La colonne " Bailloud " du Fort l'Empereur à Alger
extraits du numéro 53 , 1er trimestre 2013 , de "Mémoire vive", magazine du Centre de Documentation Historique de l'Algérie, avec l'autorisation de son président.
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sur site : mai 2013

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La colonne " Bailloud "du Fort l'Empereur à Alger

Le Fort l'Empereur

Le choix du site dominant Alger est décidé pour des raisons historiques.

Le fort, ouvrage très primitif, est édifié en 1545 par le dey Hassan Pacha, sur la position où Hugues de Moncade, Vice- Roi de Sicile, plante sa tente au cours de son expédition malheureuse de 1518.

Cette campagne, qui vise à s'emparer de la ville des corsaires, est suivie par celle de l'empereur Charles Quint, en octobre 1541. Il décide de donner une leçon à ce repère de brigands qu'est Alger à cette époque.

L'expédition, trop tardive dans l'année, se heurte au mauvais temps. La flotte malmenée cherche refuge de l'autre côté de la baie d'Alger, à l'abri relatif du cap Matifou. Et les troupes partent à pied bien sûr, le parcours leur offrant l'obstacle de deux oueds en crue : l'oued Hamiz et l'oued Harrach. Une fois arrivé, l'Empereur pose son camp au sommet de ce relief pour y passer la nuit. Des averses diluviennes mouillent la poudre de ses canons et de ses mousquets. Dès lors, ses troupes sont désarmées et livrées à la cruauté de cavaliers arabes fanatiques. C'est le souvenir de cette aventure qui a valu au Fort, édifié sur le site, le nom de " Fort l'Empereur ".

Des fortifications complémentaires sont élevées en 1580 et 1673.

La prise d'Alger, 1830

Après le débarquement de Sidi Ferruch, l'Armée de la conquête, dans le prolongement de sa rapide victoire de Staouéli, s'apprête à fondre sur Alger. Devant cette menace, le dey Hussein met le fort en état de défense.

Huit cents Turcs et mille deux cents Arabes s'y enferment. Ils soutiennent le siège des troupes françaises, conduites par le général La Hitte.

La garnison du fort comprenant que toute résistance est inutile se retire le 4 juillet. Seuls quelques hommes restent pour mettre le feu aux poudres et, tout de suite après l'évacuation, l'ensemble de l'ouvrage est détruit.

Après l'explosion, les troupes françaises prennent possession de ce qui reste du fort. Alors que les troupes du débarquement s'occupent dans la journée du 29 juin 1830, à investir le Fort l'Empereur à Alger, avec Berthezène, Loverdo et d'Escars, M. Alphonse de Fontvanne adresse à La Gazette de France la lettre suivante :

" Permettez-moi de proposer par la voix de votre journal, un but de souscription éminemment digne de la France, de son Roi et du glorieux fait d'armes de ses enfants.
Qu'une colonne triomphale s'élève, couronnée de la statue de notre Roi Charles X, Charles le Bienfaisant. Que le bronze cette fois serve à consacrer le succès obtenu en faveur de l'humanité.
Que sur ce monument soient consignés l'hommage de la France, à la gloire de son Roi et la reconnaissance pour ses braves armées de terre et de mer et les dignes chefs qui ont été appelés à l'honneur de les commander. Que tous les Français dignes de ce nom contribuent à son érection ; que même la plus petite souscription soit accueillie dans ce nouveau concours de tous les sentiments qui ont fait la gloire de la France. "


C'est la première manifestation de statuomanie inspirée par l'histoire en Algérie. Le projet en reste là, il est repris en 1908, sensiblement modifié.

La colonne Aux morts de l'Année d'Afrique à Alger - Colonne Bailloud du Fort l'Empereur, 1908

Élevée sur l'ordre du général Bailloud dans les dépendances du Fort l'Empereur, elle avait pour objet de perpétuer la gloire de l'Armée d'Afrique.

Le choix du lieu où doit être construit ce monument de ciment soulève de nombreuses discussions.

La Souscription, 1908

Une souscription nationale pour l'édification à Alger d'un " Monument aux morts de l'Armée d'Afrique ", approuvée par le Ministre de la Guerre et avec l'assentiment du Gouverneur Général de l'Algérie, est conduite par un comité comprenant une dizaine de personnes dont le Général Bailloud, commandant le 19e Corps d'armée. Ce comité se met immédiatement à l'oeuvre et, dès ses débuts, est assez confiant puisqu'il obtient l'adhésion d'un certain nombre de personnalités ayant appartenu à l'Armée d'Afrique ou s'intéressant plus particulièrement aux questions algériennes, et qui s'engagent immédiatement à effectuer un versement de 1 000 francs.

