La presse dans l'Est algérien

extraits du numéro 48, 2è trimestres 2011, de "Mémoire vive", magazine du Centre de Documentation Historique de l'Algérie, avec l'autorisation de son président.
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Ici, le9-8-2011

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La presse dans l'Est algérien

Les débuts de la presse en Algérie sont liés à ceux de l'occupation française (cf. Mémoire Vive n°40). Il faudra attendre le début du XXème siècle pour que celle-ci devienne vraiment indépendante.

La presse en Algérie fut représentée, jusqu'en 1839, par le journal " le Moniteur ". C'est à partir du mois de juillet que naquirent des journaux locaux avec des titres célèbres tels que : " l'Akhbar " à Alger ou " l'Echo d'Oran ", créé par Adolphe PERRIER, qui resta pendant quatre ans le seul organe de presse de la ville. Dans le même temps naquit le premier journal de l'Est algérien : " la Seybouse " de Bône en 1844, suivi du " Courrier de Philippeville ". Ces modestes feuilles paraissaient en hebdomadaire.

En 1830 une charte, modifiant celle de 1814, fut établie. Pour la presse en général, elle y interdisait de parler de guerre, de politique ou d'administration mais stipulait à l'article 7, (ancien article 8), que le texte : "... qui doivent réprimer les abus de liberté ", devait être supprimé, et que devait être ajouté : " La censure ne pourra jamais être rétablie ". Il ne semble pas que l'autorité ait pratiqué de censure à cette période.

En 1846 une tentative d'institution de la censure, par le ministre de la guerre, fut de courte durée ; BUGEAUD obtint sa suppression et demanda à ce que la presse en Algérie soit organisée sur les mêmes bases qu'en France, ...sauf les exceptions exigées par les circonstances locales... ".

Le ministre de la guerre, loin de se soumettre à w cette demande, profita, à la fin de l'année 1846, d'un article de " l'Akhbar ", annonçant l'arrivée d'une caravane d'une vingtaine d'esclaves à mettre en vente, pour rétablir la censure. Celle-ci fut rétablie sur ordre de GUIZOT et confiée à un très jeune fonctionnaire...

" Tout frais débarqué... et... zélé ", maniant ciseaux et encre rouge avec des résultats parfois étonnants... C'est ainsi que le 28 février 1848 " l'Akhbar " livra un impressionnant " blanc de première page ", suite à la censure d'un article particulièrement inoffensif que ce fonctionnaire avait décidé d'interdire.

La presse sous la seconde République :

Le 15 mars 1848, le Gouverneur Général fit connaître le nouveau régime de la presse algérienne :
- Abolition de la censure.
- Promesse d'assimilation avec la législation nationale.
" ...à la veille de l'appel qui va être fait à la nation pour qu'elle manifeste sa volonté sur les bases de la Constitution, il importe que les citoyens français d'Algérie jouissent sans délai du bienfait d'une presse libre... " Article premier - Les lois et ordonnances qui régissent en France la presse sont provisoirement applicables à l'Algérie, sauf les exceptions des articles 2 et 3 :
- Article 2 - Il sera sursis à exiger le versement du cautionnement jusqu'à ce que le régime de presse ait été définitivement fixé.
- Article 3 - Aucune publication ou article de journal ayant pour objet :
1° Les opérations militaires
2° Les mouvements de troupes
3° Les travaux de défense de terre et de mer

Ces dispositions donnèrent, jusqu'en juin 1848, quatre mois de liberté presque illimitée. Cette période fut caractérisée par la création de nombreux organes de presse, dont, pour l'Est Algérien : " le Courrier de Constantine à Constantine, " le Gourayah " à Bougie. Le deuxième caractère de cette période de liberté fut qu'en ces jours d'espoir révolutionnaire, " la Seybouse " nous renseigne sur l'activité des " amis du peuple ", qui furent au premier plan des troubles de Bône en mai 1848, ainsi que le " Courrier de Philippeville " qui nous informe de l'activité du club de la " Fraternité ".

La liberté de la presse fut mise à mal par les lois contraignantes d'août 1848 (cautionnement et délits contre l'ordre, l'Assemblée ou la République), de juillet 1849 (offense au Président et provocation aux militaires pour les détourner de leurs devoirs) et d'août 1850 (impose la signature des articles et crée le " droit de réponse "), le cautionnement imposé obligea la plupart des feuilles existantes à ouvrir une liste de souscription pour survivre.

Pour leur création, bon nombre de journaux, constituèrent une " société par actions ", ce fut, par exemple, le cas du " Saf-Saf " de Philippeville, du " Courrier de Bône " ou du " Journal de Constantine ".

Ces différentes lois permirent la prolifération de sanctions et de procès : le " Journal de Constantine " se vit infliger 500 Fr. d'amende pour avoir refusé l'insertion d'une lettre, puis 1000 Fr. et six mois de prison à son directeur pour avoir publié une lettre de reproches à un
administrateur.

