LE Bachagha BOUALEM SAÏD
Un notable et une famille au service de la France

extraits du numéro 47, 1er trimestres 2011, de "Mémoire vive", magazine du Centre de Documentation Historique de l'Algérie, avec l'autorisation de son président.
www.cdha.fr
*
L'article comprend plusieurs illustrations non reproduites ici

Ici, le 19-4-2011

48 Ko
retour
 

Une grande figure
LE Bachagha BOUALEM SAÏD
Un notable et une famille au service de la France


LE Bachagha BOUALEM SAÏD
LE Bachagha BOUALEM SAÏD

La famille BOUALEM, d'origine arabe, serait arrivée au MAGHREB avec les premières invasions HILALIENNES (tribu arabe, d'Arabie centrale, qui envahit le Maghreb au Xlème siècle).

Elle s'est mélangée aux Berbères, et au temps des Turcs, c'était une famille d'AGHA et de BACHAGHA.

Lors de la conquête française en 1830, elle a combattu aux côtés de l'Émir ABD EL KADER.

Après la reddition de l'Émir à la France, les BOUALEM ont fait leur soumission, et à partir de cette soumission à la France, la fidélité de la famille n'a jamais été prise en défaut.

Puissent les jeunes générations nées en France se montrer dignes de leurs ancêtres.

RAPPEL HISTORIQUE


- Le premier BOUALEM dont on retrouve la trace dans un document officiel se rallie à la cause française en 1842.

Depuis sa soumission jusqu'à sa mort, ce chef, Bachagha du DJENDEL en 1845, n'a cessé de donner des preuves journalières de son attachement à la France.

Il a marché 57 fois à la tête de ses goums contre les insurrections.

Successivement chevalier de la Légion d'Honneur en 1845, officier de la Légion d'Honneur en 1852, commandeur en 1860, Boualem était grand officier de cet ordre le 7 Septembre 1877, et grand officier du NICHAM IFTIKAR de Tunis.

Le maréchal BUGEAUD lui adressa une lettre de félicitations pour sa conduite lors de la fameuse néfra du marché du DJENDEL en 1845 qu'il réprima, et où il fut blessé à la tête d'un coup de sabre.

Ses rapports avec l'autorité française étaient courtois et convenables, et chez lui l'hospitalité était légendaire.

Il est décédé le 18 octobre 1885.

- On retrouve ensuite la trace de l'arrière- grand-père du Bachagha Saïd Boualem; il s'agit du Bachagha Aïssa BOUALEM, commandeur de la Légion d'Honneur. Il avait maté l'insurrection de la tribu des BENIM'NASSER en 1871 qui s'était révoltée contre la France.

- Le grand-père YAHIA ben AÏSSA BOUALEM était né en 1850, il fut élevé au grade d'officier de la Légion d'Honneur par décret du 14 février 1920 enregistré sous le n° 24296.

Il est décédé le 23 décembre 1930.

D'un premier mariage, il aura deux enfants :

- Un garçon AÏSSA qui est le père du Bachagha Saïd Boualem. Il a fait carrière dans la gendarmerie.

- Une fille YAMINA. D'un second mariage avec une française Marguerite MAGNÉ, il aura 5 garçons et 2 filles. Le plus jeune de ces 7 enfants est mon père. Je les cite dans l'ordre :

1 - AÏSSA
2 - BELKACEM
3 - SADOCK
4 - FATMA
5 - ZOHRA
6 - ALI
7 - ABD EL KADER


Le deuxième fils BELKACEM, né en 1891 à MAÏNE (TÉNÈS-mixte), caïd en 1927, reçoit deux lettres de félicitations pour avoir réprimé le banditisme en 1916 et 1917.

Marguerite MAGNÉ, catholique pratiquante, était la petite-fille par sa mère du général LAPASSET. Née le ter avril 1866, mariée le 29 novembre 1886, elle est décédée à TÉNÈS le 9 avril 1944.

Le Bachagha (1906-1982)

C'est Marguerite MAGNÉ qui pousse vers les études le Bachagha. A 13 ans il réussit le concours d'entrée à l'École Militaire Préparatoire de Saint Hippolyte du Fort (Gard) qu'il rejoint en septembre 1919, puis celle de Montreuil sur Mer (Pas de Calais) en 1921.

En intégrant à mon tour l'École Militaire Préparatoire d'Aix-en-Provence en 1947, j'aurai un certain nombre de professeurs qui avaient instruit le Bachagha 29 ans plus tôt. Je rejoignais l'Algérie comme officier-parachutiste dans l'AURÈS et les NEMENTCHA de janvier 1959 à avril 1961.

