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-La vie et les mœurs en Algérie : avant-propos
CahierX du Centenaire de l'Algérie
par M. Pierre DELONCLE
Ancien élève diplômé
de l'école des Chartes,
Membre du Comité National du Centenaire

Publications du Comité National Métropolitain du Centenaire de l'Algérie
Alger, 1930
collection personnelle.

n.b : tous ces textes ont été passés à l'OCR, je ne les pas vérifiés minutieusement. Veuillez pardonner les erreurs éventuelles, vous pouvez même me les signaler.Merci
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AVANT-PROPOS

" Un gouvernement d'infidèles peut durer, s'il est juste; un gouvernement de vrais " croyants, s'il est injuste, doit périr. "
(Hadith de Mahomet.)

" Ceux qui sont les plus disposés à aimer " les Musulmans sont les hommes qui se " disent chrétiens. r
(Le Coran, chap. V, verset 85.)

-------Le Comité National du Centenaire de l'Algérie a voulu que, dans la série de brochures publiées par ses soins à l'occasion du Centenaire, une place fût réservée à la vie et aux mœurs des indigènes.
-------Ce qui fait le charme prenant de la terre africaine, ce ne sont pas seulement, en effet, les grands souvenirs que l'Histoire y a accumulés. Il faut avoir lu beaucoup de livres pour bien connaître ce prodigieux passé. Mais le voyageur le moins érudit, pour peu qu'il sache voir, qu'il possède ce don de sympathie clairvoyante qui est un des traits distinctifs de la nature - j'allais écrire de la gentillesse - française, goûtera profondément la simplicité de mœurs que les habitants indigènes de notre Afrique du Nord ont su garder. La vie factice et triste que nous menons sous les climats brumeux, nous pèse souvent comme une servitude : c'est une existence de luttes constantes pour la vie d'abord - comme partout -, mais aussi pour beaucoup d'intérêts et d'ambitions que nous nous sommes donnés à nous-mêmes comme des buts qu'il faut atteindre, et à peine avons-nous touché à l'un de ces buts que nous nous élançons vers un autre. Toute cette activité dont nous sommes si fiers contient une grande part d'agitation stérile et vaine; aussi à certaines heures éprouvons-nous un impérieux besoin de calme, de silence, de grandes lignes simples comme étendues dans la lumière.
-------À tous ceux qui souffrent de ce besoin, qui désirent une halte de simplicité sur le chemin qu'ils suivent, l'Afrique du Nord peut apporter l'apaisement, au moins momentané, de leurs fièvres et de leurs inquiétudes. S'ils ne lui accordent que quelques semaines de voyage, sans oser lui consacrer toute leur vie comme le firent le Père de Foucauld ou Isabelle Eberhardt (et tant de moins illustres qu'elle a envoûtés et gardés), la terre africaine leur donnera au moins, pour le reste de leurs jours, des souvenirs dont le parfum enchantera leur route. L'on ne peut avoir respiré une fois ce parfum de l'Afrique sans lui garder une gratitude infinie ; l'auteur de ces lignes ne possède d'autres titres que cette " reconnaissance africaine " au choix dont il a été l'objet pour les publier. Puissent-elles du moins, par les témoignages qu'elles reproduisent d'auteurs plus qualifiés que lui, éveiller chez tous ceux que toucha la grande inquiétude des temps présents, cette curiosité que méritent si bien l'Afrique et ses habitants indigènes et que ni la terre, ni les hommes ne sauraient jamais décevoir.

-------Mais ce n'est pas seulement au repos dans la contemplation de la lumière et dans le recueillement de la vie intérieure que nous convie, nous Français, l'Afrique du Nord devenue française. C'est aussi à l'action pour l'élever sans cesse à plus de bonheur et à plus de richesse.
-------Porte triomphale d'un monde immense et si longtemps fermé, où d'Alger à Brazzaville nous ne foulons sur 41 degrés de latitude que des terres françaises, l'Algérie, flanquée des deux protectorats de la Tunisie et du Maroc, nous apparaît comme un de ces arcs splendides, construits en grand appareil, que Rome élevait sur le chemin de ses légions, à la fois pour glorifier leur passé, et jalonner leur passage sur le chemin qu'elles devaient suivre encore. Tout comme les auteurs de jadis aimaient à placer un frontispice en tête de leur œuvre, nous voudrions reproduire ici une page de Louis Bertrand, où l'illustre écrivain a si bien montré le sens de ces arcs de triomphe que l'on rencontre en terre africaine en tous les lieux qu'atteignirent les aigles romaines:

 

-------" Ces arcs de triomphe répandus partout, jalonnant les routes, coupant les avenues des villes, ils provoquent sans cesse mon émerveillement. J'y vois inscrite, comme en des trophées indestructibles, cette belle idée latine du Triomphe, si contraire à la basse envie démocratique des temps modernes. Rendre à un homme des honneurs presque divins, lui tendre la coupe des hymnes en présence de tout un peuple, inventer pour lui des fêtes sans pareilles, afin que des images plus belles accompagnent son ivresse, s'associer, dans le même moment, à la joie qui gonfle son cœur, prendre sa part de sa louange, cette conception généreuse ne pouvait naître que dans une élite de citoyens libres et tels qu'on n'en reverra plus. Il fallait croire, pour cela, à des natures d'élite, intermédiaires entre les hommes et les dieux : " Oui ! Je le pense, - dit Cicéron, - ô Scipion, ô Laelius, vous fûtes des hommes divins ! ! 1 " Or, on ne jalouse pas les dieux, on les aime et on les vénère.
-------" Cette exaltation de l'individu trouvait son correctif dans le culte des ancêtres et des traditions domestiques et nationales. Le héros, en ces temps privilégiés, n'était pas le fléau céleste qui brûle et qui saccage autour de lui, le révolutionnaire, au romantique délire, qui trahit ses morts et qui renverse la maison de famille ; c'était le fils pieux de la Cité, le rejeton accompli en qui s'incarnait toute une race. Aussi la race et la cité se reconnaissaient en lui l... " Triompher ! Vivre de la vie des dieux! ... Être des dieux, ne fût-ce que l'espace d'un seul jour! ... Quel stimulant cette ambition devait fournir aux énergies juvéniles ! " (1).
-------Cette magnifique leçon d'énergie que donnent les arcs de triomphe d'Afrique, il faut que nos jeunes gens, la comprennent; ce qu'il y a de plus beau dans les monuments de cette sorte, c'est la lumière qui apparaît au delà de leur voûte. Un arc de triomphe, c'est une porte ouverte vers de grands espoirs, et c'est vers l'Afrique française tout entière, que notre jeunesse doit porter les siens. Sans chercher les applaudissements personnels qui pouvaient enivrer Scipion et Laelius, - ce n'est plus l'individu qui compte aujourd'hui, c'est la part qu'il prend à œuvre collective de sa patrie - nos jeunes hommes trouveront en Afrique le champ le plus vaste et celui qui mérite le mieux d'attirer leur énergie, leur savoir, leur intelligence et leur cœur.
-------La France doit à tous les indigènes qui peuplent cette grande Afrique française de leur envoyer des guides utiles et bons. Pour travailler ensemble avec succès, il faut se connaître, s'estimer, s'aimer. Puissent les notes qui vont suivre, servir à répandre dans la métropole le respect et l'affection que méritent les indigènes de l'Afrique du Nord. C'est aux 250.000 combattants qu'elle nous envoya pendant la guerre que ces pages sont dédiées par un frère
d'armes.

(1) Louis BERTRAND. - Le Jardin de la Mort. Paris, Albin Michel, in-18, p. 243 à 245.