LE MONUMENTAUX MORTS
DE CONSTANTINE
Le monument aux morts de Constantine domine,
majestueux, les gorges du Rhummel et offre aux visiteurs un magnifique
panorama sur la ville et ses alentours. Il fut édifié sur
le modèle de l'Arc de Trajan que l'on peut voir parmi les ruines
romaines de Timgad et s'élève à une hauteur de 21
mètres. Conçu et érigé par les architectes
Roguet et Dumoulin, c'est le premier mausolée de France édifié
à la gloire des combattants morts pour la Patrie pendant la guerre
de 1914-18.
La première pierre fut posée le 18 novembre 1918, dès
la fin de la Grande Guerre sur l'initiative du maire de l'époque,
Emile Morinaud. Il fut réalisé grâce aux subventions
de la ville de Constantine, des communes environnantes et aux dons de
nombreux particuliers.
Les travaux s'échelonnèrent sur plusieurs années
si bien que beaucoup d'impatients accusaient la municipalité de
lenteur chronique. Dans rues, dans les cafés après l'anisette,
en se quittant, on ne disait plus " on se reverra dans très
longtemps ! " mais : " quand le monument aux morts sera terminé
! "
Le monument ne fut inauguré qu'en 1930 par Gaston Doumergue Président
de la République de l'époque, à l'occasion des fastueuses
cérémonies commémoratives du centenaire de l'Algérie
française. De nombreuses personnalités avaient fait le déplacement
pour la circonstance, parmi lesquelles on pouvait citer : Paul Doumer,
président du Sénat, Ferdinand Bouisson, président
de la Chambre des députés ainsi que la plupart des Ministres
du Gouvernement.
On remarquait également la présence du Maréchal Franchet
d'Esperay, de Paul Cuttoli sénateur de Constantine, et bien d'autres
qui s'étaient également rendus sur les lieux pour la circonstance.
Bien entendu, toute la population de Constantine était là
et avait gravi le plateau pour assister à l'événement.
Parmi la foule, des milliers d'enfants des écoles qui agitaient
des petits drapeaux bleus blancs et rouges.
Arrivé à pied sur l'esplanade après avoir gravi la
montée du Boulevard du docteur Roux, le cortège des personnalités,
environné par une nuée de journalistes, progressait entre
deux haies de drapeaux tenus par des anciens combattants français
et musulmans étroitement mêlés.
Après une minute de silence observée dans un recueillement
profond, on entama les interminables discours d'usage. Puis les personnalités
se retirèrent tandis que la foule redescendue vers la ville se
répandait dans un tumulte joyeux. Trois arcs de triomphe avaient
été dressés. L'un au pont El Kantara par les cheminots,
un autre en haut de la rue Nationale et le dernier dans l'avenue Lamoricière.
Cette manifestation, qui resta longtemps gravée dans la mémoire
des Constantinois, consacrait la fin de travaux qui avaient duré
douze années. Certes, l'attente avait été longue,
mais la population était très fière de son monument
et du retentissement que cette inauguration avait suscité dans
la presse métropolitaine et algérienne.
Mais il faut dire que le projet initial n'était pourtant pas entièrement
réalisé. Il restait à placer des lions de marbre
de part et d'autre de l'esplanade.
On en avait prévu six, trois à droite et trois à
gauche, deux dans une pose allongée, deux autres dressés
et enfin deux en position d'attaque. C'était le sculpteur Joseph
Alexandra qui en avait exécuté les maquettes. Hélas,
la concrétisation de l'ceuvre en marbre n'aboutit jamais, sans
doute faute de crédits.
En arrière du monument, sur un autre éperon plus élevé
et d'un accès plus difficile, dans les années 1955 les autorités
ecclésiastiques catholiques érigèrent une statue
de Notre Dame de la Paix, à proximité du fort de Sidi M'Cid.
L'arc de triomphe, construit avec des pierres provenant de la carrière
Lentini, rendait hommage à 844 Constantinois de toutes confessions
qui avaient perdu la vie en combattant pour la France pendant la guerre
de 1914/18. Sur la partie de l'édifice qui s'élevait au-dessus
des colonnes on avait gravé la dédicace :
PRO
PATRIA
MDCCCCXIV
- XVIII
tandis que sous les arches du monument on pouvait lire, emboutis sur des
plaques de cuivre, les noms de tous les Constantinois morts pour la France
pendant la Grande Guerre. Enfin sous la voûte qui traversait l'édifice
on avait creusé des niches dans lesquelles on pouvait voir les
quatre bustes des maréchaux vainqueurs de la guerre de 1914-18,
Foch, Joffre, Franchet D'esperey et Pétain. Celui de Pétain
fut enlevé en 1944.
L'arche était surmontée par une sculpture conçue
par le célèbre statuaire Ebstein, (1881-1961), artiste algérois
de renom. Il avait déjà érigé le monument
aux morts de Tlemcen, (transporté aujourd'hui à Saint Aygulf)
et celui du village de Marengo que l'on peut voir de nos jours à
l'île de la Réunion.
C'est une " victoire ailée " qui semblait emportée
par un irrésistible élan. L'allégorie très
simple contribuait à la force de l'expression, un rendu sans surcharge
d'une élégance toute classique de ligne. Elle avait été
inspirée à l'artiste par une statuette romaine de bronze
découverte en 1855 par des militaires dans une cour de la Casbah
de Constantine. Cette statuette baptisée " la victoire de
Constantine " appartient aujourd'hui au musée de la ville.
Il faut noter que c'est son effigie qui a été prise comme
insigne de la 3° D.I.A. en 1943.
Selon de récents témoignages de visiteurs, aujourd'hui,
le monument ne serait pas trop dégradé, mais reste en mauvais
état de conservation. Les plaques sur lesquelles étaient
gravés les noms des combattants auraient été mises
à l'abri, sans doute pour être restaurées ?
Autre constatation, le lieu serait devenu dangereux et fréquenté
par des voyous toujours à l'affût d'un mauvais coup ainsi
que par des trafiquants de drogue.
Les villes d'Alger et Oran se sont toujours montrées fières
de leurs monuments aux morts, tout à fait remarquables et impressionnants
par leur masse, bien qu'ils soient un peu ternis par des détails
anormaux ( par exemple, celui d'Alger qui fait porter la dépouille
d'un combattant, étendu sur le travers d'un bouclier, par trois
cavaliers juchés sur de solides montures lourdement caparaçonnées
). En revanche, la ville de Constantine peut s'enorgueillir d'avoir érigé
son monument aux morts dans un décor imposant. C'est une oeuvre
élégante et majestueuse qui, nous l'espérons, défiera
le temps.
Gérard SEGUY
Sources : L'Afrique du Nord Illustrée
N° 443 du 27 octobre 1929.
La France à Constantine de 1935 à 1962 par Jacques Gatt
(éditions Atelier 3 Montpellier)
Témoignage du colonel Yves Levez
Témoignage Gilles Alexandra
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