Le bain maure ( Hammam
) Origines
La
tradition du bain maure remonte à plusieurs siècles. Elle est issue
de la fusion des traditions grecques, romaines et turques. Avec l'expansion de
l'Islam au cours du Moyen- âge, et surtout sous les Omeyyades vers les Mie
et XIIIe siècles, les hammams ont vu le jour en Andalousie, en Afrique
du Nord, en Egypte, en Iran. Déjà à Bagdad, au Xe siècle,
on comptait un établissement de bains pour 50 habitants tandis que la ville
d'Istanbul s'enorgueillissait d'en posséder des milliers. Le hammam a toujours
été un lieu de palabres, un lieu intime où l'on se confie,
où règne au milieu des brumes parfumées une ambiance extraordinaire
faite de bruits d'eau, de rires et de murmures. De plus il a toujours été
reconnu que le bain maure est un grand stimulant des plaisirs érotiques.
Le
hammam fut rapidement intégré aux préceptes de la religion
musulmane qui préconise une hygiène méticuleuse et des ablutions
régulières notamment avant les prières rituelles.
Dans
le hammam les pores se dilatent sous l'effet de la vapeur ce qui permet un nettoyage
en profondeur.
Rituel du hammam
Le
bain maure est conçu comme les thermes romains : une salle froide pour
se déshabiller, une salle tiède pour permettre au corps de s'habituer
graduellement à la chaleur et une salle chaude pour la sudation. Le rituel
du bain passe par plusieurs étapes. Après une intense séance
de sudation, on débute par un gommage au gant de crin (kessa) puis on enchaîne
sur un bon savonnage, arrive ensuite la séance de massage dont certaines
" tayabates " ( masseuses ) ont le secret. Suprême instant de
plaisir : le moment où l'on regagne la salle de repos. On peut alors se
relaxer, siroter un thé à la menthe, se désaltérer
avec une boisson fraîche et même piquer un petit somme. Il ne faut
pas hésiter à faire appel aux mains expertes de la " tayaba
" pour un massage hydratant à base d'huiles parfumées. Fermez
les yeux : décollage immédiat vers le paradis ! On raconte que.
jadis, c'est au hammam que l'émissaire du sultan allait débusquer
les plus jolies femmes pour " orner " son harem et c'était là
que les mères, en quête d'une épouse pour leur fils venaient
scruter les baigneuses à la dérobée. Là, au moins,
aucune tromperie sur la " marchandise ". Formes plantureuses ou cadavériques,
pas de place pour la contrefaçon !
Les soins du hammam durent de
longues heures. Epilation, coloration au henné, gommage à l'argile,
massage aux huiles ..., le hammam va prendre rapidement des allures d'institut
de beauté. Des usages
Dès
les premiers jours de la conquête, les Français ont pu connaître
et apprécier les bienfaits du bain maure. Ils ont découvert des
usages inconnus en France. On sait qu'à Alger, il existait bon nombre d'établissements
réputés dont la création remonterait à la période
de l'occupation ottomane.
Les usages en étaient rigoureusement codifiés.
Une
première règle : il ne doit pas y avoir de rencontre entre les hommes
et les femmes. Des horaires précis sont fixés selon l'appartenance
à la gente féminine ou masculine si les deux utilisent le même
hammam.
Quand le client arrive au bain, l'assistant ou l'un des masseurs
met à sa disposition deux serviettes, l'une pour couvrir la partie inférieure
du corps, l'autre pour la partie supérieure, car il est d'usage de masquer
ses organes génitaux. Le bain est l'objet d'un rituel très précis
où vont alterner plusieurs fois sudation, rinçage à l'eau
fraîche, lavage, massage et friction avec un gant rêche, le kessa.
Puis le corps est enduit d'huiles douces et odorantes tandis que les femmes s'appliquent
du henné.
A l'arrivée des Français en Algérie,
les femmes prenaient le bain de six heures du matin à six heures du soir
et les hommes de six heures du soir à six heures du matin. Cependant, malgré
les règlements de police, il est certain que quelquefois au milieu de la
nuit les filles mauresques suivaient au bain leurs amants. Dans ce cas, le couple
se retirait dans des cabinets sombres situés aux quatre coins de la salle
rectangulaire des ablutions. Le masseur disparaissait et laissait le couple pratiquer
ses ébats à l'abri des regards, bien entendu après avoir
encaissé un généreux bakchich.
Organisation
Le
hammam se divisait en trois enceintes.
La première, appelée
sqiffa " servait de salle d'attente. Un rideau y était accroché
lors de la séance pour femmes.
La seconde était une salle
ornée d'arcades de style mauresque et faisait office de vestiaire. La troisième
appelée " bit eskhouna " ou chambre chaude, était constamment
envahie par d'épais nuages de vapeur d'eau, produite par une chaudière
en sous-sol.
