument aux morts de l'Armée d'Afrique ", approuvée
par le Ministre de la Guerre et avec l'assentiment du Gouverneur Général
de l'Algérie, est conduite par un comité comprenant une
dizaine de personnes dont le Général Bailloud, commandant
le 19e Corps d'armée. Ce comité se met immédiatement
à l'oeuvre et, dès ses débuts, est assez confiant
puisqu'il obtient l'adhésion d'un certain nombre de personnalités
ayant appartenu à l'Armée d'Afrique ou s'intéressant
plus particulièrement aux questions algériennes, et qui
s'engagent immédiatement à effectuer un versement de 1 000
francs.
Le comité compte parmi ses membres actifs ou honoraires la plupart
des notabilités algériennes et un grand nombre de personnalités
françaises. Le Président d'honneur du comité est
M. Jonnart, Gouverneur général de l'Algérie ; M.
le général Grisot, commandant le 19e Corps d'Armée
; M. Étienne, député de l'Algérie, Président
du groupe colonial de la Chambre des Députés ; M. l'amiral
Servan, Président de la Société de Géographie
d'Alger et de l'Afrique du Nord, commandant la marine en Algérie.
Pour élever sur les hauteurs qui dominent Alger, un monument, pyramide
ou obélisque, frappant au loin les yeux de tous ceux qui abordent
en Algérie, et évoquant dignement le souvenir des soldats
qui, au prix de leur vie, donnèrent à la Mère Patrie
cette seconde France, il faut de l'argent, beaucoup d'argent.
Il est décidé d'élargir les bases de son organisation
primitive de manière à pouvoir faire un appel direct à
un plus grand nombre de bonnes volontés.
En juin 1912, les souscriptions recueillies n'étant pas suffisantes,
le comité sollicite le concours de l'Etat.
Une subvention est accordée en mars 1914 par le Ministre de l'Instruction
Publique et des Beaux-Arts, la guerre éclatant, la subvention ne
sera versée qu'en 1933.
La colonne Bailloud (coll. B.Venis
|
En un point, convenablement
choisi de cet escalier, sera placé un lion en bronze, oeuvre
du sculpteur Auguste Caïn. (Coll.B.Venis) |
Description de l'ouvrage
Un dossier trouvé aux Archives Nationales, comportant des photographies
anciennes, fait très rare, renseigne sur le projet.
Le Monument aux Morts de l'Armée d'Afrique se compose essentiellement
d'une pyramide, ayant la forme d'un obélisque, qui sera élevée
près de l'entrée du Fort l'Empereur, à l'extérieur
de cet ouvrage, sur un replat situé à la côte 214
environ, au- dessus du niveau de la mer.
Cette pyramide sera complétée à la base par une partie
décorative et par un entourage dont la partie antérieure
formera terrasse. Le comité a prévu, pour accéder
à la pyramide, la construction d'un escalier monumental ayant son
point de départ non loin de la route venant d'Alger.
En un point, convenablement choisi de cet escalier, sera placé
un lion en bronze, oeuvre du sculpteur Auguste Caïn. Enfin une statue
de pierre, représentant un soldat de l'Armée d'Afrique,
doit trouver
place, soit en bordure du chemin d'accès au fort, soit au départ
de l'escalier monumental susvisé, selon les dispositions qui seront
prises ultérieurement pour la construction de l'escalier.
ler partie - Pyramide proprement dite
La pyramide est creuse. Elle est entièrement en ciment armé.
Elle a 50 mètres de hauteur totale. La base inférieure est
un carré de 8,50 m de profondeur sur le schiste dur, par l'intermédiaire
d'une semelle en béton armé invariablement liée à
l'édifice.
Sur une des faces de la pyramide sera fixé un médaillon
à l'effigie du général Maurice Bailloud (1847-1921),
oeuvre du sculpteur Émile Joseph Carlier (1849 - 1927).
Une porte a été aménagée dans la face postérieure.
Dans le sous-sol est installé un caveau funéraire : conformément
au voeu exprimé par le comité, et agréé par
le Général, ce caveau est destiné à recevoir
ultérieurement le corps du Général Bailloud.
Un escalier en béton armé, de 0,80 m de largeur, avec rampe
et main courante en fer, accolées aux parois, comportant un palier
de repos tous les 5 m environ, permet d'accéder à un palier
supérieur situé à 3,40 m au-dessous du sommet de
l'édifice.
La partie supérieure de la pyramide est formée d'une ossature
métallique recevant un vitrage, avec quatre châssis à
tabatière. Ce dispositif a pour but d'assurer l'éclairage
intérieur, en même temps qu'il permet d'avoir du palier supérieur
une vue circulaire sur le panorama qui s'étend sur la ville, le
port, la baie d'Alger, le Sahel, la chaîne de l'Atlas et la Mitidja.
L'ouvrage est complété par un paratonnerre composé
d'un parafoudre à pointes multiples monté sur une porte
parafoudre en fer galvanisé, relié au moyen de câbles
en cuivre rouge à une canalisation d'eau existante.
