LES "TRANSPORTÉS
de 1848/1851/1858
Le bagne de la casbah de Bône
La casbah de Bône occupée
par l'armée, fut transformée en prison dès l'arrivée
des premiers transportés de juin 1848 ; suivirent, ceux de décembre
1851 et de janvier 1858.
Rappel historique
Les évènements de juin 1848
Le 4 mai 1848, les représentants du peuple, :lus au suffrage universel
et issus des élections du 23 avril précédent, se
réunissent pour former l'Assemblée Constituante et proclamer
officiellement la naissance de la IIème République. Quelques
semaines plus tard, la fermeture des ateliers nationaux, par un décret
de la commission exécutive du 21 juin 1848, provoque à Paris
un mouvement insurrectionnel de grande ampleur. Une violente répression
est alors menée contre les insurgés parisiens par Le général
Cavaignac, ministre de la Guerre, au sein de la commission exécutive.
Les opérations militaires se léroulent essentiellement entre
les 23 et 26 juin 1848, contre les barricades dressées Jans l'est
parisien tant sur la rive gauche que sur la rive droite de la Seine. "
On dénombre 12 000 tués ou fusillés lu côté
des rebelles et 1 460 chez les forces de l'ordre dont les généraux
Damesme, Négrier et Duvivier ". L'archevêque de Paris,
Monseigneur Affre, fut également mortellement touché par
les insurgés au faubourg Saint-Honoré. 11 671 individus
sont interpellés. (6) (10)
La transportation
Le décret du 27 juin 1848 prévoit qu'ils seront soumis à
la " transportation " : " Seront transportés par
mesure de sûreté générale dans les possessions
d'outre-mer, autres que celles de la Méditerranée, les individus
actuellement détenus qui seront reconnus avoir pris part à
l'insurrection du 23 juin et des jours suivants ". Ce décret
ne sera pas appliqué puisque la loi du 24 janvier 1850 désignera
finalement l'Algérie comme lieu de " transportation ".
" On imagina la " transportation ", qui ne devait pas,
comme la " déportation ", entraîner l'idée
de peine judiciaire, mais qui était prononcée administrativement
par mesure de sûreté générale ". Dictionnaire
de la convention, tome 6, 1853.
Les 11 commissions mises en place en septembre 1848 et les grâces
présidentielles ramènent le nombre de détenus à
500 environ. Un arrêté ministériel, daté du
21 septembre 1848, organise la citadelle de Belle-Ile-enMer en dépôt
provisoire de la transportation.
Loi du 24 janvier 1848 (principaux articles)
Art 1 : Tous les individus actuellement
détenus à Belle-Ile... seront transférés en
Algérie, quelqu'ait été l'époque de leur arrestation.
Art 3 : Les transportés seront assujettis au travail...
Art 4 : Dix années après
la promulgation de la présente loi, la transportation cessera de
plein droit...
Art 5 : Trois années après
le débarquement des transportés en Algérie, ceux
qui justifieront de leur bonne conduite pourront obtenir, à titre
provisoire, la concession d'une habitation et d'un lot de terre sur l'établissement...
Art 14 : Jusqu'à ce que l'établissement
ait été approprié pour recevoir les transportés
dans celle des forteresses de l'Algérie qui sera déterminée
par le chef du pouvoir exécutif... Le décret du 31 janvier
1850 décidera du site de Lambèse (Lambessa à l'époque)
comme futur pénitencier algérien, qui reste à construire.
Dans l'attente de sa réalisation, les condamnés seront enfermés
pendant deux ans à la Casbah de Bône. La condamnation était
de dix ans avant de recouvrer leurs droits politiques et civiques.
En cas de bonne conduite leur peine était réduite à
trois ans, avec octroi d'un lot agricole que peu acceptèrent.
" D'après un état du 30 juin 1859, le chiffre exact
des transportés de juin en Algérie fut de 459. Sur ce total,
59 sont morts, 40 ont été transportés à Cayenne,
12 se sont évadés, 268 graciés sont aussitôt
rentrés en France ; 19 sont classés dans la catégorie
diverse. Il resterait donc à cette époque 61 transportés
de 1848 en Algérie, dont 23 détenus à Lambèse
et 38 en résidence surveillée dans les villages de colonisation
où ils seraient restés ". (1) (2) Les détenus
sont classés en deux groupes : les repris de justice " et
les " dangereux ". Les " repris de justice " ont tous
déjà été condamnés pour des infractions
relevant du droit commun ; ils sont au nombre de 234. Les dangereux "
sont ainsi dénommés en référence à
l'ardeur de leurs opinions politiques, ils sont au nombre de 225 ".
