-Alger, la casbah :
Le cimetière des Princesses.
L'Afrique du Nord illustrée 28-2-1931- Transmis par Francis Rambert

Le cimetière des Princesses.

Lorsqu'on se laisse tenter par l'attrait indéfinissable de ces petites rues tortueuses et sombres qui montent à l'assaut de la Casbah, on est toujours récompensé des quelques efforts que cela demande par la satisfaction intime de retrouver à peu près intact le vieux quartier indigène de l'Alger barbaresque.

De la place Randon, prenons pour aujourd'hui, la rue Sidi-Abdala. De gauche et de droite ce ne sont que bouchers indigènes, placidement accroupis derrière leurs éventaires où pendent, en banderoles frangées, des ventres de ruminants, des gigots de moutons et des larmes de suif. Un grouillement perpétuel anime cette voûte sombre dans laquelle, par moments, se détache un lambeau d'azur. Puis, nous ne pouvons nous empêcher de contempler la Zaouïa de Sidi-Abdala, dont le minaret finement dentelé se dresse vers le ciel ; il est d'ailleurs encastré dans les bâtisses environnantes et nous nous promettons, un jour prochain, de venir lui rendre une plus longue visite. Quittant la " rue des bouchers ", continuons notre glissante escalade par la rue N'fissa. Plus large, plus aérée que la précédente et moins passagère aussi, il est plus aisé d'y contempler de merveilleuses portes cintrées, vermoulues et cloutées. Sur la gauche, les yeux sont attirés par un perron étroit, une porte basse et sombre au-dessus de laquelle brille l'émail vert d'une plaque apposée par les soins du " Comité du Vieil Alger ". Gravissons ces quelques marches et pénétrons sous la voûte. Dans un trou de lumière, nous apparaissent alors des tombes musulmanes, rangées côte à côte, allongées sous les troncs torturés de figuiers plusieurs fois centenaires et sur les branches desquels de gros matous galeux fuient à notre approche : c'est là le " cimetière des Princesses " et le marabout du vénérable Sidi ben Ali.

Cet espace ensoleillé, où l'on ne découvre qu'une dizaine de tombes aux pierres blanches, est entouré de terrasses basses sur lesquelles de gentilles fillettes musulmanes montrent leurs frimousses curieuses. Des palmiers, à droite, et les figuiers marabouts donnent à ce lieu l'aspect d'un jardin intime bien plus que d'un cimetière qui, après le grouillement intense des rues que l'on vient de parcourir, repose par son calme ; après les sombres boyaux, cette tâche de lumière délicieusement bleutée est plaisante à voir. Dans l'angle gauche, sous une énorme branche que les siècles ont tordue d'étrange façon, une plaque de marbre blanc couverte d'arabesques se dresse, contrastant avec les simples pierres fichées en terre à la tète des tombes environnantes. Un entourage, lui aussi de marbre blanc, délimite la sépulture ; au sommet d'une stèle est taillé un turban et, aux pieds, une autre plaque sur laquelle est finement sculptée une gerbe de fleurs. Cette tombe, si richement parée, est évidemment celle d'une famille turque.

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mai 2021

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Marabout Sidi Ben Ali
Marabout Sidi Ben Ali
rues sidi Abdallah, N'Fissa, Randon ( Marengo)
Cimetière des princesses.
Cimetière des princesses.

Le cimetière des Princesses.

Le cimetière des Princesses.

Lorsqu'on se laisse tenter par l'attrait indéfinissable de ces petites rues tortueuses et sombres qui montent à l'assaut de la Casbah, on est toujours récompensé des quelques efforts que cela demande par la satisfaction intime de retrouver à peu près intact le vieux quartier indigène de l'Alger barbaresque.

De la place Randon, prenons pour aujourd'hui, la rue Sidi-Abdala. De gauche et de droite ce ne sont que bouchers indigènes, placidement accroupis derrière leurs éventaires où pendent, en banderoles frangées, des ventres de ruminants, des gigots de moutons et des larmes de suif. Un grouillement perpétuel anime cette voûte sombre dans laquelle, par moments, se détache un lambeau d'azur. Puis, nous ne pouvons nous empêcher de contempler la Zaouïa de Sidi-Abdala, dont le minaret finement dentelé se dresse vers le ciel ; il est d'ailleurs encastré dans les bâtisses environnantes et nous nous promettons, un jour prochain, de venir lui rendre une plus longue visite. Quittant la " rue des bouchers ", continuons notre glissante escalade par la rue N'fissa. Plus large, plus aérée que la précédente et moins passagère aussi, il est plus aisé d'y contempler de merveilleuses portes cintrées, vermoulues et cloutées. Sur la gauche, les yeux sont attirés par un perron étroit, une porte basse et sombre au-dessus de laquelle brille l'émail vert d'une plaque apposée par les soins du " Comité du Vieil Alger ". Gravissons ces quelques marches et pénétrons sous la voûte. Dans un trou de lumière, nous apparaissent alors des tombes musulmanes, rangées côte à côte, allongées sous les troncs torturés de figuiers plusieurs fois centenaires et sur les branches desquels de gros matous galeux fuient à notre approche : c'est là le " cimetière des Princesses " et le marabout du vénérable Sidi ben Ali.

