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des photos de cette page est celle de la revue. Nous sommes ici en 1929
. Amélioration notable plus tard, dans les revues à venir.
" Algeria " en particulier.
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TEXTE COMPLET SOUS L'IMAGE.
La
Station expérimentale d'Aquiculture et de Pêche à
Castiglione
Deux visiteurs de la riante
commune de Castiglione devisent paisiblement sur le rivage, en admirant
la grande bleue qui n'a, ce jour, que des sourires.
- Tiens dit l'un, un château d'eau sur le bord de la mer ! serait-ce
que les habitants s'alimentent en eau salée '?
- Non ! dit l'autre, c'est très spécial. Il y a là
un organisation dont j'ignore le but et le caractère. Un jour
la curiosité me poussant, j'ai demandé des renseignements
et l'on m'a dit que c'était la station expérimentale d'aquiculture
et de pèche. Cela m'a suffit pour en déduire qu'il s'agit
d'un centre d'études, où un certain nombre de fonctionnaires
a trouvé un refuge assuré contre le bruit, l'agitation
des villes et les visites intempestives des supérieurs dont ils
dépendent sans doute, à moins qu'ils ne soient des misanthropes
libérés de toute servitude.
- Allons toujours voir, dit le premier.
- Ah ! non ! reprend le second, la mer est plus intéressante
en ce moment... et les baigneurs aussi ! ! !
Bénissons ces deux promeneurs de nous avoir laissé surprendre
cet échange d'idées, puisqu'ils nous ont orienté
sans le vouloir, vers une curiosité intéressante, au plus
haut point.
Ayant allumé notre lanterne, nous nous sommes mis à la
recherche d'un homme qui.., d'un homme que... et voilà comment
nous nous sommes trouvés tout récemment en présence
du savant qui vient de présider pendant plusieurs années
aux destinées de celle station si lointaine pour les Algérois.
Nous étions déjà heureux et flattés de cette
bonne fortune. Nous le sommes bien plus après avoir écouté
avec une attention soutenue ce que M. le docteur Gavart a bien voulu
nous dire pour nous tirer de l'ignorance coupable dans laquelle nous
pataugions :
" La station expérimentale de Castiglione est une fondation
du Gouvernement général. Située à 45 kilomètres
d'Alger, sur la plage de Castiglione, elle a été édifiée
suivant les indications du docteur Bounhiol, professeur de zoologie
générale à la Faculté des Sciences d'Alger,
qui la mit sur pied en 1921.
Cette station, la seule de l'espèce en Algérie, s'occupe
de tout ce qui a trait à la mer et à ses richesses. Elle
possède une douzaine de grands aquariums d'une capacité
de un à trois mètres cubes pour l'étude des poissons
de mer, ainsi que des bassins extérieurs pour l'étude
des poissons d'eau douce.
Toutes les questions se rattachant aux industries de la mer peuvent
y être étudiées soit par le personnel, soit par
les chercheurs scientifiques qui viennent y demander l'hospitalité.
Les travaux ainsi produits sont publiés dans un bulletin, qui
paraît régulièrement depuis 1926 ".
- Pourriez-vous nous éclairer sur la nature des travaux ainsi
vulgarisés ?
- " Au premier plan, se présentent ceux relatifs au "
Gambusia ". Ce poisson offre un intérêt particulier,
en ce sens que, fort avide de larves de moustiques, il est un agent
destructeur merveilleux de ce fiéa u. Ainsi fait-on à
la station un élevage soutenu et qui n'est atténué
que par la modicité des ressources. Des femelles prêtes
à donner des alevins sont mises gratuitement à la disposition
de tout demandeur qui a le souci de lutter contre le hideux paludisme
en assainissant les mares ou nappes d'eau avoisinantes. Le " Gambusia
" est un poisson d'eau douce, originaire de l'Amérique du
Nord, importé en Espagne, puis en Algérie. Il y en a toujours
plusieurs milliers en réserve à la Station.
Par ailleurs, je puis signaler deux études intéressantes
du docteur Boutan sur le " centhophore granuleux ", petit
squale dont la peau donne un cuir de plus en plus apprécié
dans la mégisserie et sur l'organisation scientifique du transport
de poisson en caisses frigorifiques jusqu'à Djelfa ; d'autres
encore, poursuivies par M. Roses, de la faculté des Sciences,
M. Lacoste, directeur de l'Inscription maritime, Dieuzeide, Argilas,
préparateurs à la Faculté des Sciences... Pour
ma part, j'ai étudié le phoque de la Méditerranée,
qui n'est pas précisément aimé par nos pêcheurs,
et pour cause ; enfin, j'ai examiné, dans un travail spécial,
les moyens de développer notre petite pêche côtière,
qui n'est pas ce qu'elle devrait être. "
- N'y a-t-il pas à l'heure actuelle, une question qui préoccupe
plus particulièrement les dirigeants de cette intéressante
organisation ?
- " Oui, et elle est d'importance. Il s'agit de la " Sardine
", qui est le sujet d'un problème presque angoissant.
Comment se fait-il que ce poisson si estimé est tantôt
abondant, tantôt absent des lieux de pêche. Pourquoi des
années de pléthore et d'autres de disette ?
