CHAPITRE
PREMIER
LE DÉCOR DE LA
VIE
1.Maisons et Jardins
-------Le
voyageur qui débarque en Afrique du Nord est dès ses premiers
pas séduit par le charme de la maison arabe . Fromentin; qui passa
une année en Algérie, d'octobre 1852 à octobre 1853,
est un des auteurs que nous citerons le plus souvent, car il est un de
ceux qui surent le mieux rendre avec un égal bonheur par la plume
et par le pinceau, tout ce qu'une sensibilité délicate et
une sympathie bienveillante peuvent découvrir de beauté
en terre d'Afrique. Voici comment il décrit la maison arabe
-------"
Habitées par le peuple qui les avait bâties et je pourrais
dire rêvées, ces demeures étaient une création
à la fois des plus poétiques et des plus spirituelles. Ce
peuple avait su faire des prisons qui fussent des lieux de délices,
et cloîtrer ses femmes dans des couvents impénétrables
aux regards et transparents. Pour le jour, une multitude de petites ouvertures,
des jardins tendus de jasmin et de vignes ; pour la nuit, des terrasses
: quoi de plus malicieux et en même temps de plus prévoyant
pour la distraction des prisonnières ? Ces maisons si bien fermées
n'ont, pour ainsi dire, pas de clôture. La campagne y pénètre
en quelque sorte et les envahit. Le sommet des arbres touche aux fenêtres
; on peut, en étendant le bras, cueillir des feuilles et des fleurs;
l'odeur des orangers les enveloppe, et l'intérieur en est tout
parfumé.
-------"
Les jardins ressemblent à des joujoux d'art destinés à
l'amusement de la femme arabe, cet être singulier dont la vie longue
ou courte n'est jamais autre chose qu'une enfance. On n'y voit que petites
allées sablées, petits compartiments de marbres creusés
de rigoles, où "eau serpente et dessine en courant des arabesques
mobiles. Quant aux bains, c'est encore, un séjour imaginépar
un mari poète et jaloux. Figure-toi de vastes citernes où
l'eau n'a pas plus d'un mètre de niveau, dallées du plus
beau marbre blanc et ouvertes par des arceaux sur un horizon vide. Pas
un arbre n'atteint à cette hauteur ; quand on est assis dans ces-baignoires
aériennes, on ne voit que le ciel et la mer, et l'on n'est vu que
par les oiseaux qui passent.
-------Nous
ne comprenons rien, nous autres, aux mystères d'une pareille existence.
Nous jouissons de la campagne en nous y promenant : rentrons-nous dans
nos maisons, c'est pour nous enfermer ; mais cette vie recluse près
d'une fenêtre ouverte, l'immobilité devant un si grand espace,
ce luxe intérieur, cette mollesse du climat, le long écoulement
dés heures, l'oisiveté des 'habitudes, devant soi, autour
de soi, partout, un ciel unique, un pays radieux, la perspective infinie
de la mer, tout cela devait développer des rêveries étranges,
déranger les forces vitales, en changer le cours, mêler je
ne sais quoi d'ineffable au sentiment douloureux d'être captif (1)
".
-------Le touriste qui trouve aujourd'hui
en Afrique du Nord les confortables hôtels de la Compagnie transatlantique
n'a pas souvent l'occasion d'habiter une maison arabe. Mais ce plaisir
était donné il n'y a pas bien longtemps encore au voyageur
qui découvrait le Maroc. Je me rappelle avoir vécu des journées
délicieuses à Marrakech en 1921 dans une maison indigène
où il n'y avait pas encore de vitres et où les fenêtres
de ma chambre, donnant sur un frais patio, étaient fermées
seulement de lourds volets, en bois de cèdre. Je les laissais ouverts
pour laisser entrer la fraîcheur et la splendeur de la nuit ainsi
que tous les chants, toutes les musiques qui s'appelaient et se répondaient
le soir sur les terrasses. Au matin j'étais réveillé
avec les premiers rayons du soleil par de petits oiseaux familiers qui
venaient, sans aucune crainte, pépier jusqu'aux alentours de ma
couche. J'ai été également l'hôte (alors et
depuis) de ce palais somptueux qu'avait fait construire Ba-Ahmed, vizir
et " argentier " peu scrupuleux du sultan Moulay Abd et Aziz
(2), palais dont André Chevrillon et Jérôme et Jean
Tharaud ont donné les descriptions que l'on va lire. Il est agréable
de rapprocher ces pages qui nous offrent différents " éclairages
", de jour et de nuit, des mêmes jardins:
-------"
Une beauté presque persane, celle d'un jardin fermé, plein
de nuit bleue et de sombres verdures, dont les pointes s'ordonnent religieusement.
Au fond de l'espace sous la lune éclatante et nue, une seule étoile
pendait comme une blanche goutte qui tremble et va tomber. Quel accord
de cette nuit et de ce lieu profond ! La, même magie flottait aux
infinis du ciel et dans le petit creux de ce parfait jardin, seule réalité
visible de la terre. Le silence qui l'emplissait, plus sensible par le
chant unique de l'eau dans la coupe centrale de marbre, semblait descendre
des profondeurs célestes. Quelque chose de l'éternité
d'en haut avait passé dans les choses périssables d'en bas.
-------"
Parfums de fleurs montant à flots dans la nuit, arôme amer
des orangers. Et toutes les couleurs, aussi, de ces beaux végétaux
prisonniers, toutes les couleurs, distinctes comme pendant le jour, seulement
baissées d'un degré, affaiblies : ainsi des voix qui chantaient,
et maintenant murmurent. Je voyais les jasmins flottants, leurs pâles
étoiles suspendues, et par milliers, les boules d'or dans les beaux
feuillages vernissés, et le vert si clair des longs cédrats;
et même si l'on se laissait couvrir par un bananier, les veinures
de ses larges lames transparaissaient à la clarté lunaire.
Les zellijs, au pied des arcades, l'infinie broderie multicolore des grandes
portes, les chemins de mosaïque des allées, luisaient, se
déroulaient en semis géométriques en reliefs de douceur
mystérieuse. (3) "
-------Et voici le même paysage
vu de jour par les Tharaud:
-------"
Qu'il est donc malaisé de peindre avec justesse le charme de l'Orient
! A inventorier ces beautés si familièrement charmantes,
si peu étonnées d'être là, si peu surprises
de faire ensemble leur concert silencieux, plein de notes divines, si
maniéré et si modeste à la fois, on a l'air d'un
pédagogue qui cherche à découvrir, sous la lampe,
ce qui fait le sortilège de quatre vers aériens d'un poète
de la Perse. On dit : les choses sont ainsi ; il y a là une allée,
des orangers et des cyprès ; il y a là un jet d'eau, une
vasque de marbre, une étoile de zelliges. Mais quand on a dit tout
cela' et situé exactement chaque objet, l'oranger n'a plus de parfum,
le cyprès ne s'incline plus avec sa grâce adolescente, les
oiseaux se sont tus. Les mille étoiles du jasmin ont disparu dans
le feuillage, les grandes portes paradisiaques ont refermé avec
effroi leurs vantaux d'or et de carmin sur les chambres de silence et
d'ombre, qui font penser à des auberges où ne descendraient
que des rêves...
-------" Et comment les mots de chez
nous ne s'égareraient-ils pas en parlant des choses d'ici! Ici,
toute pompe est familière, toute grandeur coquette, toute beauté
un peu mièvre. Avec cela, le naturel a toujours de la dignité.