Cet espace ensoleillé, où l'on ne découvre qu'une dizaine de tombes aux pierres blanches, est entouré de terrasses basses sur lesquelles de gentilles fillettes musulmanes montrent leurs frimousses curieuses. Des palmiers, à droite, et les figuiers marabouts donnent à ce lieu l'aspect d'un jardin intime bien plus que d'un cimetière qui, après le grouillement intense des rues que l'on vient de parcourir, repose par son calme ; après les sombres boyaux, cette tâche de lumière délicieusement bleutée est plaisante à voir. Dans l'angle gauche, sous une énorme branche que les siècles ont tordue d'étrange façon, une plaque de marbre blanc couverte d'arabesques se dresse, contrastant avec les simples pierres fichées en terre à la tète des tombes environnantes. Un entourage, lui aussi de marbre blanc, délimite la sépulture ; au sommet d'une stèle est taillé un turban et, aux pieds, une autre plaque sur laquelle est finement sculptée une gerbe de fleurs. Cette tombe, si richement parée, est évidemment celle d'une famille turque.

C'est là, en effet, que se place l'épilogue de la délicieuse et combien triste histoire d'amour que nous voulons vous dire. Sous la domination d'Hassane Pacha, Alger connut des jours de prospérité et de bonheur. Au chaud soleil, éclatait la joie de vivre. Au passage des cavaliers superbement drapés, des rires étouffés fusaient au travers des aïdjar finement brodés et s'élevait, doux et mélodieux, le gentil et amoureux gazouillis des femmes. Les deux filles du Pacha, Fathma la brune et N'Fissa la blonde, étaient, sans contredit, les deux plus belles princesses de la Régence. Le doux soleil, les effluves embaumées que les jardins fleuris leur envoyaient jusqu'en leur riche retraite, n'étaient point sans agir perfidement sur leurs jeunes cœurs, et, chaque soir, derrière les grilles du harem, elles regardaient avidement le défilé majestueux des raïs venant saluer leur père tout puissant. Or, il advint qu'un doux émoi les fit tressaillir à la vue de l'un d'eux, le plus beau de tous, portant sur sa mâle figure le sceau d'une race pure et valeureuse. L'amour perfide se glissa en leurs cœurs de quinze ans et, chaque jour, avec une impatience fébrile, elles attendaient anxieusement le passage du beau cavalier. Les jours passaient dans l'attente de ce délicieux instant et les conversations entre les deux soeurs roulaient invariablement sur les mérites de leur idole. Loin d'être jalouses l'une de l'autre, elles se plaisaient à croire qu'un jour, heureux entre tous, elles deviendraient, toutes deux, les épouses du raïs. Et les rires éclataient frais et jeunes, les chants s'envolaient sous les arcades dorées du palais, tandis que les yeux noirs et les yeux bleus reflétaient innocemment la joie d'aimer.

Non loin du palais, vivait sous de vieux et vénérables figuiers, un non moins vieux et vénérable marabout : Sidi ben Ali. Ce vieillard était le confident des deux belles princesses en même temps qu'il était leur précepteur religieux. Un jour, leur secret devenant trop lourd à leur pauvre cœur, et tant il est vrai qu'un bonheur n'est grand qu'autant qu'on peut le faire connaître, elles se confièrent à leur vieil ami. " Malheureuses ! " leur dit alors le vieillard vénérable, " ignorez-vous à ce point la loi du Prophète pour songer, vous, deux sœurs, à épouser le même prince ? Mais cela ne se peut pas ! " Consternées à cette révélation inattendue de la loi divine, Fathma la brune et N'Fissa la blonde fondirent en pleurs. Elles retournèrent à leur palais et, ce soir-là, on n'entendit pas, comme à l'ordinaire, les voix fraîches et claires des deux sœurs, traduisant en notes charmantes et douces la chanson de leur cœur. Ne voulant cependant pas abandonner leur rêve merveilleux, elles revinrent souvent encore voir le brave marabout. Elles allèrent jusqu'à l'implorer d'intercéder en leur faveur auprès de leur père, le terrible Hassane Pacha, pour qu'il leur permit d'épouser le beau raïs. Bien que la profonde douleur des petites princesses serrât le cœur du vieillard, celui-ci demeurai inflexible. Chaque jour, les beaux yeux pleuraient, pleuraient..., et chaque soir, voyant passer l'objet de leurs amours irréalisables, elles sentaient au cœur une déchirure plus douloureuse et plus profonde. Elles s'aimaient trop pour vouloir que l'une d'elles se sacrifie à l'autre et bientôt le terrible, l'inexorable mal d'amour les conduisit au tombeau.

Et Sidi ben Ali, qui fut seul à connaître leur secret, demanda à ce que leurs corps fussent ensevelis sous les figuiers qui les avaient vues si gaies lorsque l'amour chantait en leurs cœurs.

Des siècles ont passé; les arbres recouvrent de leurs branches torturées le marbre blanc qu'ils semblent vouloir protéger de leurs vieux bras enchevêtrés. Le soleil se joue, indifférent, au travers de la ramure.

Derrière la sépulture des petites princesses, dans un angle du cimetière, se trouve le tombeau de Sidi ben Ali. Ce marabout est encore aujourd'hui vénéré et nombreuses sont les femmes musulmanes qui viennent y faire de pieux pèlerinages. Lorsque nous entrons dans la crique enluminée, nous sommes frappés tout d'abord par la multitude de brins d'étoffe qui sont partout appendus aux murs et au cénotaphe. Ce sont là des ex-voto apportés par les croyantes qui viennent demander à la bonté infinie du saint homme de leur accorder la grâce d'être mère. Lorsqu'elles ont terminé leurs ferventes prières, les femmes ne manquent point de venir au pied du figuier marabout. Malgré son très grand âge, cet arbre magnifique est d'une vigueur exceptionnelle. Aussi de très nombreuses pousses, jeunes et vivaces, encerclent-elles son pied. Ce sont ces bourgeons qui, pieusement recueillis et emportés par les croyantes, leur apporteront, sans conteste, la joie et le bonheur de mettre au monde.

Ce n'est qu'à regret, que nous quittons ce lieu de repos éternel, gardant au fond du cœur la douce image des deux pauvres petites princesses mortes d'amour.