Le comité compte parmi ses membres actifs ou honoraires la plupart des notabilités algériennes et un grand nombre de personnalités françaises. Le Président d'honneur du comité est M. Jonnart, Gouverneur général de l'Algérie ; M. le général Grisot, commandant le 19e Corps d'Armée ; M. Étienne, député de l'Algérie, Président du groupe colonial de la Chambre des Députés ; M. l'amiral Servan, Président de la Société de Géographie d'Alger et de l'Afrique du Nord, commandant la marine en Algérie.

Pour élever sur les hauteurs qui dominent Alger, un monument, pyramide ou obélisque, frappant au loin les yeux de tous ceux qui abordent en Algérie, et évoquant dignement le souvenir des soldats qui, au prix de leur vie, donnèrent à la Mère Patrie cette seconde France, il faut de l'argent, beaucoup d'argent.

Il est décidé d'élargir les bases de son organisation primitive de manière à pouvoir faire un appel direct à un plus grand nombre de bonnes volontés.

En juin 1912, les souscriptions recueillies n'étant pas suffisantes, le comité sollicite le concours de l'Etat.

Une subvention est accordée en mars 1914 par le Ministre de l'Instruction Publique et des Beaux-Arts, la guerre éclatant, la subvention ne sera versée qu'en 1933.

La colonne Bailloud (coll. B.Venis
La colonne Bailloud (coll. B.Venis
En un point, convenablement choisi de cet escalier, sera placé un lion en bronze, oeuvre du sculpteur Auguste Caïn.
En un point, convenablement choisi de cet escalier, sera placé un lion en bronze, oeuvre du sculpteur Auguste Caïn. (Coll.B.Venis)

Description de l'ouvrage

Un dossier trouvé aux Archives Nationales, comportant des photographies anciennes, fait très rare, renseigne sur le projet.

Le Monument aux Morts de l'Armée d'Afrique se compose essentiellement d'une pyramide, ayant la forme d'un obélisque, qui sera élevée près de l'entrée du Fort l'Empereur, à l'extérieur de cet ouvrage, sur un replat situé à la côte 214 environ, au- dessus du niveau de la mer.

Cette pyramide sera complétée à la base par une partie décorative et par un entourage dont la partie antérieure formera terrasse. Le comité a prévu, pour accéder à la pyramide, la construction d'un escalier monumental ayant son point de départ non loin de la route venant d'Alger.

En un point, convenablement choisi de cet escalier, sera placé un lion en bronze, oeuvre du sculpteur Auguste Caïn. Enfin une statue de pierre, représentant un soldat de l'Armée d'Afrique, doit trouver
place, soit en bordure du chemin d'accès au fort, soit au départ de l'escalier monumental susvisé, selon les dispositions qui seront prises ultérieurement pour la construction de l'escalier.

ler partie - Pyramide proprement dite

La pyramide est creuse. Elle est entièrement en ciment armé. Elle a 50 mètres de hauteur totale. La base inférieure est un carré de 8,50 m de profondeur sur le schiste dur, par l'intermédiaire d'une semelle en béton armé invariablement liée à l'édifice.

Sur une des faces de la pyramide sera fixé un médaillon à l'effigie du général Maurice Bailloud (1847-1921), oeuvre du sculpteur Émile Joseph Carlier (1849 - 1927).

Une porte a été aménagée dans la face postérieure.

Dans le sous-sol est installé un caveau funéraire : conformément au voeu exprimé par le comité, et agréé par le Général, ce caveau est destiné à recevoir ultérieurement le corps du Général Bailloud.

Un escalier en béton armé, de 0,80 m de largeur, avec rampe et main courante en fer, accolées aux parois, comportant un palier de repos tous les 5 m environ, permet d'accéder à un palier supérieur situé à 3,40 m au-dessous du sommet de l'édifice.

La partie supérieure de la pyramide est formée d'une ossature métallique recevant un vitrage, avec quatre châssis à tabatière. Ce dispositif a pour but d'assurer l'éclairage intérieur, en même temps qu'il permet d'avoir du palier supérieur une vue circulaire sur le panorama qui s'étend sur la ville, le port, la baie d'Alger, le Sahel, la chaîne de l'Atlas et la Mitidja.

L'ouvrage est complété par un paratonnerre composé d'un parafoudre à pointes multiples monté sur une porte parafoudre en fer galvanisé, relié au moyen de câbles en cuivre rouge à une canalisation d'eau existante.

Le profil et les dimensions de la pyramide ont été arrêtés par le comité. L'exécution en a été confiée, à la suite d'un concours, à M. Paul Piketty qui s'est engagé à livrer les différents travaux ci-dessous au prix forfaitaire de 58 570 francs.

