-Alger, la casbah :
1.-Maison mauresque
L'Afrique du Nord illustrée10-1-1931 - Transmis par Francis Rambert

Maison mauresque.

Place d'Estrées, sur l'emplacement de l'ancien et si pittoresque marché aux puces - dans ce quartier où s'éteignent malheureusement les derniers vestiges d'un orientalisme à la fois décevant et singulièrement attachant - s'élève depuis quelque temps une petite maison dont le style mauresque ne laisse pas d'attirer l'attention du passant. Ce n'est, comme l'on serait tenté de le croire, ni la demeure d'un riche commerçant retiré des affaires, ni celle d'un peintre, ni le lieu de retraite d'un Louis Bertrand ou d'un Delacroix. Il suffit pour s'en rendre compte d'interroger ce pauvre et fataliste loqueteux qui s'est installé tout près de l'édifice et qui rêve là des heures entières, inconfortablement assis sur une pierre branlante, avec l'espoir peut-être qu'il réitérera un jour l'exploit merveilleux d'Ali-Baba. Dans son jargon, riche d'expressions inattendues et de délicieuses onomatopées, le brave homme vous apprendra bientôt, les origines officielles de cette construction. Il n'en faut pas davantage pour satisfaire la curiosité légendaire d'un journaliste et le mettre sur la bonne voie dans la petite enquête qu'il se propose d'entreprendre pour ses lecteurs.

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avril 2021

2.- Maison mauresque ( même maison à 4 ans d'écart.)
L'Afrique du Nord illustrée 6-7-1935 - Transmis par Francis Rambert

La maison arabe du Centenaire

En 1930 on prévoyait à Alger que les Fêtes du Centenaire attireraient dans notre ville des foules immenses, avides de contempler les beautés de nos paysages et le pittoresque de nos cités. On n'ignorait pas que le snobisme du public, provoqué et entretenu par les lieux-communs de la littérature du XIX° siècle s'attachait en particulier au clinquant de l'orientalisme, aux jeux de lumière du souk, aux séductions du foulard et d'un ventre bien entripaillé, agités à la cadence d'une musique maure composée d'exécutants amplement culottés et fortement moustachus. Pour contenter nos visiteurs et les détourner d'importuner les paisibles familles musulmanes de la Casbah, l'autorité supérieure résolut de construire à leur usage, au plus haut du quartier indigène une maison exemplaire établie selon les traditions de l'art mauresque le plus pur ; là le touriste se gorgerait à souhait de couleur locale et vivrait à l'aise quelques minutes dans ce qu'il appelait un intérieur arabe.
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juin 2021

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Maison mauresque
Maison mauresque

Place d'Estées
Place d'Estées


Maison mauresque

Maison mauresque.

Place d'Estrées, sur l'emplacement de l'ancien et si pittoresque marché aux puces - dans ce quartier où s'éteignent malheureusement les derniers vestiges d'un orientalisme à la fois décevant et singulièrement attachant - s'élève depuis quelque temps une petite maison dont le style mauresque ne laisse pas d'attirer l'attention du passant. Ce n'est, comme l'on serait tenté de le croire, ni la demeure d'un riche commerçant retiré des affaires, ni celle d'un peintre, ni le lieu de retraite d'un Louis Bertrand ou d'un Delacroix. Il suffit pour s'en rendre compte d'interroger ce pauvre et fataliste loqueteux qui s'est installé tout près de l'édifice et qui rêve là des heures entières, inconfortablement assis sur une pierre branlante, avec l'espoir peut-être qu'il réitérera un jour l'exploit merveilleux d'Ali-Baba. Dans son jargon, riche d'expressions inattendues et de délicieuses onomatopées, le brave homme vous apprendra bientôt, les origines officielles de cette construction. Il n'en faut pas davantage pour satisfaire la curiosité légendaire d'un journaliste et le mettre sur la bonne voie dans la petite enquête qu'il se propose d'entreprendre pour ses lecteurs.

Elle abritera un petit musée d'art oriental et sera ouverte aux visiteurs étrangers.

La Maison Indigène de la Casbah a été construite sur la demande du Conseil Supérieur du Centenaire avec l'aide financière de la ville d'Alger, d'après les plans et sous l'habile direction de M. Claro, architecte.

C'est donc auprès de M. Claro que nous sommes allé recueillir notre documentation. Avec cette affabilité qui le caractérise, l'éminent technicien nous proposa immédiatement une visite qui fut, en même temps qu'un enchantement des yeux, une précieuse leçon d'art. M. Claro n'est pas seulement un cicérone charmant, c'est aussi un styliste averti, un observateur remarquable qu'anime un esprit d'une parfaite lucidité.