Les journaux algériens en général, et de l'Est algérien en particulier, avaient des traits communs :
- Un sentiment d'isolement et de défiance vis- à-vis de l'administration.
- Un goût pour les déclamations doctrinales, d'un ton vif, parfois ironique.
- Des sentiments républicains, à quelques exceptions près.

Peut-on situer certains de ces journaux ? La " Seybouse ", créée à Bône en 1844 par l'imprimeur DAGAND avec l'autorisation du Maréchal BUGEAUD, paraissait en 1848 une ou deux fois par semaine. Ce journal accepta les événements de février 1848 avec enthousiasme, puis prit une certaine défiance à l'égard des partis extrêmes... " Les impérialistes et leurs millions, les communistes et leurs mensonges dorés... ", à contrario, les victimes de la répression lui semblèrent toujours dignes d'intérêt...

Le " Courrier de Bône " vit le jour en 1849 grâce à une société par actions, Bertier de Sauvigny en était gérant. Par une profession de foi originale, il déclara vouloir délaisser "...la politique qui en Algérie ne signifie rien... " pour se consacrer uniquement aux "...intérêts algériens... ", à l'assimilation complète et au développement de la colonisation. Paraissant quatre fois par mois, il donnait une correspondance suivie de tous les centres de colonisation.

Léon-Justin AUMERAN, créateur de " l'Union Républicaine" à Philippeville

Léon-Justin AUMERAN (1862-1951) est né à Philippeville le 29 janvier 1862, imprimeur et publiciste, il fonde en 1895 " l'Union Républicaine " avec le soutien de René RICOUX, maire de Philippeville, souvent présenté comme le véritable propriétaire du journal. Sans doute les deux hommes sont-ils associés quelque temps.

En 1908 Léon-Justin AUMERAN est devenu le seul propriétaire du journal, c'est lui qui, en 1920, le vend " à un groupe de commerçants et d'industriels ", il conserve jusqu'en 1925 la propriété de son imprimerie. En 1910, il fonde " le Colon Algérien Illustré ", journal agricole dont la rédaction est assurée par son neveu Adolphe AUMERAN*. En 1912 ce journal est transféré à Alger et devient " la Revue Agricole et Viticole de l'Afrique du Nord ".

De 1908 à 1912, Léon-Justin AUMERAN siège au conseil municipal. En 1920 il abandonne le journalisme et la vie politique pour se consacrer aux affaires. Depuis 1908 il est associé à J.CACIOTOLO dans l'exploitation d'une usine de conserves alimentaires et de salaisons de poissons.

Il fait valoir un domaine viticole dans les environs de Philippeville et crée en 1939 sur des terres qui appartiennent à sa femme, le lotissement de Jeanne d'Arc (Ben Mehidi) où il construit la première villa, la villa " Simonette ".

Il est membre de la Loge des Enfants de Mars.

*Le général Adolphe AUMERAN dirigera, également, les journaux suivants : " la Revue Agricole et Viticole de l'Afrique du Nord " et " l'Africain ".

Le " Saf-Saf ", créé en octobre 1844 à Philippeville par Le PROUST des AGEUX, souhaitait aussi l'assimilation mais avec la
" décentralisation " par méfiance envers Alger. Cet hebdomadaire désirait " ...l'ordre dans la liberté... ", admire BARRAULT, le docteur WARNIER et décochait quelques flèches à Louis NAPOLEON.

Toutefois, sa modération lui fit craindre... " Les énergumènes de la réaction et les enfants perdus de la démagogie... ". Il s'effacera en 1851 devant le " Zeramna " fondé en 1850.

Le " Journal de Constantine ", fondé par GUENDE, imprimeur- gérant, en mars 1848, paraissait tous les cinq jours, il défendait surtout des intérêts de clocher. Il céda la place au journal le " Progrès de Constantine " en 1850, lequel " Progrès de Constantine " mourra en juillet 1852. " L'Africain- Estafette de Constantine ", créé en juillet 1851, était destiné à jouer un rôle de défenseur de l'administration dans la province de l'Est, comme le faisait le " Courrier d'Oran " dans l'Ouest, il restera jusqu'en 1858 le seul journal du chef lieu sous le nom de " L'Africain ".
Le passage au pouvoir du Prince Jérôme permit d'introduire au nombre des dirigeants de la presse algérienne plusieurs déportés politiques, dont l'un d'entre eux, Louis MARLE, joua un rôle primordial dans le lancement de " l'Indépendant de Constantine " en 1858, Emile THUILLIER, condamné de juin, y collabora de manière assidue.

la depeche de constantine

En 1860 le maréchal PELISSIER donna les coudées plus franches à la presse algérienne, la liste des journaux s'allongea, toutefois le décret du 7 juillet 1864 donna aux généraux autorité sur les préfets, ouvrant à nouveau, une période de " sévérité " à l'égard de cette presse. 1867 voit la pression s'atténuer, le gouvernement renoncer au système des avertissements. Cette phase de libéralisme tourna court, Mac Mahon s'opposa à la promulgation de la loi du 9 mars 1868 en Algérie, et ordonna aux généraux commandant les provinces d'employer contre la presse "... tous les moyens que les lois en vigueur mettent à leur disposition... ".

