Le 17 octobre 2001, le maire de Paris Bertrand Delanoë inaugure une
plaque commémorative au Pont Saint-Michel. On y lit " A la
mémoire de nombreux Algériens tués lors de la sanglante
répression de la manifestation pacifique du 17 octobre 1961 ".
Onze ans plus tard, François Hollande, tout juste élu président
de la République, faisait la déclaration suivante : "
Le 17 octobre 1961, des Algériens qui manifestaient pour le droit
à l'indépendance ont été tués lors
d'une sanglante répression. La République reconnaît
avec lucidité ces faits. Cinquante et un ans après cette
tragédie, je rends hommage à la mémoire des victimes
" (1).
Lorsqu'on évoque le 17 octobre 1961, le contexte de la guerre d'Algérie
est souvent oublié ou passé sous silence. On avance uniquement
" le couvre-feu raciste " pour reprendre les termes de la pétition
lancée par Mediapart, le 12 octobre 2011, qui aurait provoqué
" une réaction pacifique des Algériens ".
Un contexte sécuritaire très tendu
et systématiquement occulté
En métropole, le FLN a mis en place un quadrillage complet de la
population algérienne qui est rackettée pour financer l'insurrection
en Algérie. En août 1958, le FLN lance un deuxième
front en métropole en organisant des attentats contre les forces
de l'ordre pour desserrer l'étau des offensives en Algérie.
A Paris, le 25 août 1958, trois policiers discutant dans leur véhicule
devant le garage de la préfecture de police sont tués au
pistolet mitrailleur par un commando de choc du FLN. Il s'agit d'Henri
Breitner ( père de 4 enfants ), de Gérard Millet ( père
d'un enfant ) et de Pierre Santin. Devant la cartoucherie de Vincennes,
une patrouille de police repère un véhicule suspect, les
occupants tirent sur elle, le policier Henri Fournier ( père de
4 enfants ) est tué par des tirs de pistolet-mitrailleur.
Le gardien de la paix Henri Breitner,
marié, père de quatre enfants, assassiné par
le FLN en
plein coeur de Paris.
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A Lyon le 5 septembre 1958, Armand Sudan 42 ans, père de 3 enfants,
quitte son poste de surveillance rue Raoul-Servant au niveau de la mairie
du 7e arrondissement et est assassiné par Salah Dehil, membre d'un
commando de choc du FLN. Dès les coups de feu, le reste du commando
attaque le poste de protection et lance deux attaques contre un commissariat
et un autre poste de police. Cinq assaillants sont arrêtés,
dont l'assassin qui sera condamné à mort et exécuté
en 1961 à Montluc (2). Le corps de Salah Dehil sera rapatrié
dans les années 70 au carré des martyrs à Alger (3).
Le 21 septembre 1958, le commissaire de police Mohamed Chenine, attiré
par un membre de sa famille, est enlevé dans le 15e arrondissement
de Paris, torturé et exécuté (4). Le site des Anciens
combattants de la Police ( UACPPPSI ) recense " 80 policiers "
tués en métropole de 1954 à 1962, dont " 64
" uniquement en région parisienne et 125 blessés (5).
Malgré leurs succès, la police, les RG et la DST n'arrivent
pas à démanteler les réseaux du FLN. La préfecture
de police de Paris, dirigée par Maurice Papon, décide d'installer
dans les quartiers ayant une forte population algérienne des officiers
des Services d'Assistance Technique ( SAT ). Ayant l'expérience
de l'Afrique du Nord, les officiers des SAT sont chargés de recenser,
d'aider les immigrés algériens et de recueillir du renseignement.
Ils sont épaulés par une force de police auxiliaire de Paris
composée de 200 harkis recrutés en Algérie. Vingt
de ses membres tomberont sous les balles du FLN pour protéger les
Parisiens.