- " Voici l'œuvre, nous dit-il, lorsque notre voiture nous eut déposés place d'Estrées. Voyez-vous, c'est la reconstitution d'une maison-type de la Casbah d'Alger, avec toutes ses imperfections et ses erreurs d'une maison bâtie par le propriétaire lui-même, naïvement, sans symétrie. J'ai fait l'impossible pour lui donner un aspect d'ancienneté, employant, chaque fois que les exigences de la technique ne s'y opposaient pas, des matériaux provenant de vieilles maisons démolies. "

Et la réussite est étonnante. On a absolument l'impression, en le contemplant, que le bâtiment date de nombreuses années.
- " Pour ajouter à l'illusion, poursuivit M. Claro, j'ai ordonné à mes maçons de crépir les murs en se servant uniquement de semelles d'espadrilles. Quant à l'usage du fil à plomb, je l'ai formellement interdit.

Je vous ferai remarquer qu'il n'y a aucune fenêtre en façade, excepté celles du logement du gardien. C'est qu'il n'y en a jamais eu dans les maisons citadines, leur usage était réservé aux villas, aux maisons de campagne. Les fenêtres qu'on aperçoit dans la Casbah ont été faites après coup.

Les encorbellements, soutenus par des rondins en thuya, ajoutent encore au charme des façades où l'on aperçoit, d'autre part des trous bleus. On ne connaît pas exactement l'origine de cette mode du bleu dans la décoration indigène ; répond-elle aux lois de l'hygiène telles que les concevaient les Maures ou tout simplement à une superstition ancestrale ?

Ici, cette porte est assez typique. C'est bien plutôt un porche qu'une porte et le larmier est logiquement inutile, mais, que voulez-vous, les Arabes sont loin d'être des puristes ! Elle donnera accès sur le jardin des femmes. Je voudrais pouvoir édifier tout autour de ma maison des boutiques qui seraient louées à des petits commerçants et artisans indigènes. Cela créerait une atmosphère des plus curieuses et bien dans la note et permettrait, d'autre part, au touriste d'acquérir quelques souvenirs du pays. En somme, le détail de l'architecture est cocasse. Cet amalgame de poutres centenaires, de briques grossières, de cuivres patines et de vieux fers est d'un effet plutôt inattendu. "

L'intérieur n'est pas moins séduisant. En entrant nous trouvons d'abord un vestibule ; une sorte de couloir en coude, selon le principe arabe, pour éviter de la part du visiteur toute indiscrétion possible. Puis voici la squifa ou salle d'attente, avec son puits de lumière qui est une réminiscence du fameux atrium des Romains, et la cour intérieure, où l'on accède par un passage voûté. Sur cette cour, de forme sensiblement carrée, ornée de six colonnes de pierre supportant des arcs en fer à cheval brisés, s'ouvrent les portes des chambres dont les murs sont percés de niches fermées par des volets en bois.
- " Ces pièces, nous fit remarquer notre interlocuteur, sont éclairées par des claustras, plâtres ajourés derrière lesquels on a enchâssé des verres de couleurs rappelant tant soit peu les vitraux du Moyen-Age. "
L'escalier qui mène au premier étage est curieux en ce sens qu'il est dominé par des petites voûtes qui accompagnent le mouvement des marches. Il aboutit à une galerie et aux chambres des femmes. Dans chaque chambre on a aménagé un renfoncement : c'est -là que, le soir venu, les nattes de couchage sont installées.

- " Je vous signale tout particulièrement ce conduit de fumée où, dans le temps, on déposait une veilleuse. On ne rencontre ces cheminées que dans les grandes chambres, celles des favorites sans doute. "

Par un autre escalier, on arrive à la terrasse, conçue toujours selon la tradition arabe, avec le coin réservé à la cuisine et les petits abris destinés à soustraire la ménagère aux regards étrangers.

Nous aurions voulu vous dépeindre la Maison Indigène de M. Claro dans tous ses moindres détails, mais, réflexion faite, nous nous contenterons de ce modeste aperçu, persuadé que vous aurez à cœur d'aller juger sur place un effort dont le moins qu'on puisse dire est qu'il est absolument magnifique.
Alors, comme nous, vous serez séduits par la brutalité des conceptions et des styles, par cette architecture excentrique, âpre, irrégulière, mais admirable dans son étonnante hardiesse, et vous ne resterez pas indifférents devant cette vibrante symphonie des tons, ces bleus et ces blancs qui donnent à toute chose un relief insoupçonné, et ces merveilleuses et innombrables faïences venues de tous les coins du monde, dont l'extraordinaire diversité constitue à elle seule bien plus qu'une curiosité unique, une véritable anthologie.