L'abandon n'est jamais vulgaire. Ce qui chez nous jure d'être ensemble,
se trouve ici tout naturellement accordé. La grande cour, dallée
de marbres blancs et verts, s'entoure d'une galerie de bois d'un bleu
déteint, passé, d'une rusticité presque pauvre. De
hautes et frêles graminées poussent sur les toits de tuiles
veltes qui couvrent les pièces enchantées. L'eau s'échappe
des vasques, ruisselle et baigne le marbre majestueux. D'innombrables
pigeons vont et viennent sur les dalles chauffées au soleil, et
dans ce silence inhabité leur promenade lustrée, noble,
familière et roucoulante, est encore ce qui donne le mieux à
mon esprit la mesure de la majesté du lieu. (4) "
-------Tous les jardins ne sont pas
cachés dans des palais. En dehors des villes, et spécialement
au Maroc, on en rencontre de merveilleux où les jardiniers, m'a-t-on
dit - poussent le raffinement jusqu'à grouper les plantes non pas
seulement pour l'harmonie des couleurs que les fleurs présentent
aux yeux, mais encore pour créer de savantes symphonies de parfums.
Voici celui de l'Aguedal à côté
de Marrakech:
-------" Mais la merveille de
l'Aguedal, c'est le paradis de jardins qui s'étend par derrière,
la solitude végétale qu'entoure la solitude enflammée
de la plaine, sous l'écran bleuissant des neiges.
-------" Plus personne dans ce
dédale de grands clos qui communiquent entre eux par les brèches
et les trouées des vieux murs. Plus rien que le soleil et l'azur,
et les peuples de beaux oliviers, et les palmiers surgissants, et l'arôme
embaumé des étoiles de cire, entre les rangs et les rangs
de clairs feuillages vernis ; et le feu des jeunes fleurs promettant les
grenades, et aussi les chants, les trilles, les subites querelles des
grives et des merles. Et par-dessous ces changeantes sonorités,
partout présente, comme une âme évanouie dans du bonheur,
et qui flotte avec les nappes de parfums, la rumeur endormie des invisibles
colombes, la même qu'à la Mamounya, mais plus vaste encore,
et si faible, régulière qu'on la distingue à peine
du silence...
-------"... Un paradis avant
le mal, avant la peur, où ne vit encore que l'innocence des fleurs
et des oiseaux. On est si loin des hommes et de soi-même ! On a
retrouvé la prime jeunesse du monde ; et quelle paix, quelle sécurité,
quel pur oubli de tout ! on oublierait ici la mort, dont l'ombre n'a jamais
passé sur ces lieux. Seulement la perfection de la vie, de son
moment suprême : jeunes floraisons, trais éclats, beauté,
volupté. Et ce divin moment, on dirait qu'il est fixé pour
toujours, que cet enchantement, rien ne viendra le dissiper ou le rompre.
-------" Un matin d'avril ? A
l'Aguedal ? Au Maroc ? Non, c'est plutôt l'éternel matin;
c'est à jamais le ciel sans tache, les feuillages lustrés,
chargés de sèves aromatiques, les fruits d'or, les oliviers
pâles de leur écume de fleurs. Et toujours, dans ce calme
divin, l'immense, innombrable murmure de l'amour, longuement rythmé
comme une respiration d'extase. L'heure est comme suspendue dans un bonheur
qui se confond à la lumière. Rien qui parle de la succession
des jours.
-------" Là-bas, entre
des bouquets de citronniers, sous des panaches suspendus de dattiers,
je vois briller les neiges...
-------" Un paradis, mais musulman,
à cause des trop molles délices du lieu, de ses suggestions
de repos et de volupté. On voudrait s'asseoir, en fermant un peu
les yeux, pour se pénétrer de silence, de parfums, de pure
clarté sans images. Et l'âme islamique aussi peut s'exalter
de ces belles ordonnances, exactes et pures comme les parvis et les péristyles
d'une mosquée, de l'immense rectangle liquide, au centre de ce
domaine : silencieux miroir de la montagne et de la solitude, s'exalter
du lustre grave des immortels feuillages, de l'ombre vraiment religieuse
de certaines avenues où des oliviers ravinés par le grand
âge suspendent leurs grises franges, vous enveloppent de longs rideaux
légers, comme pour plus de paix et de mystère. Tout au long
de l'avenue, la ligne d'un rapide ruisseau brille en un mince canal de
chaux très blanche. Du secret, de l'ombre, de beaux arbres, la
rumeur et la fraîcheur d'une eau vive, quel accord musulman ! Voilà
bien le luxe et la beauté qu'ont cherchés les émirs
dont le rêve s'éternise en Andalousie, aux jardins clos du
Generalife et de l'Alhambra. On peut imaginer l'un d'eux, poète,
assis là, dans ses plis de mousseline, sur le blanc rebord du ruisseau
; il écrit des vers d'amour riches en métaphores subtiles,
en mots dont le vulgaire ne percevra pas tous les sens.
-------" Justement l'avenue
sacrée s'ouvre au loin sur un kiosque qui ,ne semble fait, en cette
solitude, que pour la musique et le rêve. A l'autre bout de la voûte
ombreuse, il se lève dans le soleil. On voit briller entre ses
colonnes son treillis blanc, car il est ajouré comme une jolie
cage Sous le dernier arceau des branches, se révèle le bas
de sa toiture : un peu de douce poterie turquoise.
-------" Par un jour d'extrême
avril, par un de ces midis où la ville se plombe et s'écrase
sous le soleil, où les franges des hautes palmes fondent dans l'aveuglante
lumière, j'ai passé sur le parvis qui précède
ce pavillon. A l'intérieur, à travers la dentelle du mur,
peu à peu dans un riche demi-jour, j'ai vu paraître, au large,
obscur cornet du plafond, des entrelacs d'or et de pourpre confuse. Par
terre, au milieu de l'hexagone de faïence dont six colonnes marquent
les angles sur des tapis aux tons d'or, deux formes humaines s'allongeaient
: sans doute de simples jardiniers réfugiés là, à
l'heure accablée. Mais ils ne dormaient pas. Mes yeux, s'habituant
à cette pénombre, distinguaient leurs yeux demi-ouverts.
Ils étaient tournés vers le portique où s'encadrait
pour eux une pure vision de poésie arabe : l'obscure et profonde
perspective des oliviers entre des clartés vertes, et, tout au
milieu, le long filet d'eau courante.
-------" Ils ne semblaient pas
conscients de notre présence. Ils ne remuaient pas, absorbés
dans leur kief, goûtant la perfection d'un bonheur que des sultans
avaient préparé pour eux-mêmes : délices de
l'ombre, à l'heure où la terre et le ciel s'incendient,
de l'ombre et du silence parmi des couleurs et lueurs de faïence;
paix du beau jardin dont l'image s'inscrit, parfaite et lumineuse, dans
le noir d'une arche à contre-jour. Et, sans arrêt, le ruissellement
endormeur de l'eau froide et volubile...
