La forteresse de la Kasba
1592-1830
De tous les vieux monuments
militaires de l'ancien Alger, il n'y en a peut-être pas un de
plus intéressant que la forteresse de la Casba, ce type de l'art
militaire au XVIème siècle.
Avant la construction de cette citadelle en l'année 1591-1592,
il existait déjà une citadelle antique qui remontait à
l'origine de la création de la cité gréco-romaine,
puisque le nom antique de la ville d'Alger vient du grec Icos, qui veut
dire vingt et qui se rapporte bien à la vieille tradition du
IVème siècle après J.-C. qui voulait que cette
ville ait été fondée par vingt colons grecs. Cette
tradition est relatée du reste par Caïus Julius Solinus
qui vivait en l'an 320 de notre ère...
L'on sait que lorsque les Grecs fondaient des colonies, après
la cérémonie de la consécration du feu sacré,
ils procédaient aussitôt à la construction d'une
citadelle afin d'assurer la défense de la cité naissante,
cette construction était faite sur un plateau élevé,
ainsi qu'il en existait un dans le voisinage de la Mosquée Sidi-Ramdan,
laquelle de temps immémorial fut désignée sous
le nom de Djama-el-Kasbah-el-Kedima (Mosquée de la vieille Kasba...).
Cette vieille Kasba remonte-t-elle à une époque si lointaine
? L'histoire est muette sur ce point ; ce qui est certain, c'est qu'en
l'année 1915, l'on découvrit au pied du bastion construit
en 1572-1573, par un corsaire du nom de Yaya Arraez, les fondations
d'une tour antique de forme demi-ronde comme on les construisait à
l'époque gréco-romaine, et que dans cette partie de quartier
d'après des titres de propriété arabe l'on trouva
signalée l'expression singulière des Tombeaux des Enfants
du roi. Ce qui confirmerait à nouveau cette expression, c'est
la même formule de " Sepolcro del Figliolo di Sarifo ",
portée sur deux plans anciens, l'un remontant à l'année
1572-73 et l'autre à l'année 1610, soit "Tombeau
des Enfants de Sarifo" ? Il nous a été impossible
de trouver la signification de ce dernier nom. Qu'était ce Sarifo
?
Plus tard, les Turcs construisirent sous le règne de Mohammed
et de Kheudeur, fils de ce dernier la Kasba actuelle, ainsi qu'il en
résulte de l'inscription qui surmonte la porte à la chaîne,
indiquant que cette Kasba fut terminée en l'année 1591-1592.
Un historien de l'époque, le Bénédictin Haedo,
qui fut esclave à Alger, nous dit qu'entre les deux murs se trouvaient
quelques maisons habitées par des anciens janissaires qui avaient
la garde de l'Arsenal.
En étudiant bien les anciens plans, nous voyons qu'il y avait
aussi un endroit où se tenaient les esclaves chrétiens
en attendant que l'on distribue le travail : " Loco dove s'allogliano
Christiani per andar a lavorare".
C'est donc entre 1550 et 1592 que fut édifiée la Kasba
actuelle, à laquelle fut faite de nombreuses modifications au
cours des âge.
Nous ne pouvons faire une étude détaillée de cette
forteresse, nous signalerons simplement quelques faits principaux.
Le Divan tenait ses séances dans cette Kasba le samedi de chaque
semaine, et le dimanche, le lundi et le mardi, les séances se
tenaient au Palais de la Djenina, les indigènes qui voulaient
obtenir justice du Dey venaient secouer la chaîne de la porte
en criant ou plutôt en hurlant " Chera Allah " (la loi
de Dieu). Au-dessus de cette porte, il y avait un magnifique auvent
sculpté qui protégeait de la chaleur les gardes du pacha,
au-dessus de cette porte se voyait un encorbellement tapissé
de carreaux de faïence blancs et jaunes et blancs et verts soutenu
par sept rondins, et percé de deux fenêtres grillagées,
une au Sud et une à l'Est, et de six lucarnes, cinq au Sud et
une à l'Est. C'est dans cette partie qu'était dressé
le mât de pavillon de la citadelle, terminé par une boule
creuse en cuivre élevée de 148 m. 20 au-dessus de la mer.
Le drapeau que l'on arborait était, les grands jours de fête,
de forte dimension, vert brodé d'or.
Il y eut, dans cette Kasba, bien des scènes de carnage très
sanglantes, l'incendie en détruisit plusieurs parties, les Koulouglis
firent sauter la poudrière et la plupart des conjurés
furent ensevelis sous les ruines en l'année 1629 sous Hussein
Khodja.
L'avant-dernier dey d'Alger quitta le Palais de la Djenina pour habiter
la Kasba, en emportant le trésor de la Régence. Ce fut
au rez-de-chaussée, dans la cour du palais de la Kasba que le
dernier Dey Hussein frappa le Consul français Delval d'un coup
d'éventail, ce qui nous valut la prise d'Alger en 1830.
Il y a des spécimens curieux d'Art musulman dans ce palais, malgré
les restaurations malheureuses qui ont été faites à
différentes époques. L'on remarque notamment la porte
d'entrée à pointes de diamant, connu sous le nom de porte
à la chaîne, une autre porte en entrant qui se trouve à
gauche décorée de marbres de couleurs, puis la tour octogonale
décorée de faïences en damier, en face l'on remarque
une porte datant de l'époque romaine, qui est très bien
conservée, les serrures anciennes méritent un moment d'attention,
puis en passant dans un couloir à angle droit, l'on arrive dans
la cour du palais, c'est dans cette cour que se trouvait la fontaine
appelée fontaine Garoué, actuellement au Cercle Militaire.
C'est sur le bord de cette merveilleuse fontaine munie d'un jet d'eau
que fut sciée la tête de l'interprète Garoué,
en 1830, par ordre du Dey Hussein, cette fontaine était à
main gauche au fond de la cour en entrant.
C'est en face, sous la galerie que siégeait le Divan et c'est
à cet endroit que fut donné le coup d'éventail.
Sous la galerie du fond de la cour se trouvaient les caveaux où
était renfermé le fameux trésor d'Alger qui, au
moment de la prise de la ville, se montait à la somme de 48 millions
684 mille francs. Au premier étage, au-dessus du trésor,
logeait le Harem qui occupait tout un quartier et trois cours. Les appartements
du Dey étaient à côté et donnaient sur la
galerie. Dans le harem étaient les bains qui s'ouvraient sur
une cour. Il y avait aussi une mosquée qui fut appelée
la Salle du Trône où est actuellement une exposition rétrospective
du Vieil Alger.
Il y avait aussi le quartier des nourrices gardé par des eunuques.
Il faudrait tout un volume pour décrire un peu en détail
ce qui reste de cette citadelle qui est un des types le mieux conservé
de l'architecture militaire du XVIème siècle.
Henri Murât,
ingénieur.