Avant de nous quitter, M. Claro nous confia toute l'admiration qu'il avait pour les Arabes :
- " Tout chez eux n'est que rêverie, rythme, poésie. Ce sont des artistes, de grands artistes. "

Mais ils l'ignorent. Voilà leur force.




La maison arabe du Centenaire

En 1930 on prévoyait à Alger que les Fêtes du Centenaire attireraient dans notre ville des foules immenses, avides de contempler les beautés de nos paysages et le pittoresque de nos cités. On n'ignorait pas que le snobisme du public, provoqué et entretenu par les lieux-communs de la littérature du XIX° siècle s'attachait en particulier au clinquant de l'orientalisme, aux jeux de lumière du souk, aux séductions du foulard et d'un ventre bien entripaillé, agités à la cadence d'une musique maure composée d'exécutants amplement culottés et fortement moustachus. Pour contenter nos visiteurs et les détourner d'importuner les paisibles familles musulmanes de la Casbah, l'autorité supérieure résolut de construire à leur usage, au plus haut du quartier indigène une maison exemplaire établie selon les traditions de l'art mauresque le plus pur ; là le touriste se gorgerait à souhait de couleur locale et vivrait à l'aise quelques minutes dans ce qu'il appelait un intérieur arabe.

Le site où devait s'élever la maison fut judicieusement choisi à l'angle de la rue de la Casbah et du boulevard de la Victoire, à deux pas de la trouée pratiquée il y a bien longtemps par les militaires dans les remparts turcs. Elle donne sur une place irrégulière qui porte le nom glorieux de d'Estrée sur les plans officiels et celui, plus familier, de la Bombe, dons le quartier. Ce lieu poudreux est bordé, sur le plus grand côté, par un dispensaire où fréquentent surtout, je pense, les dames futiles du quartier réservé ; un poste de police d'apparence assez délabrée empiète d'autre part sur la place. Les dernières cassines de la rue de la Casbah sont bâties à l'européenne ; de petits commerces y prospèrent sans doute ; mais le centre important des affaires est constitué par un vaste café maure ; de l'aurore à une heure tardive de la nuit il regorge de flâneurs, qui hument des tasses de café ou de petits verres de thé à la menthe, poussent les dominos sur la table, frappent les pions sur le damier, battent les brèmes espagnoles les plus crasseuses que j'aperçus de ma vie. On parle ici tous les patois arabes ou berbères de l'Algérie et le tapage ne s'interrompt point ; on conte, on chante, on mange, on fume, on se querelle ; un phonographe ne cesse de dévider des chants nasillards égyptiens, syriens ou tunisiens ; manœuvres, dockers, émigrants du bled, semmachs, boutiquiers, marchands ambulants, burnous propres et guenilles se donnent rendez-vous à cet endroit de plaisir ; ils sont entre eux et se divertissent de tout leur cœur. J'espère que le patron, qui opère avec gravité devant un immense fourneau à petits escaliers vêtus de faïences colorées, gagne une honnête aisance à tenir en joie sa clientèle.

L'architecte à qui incomba la charge d'édifier la maison, M. Léon Claro fut exact jusqu'au scrupule dans l'ensemble et les détails de la construction, à qui une armature de ciment armé, bien dissimulée, donne la solidité nécessaire et qui se rencontre assez rarement dans la demeure mauresque. Il l'entoura, pour en dégager à souhait tous les aspects, d'un jardin à la mode arabe. Certes le mur de clôture de ce jardin est trop bas et percé de baies à large grillage qui sont contraires à la tradition de l'architecture musulmane, parce que de l'extérieur on ne doit rien voir de ce qui se passe dans l'habitation où circulent les femmes ; les notables musulmans qui ont examiné la maison ont critiqué ce seul point. Je me range à leur avis ; les murs sont à exhausser et les baies à aveugler. Je reconnais d'ailleurs que ce jardin, où fleurissent géraniums, cannas, lauriers-roses, reines-marguerites, immortelles, etc., où prospèrent cyprès, figuiers de Barbarie, aloès, est charmant ; dallé de déchets de marbre dont l'irrégularité est agréable à l'œil, il est orné d'un grand bassin, faïence sur le pourtour, encadré d'une étoile noire à six branches ; un jet d'eau tintinnabule, qui amuse les voyageurs assis sur de commodes bancs de céramique et qui admirent les façades dont tous les encorbellements sont supportés par des rondins de thuya que le grand air ne tardera pas à patiner de marron sombre. Rien de plus harmonieux, sur les murailles, que le jeu des thuyas et des briques ; quelques lucarnes font aussi jeu d'ombres. Ces ensembles ont été très étudiés par l'artiste.