-------" Ce n'était rien
que deux jardiniers à l'heure de la sieste. Mais, après
avoir longuement erré dans ces jardins déserts, on avait
l'impression de rencontrer enfin, au centre de la splendide solitude,
l'âme humaine, celle qui avait voulu, ordonné ce royaume
du rêve, et qui, maintenant immobile, cachée dans sa retraite
d'ombre, ne faisait plus que le refléter. (5) "
-------En Afrique du Nord la nature
au printemps produit sans aide des fleurs à profusion. Ce fut aux
yeux de Loti, lorsqu'il visita le Maroc, la grande merveille que cette
terre couverte de fleurs, comme un fin tapis de Rabat. Nous ne saurions
manquer de citer une page de Louis Bertrand sur les roses de Cherchell,
qui donne une juste idée de cette exubérance spontanée
-------" Ces haies fleuries
de roses offraient une autre merveille. Elles étaient tellement
alourdies de corolles, de boutons en grappes, qu'on eût dit une
double 'file de reposoirs drapés de mousselines et surchargés
de bouquets. Derrière les haies, se dressaient les grands panaches
des roseaux. Toute l'avenue avait l'air d'être ornée pour
le passage d'une procession. Des pétales s'envolaient aux brises.
Les touffes et les guirlandes se soulevaient et se gonflaient comme les
falbalas d'une robe de bal. Jamais nulle part, - pas même à
Tipasa, ni dans les roseraies fameuses de Boufarik, - je n'en avais vu
une telle profusion. Il y en avait de toutes formes et de toutes nuances
de minuscules comme des bauxias, d'énormes comme des pivoines,
de carminées, de roses pâles, de blanches à peine
teintées de veinules purpurines. Mais toutes avaient la finesse,
la transparence de la gaze, la fragilité, le papillonnement de
la neige. Ces fleurs qui semblent faites pour être 'gaspillées,
écrasées, foulées aux pieds dans des fêtes
ou dans des orgies, il faut les voir comme ici, en buissons exubérants,
en jonchées, en amoncellements de gerbes. On a comme une envie
amoureuse de les prendre à pleine bouche, de se rouler sur elles.
On comprend que la rose est, par excellence, la fleur de volupté,
l'emblème cher à Vénus. Ce mois de mai qui lui est
consacré est aussi le mois des roses. Or, je me souviens que Cherchell
dut être, au temps de sa gloire, très dévote à
Vénus, si l'on en juge 'par le nombre des statues de la déesse
qu'on a retrouvées dans ses ruines. La ville africaine avait voulu
faire honneur à sa patronne. Elle s'était tellement parée
de roses que sa ceinture en éclatait et que tout l'air en était
embaumé autour d'elle...
-------" Nous approchions des portes
de Cherchell. Je me penchai, une dernière fois, hors de la voiture,
afin de m'emplir les yeux de la brillante vision qui allait s'éteindre
avec la nuit : la mer sous ses voiles mauves, que nuançait encore
un peu de rose, le ciel glauque comme l'eau d'un puits envahi par les
mousses, où, dans des profondeurs toujours plus sombres, je voyais
trembler les gouttelettes cristallines des premières étoiles.
Et je me disais qu'à mon entrée dans l'antique Césarée
de Maurétanie, je ne pouvais rêver plus triomphale escorte
d'images : c'était toute l'âme païenne et toute la splendeur
de l'Afrique latine qui, pour moi, flottaient dans ce beau soir (6)
II
.- Lieux de réunion : Cafés et bains
-------En dehors des
demeures où il cache jalousement sa vie privée, mais aime
à recevoir ses amis ou ses hôtes, l'indigène nord-africain
fréquente quelques lieux de réunion, le café et le
bain public
-------"
Le " café maure " est quelque chose de fort différent
de nos estaminets français. On y consomme très peu et on
n'y joue qu'assez rarement. C'est avant tout un lieu de conversation,
de paresse et de repos, un endroit frais et ombragé pour la fumerie
ou le rêve. On y fait la sieste, on y dort, on y accomplit même
ses dévotions. L'indigène, une fois accroupi sur ses talons,
empaqueté dans son burnous, se considère là comme
chez lui. Immobile et taciturne, il regarde couler les heures avec indifférence
et béatitude.
-------" Le café, où
je suis entré, a été aménagé tant bien
que mal au rez-de-chaussée d'une maison bâtie à l'européenne.
C'est une grande salle nue, badigeonnée de chaux, et dont le sol
inégal n'a même pas été recouvert de terre
battue. Il n'y a d'africain dans la disposition de la pièce que
la haute cheminée lambrissée de faïences émaillées,
où le kaouadji surveille ses petites burettes de fer-blanc. Des
bancs de bois assez larges circulent tout le long des plinthes. L'unique
ornement est une boîte à horloge monumentale, toute peinturlurée
de fleurs rouges et jaunes, telle qu'on en rencontre encore dans les cuisines
de nos fermes. Au milieu, sur une table à trois pieds, une botte
de roses trempe dans une grosse cruche de cuivre qui sert à porter
l'eau
-------" La salle est à
peu près vide. Quelques individus sommeillent, allongés
sur les bancs. Je gagne la cour contiguë, dont l'éclairage
un peu cru fait paraître plus sombre la demi-ténèbre
où est plongé le café. Une lampe à pétrole
est suspendue au treillage qui s'étend d'un mur à l'autre,
en manière de plafond et qui est complètement tapissé
par des lianes violettes de bougainvilliers. C'est un véritable
berceau de verdure, où règne un peu de fraîcheur,
grâce à la fontaine encastrée dans le mur et dont
la vasque est pleine jusqu'au bord.
-------" Je m'assieds à
l'écart, sur une natte, et, après avoir commandé
ma tasse de kaouadji, je regarde autour de moi... La cour n'est guère
plus animée que la salle. Deux hommes assis sur leurs talons jouent
bravement aux échecs. Le damier est placé par terre, dans
le cercle rougeâtre ce la lampe, et je vois les mains brunes et
sèches des joueurs qui poussent les figurines de buis sur les cases
blanches et noires. Un nègre, accroupi à côté
d'eux, leur jette de temps en temps un regard discret, en dilatant les
gros globes laiteux de ses prunelles. Enfin j'ai pour unique voisin un
grand vieillard maigre qui a l'air comme effondré dans les plis
d'un burnous immaculé. Une barbe de patriarche allonge encore son
visage osseux et émacié, plus pâle que les mousselines
de son turban. D'un doigt soigneux, il tourne lentement les pages d'un
magnifique et très ancien manuscrit, dont le vélin jauni
est enluminé d'or, de vermillon et d'azur. Il lit, avec un clapotement
continu des lèvres, comme un enfant qui épelle, puis il
s'interrompt, ferme le livre précieux, et, les yeux fixes, enfiévrés
et luisants d'extase, il marmotte une prière, se dresse ;de toute
sa hauteur sur ses genoux, s'abat brusquement dans une totale prosternation
et se relève, le front noirci de poussière.
-------" Personne ne prend garde
à la gesticulation du dévot personnage. Pas une parole ne
s'échange entre les quatre hommes qui sont là. Je ne perçois
que le bruit ténu du filet d'eau qui s'égoutte dans la vasque
de la fontaine, le murmure de la prière sur les lèvres du
vieux et, parfois, le claquement des sandales du kaouadji qui vient enlever
les burettes vides, éparses autour des joueurs. Plus que le café
parfumé qui se dépose au fond de ma tasse, je savoure ce
calme et ce recueillement, je jouis du spectacle qui m'environne, - ces
hommes impassibles et beaux sous leurs draperies blanches, cette cour
rafraîchie d'eau vive, ce rideau de fleurs violettes qui la recouvre
toute, comme un riche vélum sur la cella d'un temple... (7) "
-------Quant au bain maure, pénétrons-y
avec le meilleur des guides:
-------" J'y entrai, un soir,
vers onze heures, car les bains ne sont ouverts aux hommes que la nuit.