Dans cette étuve, surchargée d'humidité,
au sol brûlant où la température variait entre 40° et
60°, travaillaient les masseurs ou masseuses. Ils savonnaient, lavaient,
raclaient la peau des clients réunis autour de deux bassins, l'un d'eau
chaude, l'autre d'eau froide.
Le personnel
Le
personnel masculin et féminin était payé chaque mois, mais
la plus grande partie de ses revenus était constituée de bakchichs
substantiels. Certains " praticiens " très recherchés
avaient même leur clientèle attitrée.
Le personnel
très spécialisé devant servir alternativement aux hommes
et aux femmes ; il était donc, tantôt masculin, tantôt féminin.
Un patron dirigeait l'établissement. Il recrutait ou remerciait le personnel
à sa guise. Il était chargé de surveiller la bonne tenue
de l'établissement ainsi que de sa propreté et tenait la caisse
trônant sur la " bokana ", une chaire avec un grand tiroir dans
lequel il mettait la recette.
Il était secondé par une maîtresse,
bien souvent une de ses proches parentes. Elle officiait pendant les heures réservées
aux femmes. Certains témoins rapportent que cette personne appelée
la tayaba disposait d'une grande notoriété. Dans une pièce
qui lui était réservée, elle recevait les dames à
la recherche de la perle rare pour leur fils.
A noter que les clientes
suspectées de moeurs douteuses étaient soigneusement écartées.
Les
masseurs Les masseurs, dits " sanaâ " ou "
kias ", " tellak " en turc, étaient à la disposition
des clients de première classe, ceux qui voulaient se faire masser, laver
ou savonner. Ils avaient également pour tâche le lavage des "
kessa ", haïks et burnous qui leurs étaient confiés. De
plus, ils devaient surveiller les gens qui venaient passer une nuit utilisant
l'établissement comme un simple asile, comme il était d'usage à
l'époque. Nous savons aujourd'hui, grâce aux textes laissés
par les auteurs ottomans, qui étaient ces hommes, quels étaient
leurs tarifs, ainsi que leurs pratiques sexuelles. Ils étaient à
proprement dire des " travailleurs du sexe ", recrutés parmi
les non-musulmans de l'empire turc : Grecs, Arméniens, Juifs, Albanais,
Bulgares, Roumains et autres.
Plus tard ce rôle devint plus prosaïque
et au moment de la conquête, les tellaks n'exerçaient plus que des
activités de lavage et massage, laissant à d'autres le côté
spécifique des pratiques sexuelles dans le bain maure.
Les masseurs
étaient secondés par des " taïabin ", qui distribuaient
l'eau chaude et froide aux clients dans l'étuve (sekhoum). La " taïaba
" remplissait pour les femmes le même rôle.
Un ou deux
jeunes aides étaient là pour distribuer aux clients des serviettes
appelées " fouta " ou " bechkir " destinées
à cacher les organes génitaux en entrant dans l'étuve. Ils
accomplissaient également diverses tâches et commissions, tant pour
les clients que pour les masseurs et le patron. C'étaient les hommes à
tout faire de l'établissement. Ces jeunes garçons dont l'âge
variait entre huit et quinze ans seront peut- être plus tard masseurs, mais
il va sans dire qu'ils servaient le plus souvent à assouvir les besoins
sexuels de la riche clientèle, toujours à la recherche de jeunes
et beaux adolescents.
Un chauffeur dit " sakhâne " alimentait
les chaudières pour amener l'eau à bonne température et surveiller
les niveaux.
Le " ghabbar" était quant à lui chargé
d'approvisionner le hammam en combustible généralement constitué
de grignons, résidus de la pression des olives.
La
clientèle
La Casbah
d'Alger recelait un grand nombre de bains : hammam Sidna, hammam Bab-al Waâd,
hammam Yatû, hammam Al-Saghîr, hammam Bouchlaghem, hammam Bab Djazira,
hammam Sidi-Ramdane. Il y avait deux services. Une première classe où
les baigneurs avaient droit au massage dans l'étuve et celle du bain ordinaire
qui ne bénéficiait pas de ce privilège.
Mais les femmes
devaient puiser elles-mêmes l'eau dans la chaudière et seules les
vieilles et celles qui étaient enceintes avaient droit à titre exceptionnel
à un raitement gratuit.
Hammam et prostitution
Avant 1830 les filles publiques disposaient de bains particuliers.
Il n'est pas dit que dans tout le pays les deux sexes étaient séparés,
mais à Alger ils l'étaient.
Au moment de la conquête,
on vit dans les rues d'Alger de jeunes garçons faire des propositions grivoises
aux hommes esseulés et les inviter à fréquenter les bains
afin d'y rencontrer de jeunes adolescents.