Je pénètre dans la maison par une entrée qu'abrite un encorbellement assuré par des rondins. Dès que l'on est à l'intérieur on est frappé par le soin qu'apporta l'architecte à ménager les plus heureux effets de lumière, tous dans la tonalité bleue ; les murs, tendus de faïence jusqu'à hauteur d'homme, furent au-dessus badigeonnés de bleu dilué ; ceci crée une atmosphère douce, cordiale, voluptueuse, qui varie avec chaque escalier, chaque couloir, chaque salle du logis. Nous traversons les vestibules ou skifas et arrivons dans le patio où susurre un jet d'eau ; le dallage de marbre, qui provient d'une vieille maison de Saint-Eugène démolie par le Génie, et l'eau du bassin, sont légèrement imprégnés d'azur par la couleur dominante.

Les pièces sont étroites et très longues ; cette étroitesse a pour raison la portée restreinte des solives de thuya qui soutiennent les plafonds.

Les colonnes torses du patio, dont le chapiteau supporte la charpente de la galerie supérieure, sont dissemblables ; elles ont été acquises des propriétaires de maisons de la Casbah, démolies pour être rebâties à l'européenne. Au rez-de-chaussée, elles sont à section cylindrique ; ou premier étage, elles sont à section polygonale jusqu'à la hauteur de la balustrade, de façon à assurer la butée des panneaux de balustrade. La protection des quatre faces du cloître est, dans le haut, assurée par plusieurs rangs de tuiles vertes vernissées dont la saillie est soulagée par un étagement de moulures.

La balustrade à losange et rosaces qui clôture les galeries du premier étage, la menuiserie des portes et des placards ont été exécutées par l'ébéniste indigène M. Marsali, bien connu à Alger, et copiées sur les modèles de l'Archevêché. Les ferrures sont du type ancien.

De grandes portes indépendantes du mur, des fenêtres barraudées assurent l'éclairage des salles. Des motifs de faïence colorée, qui ont pour motif un vase de fleurs et qui sont sans doute originaires d'ateliers italiens ornent les surfaces planes du patio.
L'étage nous présente en vis à vis un salon ouvert sur la cour et lo chambre de la favorite. L'un et l'autre présentent une niche centrale, et des niches typiques qui se trahissent par des encorbellements à l'extérieur. De petits placards surmontés d'étagères en anse rompent la monotonie des murs.

Ceux-ci, dans leur partie supérieure, sont éclairés par des claustra que décorent des motifs géométriques ou stylisant des arbustes, en plâtre ajouré, où l'on a enchâssé des verres de couleur.

La chambre de la favorite est agrémentée d'alcôves encadrées de colonnes surmontées d'un arc mauresque brisé et outrepassé. Une lucarne est surmontée d'un conduit de fumée qui évacuera, la nuit, la fumée de la veilleuse. Le carrelage est à motif en étoile (nedjma).

Les faïences qui tapissent les parois représentent des œillets qui, groupés par quatre, forment des pilastres décoratifs entre les arcs ; ils sont probablement d'origine espagnole.

Voici, plus loin, dans la galerie, un revêtement appelé en arabe Khadem ou lailaha, la négresse et sa maîtresse, nom donné par les arabes aux carreaux à motif blanc et noir est disposé en ligne brisée sur un axe horizontal.

Nous gagnons la terrasse, d'où l'on découvre le paysage classique d'Alger, le panorama des terrasses dégringolant vers le port, la baie, les dunes basses du Cap Matifou.

Bientôt nous dégustons, revenus à la chambre de la favorite, accroupis autour d'une naïda décorée de fleurs barbares, un café à la fleur d'oranger. Le phonographe nasille toujours chez le kahouadji proche, des airs d'un orientalisme gueulard. Sur la place de la Bombe quantité d'enfants coiffés les uns d'un chapeau, les autres d'une chéchia, se livrent au jeu des noyaux et échangent à cris aigus des épithètes truculentes, dans un patois franco-arabe qui dit bien ce qu'il veut dire.