Je soulevai le carré d'étoffe qui masquait la porte, au
fond du vestibule, et je me trouvai dans un assez vaste patio dont l'atmosphère
un peu lourde m'oppressa d'abord. A la lueur des lampes à huile,
je ne distinguai qu'un amas de blancheurs, puis mes
yeux s'étant accoutumés à la pénombre, je
précisai les
silhouettes des gens qui étaient là et l'architecture du
local.C'était un patio tout en marbre blanc. Au centre, au milieu
de l'impluvium, où l'on descend par quelques marches, se déploie
un bassin circulaire, surmonté d'une vasque où s'égouttait
un jet d'eau. Des linges mouillés pendaient tout le long de la
margelle. A côté un individu nu jusqu'à la ceinture,
les reins entourés d'une espèce de pagne, foulait d'autres
linges qu'il piétinait en cadence, comme un vendangeur dans une
cuve...
-------" Très exhaussée
au-dessus du bassin, une galerie à colonnes torses encadre tout
le patio. Des indigènes couchés y dormaient; d'autres jouaient
aux dames, ou fumaient des cigarettes, en buvant du thé ou du café
dans de petites tasses peintes de couleurs crues.
-------" Le foulon, interrompant
sa besogne, me conduisit dans la galerie, m'assigna une natte et me convia
à me déshabiller. Les pas du foulon s'amortissaient sur
le marbre onctueux. Il glissait comme une ombre. Aucun bruit dans le patio,
sinon, de temps en temps, une rumeur de paroles échangées
à voix basse. On se serait cru dans une mosquée, à
l'heure de la prière nocturne.
-------" Je me dévêtis,
un peu gêné par la présence de tous ces Africains.
Quand je fus prêt, le foulon me noua une serviette autour des hanches,
puis il alla quérir le baigneur, - un adolescent, pâle et
mince comme un cierge de cire, et plus trempé, plus ruisselant
qu'une naïade. Le torse nu, la peau bronzée et distendue par
les côtes saillantes, un simple torchon ficelé à la
taille, l'esclave s'agenouilla, m'attacha aux pieds des sandales de bois
blanc, et, me soutenant par les aisselles (car je risquais de tomber à
chaque pas sur les dalles du patio toutes grasses d'eau savonneuse), il
m'entraîna vers l'étuve, dont la porte de chêne retomba
lourdement derrière nous
-------" Une chaleur humide, suffocante,
me coupa la respiration. Je me sentais défaillir, un flot de sueur
m'inonda soudain de la tête aux pieds. Mais d'un mouvement brusque,
mon guide me renversa
m'étendit sur une plate-forme rectangulaire recouverte d'une plaque
de marbre noir : elle était chauffée à l'intérieur.
Il me sembla qu'elle me brûlait. Je me relevai vivement, mais le
baigneur me força à me recoucher, pesa sur tout mon corps
de façon à ce que le contact fut complet entre le marbre
et ma chair.
" Reste là! - me commanda-t-il, - ne bouge pas avant que je
vienne!...
------" Je ne
bougeais plus. J'étais comme anéanti. Je me liquéfiais
par tous mes pores. La sueur de mon front m' emplissait les orbites et
m'aveuglait. Quand la plaque me brûlait, ma peau adhérait
à la pierre rendue visqueuse par toutes les graisses humaines qui
s'étaient figées là. Puis, peu à peu, je m'habituai
à ce supplice. Je goûtai une sorte d'évanouissement
voluptueux. Ma conscience divaguait : où étais-je? Les sensations
que j'éprouvais étaient si nouvelles ! Elles entraînaient
mon imagination vers des époques et des choses si lointaines!...
À travers les buées tièdes qui remplissaient l'étuve,
je promenais mes
regards autour de moi. Dans le fond tremblait le halo d'une lampe, et
je distinguais le sautillement rythmé de l'esclave qui, aidé
d'un compagnon, foulait un paquet de linges. Je les voyais obliquement,
car je ne remuais pas ma tête, et mes yeux revenaient toujours avec
lassitude vers les ténèbres de la voûte, où
ils se perdaient dans le noir. De temps en temps, une goutte froide, qui
s'en détachait, tombait sur ma joue et me forçait à
fermer les paupières. Une invincible torpeur m'envahissait...
-------" Tout à coup,
les deux esclaves, ayant fini leur besogne, m'empoignèrent, l'un
par les épaules, l'autre par les jambes, et, sans la moindre douceur,
ils me déposèrent dans un coin de l'étuve, au bord
d'une rigole, où coulaient un robinet d'eau chaude et un robinet
d'eau froide. Ils me firent coucher à plat ventre, le nez contre
le pavé, puis, saisissant une poignée d'étoupes qu'ils
trempèrent dans du savon liquide, ils se mirent à me frotter
si vigoureusement que j'en criais. Ils s'interrompaient pour me jeter
des gobelets d'eau tiède sur tout le corps, et ils recommençaient
leur friction frénétique. Après cela, ils me donnèrent
trois petites claques sur les omoplates, et, avec la paume de leurs mains
en guise de strigile, ils entreprirent de me racler l'épiderme.
On me nettoya, on me retourna dans tous les sens. Parfois, le grand maigre
s'arrêtait et il agitait au-dessus de ma tête ses mains savonneuses.
-------" - Regarde comme tu étais
sale!... Regarde ta peau, ta sale peau !...
-------" Je ne m'offensais nullement
de ces familiarités, sachant que c'était un simple artifice
pour obtenir un salaire plus élevé.
-------" Quand ils se furent
fatigués à ce jeu, ils m'arrosèrent d'eau froide
répandue à pleins gobelets, et ce me fut une sensation délicieuse,
qui me ranima un peu. Alors ils s'attelèrent tous les deux à
mes bras et à mes jambes, il me les tirèrent, ils m'écartelèrent.
Ils me firent craquer chaque articulation, et, me tenaillant les muscles
entre leurs doigts serrés, comme des étaux, ils me les tordirent,
ils en exprimèrent les dernières gouttes de sueur. Enfin
on me rinça à l'eau froide, on me remit sur pieds, on m'essuya,
on m'attacha une serviette autour des reins, une autre sur la tête,
et, me soutenant par les aisselles, les deux esclaves m'emportèrent
vers le patio. Je ne pouvais plus me traîner, j'étais exténué.
Ainsi enveloppé dans mes linges, inerte et les membres raidis,
j'étais comme un mort qu' on va mettre au cercueil, après
la toilette funèbre.
-------" Sous la galerie du patio,
un matelas recouvert d'un drap m'avait été préparé
par le foulon.. Il m'engagea à m'y reposer jusqu'à l'aube,
m'apporta des cigarettes, une tasse de thé, et s'en alla.
-------" Une fois étendu
sur les draps frais u matelas, je goûtai un bien-être inexprimable,
- quelque chose comme le réveil de la vie, au début d'une
convalescence. Mon corps était brisé, mais je constatais,
en moi, une lucidité d'esprit extraordinaire, une agilité,
une acuité surprenante des sens, cette espèce de libération
de la matière qu'on éprouve
dans les rêves. C'était un état voluptueux et candide.
