Les grands soldats de
l'Algérie
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Les grands soldats de l'armée d'Afrique ont réalisé en Algérie non pas la conquête brutale du sol par les armes, mais la conquête progressive des populations indigènes, grâce à leur justice, à leur bienveillance et à leur générosité |
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-------Les grands soldats de l'armée d'Afrique ont réalisé en Algérie non pas la conquête brutale du sol par les armes, mais la conquête progressive des populations indigènes, grâce à leur justice, à leur bienveillance et à leur générosité. Ils ont dû souvent employer la force, mais après avoir usé de tous les moyens de conciliation. Leur uvre a été constructive; elle a établi la paix, la prospérité et le bonheur, dans un pays désolé par les luttes intestines, l'insécurité et la misère, tandis que l'uvre des armées, dans les pays les plus civilisés, est malheureusement destructive, et laisse derrière elle la souffrance pour de longues années. -------Il serait d'ailleurs injuste de limiter à quelques figures éminentes la liste des noms dignes d'être conservés par l'histoire. Les soldats remarquables de l'armée d'Afrique formeraient une longue galerie, si on voulait les dépeindre tous, car de nombreux personnages ont joué un rôle resté peu apparent, et d'autres étaient, à l'époque de la conquête, encore trop jeunes pour exercer un commandement important. -------Dans cette glorieuse phalange peuvent être placés les commandants en chef comme Berthezéne, qui avait remarquablement commandé sa division à l'expédition d'Alger, le duc de Rovigo, Voirol, Drouët d'Erlon, Damrémont tué la veille de l'assaut de Constantine, le maréchal Valée; des conducteurs d'hommes comme Oudinot, Baraguey d'Hilliers, de Bourjolly, Létang, Thiery, Duvivier, d'Armandy, Marey, de Barral, Négrier, Combe, Morris, d'Hautpoul, Charon, Renaud, Korte, Comman, Géry, Gentil, Tempoure, Tartas, Charras, Martimprey, Montauban, d'Allonville, Margueritte, du Barail, Trochu ; des officiers connaissant bien les Indigènes comme Daumas, Walsin-Esterhazy, Pellissier de Reynaud, Bazaine, Beauprêtre, Vergé du Taillis; de futurs grands chefs comme Saint-Arnaud, Pélissier, Forey, Bosquet, Mac-Mahon, Canrobert, Chanzy. Chacun d'eux mériterait un portrait qui ferait ressortir aussi bien ses hauts faits militaires que ses efforts organisateurs. Combien d'autres sont tombés, comme le lieutenant-colonel de Montagnac à Sidi-Brahim, sans avoir pu donner la mesure de leur valeur... -------Les maréchaux Clauzel, Bugeaud et Randon symbolisent bien les trois grandes étapes de la conquête de l'Algérie : tâtonnements et essais; luttes ardentes et décisives; pacification complète et organisation définitive. -------On a voulu souvent attribuer, tout le mérite de la conquête à Bugeaud ; il faut rendre hommage à ses prédécesseurs et à ses successeurs. -------Clauzel a eu de grandes idées; dans son premier gouvernement, il a envisagé une sorte de protectorat français par l'intermédiaire de la maison de Tunis, qui eût modifié complètement l'histoire de. l'Afrique du Nord; dans le second, il a projeté l'occupation méthodique de l'Algérie et il aurait pu la réaliser s'il avait obtenu du Gouvernement des moyens suffisants; il a conçu d'une manière très large le développement agricole et commercial du pays. Il a été combattu à Paris par des ennemis acharnés, pendant qu'il se dévouait à sa tâche. -------Si Bugeaud,
qui n'a pas eu moins d'ennemis, a réussi, c'est parce qu'il a eu
la confiance et l'appui de Louis-Philippe, et parce qu'il a disposé
de moyens proportionnés à ses entreprises. -------Les Indigènes ont été des conseillers utiles, trop peu employés, et des exécutants splendides. En voyant ce qu'ont fait Mustapha ben Ismaël et Yusuf, on se rend compte des , services qu'auraient pu rendre tant de chefs musulmans qui se sont offerts aux représentants de la France et ne se sont tournés contre eux que par suite de leurs hésitations, de leur faiblesse, et parfois même de leurs abandons. -------Les principaux lieutenants de Bugeaud, La Moricière, Changarnier, Cavaignac et Bedeau, ont créé, sous la haute direction de l'illustre gouverneur, un système de guerre spécial, approprié à la nature du pays et à l'ennemi qu'ils combattaient. -------Les principes
de ce système échappaient aux chefs qui n'avaient pas l'esprit
assez souple pour concevoir autre chose que la tactique employée
contre les armées européennes, et qui prétendaient
combattre en Afrique comme à Wagram : «
Ces fameuses reliques de l'Empire, écrivait Montagnac en 1842,
arrivent ici avec des idées préconçues, des systèmes
qu'ils se sont forgés dans leurs cabinets, avec quelques farceurs
d'officiers d'état-major... Il est facile de concevoir que ces
anciens héros, tourmentés par leur jalousie, ne consentiront
jamais à suivre la voie tracée par les La Moricière,
les Changarnier, les Bedeau, etc. (1) ». Ces principes