(1)
La Casbah de Bône
A été construite en 1300 par le roi de Tunis Abou Zakkaria
Ibn Abou Isack. (9)
Le "Moniteur " du 25 février 1850 et "l'illustration
" du 23 mars 1850 relatent la traversée des " transportés
" et leur arrivée à Bône.
" Les transportés embarquèrent le 21 février
à Cherbourg et Brest sur les frégates à vapeur :
" le Gomer ", capitaine Paris," l'Asmodée ",
capitaine Fourteu-Nauton. Ce dernier arriva à Bône le 3 mars
avec 200 détenus. Le"Gomer", parti en même temps
avec 224 détenus, n'est arrivé que le 5 au matin, ayant
dû relâcher à Cadix. Ils furent rejoints par un dernier
groupe qui traversa la France en voiture cellulaire et la Méditerranée
de Toulon à Alger les fers aux pieds. "
Voici le récit de l'arrivée des transportés à
la la Casbah raconté par un témoin local, le docteur Quesnoy,
et publié par " l'Illustration" du 23 mars.
" Les travaux de la Casbah de Bône ne sont pas enncore terminés,
mais le débarquement ne s'est pas moins déroulé en
deux heures après l'arrivée en rade et, bientôt, grâce
à l'activité du colonel Eynard, commandant supérieur
et des officiers chargés de la direction des travaux, les transportés
pourront jouir d'un casernement tout à fait confortable.
La Casbah est bâtie sur un des points les plus nants qui entourent
la ville. De là, la vue asse l'immense horizon bordé par
les les chaines de l'Atlas, l'air y est vif et pur. Les transportés
seront casernés dans un bâtiment occupé, il y a quelques
jours encore par la garnison. On se préoccupe dans ce moment de
clore une cour intérieure affectée aux détenus. L'alimentation
est la même que celle des soldats. Quand un coup de canon annonça
l'arrivée de la frégate, les portes furent refermées
pour éviter l'affluence des curieux avides de voir quelques uns
des acteurs des terribles journées de juin. Cette mesure n'avait
d'autre but que de prévenir des troubles alors que s'opérait
le débarquement par l'étroit sentier qui mène à
la Casbah. Les bataillons d'un régiment de ligne attendaient au
débarcadère qu'on leur remit les passagers pour les conduire
au fort, où ils se rendirent en chantant des couplets et répétant
cent fois " vive la république démocratique et sociale,
quand même et partout ". (2)(3)
Intervention du général de Saint-Arnaud
Le haut commandement était décidé à traiter
durement les prisonniers. Le général de Saint-Arnaud, commandant
la province de Constantine, les passa en revue. Dans une lettre à
son frère, datée de Bône du 15 mars 1850, il ne ménage
pas ses mots. "... Pour le bouquet, j'ai passé, ce matin,
trois heures à la Casbah avec les énergumènes les
plus forcenés, les fous les plus pitoyables que l'on puisse imaginer
; amas hétérogène de tout ce que peuvent réunir
les débris de la révolution vaincue ; mélange d'artisans,
journalistes, poètes, instituteurs, peintres, tous socialistes,
tous rouges, mais tous fous enragés... Ce sont des gens dangereux,
mais je ne les crains pas... ". (4)
Il semble que la sévérité des chefs ne se soit exercée
que dans des circonstances exceptionnelles. En 1851 trois prisonniers
s'évadèrent ; mais trois jours après, les arabes,
appâtés par une prime de 25 francs, les ramenèrent
à la Casbah garrotés et attachés sur des mulets.
On les enferma dans une cellule et on défendit au médecin
de leur porter secours. Cependant les officiers du génie étaient
républicains, et surent adoucir le sort des prisonniers en leur
faisant passer les lettres de leurs amis et tous les journaux de Paris.
(5)
La tentative d'évasion de la Casbah de
Bône
A Bône les récalcitrants ne restent pas inactifs et leurs
meneurs ne pensent qu'à s'évader. Dès le 22 juin
le sous préfet Zaepffel transmet au préfet de Constantine
" l'autorité militaire vient de déjouer un projet d'évasion
auquel travaillaient depuis longtemps les transportés de la Casbah.
Ils étaient parvenus à pratiquer un puits de 5 mètres
communiquant avec une galerie horizontale qu'ils avaient percée
sur une longueur de 27 mètres et qui n'était séparée
du dehors que par une longueur de 5 mètres environ ". (3)
Vers la fin mars 1852 les " transportés " de juin furent
acheminés vers le pénitencier terminé de Lambèse.
Ceux-ci quittent Bône en trois détachements et effectuent
seize jours de marche, soit 265 km, et font ainsi place à ceux
du coup d'Etat du 2 décembre 1851.