J'habitais un monde étrange et silencieux. Le murmure du jet d'eau
dans la vasque, la respiration des dormeurs couchés à côté
de moi ne faisaient que rythmer ce silence. La blanche colonnade du patio
brillait doucement à la clarté des veilleuses, et, tout
le long des murs, les corps disséminés formaient des entassements
plus sombres. Des apparences fantômales se levaient par instants,
semblaient flotter sous les arcades. Et l'air tiède était
tout chargé de parfums : odeurs de cigarettes musquées,
de cumin,. de sental, et de girofle... (8) "
-------Avant de quitter les villes
où la civilisation moderne fait passer ses tramways, lance ses
automobiles, donnons un souvenir ému à l'Alger d'autrefois
et aux étranges petites voitures qu'on y voyait circuler, à
l'époque de Fromentin et, nous disait un jeune ministre, - on peut
être un jeune ministre et avoir encore de tels souvenirs - il y
a une quarantaine d'années encore. Elles portaient des
noms symboliques : Hirondelle, Gazelle, Zéphyr, Vole-au-vent (quelquefois
avec d'amusantes fautes d'orthographe).
-------Le voiturin d'Alger est une
voiture à claire-voie, faite exprès pour le Midi, qui vous
abrite à peu près comme un parasol et vous évente
avec des rideaux toujours agités. Ces carrioles, aujourd'hui très
nombreuses, surtout dans la banlieue que j'habite, sont aussi peu suspendues
que possible, vont horriblement vite, et, chose incroyable, ne versent
jamais. Ce sont de petits omnibus au coffre large
assis sur des roues grêles, menés par de petites rosses barbes
à tous crins, efflanquées, haletantes, ayant la maigreur,
la coupe aiguë et la vive allure des hirondelles. On les appelle
des " corricolos ". Jamais nom ne fut plus exact; car elles
vont toujours au galop, courant sur un lit de de poussière, volant
comme un char mythologique au milieu d'un nuage, avec un bruit aérien
tout particulier de grelots,
claquements de vitre et de coups de fouet. On dirait que chaque voiture
porte un message. Que le cocher soit Provençal, Espagnol ou Maure,
la vitesse est la même ; la seule chose qui varie, ce sont les procédés
pour l'obtenir. Le Provençal aiguillonne son attelage avec des
blasphèmes, l'Espagnol le harcèle à coups de lanières,
le Maure l'épouvante avec un cri du gosier effrayant. Lucrative
ou non, cette industrie pleine de verve a pour effet le plus certain de
mettre également tous les voituriers de bonne humeur.
|
|
-------"
C'était Slimen en personne qui me conduisait dans son voiturin
peint en jaune clair, et appelé la Gazelle .Slimen est un jeune
Maure qui se civilise. Il parle français, regarde effrontément
les étrangères et s'arrête aux cabarets pour y boire
du vin. Il était frais rasé, dispos, joyeux, tout habillé
des couleurs de l'aurore, culotte blanche, veste gris-perle, écharpe
rose, et portait, comme une femme au bal, une fleur de grenadier piquée
près de l'oreille. Menant son équipage d'une main, de l'autre
il fumait une cigarette, et chaque fois qu'il ouvrait la bouche pour exciter
ses bêtes, des bouffées odorantes lui sortaient des lèvres.
J'avais pour voisin de droite un vieux Maure à figure courtoise,
qui rentrait honnêtement de son jardin avec une récolte d'oignons
et d'oranges mêlés confusément dans un cabas de paille.
En face de moi, un nègre maçon, éclaboussé
de chaux vive, se dandinait au cahot des roues, souriant à des
idées joyeuses qui lui remontaient à tout propos dans l'esprit.
Au fond trois Mauresques de mine évaporée babillaient sous
leurs masques blancs ; elles sentaient le musc et la pâtisserie,
et leurs haïks s'échappaient par les fenêtres comme
de légers papillons. (9)
III.
- Les Tentes
-------Abandonnons
les cités et lançons-nous vers le Sud. Vous connaîtrez
maintenant l'attachement que l'on peut avoir pour la tente, cet abri qui
offrira l'ombre à vos yeux, le repos à vos membres rompus
par les longues chevauchées ou les lentes étapes à
dos de méhari. Un grand voyageur, qui était un causeur délicieux,
riche d'anecdotes pittoresques et vécues, Hugues Le Roux a su rendre
l'attrait de
cette demeure de nomades
-------" Au
centre du campement on a dressé, pour nous recevoir, la "
tente des hôtes ". Au dehors, elle est blanche et parsemée
de vases d'un dessin hiératique, coloriés en bleu, qui,
du sommet à la base, en cercles toujours plus étroits, décorent
la blancheur de la toile. A l'intérieur, c'est une alternance symétrique
de bandes rouges et vertes. Des tapis anciens recouvrent entièrement
le sol. La tente est meublée de divans bas. Sur ces divans sont
étendues des étoffes légèrement ouatées
; ce sont des morceaux de soieries claires, bleues-pâles ou jaunes-pâles,
à fleurs, entourés de bandes plus foncées ; les soieries
jaunes sont relevées de rose, les bleues de ponceau vif. Et il
y a partout une profusion de traversins et de tabourets multicolores.
En sortant de la plaine où les yeux, pendant des heures, se sont
habitués à la monotonie de la terre brûlée,
cette chanson de couleurs claires, rencontrée en plein désert,
ravit comme une boisson fraîche.
-------"Et
l'on goûte aussi sous cette tente la douceur de l'abri, car dehors,
le vent est très vif. Il s'abat tout d'un coup, en rafale, sur
le campement de l'agha. Il s'engouffre sous la tente. Il va l'arracher
à ses pieux. Mais un cri d' alarme a été poussé,
les cavaliers ont vu venir cette trombe ; à chaque cordage, il
y a un homme qui tire, s'arc-boute. A cette minute, la tente
a l' air d' un ballon qui se balance pour s' enlever. Puis la colonne
de poussière court vers les montagnes. L'ordre se rétablit.
(10) "
IV.
- Sur les Hauts-Plateaux
-------Quelquefois
l'ordre ne se rétablit pas aussi vite. Sur les hauts plateaux et
plus encore dans les régions de dunes (erg) qui les bordent au
sud, le vent de sable fait passer au voyageur des heures pénibles.
Guy de Maupassant, qui fit séjour en Algérie dans le second
semestre de 1881 et accomplit une tournée dans la région
de Dielfa avec des officiers de Boghar, nous a laissé une exacte
description dune tempête de sable
-------"
Un jour, après une marche de dix heures dans la poussière
brûlante, comme nous venions d'arriver au campement, auprès
d'un puits d'eau bourbeuse et saumâtre qui nous parut cependant
exquise, le lieutenant me secoua soudain au moment où j'allais
me reposer sous la tente, et me dit, en me montrant l'extrême horizon
vers le sud : " Ne voyez - vous rien là-bas? "
-------Après
avoir regardé, je répondis : " Si, un tout petit nuage
gris. "
-------"
Alors le lieutenant sourit : " Eh bien, asseyez-vous là et
continuez à regarder ce nuage. "
-------Surpris
je demandai pourquoi. Mon compagnon reprit:
-------"
Si je ne me trompe, c'est un ouragan de sable qui nous . " arrive.
"
-------"
Il était environ quatre heures et la chaleur se maintenait encore
à quarante-huit degrés sous la tente. L'air semblait dormir
sous l'oblique et intolérable flamme du soleil. Aucun souffle,
aucun bruit, sauf le mouvement des mâchoires de nos chevaux entravés,
qui mangeaient l'orge, et les vagues chuchotements des Arabes qui, cent
pas plus loin, préparaient notre repas.
-------"
On eût dit cependant qu'il y avait autour de nous une autre chaleur
que celle du ciel, plus concentrée, plus suffocante, comme celle
qui vous oppresse quand on se trouve dans le voisinage d'un incendie considérable.