En 1961 on assiste à une recrudescence des attentats contre les
forces de l'ordre qui sont visées les 27 août, 16 septembre
et 6 octobre. Pour y faire face, le 6 octobre la préfecture de
Paris impose un couvre-feu aux Algériens qui ne peuvent plus circuler
de 20 H 30 à 5 H 30. Cette mesure facilite l'arrestation des Algériens
suspects à leur domicile et paralyse le prélèvement
de l'impôt révolutionnaire. De nombreux documentaires et
ouvrages sur le 17 octobre occultent ces faits.
" Une manifestation pacifique " ?
La Fédération de France du FLN décide de réagir
en organisant une manifestation " pacifique ", le 17 octobre,
composée d'hommes, de femmes et d'enfants. Les officiers SAT ne
sont informés que tardivement par leurs informateurs de celle-ci
qui, même si elle se veut pacifique, n'est pas libre : les Algériens
sont " menacés de mort en cas de dérobade " (6).
Pour imposer son autorité, le FLN n'hésite pas depuis 1955
à utiliser l'assassinat des récalcitrants, le démembrement
et le lestage des corps dans la Seine ou les canaux parisiens pour les
faire disparaître. La manifestation du 17 octobre est donc solidement
encadrée avec un responsable par groupe et des hommes du FLN armés
sur les côtés. La manifestation non déclarée
est massive
Manifestation
du 17 octobre à Paris
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( 28.000 à 40.000 manifestants ) et converge de cinq directions
vers le centre de Paris et les lieux du pouvoir politique. La préfecture
de police n'a pas le temps de s'organiser et ne dispose que de 1.600 policiers
pour arrêter les manifestants. Divisées en 50 groupes de
25 policiers, les unités tentent d'arrêter par tous les moyens
les manifestants au niveau des ponts ( Neuilly ), des sorties de métro
(Concorde), des grands boulevards ( Boulevard Poissonnière ) et
des grandes places ( Opéra ).
Comment croire qu'une manifestation même pacifique encadrée
par une organisation ayant assassiné des policiers parisiens (
47 policiers tués, dont 15 policiers auxiliaires, de 1955 à
la fin de l'été 1961 ) puisse se dérouler normalement
? À moins qu'il ne s'agisse alors pour le FLN d'instrumentaliser
la répression policière pour mener par la suite une campagne
de presse et infléchir l'opinion publique. La répression
policière est d'autant plus féroce que les policiers déployés
au dernier moment sont en sous-effectif, ne connaissent pas le parcours
des manifestants et sont chauffés à blanc par l'assassinat
de leurs camarades les trois derniers mois.
" Nombreux Algériens " ou "
des Algériens tués ", un impossible dénombrement
?
J.-L. Einaudi (1951-2014) a été à l'origine de la
redécouverte de la manifestation du 17 octobre. Présenté
comme un historien, il a fait ses armes, dès 1968, au service d'ordre
du parti communiste marxiste-léniniste de France (PCMF), un groupuscule
maoïste qui arrivera à survivre à une dissidence pro-albanaise.
De 1971 à 1982, il devient journaliste puis rédacteur en
chef de l'Humanité rouge, il découvre la guerre d'Algérie
au contact des militants du PCMF (7). Il devient éducateur et mène
de front des travaux de recherche historique en rencontrant des anciens
respon-sables du FLN, ce qui lui permet de publier, en 1991, La bataille
de Paris - 17 octobre 1961- J.-L. Einaudi évoque dans son ouvrage
" le gazage " des Algériens arrêtés au Palais
des sports et avance le bilan de 200 morts et 455 blessés (8).
" La sanglante répression " est avant tout une guerre
des chiffres, le rapport Mandelkern et les travaux de l'historien J.-P.
Brunet (9) abaissent à 31 morts le nombre de victimes en s'appuyant
sur les cadavres retrouvés dans la Seine et reçus à
l'Institut médico-légal. Or le FLN avait tendance à
se débarrasser de ses opposants en les tuant et en les jetant dans
la Seine. Tout cadavre retrouvé ne saurait donc être attribué
à la répression policière. Quant aux blessés,
ils oscillent de 237 à 260 selon les chiffres des hôpitaux,
bien loin de l'inflation numérique mémorielle de Jean-Luc
Einaudi considéré pourtant comme " un pionnier de la
mémoire " par Le Monde.