Le profil et les dimensions de la pyramide ont été arrêtés
par le comité. L'exécution en a été confiée,
à la suite d'un concours, à M. Paul Piketty qui s'est engagé
à livrer les différents travaux ci-dessous au prix forfaitaire
de 58 570 francs.
2e Partie - Décoration de la base
A la suite d'un concours, le comité a adopté pour la décoration
de la base le projet présenté par M. Favre, sculpteur à
Neuilly- sur-Seine. Ce projet comporte un haut-relief en bronze, qui sera
placé à la partie antérieure de la pyramide sur un
socle en ciment armé faisant corps avec la pyramide.
Le travail dont il s'agit a fait l'objet d'un contrat passé avec
M. Favre, le 10 janvier 1912, au terme duquel l'artiste s'est engagé
à le livrer, complètement achevé et définitivement
mis en place, fin 1913.
Il s'est engagé, pour l'inauguration du monument en 1912, à
fournir une maquette reproduisant le haut-relief dans ses formes et ses
dimensions.
La somme allouée à l'artiste est de 40 000 francs.
3e Partie - Entourage de la base
Le dessin de l'entourage de la base du Monument faisait partie du programme
imposé aux artistes pour le concours de la décoration. Le
projet adopté a été dressé par M. Monestel,
architecte à Toulon, collaborateur de M. Favre.
L'exécution de ce travail entièrement en ciment armé
a été confiée à M. Piketty.
4e Partie - Escalier monumental
La construction de cet escalier a été décidée
par le comité. La dépense prévue est de 20 000 francs.
Le Lion de Caïn qui doit être placé sur cet escalier
est évalué à 20 000 francs.
5e Partie - Statue en pierre
L'exécution de cette statue a été confiée
à M. Gaudissard, sculpteur, pour le prix forfaitaire de 6000 francs.
6e Partie - Travaux et dépenses diverses
a) Les médailles attribuées aux artistes désignés
ci-après, pour les projets qu'ils ont fournis à la suite
du concours ouvert pour la décoration artistique : MM. Ebstein,
statuaire à Paris, 600 francs, Marillier, sculpteur à Alger,
500 francs, soit un total de 1 100 francs.
b) Différents travaux évalués à 4 430 francs.
c) Frais généraux, 6 000 francs.
Soit une dépense totale de 182 000 francs, récapitulation
signée le 1er juin 1918 par le capitaine du Génie Sire,
délégué du comité pour la surveillance technique
des travaux.
Ce projet n'est pas réalisé et se résume à
l'édification d'une tour mémorielle, colonne à quatre
pans s'amincissant vers le haut, équipée à l'intérieur
d'un escalier permettant d'accéder à la plate-forme sommitale
de 50 mètres de hauteur.
Initialement, elle portait le nom de " colonne Bailloud ", du
nom de l'ancien général, commandant le 19e Corps d'Armée
qui opérait en Algérie.
La colonne est inaugurée le 27 octobre 1912, en hommage aux morts
de l'Armée d'Afrique. À la base du monument, on trouve une
plaque de marbre et un médaillon de bronze reproduisant les traits
du général Bailloud.
Dieu et Patrie
A la mémoire
Des soldats et marins
Sur cette terre d'Afrique
Pour y implanter
La justice et la civilisation
1830 - 1912
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La suite des événements allait
être fatale à notre édifice. Dès le 8 novembre
1942, le débarquement américain sur la côte d'Afrique
du Nord ( Maroc et Algérie orientale et centrale ), se traduit
par le retour de cette province à la guerre contre l'Allemagne
dont les armées occupent déjà une partie de la France.
Georges Dillinger précise : " Alger fut donc soumise aux incursions
et aux bombardements de stukas qui ont fait un certain nombre de victimes,
en particulier parmi les soldats sénégalais de la caserne
d'Orléans, sans que, en fait, les démolitions fussent importantes
et les victimes très nombreuses. Mais les spécialistes ont
alors pensé et affirmé que cette colonne dominant la ville
d'Alger, et fort visible au moins par nuits claires, pouvait servir de
repères aux avions de la Luftwaffe. La colonne devenait un traître
à la patrie et la décision fut prise de la détruire
et de la raser.
Cette colonne qui était devenue familière aux Algérois
fut détruite le 3 février 1943 entre 15 et 16 h par le service
technique de la ville. Le médaillon et la plaque de marbre furent
alors remis au musée Franchet d'Espèrey. Que sont-ils devenus
?
Élisabeth Cazenave
Bibliographie :
Archives Nationales : F/21/4884 dossier n° 29, 1908-1933.
Georges Dillinger, " La colonne du Fort l'Empereur à Alger
" in Présent, 30 octobre 2012.
Feuillet d'El Djezaïr n° 5 (première série) d'Henri
Klein - 1913; pages 40 et 41.
Cet article sera en partie reproduit dans l'ouvrage, "La Décoration
monumentale en Algérie, peinte et sculptée, 1830-1962 -
Inventaire d'un patrimoine : dictionnaire des artistes", à
paraître au printemps 2013.
La rédaction
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