Ce n'étaient point ces souffles ardents, brusques et répétés,
ces caresses, de feu qui annoncent et précèdent le sirocco,
mais un échauffement mystérieux de tous les atomes de tout
ce qui existe.
-------"
Je regardais le nuage qui grandissait rapidement, mais à la façon
de tous les nuages. Il était maintenant d'un brun sale et montait
très haut dans l'espace. Puis il se développa en large,
ainsi que nos orages du Nord. En vérité, il ne me semblait
présenter absolument rien de particulier.
-------"
Enfin, il barra tout le Sud. Sa base était d'un noir opaque, son
sommet cuivré paraissait transparent.
-------"
Un grand remuement derrière moi me fit me retourner. Les Arabes
avaient fermé notre tente, et ils en chargeaient les bords de lourdes
pierres. Chacun courait, appelait, se démenait avec cette allure
effarée qu'on voit dans un camp au moment d'une attaque.
-------"
Il me sembla soudain que le jour baissait ; je levai les yeux vers le
soleil. Il était couvert d'un voile jaune et ne paraissait plus
être qu'une tache pâle et ronde s'effaçant rapidement.
-------"
Alors je vis un surprenant spectacle. Tout l'horizon vers le sud avait
disparu, et une masse . nébuleuse, qui montait jusqu'au zénith,
venait vers nous, mangeant les objets, raccourcissant à chaque
seconde les limites de la vue, noyant tout.
-------"
Instinctivement je me reculai vers la tente. Il était temps. L'ouragan,
comme une muraille jaune et démesurée, nous touchait. Il
arrivait, ce mur, avec la rapidité d'un train lancé ; et
soudain il nous enveloppa dans un tourbillon furieux de sable et de vent,
dans une tempête de terre impalpable, brûlante, bruissante,
aveuglante et suffocante.
-------"
Notre tente, maintenue par des pierres énormes, fut secouée
comme une voile, mais résista. Celle de nos spahis, moins assujettie,
palpita quelques secondes, parcourue par de grands frissons de toile;
puis soudain, arrachée de terre, s'envola et disparut aussitôt
dans la nuit de poussière mouvante qui nous entourait à
travers ces ténèbres
-------On
ne voyait plus rien à dix pas à travers ces ténèbres
de sable. On respirait du sable, on buvait du sable. Les yeux en étaient
remplis, les cheveux en étaient poudrés; il se glissait
par le cou, par les manches, jusque dans nos bottes.
-------Ce
fut ainsi toute la nuit. Une soif ardente nous torturait. Mais l'eau,
le lait le café, tout était plein de sable qui craquait
sous notre dent. Le mouton rôti en était poivré ;
le kouskous semblait fait uniquement de fins graviers roulés ;
la farine du pain n'était plus que de la pierre pilée menu.
-------Un
gros scorpion vint nous voir. Ce temps, qui plaît à ces bêtes,
les fait toutes sortir de leurs trous. -------Les
chiens du douar voisin ne hurlèrent pas ce soir-là.
-------Puis,
au matin, tout était fini ; et le grand tyran meurtrier de l'Afrique,
le soleil, se leva, superbe, sur un horizon clair" (11)
V.
- Dans les Dunes
-------Au Sud des
hauts plateaux commencent les dunes (l'erg) qui arrêtèrent
longtemps tous les voyageurs européens et leur firent répéter
cette erreur grossière que le Sahara n'était que vagues
de sable. -------Plusieurs
couloirs traversent du Nord au sud
cette zone de dunes.J'ai personnellement suivi, pour aller d'Alger au
Niger, celui qui du M'zab (Ghardaïa) permet d'atteindre El Goléa
et voici comment m'apparurent les dunes
-------"
Par de larges plaines entre les plateaux tabulaires que les vents effritent,
et surtout les grandes forces alternées et éternelles de
la chaleur et du froid, nous nous dirigeons vers le sud. Quelques troupeaux
de gazelles nous fuient de loin.Nous rencontrons les premières
dunes.
-------"
Elles n'ont l'air de rien, les sournoises. Pas plus hautes que celles
où jouent les enfants sur les plages ; mais allez passer là-dedans
avec des voitures qui pèsent près de cinq tonnes en ordre
de marche ! Alors commence la lutte du grain de sable et du moteur.
-------"
D'une part, cette merveille de l'intelligence humaine, le moteur, cet
être vivant dont les pistons battent comme un cur, cet être
qui respire, qui au moment de la lutte s'échauffe, s'énerve,
s'emballe comme un ouvrier surmené, et d'autre part le grain de
sable, cette particule infime de la matière inerte, ce résidu
passif de la lutte des éléments contre la roche, cet infiniment
petit de la matière en face de la somme infinie d'intelligence,
de science, d'expérience humaine que totalise un moteur. Quelle
antithèse pour le père Hugo, s'il eût fait partie
de la mission ! Elle nous eût valu au moins cinq cents alexandrins
grandiloquents... Mais pendant leur méditation la voiture n'eût
pas avancé.
-------"
Chacun met la main à la pâte ; des palans sont glissés
sous les quatre roues motrices qui tournaient folles et creusaient leur
lit sans progresser, des treillis métalliques sont déroulés
où les pneus " prennent " bien ; on pousse à l'arrière
du bras et de l'épaule dans le halètement chaud du tuyau
d'échappement et l'on arrive au faîte avec, dans les yeux,
la fierté d'une victoire.
-------"
Le capitaine Lehuraux regarde avec sympathie les " pékins
" qu'on lui a confiés: pour être pourvus de mandats
électifs ou de titres universitaires, ils ne sont pas trop empotés,
ça ira ! et l'on repart déjeuner à Djafou, à
l'ombre des voitures.
-------"
Mais il ne faut pas seulement médire de la dune, et l'après-midi
nous comprenons qu'elle ait ses poètes, presque ses amants. Elle
a des formes de femme, tantôt elle recouvre l'épaule d'une
colline rocheuse d'une chair lumineuse et blonde, tantôt elle s'étale,
impudique, comme un jeune buste aux lignes pures ; le vent la sculpte
de sa caresse légère, comme le ciseau du statuaire fait
jaillir du marbre des torses fermes et doux ; le vent joue avec elle en
artiste amoureux : au creux d'une épaule il dessine ces deux petits
plis qu'aimait M. Ingres, il termine un dos par ce V qu' adorait le grand
Léonard. La dune permet tous les rêves, tous les souvenirs.
C'est une maîtresse à la chair fine et tiède près
de qui le repos est encore une volupté. (12) "
VI.
- Dans les Oasis et les Palmiers
-------En bordure
Nord et Sud de la région des dunes, existent des oasis, partout
où l'homme est parvenu à atteindre ou à faire jaillir
les eaux. Dans le M'zab ce sont des puits si profonds qu'il convient d'employer
des ânes pour tirer, au moyen d'une poulie, la longue corde qui
remonte les outres pleines. À El Goléa et dans le R'hir
ce sont des puits artésiens, forés par les Français,
qui donnent l'eau génératrice de toute richesse. Il est
difficile d'imaginer la splendeur dé végétation d'une
oasis : Jérôme et Jean Tharaud ont su nous en donner une
idée fort exacte dans la description que l'on va lire
-------"
Après mille détours je découvre enfin le sentier
qui descend à l'oasis. Il faut avoir parcouru, sous un soleil torride,
d'immenses étendues pierreuses, et traversé en plein midi
les ruelles de ce village embrasé, pour sentir le bonheur de se
trouver tout à coup dans une vasque de fraîcheur et d'ombre.