Une étrange défaite mémorielle
A la suite de la manifestation, la police procède à des
arrestations massives des cadres et empêche les deux autres manifestations
prévues les 18 octobre et ter novembre ( date anniversaire de l'insurrection
en Algérie ) d'avoir lieu. Selon un informateur des SAT, le FLN
avait prévu de contraindre la population algérienne à
manifester. Mais échaudée par la brutale répression,
celle-ci était désormais déterminée à
vouloir lui résister. Si la Fédération du FLN n'a
pas réussi à prendre le contrôle de la rue par des
manifestations de masse, elle a réussi à gagner la bataille
médiatique et mémorielle sur l'interprétation des
manifestations. Quant aux policiers et harkis qui ont donné leur
vie pour maintenir l'ordre à Paris, arrêter les terroristes
et les auteurs du racket de l'impôt révolutionnaire du FLN,
ils sont désormais considérés - étrange inversion
des valeurs - comme ayant été dans le mauvais camp par un
président de la République. Mais quand donc " la République
reconnaîtra enfin avec lucidité ces faits " ? ( François
Hollande ).
Gregor
Mathias
(1) https://www.elysee.fr/francois-hollan-de/2012/10/17/declaration-de-m-francois-hol-lande-president-de-la-republique-en-homma-ge-aux-algeriens-tues-lors-de-la-manifesta-tion-pour-le-droit-a-lindependance-du-1
7- octobre-1961-a-paris-le-17-octobre-2012
(2) https://policehommage.blogspot.com/ search/labeU1958
(3) http://www.patrimonum.fr/montluclenquete/3 _les-algeriens-a-montluc-1957-1961/7
_ 11-condamnes-a-mort-guillotines-a-mont-luc/68_1-inhumation-au-cimetiere-de-ta-guillotiere-des-condamnes-a-mort-et-le-rapa-triement-des-corps-a-alger.
Cruel paradoxe, le 4 novembre 2020, Gérard Darmanin, ministre de
l'Intérieur, a déposé une gerbe au " Mémorial
du Martyr " et a rendu " hommage aux martyrs de la guerre d'Algérie
", où est enterré l'assassin du policier lyonnais...
https://twitter.com/GDarmanin/status/1325468434772221954
(4) h ttp s://w w w. lemo n de. fr/archiv e s/ a rd-cle/1958/10/04/1e-commissaire-chenine-a-ete-torture-dans-la-cave-de-l-hotel-gere-par-sa-c
o us ine - marie e - a- un- militant- du- f -I-n_2314287 1819218.html
(5) https://policehommage.blogspot.com/searc h/label/1958
Michel Salager, " Les policiers tués pendant la guerre d'Algérie,
un silence abyssal ", Société lyonnaise d'histoire
de la police, Lyon, novembre 2019.
(6) Gregor Mathias, La France ciblée. Terrorisme et contre-terrorisme
pendant la guerre d'Algérie, Vendémiaire, 2017, p. 139.
(7) C. Beuvain, " Parcours d'un homme en colère, J.-L. Einaudi
", blog Dissidence. https://dissidences.hypotheses.org/4535
(8) https://www.lemonde.fr/disparitions/arti-cle/2014/03/23/jean-luc-einaudi-pionnier-de-la-memoire-de-la-guerre-d-algerie-est-mort_4387989_3382.html
J-L. Einaudi, La bataille de Paris - 17 octobre 1961, Seuil, 1991.
(9) J.-P Brunet, " La police parisienne et la guerre d'Algérie
", pp. 411-420 in C.-R. Ageron, La guerre d'Algérie au miroir
des décolonisations, SFHOM, 2000.
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