Dans chaque bain maure, un jeune
garçon d'une douzaine d'années était attaché à
l'établissement. Toujours d'agréable figure, coiffé d'un
tarbouche au gland d'or, il proposait ses services au client. Lorsque ce dernier
se présentait nu dans l'étuve, les parties génitales enveloppées
d'un morceau d'étoffe légère, le jeune éphèbe
commençait à lui masser les cuisses, puis avec mille agaceries,
se lançait dans des attouchements plus intimes. Si ses provocations ne
retenaient pas l'attention du client, le jeune homme l'abandonnait aux mains du
masseur. Mais pour peu que vous acceptiez ses avances, il vous masturbait et se
proposait de satisfaire tous vos désirs.
Selon certains témoins,
ces garçons offraient régulièrement ce genre de services
aux officiers français de la garnison.
Les
ablutions avant mariage
Dans tout le Maghreb, existait une coutume
consistait à offrir un bain à la jeune promise avant ses épousailles.
Pour ces ablutions avant mariage, l'établissement était réservé
pour une journée entière. Les parents de la jeune fille devaient
s'acquitter auprès du patron d'une somme importante, aussi seules les familles
très riches pouvaient réserver ce bain. Les familles moins aisées
se contentaient d'une demi-journée, voire de quelques heures. Le jour retenu,
les parents de la jeune fille devaient donner au chauffeur de gros pourboires
mais, s'ils négligeaient de s'en acquitter, l'homme coupait l'eau ou n'en
distribuait qu'une quantité insuffisante ou froide. Lorsque le bain était
réservé pour une journée entière, la somme était
versée, moitié dans la caisse commune, moitié dans la caisse
du ou des patrons, pour une demi-journée c'était le patron qui encaissait
la totalité de la recette. Que ce soit à Alger, Constantine ou Oran,
le bain de la mariée représentait un événement important,
même si les manières de le célébrer étaient
presque partout semblables. Certaines régions du centre du pays connaissaient
toutefois un rituel spécial qui consistait à célébrer
le dernier bain de la future épouse en " grande pompes " avec
orchestre et danseuses.
L'heureuse élue entrait au bain accompagnée
de toute sa tribu sous un enchaînement de youyous et de chansons jusqu'à
la porte du hammam. Tradition oblige, elle ne devait se déshabiller que
dans la pièce chaude où une chaise entourée de bougies allumées
l'attendait. Après son bain, elle revenait s'asseoir parmi ses convives,
puis ensemble elles se dirigeaient vers la salle froide où elles dégustaient
les gâteaux au miel offerts par les parents de la mariée à
tous ceux présents dans le hammam, y compris les étrangers à
la famille.
Le bain maure pouvait être également réservé
à l'occasion du mariage d'un jeune homme.
Un
lieu social
Depuis près de mille ans, les femmes arabes
utilisaient le hammam comme centre de bien être, de beauté, lieu
privilégié où il était agréable de se ressourcer,
de se détendre. Au-delà de sa fonction purificatrice, le hammam
demeurait l'espace de liberté des femmes.
C'était leur grande
sortie. Elles aimaient s'y retrouver pour faire peau neuve, papoter, oublier le
quotidien. Bref, c'était l'endroit où l'on pouvait échanger
avec les autres, prendre des conseils, en donner, rire...
Ces traditions
se perdirent plus ou moins par la suite. De nos jours, il existe encore dans le
Maghreb des établissements de bains mais ils ne ressemblent en rien aux
hammams que découvrirent les Français au moment de la conquête.
Relation
d'un touriste ( extrait de l'ouvrage " Un an à Alger "
de M-J Baudet 1887).
" De six heures du soir à midi, le bain
maure est réservé au sexe fort. Les Européens y vont d'ordinaire
avant le dîner de onze heures à minuit. Bien qu'on puisse s'y rendre
impunément, aussitôt après le repas, il vaut mieux se livrer
aux masseurs une fois la digestion terminée. Toutes les villes
d'Algérie possèdent plusieurs établissements de bains. Dans
les pays chauds, c'est à la fois un besoin et un plaisir, l'hygiène
le recommande ; alors même que le voyageur ne serait pas envoyé par
le médecin, il n'y serait pas envoyé par la curiosité, et
ramené par le bien-être, la variété et la douceur des
sensations qu'on y éprouve. Le bain maure dont le massage excitant nettoie
parfaitement la peau doit être geM préféré aux bains
tièdes qui sont débilitants. Il constitue une série d'opérations
que nous allons essayer de décrire.