Ici plus de maisons, un dédale de petits murs de terre sèche,
des milliers de vergers secrets : on est dans la forêt des dattiers.
A dix mètres au-dessus du sol, leurs palmes recourbées se
joignent et forment un dais verdoyant entre le ciel en feu et la tiède
humidité de la terre. Sous les taillis de lauriers-roses, une traîne
embaumée. Dans son ravin de sable rouge, la rivière, presque
desséchée par les canaux qui l'épuisent, glisse en
minces filets de lumière parmi les masses fleuries. Un cavalier
en burnous blanc, monté sur un cheval azuré, vole de rocher
en rocher au milieu de ce bouquet, et sous les pieds de sa monture l'eau
jaillit en étincelles. Des formes blanches, jaunes ou bleues, toutes
couvertes de bosses, où il est vraiment malaisé de deviner
une femme, descendent du village dans l'ombre verte des sentiers. Sitôt
arrivées au bord de l'oued et débarrassées de leurs
fardeaux, battoirs, linges, marmites, larges plats de bois, enfants même,
elles retroussent leurs draperies et piétinent leur linge en cadence,
ou bien elles le battent à deux mains, avec une crosse de palmier,
d'un geste large et pareil à celui d'un exécuteur. Au milieu
des lauriers les enfants s'ébattent dans l'eau. La rivière
trop peu profonde pour qu'ils s'y plongent tout entiers, le bain n'est
plus qu'un jeu, une bataille où ils s'éclaboussent à
plaisir ; le moindre bruit met en fuite ces gracieux oiseaux sauvages.
-------"
Dans les innombrables jardins prisonniers des petits murs de terre sèche,
pas de fleurs, rien que des verdures. Elles vous arrêtent au passage
; il faut courber la tête sous les vignes en berceau pour éviter
les grappes qui vous frappent au visage, ou l'énorme concombre
qui se suspend au grenadier. Le sol disparaît sous les felfels,
les poivrons, les melons d'eau, mille plantes familières ou inconnues
; un puissant parfum de menthe s'exhale de la terre mouillée ;
le vert-bleu du figuier se marie au vert foncé de l'abricotier
vivace; l'oranger et le citronnier mêlent leurs feuilles au laurier
noir; et jaillissant de ce peuple pressé, les grands dattiers s'élancent
et laissent retomber leurs longues palmes d'un gris-bleu.
-------"
Quels soins il a fallu pour maintenir sous un ciel implacable cette végétation
luxuriante ! A deux pas le désert, le grand pays brûlé
où rien ne bouge que la lumière qui, tremble, où
rien ne fleurit que le thym. Comme on comprend, sous ces verdures, le
désordre passionné de la poésie arabe et son éternelle
promesse de paradis verdoyants ! Le bonheur d'une race respire au milieu
de ces vergers ; on croit le toucher de la . main, on croit l'entendre
qui murmure dans cette eau diligemment distribuée, qui s'en va
répandant partout son mystère de fraîche vie. Elle
est l'âme , du lieu, et dans tous ces jardins que pas un souffle
n'anime, la seule chose mouvante. Elle entre par un trou de mur, va boucher
chaque plante, la caresse un moment, répand dans chaque enclos
sa fraîcheur et son léger bruit, et puis soudain disparaît
: une main parcimonieuse vient de lui barrer le passage avec une motte
de boue, et l'eau a pris sa course du côté d'un autre verger.
Ainsi de muraille en muraille et de jardin en jardin, elle glisse à
travers l'oasis, tantôt dans un sentier et toute brillante de lumière,
tantôt sous les ombrages et ne se révélant qu'à
son bruit. Et rien comme cette eau courante à travers ces jardins
de sable ne donne une pareille idée de richesse et d'économie,
de stérilité et d'abondance. Les plaines fortunées
de Beauce semblent moins riches que cette fraîche oasis ; le Limousin
tout bruissant de sources, moins mouillé que cette terre qu'un
mince filet d'eau arrose; et nulle forêt n'est plus profonde que
ce bouquet d'arbres au désert.
-------"
Sous cette verte lumière, dans cette humidité chaude, le
corps s'abandonne et glisse à une active langueur ; une ingrate
pitié vous saisit pour les malheureux exilés d'une si voluptueuse
nature, un besoin de nommer ici tous ceux qu'on a aimés ailleurs.
Pour qui a été fait ce bouquet ? Pour qui
roucoulent ces tourterelles ? Pour quelles amours sont suspendues ces
grenades entrouvertes, et ces grappes de raisin noir, et ces dattes d'un
jaune éclatant qui sortent du cur des palmiers ? On est une
âme qui se défait, les pensées sont des fruits qui
tombent, des gouttes d'eau qui s'égouttent, un chapelet qui se
détache, un collier qui se dénoue. (13) "
-------Dans
une oasis, ce qui surprend le plus le voyageur européen, c'est
de voir que toute cette admirable végétation, en plusieurs
étages superposés, naît du sable réputé
infertile dans nos contrées de terres grasses. L'alliance de l'eau
et du soleil suffit à assurer la fécondité. La qualité
de la terre n'a aucune importance. Au ras du sol ce sont des melons, des
pastèques, des concombres, des légumes. Puis une voûte
dense d'orangers, de mandariniers, de citronniers, avec leurs fruits d'or
et de cuivre, le souple jasmin aux étoiles blanches qui enlace
les troncs, ou les roses roses aux pétales légers comme
des églantines. Au-dessus ce sont les fusées et les bouquets
des palmes, aux lourdes grappes de fruits blonds, serrés comme
des essaims d'abeilles. C'est à juste titre que des savants et
des amis éclairés de l'Algérie ont tenu en janvier-février
1930 ut, congrès de la Rose et de l'Oranger à El Goléa.
Mais le roi de l'oasis, c'est le palmier, chanté par tous les poètes
arabes et qui a inspiré à Louis Bertrand les lignes qui
suivent, ferventes comme une prière
-------"
Le bel arbre qu'un palmier ! Comme il s'élance ! Comme il plane
! Comme l'air joue librement entre ses branches ! Et .quel jet de sève
puissante, - une sève qui résiste à l'oppression
d'un tel soleil et dont la vigueur semble d'autant plus miraculeuse qu'autour
de lui il n'y a que le vide et la stérilité ! Un beau palmier
vaut un jardin. C'est tout un monde. Des arbres fruitiers croissent sous
son ombre ; des tribus de lézards et d'ouranes l'habitent; des
tourterelles nichent au creux de ses écailles ; des bandes d'oiseaux
y chantent continuellement, même aux heures les plus chaudes du
jour. Il est plein de ramages et de parfums, de lumières et de
couleurs. Il est la chanson vivante de ces solitudes. Sans cesse, il vibre
comme une grande Ivre aérienne. Tantôt ses feuilles crépitantes
imitent les gouttelettes d'une ondée, et, dans cette aridité
implacable de la terre, il donne au Bédouin altéré
la sensation de la pluie ' rafraîchissante ; à d'autres moments,
il module sur une note ténue et plaintive les souffles les plus
insaisissables de la brise. Parfois, lorsque le simoun l'assaille et rebrousse
les larges éventails de ses bras, il sonne tout entier jusqu'à
la racine : c'est le fracas d'un navire dont les antennes gémissent
et dont les voiles tendues s'arrachent et grondent sous les coups de l'ouragan...