À sa sortie d'école, le 2 octobre 1924, le Bachagha s'engage au ler régiment de Tirailleurs à BLIDA. Il servira en Tunisie, au Maroc, puis pendant la 2ème guerre mondiale, en Tunisie, en Italie, à MONTE-CASSINO, en France et en Allemagne avec la 3ème D.I.A (3ème division d'infanterie algérienne).

Après 21 ans de service, il quitte l'armée, à sa demande, avec le grade de capitaine.

Il avait deux frères et une soeur :

ABD EL KADER a fait carrière dans l'armée.
ALEXANDRE, assassiné par le F.L.N. le 21 juillet 1956 à TAOUIRA.
MYRIAM (MARIE) a vécu depuis 1962 au MAS FONDU, jusqu'à sa mort.

Marié en 1927, le Bachagha aura 3 enfants :
MOHAMED né en 1933, décédé le 17 février 1991
ABD EL KADER né en 1935, assassiné par le F.L.N le 28 janvier 1958
ALI né en 1937, décédé le 4 juillet 1991, soit 5 mois après la mort de son frère aîné.
ALI était marié à Emmanuelle PEREZLIMINANA dont il a un fils VIVIEN.

Veuf en 1951, le Bachagha se remariera en 1956.

Pendant la guerre d'Algérie


La tribu des BENI-BOUDOUANE, tribu de la commune mixte du CHELIFF, s'étend sur la rive gauche du fleuve, le long du complexe montagneux de l'OUARSENIS.

Sous l'administration du Bachagha, le territoire montagneux du Douar couvre 33.000 ha pour 15.000 personnes dispersées en 24 fractions. La fraction est une petite collectivité autonome qui descend d'un aïeul commun dit WALI. Elles sont liées entre elles par des solidarités claniques, des alliances matrimoniales, et par l'appartenance tribale commune. Jusqu'au début de l'année 1956, la tribu ne disposait que de 24 fusils, les autorités se " faisant tirer l'oreille pour satisfaire les demandes du Bachagha qui voulait des armes pour former une harka comme celle qui existait dans les AURÈS. Début 1956, l'armée lui délivra une centaine de fusils de chasse non sans une quantité de formalités et d'engagements. Ces fusils lui servirent à constituer des groupes d'autodéfense, en les remettant, avec l'accord de l'armée, à des anciens combattants ou à d'anciens militaires en retraite.

Il faudra les sombres mois de 1956, il faudra l'affaire MAILLOT, officier français déserteur tué le 5 juin 1956 dans l'OUARSENIS au Djebel SIDI DERAGA, pour que les autorités politiques se réveillent.

L'AFFAIRE MAILLOT

Henri François MAILLOT était néà Alger le 21 janvier 1928. Il appartenait au parti communiste algérien.

Ancien secrétaire de l'union des jeunesses démocratiques algériennes, il était resté comptable pendant un certain temps au journal communiste " Alger Républicain ". Du grade d'aspirant pendant son service militaire, il désertait le 4 avril 1956 dans la forêt de BAINEM près d'Alger, en emportant les armes de sa section.

Un officier de l'armée française était passé dans les rangs des fellaghas avec des armes qui allaient servir à tirer sur des anciens compagnons.

Le 26 mai 1956, des " choufs " signalent au Bachagha la présence d'hommes en armes près du Douar des BENI-RACHED.

Premiers F.L.N. dans le secteur, pense-t-il ? Le 3 juin, 4 musulmans y sont assassinés.

L'alerte générale est alors donnée par le Bachagha sur tout son territoire.

Le 4 juin, des femmes signalent un groupe d'hommes armés suivis de 2 mules qui remontaient l'Oued BOUFRAKH.

Le 5 juin vers 3 heures du matin, un chef de fraction vient réveiller le Bachagha. Les bergers ont aperçu un groupe de 10 hommes armés composé d'Européens et de Musulmans, dans la forêt de SIDI ABDERRAHMANE.

Entre temps le Bachagha avait fait alerter les gardes-champêtres et les forestiers, pour la mise en place d'urgence d'un service de guet : " le Chouf ", sur toute l'étendue des 24 fractions de la tribu. Vers 6 heures du matin, des renforts arrivèrent. Le contact sera établi vers 12 heures sur les crêtes du Djebel SID1 DERAGA.