2e Partie - Décoration de la base

A la suite d'un concours, le comité a adopté pour la décoration de la base le projet présenté par M. Favre, sculpteur à Neuilly- sur-Seine. Ce projet comporte un haut-relief en bronze, qui sera placé à la partie antérieure de la pyramide sur un socle en ciment armé faisant corps avec la pyramide.

Le travail dont il s'agit a fait l'objet d'un contrat passé avec M. Favre, le 10 janvier 1912, au terme duquel l'artiste s'est engagé à le livrer, complètement achevé et définitivement mis en place, fin 1913.

Il s'est engagé, pour l'inauguration du monument en 1912, à fournir une maquette reproduisant le haut-relief dans ses formes et ses dimensions.

La somme allouée à l'artiste est de 40 000 francs.

3e Partie - Entourage de la base

Le dessin de l'entourage de la base du Monument faisait partie du programme imposé aux artistes pour le concours de la décoration. Le projet adopté a été dressé par M. Monestel, architecte à Toulon, collaborateur de M. Favre.

L'exécution de ce travail entièrement en ciment armé a été confiée à M. Piketty.

4e Partie - Escalier monumental


La construction de cet escalier a été décidée par le comité. La dépense prévue est de 20 000 francs.
Le Lion de Caïn qui doit être placé sur cet escalier est évalué à 20 000 francs.

5e Partie - Statue en pierre
L'exécution de cette statue a été confiée à M. Gaudissard, sculpteur, pour le prix forfaitaire de 6000 francs.

6e Partie - Travaux et dépenses diverses

a) Les médailles attribuées aux artistes désignés ci-après, pour les projets qu'ils ont fournis à la suite du concours ouvert pour la décoration artistique : MM. Ebstein, statuaire à Paris, 600 francs, Marillier, sculpteur à Alger, 500 francs, soit un total de 1 100 francs.

b) Différents travaux évalués à 4 430 francs.

c) Frais généraux, 6 000 francs.

Soit une dépense totale de 182 000 francs, récapitulation signée le 1er juin 1918 par le capitaine du Génie Sire, délégué du comité pour la surveillance technique des travaux.

Ce projet n'est pas réalisé et se résume à l'édification d'une tour mémorielle, colonne à quatre pans s'amincissant vers le haut, équipée à l'intérieur d'un escalier permettant d'accéder à la plate-forme sommitale de 50 mètres de hauteur.

Initialement, elle portait le nom de " colonne Bailloud ", du nom de l'ancien général, commandant le 19e Corps d'Armée qui opérait en Algérie.

La colonne est inaugurée le 27 octobre 1912, en hommage aux morts de l'Armée d'Afrique. À la base du monument, on trouve une plaque de marbre et un médaillon de bronze reproduisant les traits du général Bailloud.

Dieu et Patrie
A la mémoire
Des soldats et marins
Sur cette terre d'Afrique
Pour y implanter
La justice et la civilisation
1830 - 1912

La suite des événements allait être fatale à notre édifice. Dès le 8 novembre 1942, le débarquement américain sur la côte d'Afrique du Nord ( Maroc et Algérie orientale et centrale ), se traduit par le retour de cette province à la guerre contre l'Allemagne dont les armées occupent déjà une partie de la France.
Georges Dillinger précise : " Alger fut donc soumise aux incursions et aux bombardements de stukas qui ont fait un certain nombre de victimes, en particulier parmi les soldats sénégalais de la caserne d'Orléans, sans que, en fait, les démolitions fussent importantes et les victimes très nombreuses. Mais les spécialistes ont alors pensé et affirmé que cette colonne dominant la ville d'Alger, et fort visible au moins par nuits claires, pouvait servir de repères aux avions de la Luftwaffe. La colonne devenait un traître à la patrie et la décision fut prise de la détruire et de la raser.

Cette colonne qui était devenue familière aux Algérois fut détruite le 3 février 1943 entre 15 et 16 h par le service technique de la ville. Le médaillon et la plaque de marbre furent alors remis au musée Franchet d'Espèrey. Que sont-ils devenus ?

Élisabeth Cazenave

Bibliographie :
Archives Nationales : F/21/4884 dossier n° 29, 1908-1933.
Georges Dillinger, " La colonne du Fort l'Empereur à Alger " in Présent, 30 octobre 2012.
Feuillet d'El Djezaïr n° 5 (première série) d'Henri Klein - 1913; pages 40 et 41.
Cet article sera en partie reproduit dans l'ouvrage, "La Décoration monumentale en Algérie, peinte et sculptée, 1830-1962 - Inventaire d'un patrimoine : dictionnaire des artistes", à paraître au printemps 2013.

La rédaction