Les carrières
de marbres du FILFILA
Situées à 25 km par la route,
à l'est de Philippeville, les carrières de marbres du Djebel
Fil Fila ( note du site : on trouve
aussi Filfila)ont été exploitées dès
l'antiquité romaine, et peut être même avant.
Il nous faut dire un mot sur les difficultés particulières
que présente l'extraction du marbre. Du fait de sa formation géologique
( calcaire hexamorphisé ) le marbre, contrairement aux autres pierres
( entendues ici en terme de carrier ) présente une structure compacte
où les " joints " ( c'est à dire les fissures
) sont excessivement rares. Sa dureté interdit également
toute exploitation d'envergure sans moyens modernes.
Ceci explique qu'en dehors de Paros (à cause de son gisement brisé
) il existe relativement peu de monuments antiques entièrement
construits en marbre. Il était plus facile d'extraire le travertin
romain ou la pierre du Pont du Gard que le marbre de Carrare ou de Saint
Pons.
L'on comprend également pourquoi les Romains se sont bornés
à " gratter " la surface du gisement. Les traces de ce
grattage sont encore nettement visibles à la carrière dite
" bleue " qui domine la baie de Philippeville et la mine de
fer d'El Halia, traces de coup " d'aiguille " ( le ciseau du
marbrier ). Le marbre du Fil Fila était surtout employé,
soit en tombeau, soit comme motif ornemental ( ex-voto ou chapiteau ).
Le carrier romain se contentait, pour faire un tombeau de choisir un endroit
dans la masse où au moins un côté serait franc. Il
creusait alors à la dimension choisie son sarcophage, dégageait
les trois autres côtés, commençait la base et achevait
de dégager son ouvrage en se servant du " coin " qui
finissait d'éclater la pierre. Le reste, c'est à dire la
mise en faces planes et éventuellement l'ornementation, devenait
l'affaire de l'ouvrier marbrier.
Les marbres du Fil Fila ont été, durant la colonisation
romaine, employés dans toute l'Algérie. L'expédition
des marbres semi- ouvrés et parfois des blocs, lorsqu'un "
joint " providentiel avait permis d'en dégager, se faisait
par l'actuel petit port de Saint Louis-du-Fil Fila, situé en bas
du massif, face au Cap de Fer, dans l'angle Ouest de la baie du Guerbès.
Un plan incliné permettait d'y amener les expéditions.
Nous ne savons pas comment et pourquoi l'exploitation de ces carrières
s'arrêta, sans doute en même temps et pour les mêmes
causes qui entraînèrent le déclin de la civilisation
romaine.
La civilisation arabe en Algérie n'entraîna pas de renouveau
pour ces carrières. Sans doute parce que l'architecture arabe utilise
assez peu de marbre et que ses motifs ornementaux sont surtout réalisés
en stuc ou en faïence européenne. C'est ainsi que, Siciliens
et Napolitains achetaient aux pirates barbaresques leurs droit de passage
en Méditerranée des carreaux de faïence, les architectes
arabes préféraient utiliser les marbres des ruines pour
la confection de leurs chapiteaux, etc... Pendant quinze siècles
le Djebel Fil Fila ne retentira plus du bruit des massettes frappant les
aiguilles. Il faut attendre la fin du 19è siècle pour que
ces carrières reprennent vie. C'est au sénateur Lesueur,
dernier sénateur inamovible de France, que cette initiative appartient.
Bien que l'exploitation de ces carrières n'ait duré que
peu de temps, l' uvre accomplie par le Sénateur Lesueur est
considérable.
- Ouverture de l'embranchement routier menant de l'ancienne route de Philippeville-Bône,
à la carrière elle-même. Remise en état, c'est-
à-dire pratiquement recréation du port romain qui s'appelle
alors Saint-Louis du Fil Fila.
- Création d'un nouveau plan incliné, dont les traces sont
encore visibles ( en 1968). En effet, avant d'arriver à la carrière
proprement dite, à 4 km environ de l'embranchement, la route permet
subitement de découvrir, sur la gauche en montant, le Cap de Fer,
ainsi que la baie du Guerbès. En cherchant bien en contrebas de
la route, on trouvera brisé, par la piste qui mène au port
Saint-Louis, caché sous les broussailles et les arbres, le départ
de ce fabuleux plan incliné, qui ne servit pratiquement jamais,
si ce n'est à amener les blocs qui servirent de jetée au
petit port et de bordure de quai à celui de Philippeville. - Construction
de la Maison de " Georges Louis "(?), et forage des puits nécessaires
à l'alimentation en eau. Il faut signaler que ces puits ont maintenant
disparu, la cuvette où ils se trouvaient étant comblée
par les boues de sciage qui y sont déversées.
Le Sénateur Lesueur crut bien faire en confiant l'exploitation
de cette carrière à des marbriers italiens venus de Carrare
; c'est ce qui devait causer sa perte.