La presse de l'Est algérien vit ainsi naître " l'Echo de Sétif " en 1860, le " Messager Algérien " de Philippeville en 1865, la " Mahouna " de Guelma en 1867, le "Progrès de l'Algérie " de Constantine en 1867, " l'Est Algérien " de Bône en 1868 et " l'Avenir " de Constantine en 1870.
La chute de l'Empire libéra la presse de la plupart de ses entraves ; elle connaîtra après 1870 et tout au long de la IIIème République un essor et une diversité sans précédent " ...luttes politiques, rivalités de personnes, affrontements d'intérêts économiques, courants religieux, philosophiques et littéraires...", donnant naissance à des centaines de titres qui s'affrontèrent souvent violemment ainsi qu'en témoigne la presse du département de Constantine entre 1870 et 1918... ".

La presse de l'Est algérien, si elle a connu des débuts modestes, ralentis par la censure et une diffusion très faible, n'a pas manqué de surprendre sous la seconde République par sa vigueur ; toutefois, nombreux furent les journaux qui ne publièrent que leur numéro 1. C'est la IIIème république qui permit à la presse de recouvrer son dynamisme, plus de 550 titres de journaux de " l'Est Algérien " ont été recensés sur cette période. Le XXème siècle nous amènera à constater une évolution quasiment parallèle des presses en France et en Algérie.
L'indépendance de l'Algérie verra disparaître la majorité des titres de la presse française en 1962. La " Dépêche de Constantine ", quant à elle, sera nationalisée en 1963.

En ce qui concerne l'état de conservation actuelle des archives en France et en Algérie, Louis-Pierre MONTOY, dans sa thèse " La presse dans le département de Constantine ", nous éclaire de la manière suivante :

" ...Les dépôts susceptibles d'abriter les collections de journaux du département de Constantine, sont ceux de la wilaya (ex-préfecture) de Constantine et ceux de l'annexe de la Bibliothèque Nationale de Versailles. Là se trouve la majorité des journaux conservés. Les collections, malgré leurs nombreuses lacunes, se complètent néanmoins assez bien pour les titres les plus importants et la période entre 1881 et 1918. Par contre, les journaux publiés entre 1870 et 1881 sont conservés de manière extrêmement fragmentaire et uniquement à Versailles.
A Alger (Archives nationales - Archives de la wilaya - Bibliothèque nationale et municipale), à Oran (Archives de la wilaya) et à Aix-en Provence (Archives d'Outre-mer) on ne trouve que quelques numéros épars d'un nombre très réduit de journaux du Constantinois. Les bibliothèques municipales des différentes villes du département pourraient recéler quelques collections des journaux locaux. C'est le cas de la bibliothèque municipale d'Annaba (Bône) fermée depuis 1962, mais à laquelle nous avons pu avoir accès grâce à l'obligeance du secrétaire général de l'Assemblée Populaire Communale.

A Constantine, les collections de la presse locale ont été déménagées au palais du Bey où nous avons pu les apercevoir, mais non les consulter. Nous attendons pour le faire une autorisation, certes promise, mais toujours pas accordée*.

A Batna et à Sétif il n'y a rien aux dires des responsables locaux, de même qu'à Bougie, Djidjelli, Guelma et Philippeville.

A Constantine, enfin, les archives de la maison de l'agriculture, de la bourse du travail et celles du service des mines renfermeraient quelques collections de revues agricoles, syndicales ou minières ; leur accès est conditionné à une autorisation dont l'obtention, à l'heure actuelle, demeure bien problématique. Il en est de même pour les archives de l'ancienne " Dépêche de Constantine ", dont les locaux sont occupés depuis 1963 par le quotidien régional " An Nasr "

Constantine, octobre 1979.
* Cette autorisation a été obtenue en janvier 1980. Les collections sont à nouveau conservées aux archives de l'Assemblée Populaire Communale ; elles sont particulièrement importantes pour " le Républicain de Constantine ", " l'Indépendant " et la " Dépêche de Constantine ".

Nous tenons à souligner le travail exceptionnel que Louis-Pierre MONTOY a effectué pour réaliser sa thèse. Ce document, intégré au fonds du CDHA, est un don de Michel DURAND-DELGA.

Alain Gibergues

Sources bibliographiques :
- " La presse dans le département de Constantine ", Thèse de doctorat d'état présentée par Louis-Pierre MONTOY, sous la direction de Monsieur le professeur Jean- Louis MIEGE - Université de Provence " Lettres et sciences humaines " Institut d'Histoire des Pays d'Outre-mer - 1982.
- Documents Algériens : " La presse Algérienne de 1830 à 1852 " Mme G. SERS- GAL, agrégée de l'Université d'Alger.
- " Annuaire de la presse " 1949.

Le CDHA remercie M. Pierre AUMERAN pour le don des deux collections de : " La revue agricole et viticole de l'Afrique du Nord " et de " l'Africain ".