La liste des " 459 transportés " établie par le
chercheur du CNRS Louis-José Barbançon est consultable.
Le coup d'Etat du 2 décembre 1851
L'annonce du coup d'état de Louis Napoléon Bonaparte, Président
de la République, qui aboutit à la remise entre ses mains
du pouvoir absolu le 2 décembre 1851, entraîna un soulèvement
général tant à Paris qu'en province où l'opposition
au nouveau régime fut violente. Des milliers d'arrestations s'en
suivirent.
Dans chaque département fut créée une commission
mixte, composée du préfet, du procureur de la République
et de l'officier supérieur du département qui devaient statuer
sur le sort de chaque détenu. Deux catégories de condamnation
étaient possible :
- La transportation en Algérie avec mention plus (soit plus de
DIX ANS).
- La transportation en Algérie avec mention moins (soit plus de
CINQ ANS).
Maurice Bel avance le chiffre de 9 000 " transportés "
sur un total de 26 000 condamnations. Ces transportés furent embarqués
sur les frégates : Mogador, Duguesclin, Isly, Colbert et Bertholet.
(10)
Les internements répartis dans les diverses villes de l'Algérie
s'élèvent à plusieurs milliers : 1 200 à la
Casbah de Bône, 450 au camp de Douéra,
300 au camp de Birkadem,
200 au Lazaret
d'Alger, 30 à la prison d'Alger, 10 à
l'Hôpital du Dey, 10 au Bon Pasteur dont 7 femmes, 400
dans 2 ateliers de la province de Constantine, 300 au camp de Mers-el
Kebir, 200 au camp de Mascara, 100 pour la construction d'un
pont sur la Sébaou... " (7). D'autres camps d'internement
sont cités comme le Chélif, l'Oued-el-Hammam, Bourkika,
Lambèse et les forts : Bab Azoun à Alger, de l'Est à
Mostaganem, et St Grégoire à Oran. (10)
L'attentat du 15 janvier 1858
Le 15 janvier 1858, l'Empereur Napoléon III, accompagné
de l'Impératrice Eugénie de Montijo, fut victime d'un attentat
en se rendant à l'Opéra Comique.
Ce complot échoua et on en retrouva bien vite les instigateurs
anarchistes d'origine italienne ayant à leur tête le fameux
Orsini...
Napoléon III s'inspirant de son oncle Premier Consul, édicta
aussitôt le 21 février 1858 une loi de " sûreté
générale " (article 7) qui stipulait que : " tout
individu qui a été condamné, interné, expulsé
ou transporté par mesure de sûreté générale
à l'occasion des événements de juin 1848, ou décembre
1851, et que des faits graves signalent de nouveau comme dangereux pour
la sécurité publique, peut être interné dans
des départements de l'Empire ou en Algérie, ou expulsé
du territoire français ". (7)
S'appuyant sur cette loi de " sûreté générale
", 2 000 personnes furent interpellées et 430 condamnées
à la transportation. Comme en 1852, Paris et l'ensemble des départements
français furent touchés. (8)
Tableau récapitulatif des
prisonniers et
transportés de 1848 à 1858
|
|
juin 1848
|
décembre 1851
|
janvier 1858
|
Prisonniers
|
11 671
|
26 000
|
2 000
|
Transportés
|
459
|
9 000
|
430
|
" Le 15 août 1859, parait le décret
faisant grâce à tous les condamnés politiques, totale
et entière des peines auxquelles ils sont soumis ". (2)
Yves Marthot
Sources : (consultables au CDHA)
1- Emerit M. "La révolution de 1848 en Algérie"
Revue de la Société d'étude de la révolution
de 1848. 1949.
2- Bel M. "Les condamnés à la transportation"
3- Marchand J.P. " Les cahiers de l'Illustration "
4- "Lettres du maréchal de Saint-Arnaud " Paris, 1855,
librairie Levy, Tome 1, 569p.
5- Emerit M. "La révolution de 1848 en Algérie"
Edition Larose. 1949. " Les Mémoires de Terson. Déportés
de 1848 " Société Historique Algérienne. Alger.
6- Houdaille J. " Les détenus de juin 1848 " Site http://persée.fr
1981m1
7- Delaye-Lastrajoli. " Revue G.A.M.T " N° 99 - septembre
2007
8- Tenot E. et Dubost A. " Les suspects en 1858, étude historique
" 1869.
9- Maitrot. " Bône Militaire " Imp. Centrale A.M.Mariani
Bône. 1934.
10- Castineau.B. "Les Transportés de décembre
1848 " Librairie Centrale. Paris. 1869.
- L'Illustration : 12 août 1848 et 23 mars 1850.
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