Très rapidement les ouvriers italiens se rendirent compte à
la fois que leurs prédécesseurs romains avaient choisi l'emplacement
où le gisement était le meilleur, et aussi que ce gisement
pouvait très facilement concurrencer Carrare. Les marbriers italiens
retournèrent chez eux ; leur départ entraîna la ruine
de Lesueur incapable de continuer seul l'exploitation.
Mais l'opération Lesueur ne se solda pas par un échec total,
elle avait fait redécouvrir le marbre du Fil Fila.
Jules Verne, dans son roman Mathias Sandorf, cite cette carrière
et n'oublie pas de mentionner qu'elle présente un marbre blanc
comparable à celui de Carrare et qu'elle a comme avantage sur sa
grande rivale de posséder des marbres de couleurs : bleu, vert,
rose, réséda, ramagé.
Certains marbres produits par Lesueur furent même exportés
aux U.S.A. Les marbres du Métropolitan Opéra de New York
proviennent du Fil Fila, une plaque discrète le rappelle au visiteur
; un aviateur français en stage aux U.S.A. durant la guerre et
natif de Philippeville eut la joie de faire cette découverte.
C'est en 1922 que commence la période moderne de ces carrières.
La Société Fevre et Cie, après avoir commencé
à exploiter des carrières en Bourgogne, puis dans toute
la France, s'intéressa, pour concurrencer les marbriers italiens,
au Fil Fila dont elle fit l'acquisition.
Depuis Lesueur les techniques d'exploitation avaient fait d'énormes
progrès, grâce à l'idée d'utiliser pour la
pierre le principe du fil à couper le beurre :
- pour l'extraction, les couronnes de forage et les fils de sciage avaient
été inventés, de même que les marteaux.
- pour la marbrerie, le châssis à lames de sciage, ainsi
que les disques au carborundum. L'ère industrielle faisait son
apparition dans une des plus vieilles professions du monde.
La Société Marmaro, filiale de Fevre et Cie, fut créée
et chargée d'exploiter ce gisement en même temps qu'un autre
au Maroc qui devait s'avérer beaucoup moins intéressant.
Une déconvenue attendait les nouveaux propriétaires: le
gisement de marbre blanc exploité par les Romains et par Lesueur
avait été complètement brisé par les charges
de poudre des marbriers italiens.
Il fut donc décidé d'extraire le blanc ailleurs. Mais au
cours des années, l'expérience devait montrer que les Romains
avaient vu juste. Le marbre exploité à la carrière
du plateau ( le plus proche de l'usine de sciage ) était un marbre
" pouf " ( c'est à dire un marbre mal hexamorphisé,
ne supportant pas le gel ou une exposition prolongée aux intempéries,
il devient alors poreux puis friable ). Il fallut donc reprendre l'exploitation
là où l'avaient laissée les marbriers italiens. C'est-à-dire
que des milliers de tonnes de marbre furent mis au remblai, avant d'atteindre
une partie qui n'avait pas trop souffert des coups de mine. L'installation
de voies ferrées et d'une grue très puissante permit ce
travail. Puissance installée : 450 CV ; 14 armures de sciage au
fil hélicoïdal, perforatrice de 900 mm, grue de 30 tonnes.
Capacité de production mensuelle : 240 m3 ou 650 T de dalles et
100 m3 de blocs pour scierie. Les 650 T de dalles représentent
6.000 à 9.000 m2 suivant l'épaisseur. Le résultat
en fut la fourniture des dallages et marches d'escalier de la plupart
des immeubles d'Algérie ; la concurrence de Carrare ayant été
éliminée en 1937 ( puisque ces carrières furent mises
en faillite et rachetées par le gouvernement italien ). Après
la guerre 39/45 la concurrence reprit mais les tarifs préférentiels
accordés par les C.F.A.(
chemin de fer algérien ) permirent de lutter à armes égales
contre les tarifs de fret italiens. L'avenir de cette carrière
est immense. Le gisement est pratiquement inépuisable. En effet,
d'après certains géologues venus au Fil Fila lors du 19è
Congrès International de Géologie qui s'est tenu à
'Alger du 8 au 13 septembre 1952, le gisement comprendrait toute la hauteur
de la montagne ( près de 600 m ) et se prolongerait sous la mer.
Certains affirment que ce serait le même gisement que Carrare, en
expliquant cela par la théorie de la dérive des continents.
D'autre part, la présence de différents minerais ( mines
de fer d'El Halia, mines de plomb d'Hespel ) a entraîné la
coloration du marbre et donné naissance à un gisement pratiquement
unique au monde où cinq couleurs différentes de marbre se
trouvent réunies.
Texte d'une causerie de Alain Fevre, relevé
à Alger en 1968 par Monsieur Marcel Philibert, Président
du Comité du Vieil Alger et transcrit par Théo Bruand d'Uzelle.
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