Pourquoi y a-t-il des jours où la sardine apparaît en bancs
immenses, tandis qu'il y en a d'autres où nos pêcheurs
la cherchent en vain. Mystère ! mais mystère qu'il faut
percer à jour. C'est le but que poursuit la station depuis longtemps
et il est possible que la solution ne se découvre pas à
brève échéance. L'étude entreprise porte
sur toutes les causes possibles : courants, différences de température,
salinité des eaux, vents, tension électrique, nébulosité...
qui peuvent avoir une influence sur le vagabondage des bancs. Des expériences
sont poursuivies de jour comme de nuit... "
- Et tout ce dévouement et toute cette science ont surtout pour
témoins, le silence, si nous en jugeons par l'ignorance à
peu près universelle que nous avons constatée ?
- " Non pas ! la situation reçoit de nombreux visiteurs,
dont la foule s'accroît de plus en plus.. Certes, il y en a beaucoup
qui ne se préoccupent guère que de ce qu'ils voient. Néanmoins,
ils tirent de leur visite un profit certain, car le spectacle qui leur
est offert gratuitement, les jeudis et les dimanches, échappe
à la banalité.
Ils peuvent, en effet, voir évoluer sous leurs yeux, des spécimens
de presque toute la faune marine de nos côtes. Derrière
les glaces de nos aquariums, dans leur élément naturel,
constamment renouvelé et même aéré, se promènent
ou stationnent sargues, mulets, girelles, soles, rascasses, raies, tchalbas,
oblades, loups, dorades, balistes, bogues, murènes, serrans,
torpilles, méeots, cabots, congres, badêches, anémones
de mer...
En somme, la salle des aquariums de la station est l'équivalent
d'un jardin zoologique pour les animaux terrestres moins bien traités.
"
- Et quelle est l'utilisation de cet imposant château d'eau qui
signale si heureusement la présence de la station ?
- " Comme vous avez pu le constater, il renferme un moteur qui
actionne une pompe à double effet, refoulant l'eau de la mer
dans le bassin supérieur, d'où elle s'écoule dans
les aquariums, afin d'assurer le renouvellement continuel du contenu.
En vous signalant que la construction basse qui est à proximité,
sur la mer même, est la cale de halage pour nos embarcations,
vous aurez ainsi fait le tour de la station. "
Constatant que nous avons vraiment abusé de la parfaite amabilité
de notre savant interlocuteur, nous nous retirons, non sans lui avoir
exprimé notre très sincère gratitude et avoir obtenu
communication des deux études établies par ses soins.
Nous croirions manquer à tous nos devoirs si nous ne procédions
en profane convaincu, à une rapide analyse de ces deux éludes,
dont la première a porté sur le phoque de la Méditerranée
: il y a de tout dans cet intéressant travail, du roman, dans
la pêche des sujets d'étude, et leur acheminement sur la
station, de l'humour dans certains incidents que l'arrivée de
l'un d'eux provoque à Alger, du danger, car cet animal se défend
bien - M. le docteur Gavard, qui a été cruellement mordu
par l'un d'eux, en a fait l'expérience - beaucoup de science,
ce sur quoi il est inutile d'insister.
Mais il nous tarde d'arriver à la deuxième étude,
qui traite du développement de notre petite pêche, et là
vraiment l'intérêt général y est examiné
et servi avec une maîtrise supérieure.
Nous y apprenons d'abord les raisons pour lesquelles la petite pêche
ne donne pas en Algérie des ressources correspondant à
celles très grandes des eaux côtières unanimement
reconnues comme très poissonneuses.
M. le docteur Gavart remarque que les côtes algériennes
sont peu hospitalières aux petites embarcations, aussi bien à
cause de la rapidité déconcertante avec laquelle la mer
devient dangereuse pour elles, que par suite de l'absence presque totale
des petites plages offrant les possibilités de halage, susceptibles
de les mettre rapidement à l'abri de la mer en furie.
Dès lors, nos petits pêcheurs sont tenus de ne pas trop
s'éloigner des ports, en sorte que leur rayon d'action est très
réduit. Bien mieux, il est de nombreuses régions côtières
qui ne sont même pas alimentées en poisson, alors que leurs
eaux en foisonnent.
L'auteur ne se contente pas d'ailleurs de signaler le mal : il sait
aussi indiquer le remède, qui consisterait simplement à
construire en des points bien choisis, tous les 15 kilomètres
environ, de petits blocs de ciment, d'une largeur au plus égale
à huit mètres et qui constituerait pour les petites embarcations
des cales de halage de fortune, à utiliser quand le gros temps
les surprendrait en mer.
Cette étude s'illustre d'ailleurs d'un exemple :
"
Port-Gueydon, petit village côtier de 300 habitants,
n'a pas assez de poisson pour sa consommation, alors que le plateau
sous-marin tout proche est, par contre, d'une richesse remarquable.
Toute la faune de la Méditerranée y est abondamment représentée
: seuls les pêcheurs y font défaut ou presque, puisqu'une
seule famille de pêcheurs y est installée et de Sidi-Khaleb
(Est de Tighzirt) au cap Sigli (Ouest de Bougie), soixante kilomètres
de côtes d'une remarquable richesse ichtyologique restent absolument
inexploités. "
Que nous sommes loin des aquariums de Castiglione, dira-t-on. Nous le
reconnaissons et y revenons sans confusion. Si la station en question
offre indiscutablement un réel intérêt à
la curiosité fugitive du passant, cherchant à " tuer
le temps ", il nous a paru opportun de faire remarquer qu'elle
réserve, en outre, des satisfactions plus hautes : dans ce coin
isolé, qui a toutes les faveurs de la mer et du vent, il est
des hommes de science qui travaillent dans le silence pour se rendre
utiles à l'humanité.
S'intéresser à leurs travaux est déjà une
grande satisfaction : leur rendre hommage en est une autre.
C'est peut-être là une des joies les plus pures de la vie.