Le communiste LABAN fut tué ainsi que l'aspirant MAILLOT et 2 fellaghas. 5 rebelles dont l'aspirant déserteur GUERRAM réussirent à prendre la fuite.

La fin de LABAN et de MAILLOT allait porter un gros coup au parti communiste algérien et les fellaghas feront payer cher au Bachagha cette défaite en assassinant sauvagement son frère ALEXANDRE.

ASSASSINAT D'ALEXANDRE

Dans la nuit du 21 juillet l 956, soit un mois el demi après la mort de MAIL LOT, une bande de fellaghas se présente devant la maison isolée d'ALEXANDRE. Ils l'insultent, le menacent pour le faire sortir. ALEXANDRE est un géant d'un mètre quatre vingt douze (1,92m) doué d'une force peu commune ; il sort avec son fusil. Un fellagha caché sur le toit se laisse tomber sur lui, et c'est la curée. Ils vont le torturer lentement devant sa femme et ses enfants accourus aux bruits.

Je n'entre pas dans les détails des horreurs commises. Ils finiront par l'éventrer, jetant ses entrailles aux chiens, puis ils l'achèveront à coups de fusils.

Un jeune fils d'Alexandre réussit à s'enfuir pour aller prévenir le Bachagha; un deuxième fils perdra la raison et décèdera quelques années plus tard.

Quand le Bachagha arrivera chez son frère, accompagné de ses hommes, il découvrira le corps d'Alexandre déchiqueté. Après cet assassinat monstrueux comme beaucoup d'autres en Algérie, après l'affaire MAILLOT qui a prouvé que la population musulmane voulait lutter volontairement contre les tueurs qui apportaient la désolation et la ruine dans les campagnes, et qu'il était utile et efficace d'employer des Musulmans du cru pour le guet notamment, les autorités vont enfin se réveiller.

Le Bachagha obtiendra satisfaction.

Il aura fallu l'assassinat dans des conditions atroces le 21 juillet 1956 du frère du Bachagha, pour qu'enfin le général de BREBISSON autorise en septembre 1956 la levée d'une harka de 300 hommes. Le général fera apporter l'habillement, l'armement, les munitions que le Bachagha distribua aux anciens de CASSINO, de BACCARAT, du RHIN, qui alors sur ces champs de bataille ne se demandaient pas s'ils étaient ou non Français.

Cette harka va se développer militairement avec l'aide du capitaine HENTIC, ancien parachutiste d'Indochine, qui deviendra l'ami du Bachagha.

Voici ce qu'écrit Pierre MONTAGNON, historien :
en 1959 le 1er R.E.P travaille dans l'Ouarsenis, non loin du Douar des BENI BOUDOUANE, le fief du Bachagha Boualem. Traversant les BENI BOUDOUANE, les légionnaires se sont sentis en confiance. Drapeaux tricolores sur les postes et les villages... Boualem, vice-président de l'Assemblée Nationale à Paris, a fait de son douar une zone française. Ses harkis viennent d'accrocher une katiba et le R.E.P ratisse le terrain ".

Le général PARLANGE dira :
" il faudrait relater tous les faits d'armes qui sont à porter à la gloire des harkis.... " " il faudrait écrire aussi de quel prix ils ont payé cette fidélité lorsqu'ils furent abandonnés à la vengeance des tortionnaires et assassins du F.L.N. ".

Le Bachagha a payé de son sang cette guerre d'Algérie par :
     l'assassinat de son frère ALEXANDRE le 21/07/1956,
     l'assassinat de son fils ABD EL KADER le 28/01/1958,
     l'assassinat de son beau-frère le 28/01/1958.

Officier parachutiste, j'étais allé le voir à Pâques en 1959 à LAMARTINE. Nous étions très proches l'un de l'autre car, ancien enfant de troupe tous les deux, nous avions eu les mêmes professeurs à l'école militaire, à 29 ans de distance. Il aimait me raconter cette période de sa vie. Ce qui nous rapprochait aussi c'est que nous défendions la même cause, lui dans l'Ouarsenis, moi dans l'Aurès.

Épuisé par les luttes incessantes menées pour le bien-être des siens, fatigué physiquement, le vieux soldat s'en va sans bruit dans la nuit du 5 au 6 février 1982.

Il est enterré à Mas Thibert. Pour moi ce fut une très grande perte.

Il avait été élu quatre fois à la vice-présidence de l'Assemblée Nationale française.

Il était grand officier de la Légion d'Honneur.

Lt Colonel (E.R.) Yves Boualem