Après avoir franchi un
vestibule où sommeillent quelques Arabes, on soulève un rideau et
on pénètre dans une vaste salle. C'est à la fois le vestiaire
et le dortoir. Une lampe fumeuse éclaire de ses vagues et vacillantes lueurs
les colonnes de marbre blanc, les glaces de Venise, la fontaine dont le doux murmure
invite au repos. En entrant, on est surpris par l'obscurité, on ne voit
rien, mais on s'habitue vite à ce demi-jour, à ce clair-obscur et
on ne tarde pas à distinguer les détails, et à découvrir,
dans la pénombre des galeries, des dormeurs mollement couchés et
enveloppés de longs voiles blancs.
Indolemment appuyé sur
une pile de coussins, le chef de l'établissement fait signe de s'approcher
au nouvel arrivant, et lui demande son argent et ses bijoux, qu'il enferme, après
vérification dans un coffre à coulisse dont lui seul possède
la clef. La probité de ces industries est proverbiale ; jamais un objet
de quelque valeur n'a été égaré ou dérobé.
Cette
précaution prise, un Arabe ou un nègre demi-nu conduit le baigneur
à la place qu'il doit occuper, le fait déshabiller, range ses vêtements
sur une planche, lui ceint les reins d'une pièce de cotonnade, lui met
un voile sur la tête, des sandales aux pieds, et l'introduit dans la salle
de bain, rotonde pavée d'ardoise et de marbre, où des bouches de
vapeur entretiennent constamment une température plus que sénégalienne.
La première impression n'est pas agréable. La chaleur est si suffocante,
la buée si épaisse, que vous hésitez à entrer. Mais
votre guide vous entraîne et vous fait asseoir sur le pavé brûlant,
après l'avoir au préalable lavé à grande eau à
plusieurs reprises. Jetez alors vos yeux autour de vous. De tous côtés,
vous apercevrez des corps étendus auprès desquels s'agitent et trépignent,
dans des attitudes les plus variées, les serviteurs indigènes vêtus
d'un simple cotillon. Avec leur tête rasée, leur peau luisante, leurs
dents blanches, leurs yeux étincelants on dirait une légion de diables.
Ils
travaillent avec ardeur, frottent, nettoient, pétrissent les membres, font
craquer les articulations des baigneurs, et dans des mouvements désordonnés,
la mèche de cheveux qu'ils gardent sur la tête s'agite comme un serpent.
Et quel tumulte sous ces voûtes sombres, quels chants bizarres, quels cris
aigus. Il y aurait de quoi s'effrayer si on ne se savait pas, dans un pays sûr,
en terre française.
Mais vous suez à grosses gouttes, vous
êtes littéralement en nage. A votre tour maintenant. Deux, trois,
quatre Arabes vous saisissent, vous étendent brusquement et se mettent
à vous frictionner, à vous étriller avec leurs gants en poils
de chameau, à vous masser, à vous tirer bras et jambes, comme s'ils
voulaient vous les arracher. Vous n'êtes pas sans inquiétude sur
l'intégrité de vos os. Rassurez-vous. Aussi bien que le physiologiste
le plus exercé, ils connaissent le moment précis, la limite certaine
où cesse le plaisir, où commence la souffrance, et savent s'arrêter
à temps. Quand on a bien été pétri, tourné,
retourné, désarticulé, ils saisissent une poignée
d'étoupe et vous inondent d'eau tiède. Douce transition et sensation
délicieuse que celle de ce lavage bienfaisant après les frictions
quasi- brutales dont vous venez d'être l'objet. Bien nettoyé,
bien épongé, on vous emmaillote comme un bébé et on
vous transporte sans secousse dans la première salle, sur le lit de repos
au-dessous de la planche qui supporte vos habits. Là, voluptueusement allongé
vous assistez à votre tour au défilé des arrivants. On vous
apporte une tasse de café ou de thé, et une longue pipe garnie de
fin tabac de Chebli. Bientôt la fatigue du bain, la demi- obscurité
du lieu, les parfums de benjoin dont sont imprégnés vos draps, agissent
sur vous, vos paupières s'appesantissent, le tuyau d'ambre échappe
de vos lèvres. On recommence, mais plus mollement, le massage de l'étuve.
Et c'est avec le bien-être infini d'un enfant bercé par sa mère
que vous passez tour à tour du repos à l'assoupissement et de l'assoupissement
au sommeil.
Quand on s'éveille on se sent plus léger, plus
dispos et plus ragaillardi ; on éprouve un indéfinissable bien-être
et c'est avec plaisir et avec l'espoir d'un prochain retour qu'on remet au maître
étuviste les trente sous qu'il demande pour les soins empressés
et son attentive hospitalité. " Gérard
SEGUY Sources : Un an à
Alger - M-J Baudel 1887 La prostitution dans la ville d'Alger E-A Duchesne
1853.
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