Le palmier est une plante sacrée ! Depuis les temps les plus reculés,
pour les fellahs d'Egypte, comme pour les nomades du Sahara, il est l'arbre
de la vie et il est l'arbre de la mort. Ses dattes sont si nourrissantes
que, chez ces races frugales, elles remplacent tout autre aliment. Son
écorce transparente a reçu, avec les antiques hiéroglyphes,
les premiers bégaiements de la pensée humaine, son bois
a fourni les cercueils des hypogées, ses essences ont parfumé
les bandelettes des momies; et c'est dans son tronc desséché
que fut creusée la barque funéraire d'Isis... Le palmier
est presque une personne divine. Aujourd'hui encore, les hommes du Sud
ont pour lui des soins filiaux qui ressemblent aux vestiges d'un culte
oublié.
-------"
Comment s'étonner de cette idolâtrie du nomade puisque le
palmier est son bienfaiteur et son nourricier ? Et comment ne pas voir
dans cet arbre tout le désert résumé comme en un
symbole, puisque nul n'y peut vivre, excepté lui? (14)
VII.
- Dans le Désert
-------Après
les dunes et les oasis, c'est le désert, le vrai, celui ,qui n'est
que pierraille, rocaille, le Reg, disent les nomades, par opposition à
l'Erg des dunes, celui que l'on appelle, en plusieurs endroits du Sahara,
le Tanezrouft, (il y a plusieurs Tanezroufts), le pays de la peur et de
la soif. J'ai traversé celui qui s'étend entre le Hoggar
et l'Adrar des Iforas, Un de mes compagnons de route, M. E.-F. Gautier,
le véritable maître ès-sciences sahariennes de notre
temps, a ,décrit comme suit, après les avoir parcourues
maintes fois, ces terribles régions où
la pierre elle-même semble souffrir, où elle éclate
sous les influences alternées du grand soleil et
du refroidissement nocturne
-------"
Le grand danger du désert, c'est la mort de soif. Elle n'est pas
dans la réalité aussi terrible qu'on l'imaginerait. Chez
l'agonisant de soif la conscience parait disparaître longtemps avant
la vie. Quelques méharistes indigènes, dit Laperrine, n'avaient
plus d'eau depuis la veille au matin, et par un faux amour-propre de Sahariens,
hantés par les légendes de tel ou tel pillard fameux qui
restait des deux et trois jours sans boire comme son méhari, ils
ne s'étaient pas plaints. Mais l'après-midi, les assoiffés
s'évanouirent ; on les ranima en les faisant boire par petites
gorgées, et en leur faisant des injections sous-cutanées
de caféine. Nous avons là-dessus le témoignage de
cet observateur excellent qu'était Barth : il a été
retrouvé agonisant de soif au Sahara tripolitain par ses compagnons
qui le ranimèrent. Sa sensation dominante était l'impuissance
de bouger, une atonie à demi inconsciente. C'est la forme courante
de la mort au Sahara. Ainsi a fini le général Laperrine
à la suite d'une panne d'avion. II n'est pas très rare de
trouver au bord de ces sentiers sahariens, si peu passagers, des morts
de soif, attendant depuis un mois ou deux l'aumône d'une sépulture,
à demi-momifiés par l'air sec du désert. Mrs Rosita
Fdrbes a vusur la route de Koufra " un groupe de squelettes encore
frais, restes évidents d'une caravane morte de soif ". Ceux
qui meurent loin des sentiers ne sont jamais retrouvés et sont
portés disparus.
-------"
Il faut se représenter l'emprise sur l'imagination humaine de ce
danger éternellement présent. Songez au départ de
la caravane qui s'engage sur une route où elle sait que tant d'autres
avant elle ont trouvé la mort et qui s'entend faire des recommandations
de ce genre : " Gardez " l'étoile polaire bien en face
de votre il droit et marchez " tout le jour jusqu'à
ce que vous ayez repéré l'étoile du " soir "
avec ce conseil additionnel : " Surtout ne déviez " pas
trop à l'ouest, parce que vous iriez au diable. " Représentez-vous
le cheminement interminable à travers le reg uniforme, jour après
jour, lorsqu'on guette le mirage : parce que le mirage relève l'horizon
et permettra peut-être d'apercevoir de plus loin un amer, donnant
la direction. Songez à l'impression du voyageur lorsqu'il reste
un demi-litre d'eau pour dix-sept personnes que le guide a manifestement
perdu la piste, et que les membres les moins raisonnables de la caravane
regardent ce guide de travers en caressant la crosse de leur fusil. "
-------Les
indigènes sahariens, dans ces moments critiques, savent le danger
de l'émotion; et ils le personnifient dans une de leurs légendes.
Le désert a ses voix : les écarts brusques de la nuit au
jour font parfois éclater avec bruit, ou crisser, les roches désertiques.
C'est ainsi que, au dire des anciens, le colosse de Memnon saluait le
jour, quand ses premiers rayons le frappaient. La dune aussi parle certains
jours dans certaines dunes, sous l'influence du vent, ou sous la simple
pression d'un pas humain, il y a des ébranlements, des frémissements
; les milliards de grains de sable frottant légèrement l'un
contre l'autre font un ronflement étrange assez analogue à
un roulement de tambour. Ces bruits mystérieux sont pour les indigènes
l'éclat de rire d'un djinn, qu'ils appellent Roui, et qui est l'ange
noir des voyageurs égarés. Lorsque le voyageur a perdu la
piste, lorsque l'épuisement de la fatigue, l'atonie de la soif
et l'angoisse du danger commencent à troubler son il et à
paralyser son cerveau, alors il croit entendre l'éclat de rire
de Roul. (15) "
(1) FROMENTIN. - Une
année dans le Sahel. Paris, Plon, éd. 1925, in-18, p. 73
à 75.
(2) Walter B. HARRIS a raconté dans Le Maroc disparu, Paris, Plon,
1929, in-18, p. 35-38, la mort de ce personnage.
(3) André CHEVRILLON. - Marrakech dans les palmes. Calmann-Lévy,
Paris, 1922, in-18, p. 239 et 240.
(4) Jérôme et jean THARAUD. - Marrakech ou les Seigneurs
de l'Atlas. Paris, Plon, 1920, in-16, p. 77-78-79.
(5) André CHEVRILLON. - Marrakech dans les palmes. Calmann-Lévy,
Paris, 1922, in-18,-p. 134, 135, 136, 137, 138 et 139.
(6) Louis BERTRAND. - Le Jardin de la mort. Paris, Albin Michel, in-16,
p. 166 et 167.
(7) Louis BERTRAND. - Le Jardin de la mort. Paris, A1bin Michel, in-l8,
p. 169 à 172.
(8) Louis BERTRAND. - Le jardin de la mort. Paris, Albin Michel, in-18,
p. 210 à 215.
(9). FROMENTIN. - Une année dans le Sahel. Paris, Plon, éd.
1925, in-18, p. 32 à 34.
(10 ) Hugues LEROUX. - Au Sahara. Paris, Marpon et Flammarion, 1891, in-16,
p.120 et 121.
(11) .MAUPASSANT. - Au Soleil. Paris, éd. Cosnard, 1928, in-80,
p. 102, 103, 104 et 105
(12) Pierre DELONCLE. - La Caravane aux éperons verts. Paris, Plon,
1927, in-I8, p. 28 à 31
(13) THARAUD (). et J.). - La féte arabe. Paris, Pion. 1922, in-18,
p. 14 à 20.
(14) Louis BERTRAND. - Le Jardin de la mort. Paris, Albin Michel, in-16,
p. 125 et 126.
(15). E.-F. GAUTIER. - Le Sahara. Paris, Payot, 1923. in-16, p. 93 à
95.
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