sont cependant restés vrais, et leur oubli périodique a
amené à plusieurs reprises, dans l'histoire de l'Afrique
du Nord, des insuccès qui auraient pu être évités. -------C'est en effet à la colonisation du pays que les grands chefs de l'armée d'Afrique n'ont cessé de penser, au milieu de leurs efforts pour amener la paix. Clauzel déclarait dès le mois de mars 1832 à la tribune de la Chambre, que la Régence d'Alger devait, au bout de 10 ans, livrer au commerce une somme de plus de 200 millions de denrées coloniales, et au (bout de 20 ans, compter près de 10 millions d'habitants; il publia en 1833 un volume sur la question. Bugeaud écrivit nombre de rapports et de brochures relatives à la colonisation, dès 1838, et pendant son gouvernement de 1841 à 1847. Cavaignac, La Moricière et Bedeau réunirent eux aussi dans des volumes le résultat de leurs méditations à ce sujet. Randon accomplit une oeuvre dont il continua à suivre le développement même après sa rentrée en France. -------La passion avec laquelle certains d'entre eux soutinrent leurs idées fut telle qu'elle contribua dans une large mesure à les séparer et même à développer entre eux de funestes jalousies. Bugeaud et La Moricière se trouvèrent aux prises; et, lorsque Bugeaud constata que le Parlement accordait ses préférences au système de La Morcicière, il abandonna le gouvernement général, plutôt que de renoncer à sa « colonisation militaire » et que d'assister à l'éclosion en Algérie d'une administration civile. La lutte entre Bugeaud et La Moricière fut d'autant plus vive qu'ils s'appuyaient sur des hommes politiques, des journaux et des partis, étant l'un et l'autre députés. -------Presque tous les grands soldats de la conquête algérienne ont été députés et ont versé dans la politique. Lors des événements de la Révolution de 1848, se retrouvèrent à Paris, dans des rôles divers, Bugeaud, Bedeau, La Moricière, Cavaignac et Changarnier, sans parler d'autres Africains tels que Trézel, Charras, Duvivier et Le Flô. Lors de la préparation du coup d'État du 2 décembre 1851, la « nouvelle Afrique », où l'on comptait Saint-Arnaud, Magnan, Fleury, Canrobert, d'Allonville, Espinasse, travailla pour l'établissement de l'Empire; par contre, parmi les seize représentants du peuple arrêtés le 2 décembre, se trouvèrent Changarnier et Bedeau, qui prirent, ainsi que Charras et Le Flô, le chemin de l'exil. -------Les grands soldats de l'armée d'Afrique ont été des idéalistes; ils ne tinrent compte de leurs intérêts personnels ni dans leurs campagnes algériennes ni dans leurs luttes politiques, et finirent rarement leur existence dans les honneurs. Depuis Bourmont qui emportait en exil, comme seul trésor, le cur de son fils mort de sa blessure, et Clauzel qui revenait à la maison paternelle avec « sa vieille épée de combat, sans or ni diamants à la monture », jusqu'à Randon qui rentrait en France sans avoir tiré profit de son long gouvernement, ils n'ont pensé qu'à la grandeur de la France et à la prospérité de l'Algérie. -------Qu'ils symbolisent dans l'histoire l'effort accompli par la France en Afrique du Nord et que leurs noms soient honorés par la postérité, c'est justice. Mais ils ne doivent pas faire oublier la masse anonyme des officiers, sousofficiers et soldats de l'armée d'Afrique. -------Cette armée a accompli une tâche multiple en maniant non seulement le fusil, mais aussi la pioche, la pelle et la truelle. Elle-ne s'est pas bornée à pacifier le pays; elle a assaini les régions malsaines, défriché les terrains broussailleux, créé des routes, construit des hôpitaux et des écoles, fondé des cités devenues prospères. C'est elle aussi qui a posé les principes de l'administration des Indigènes, établi avec eux des relations commerciales, associé leur travail au sien. -------Dans cette riche contrée qu'est devenue l'Algérie, les colons n'ont pas le temps, au cours de leurs journées remplies, d'apprendre l'histoire des champs qui leur donnent la fortune sous forme de blé, de raisin, d'olives et de fruits divers, et ignorent au prix de combien de vies humaines ces terres ont été arrachées à la stérilité; les voyageurs qui traversent ces pays fertiles en automobile, sur de bonnes routes, ne se doutent pas qu'elles ont à l'origine été construites par des soldats qui ont reçu, pour récompense de leur travail, un supplément de pain et un quart de vin par jour, soit 0 fr. 15 au prix de l'époque. -------Des milliers
d'officiers et de soldats de l'armée d'Afrique sont morts sur les
champs de bataille, dans les hôpitaux ou dans leurs foyers. Ceux
qui ont vécu sont restés pauvres, après avoir déposé
entre les mains de la France les richesses d'un pays magnifique, où
Européens et Indigènes connaissent la prospérité
et le bonheur. -------Puissent
le dévouement et le désintéressement de ces glorieuses
phalanges, depuis les grands soldats placés à leur tête
jusqu'aux petits soldats perdus dans le rang, servir d'exemple aux hommes
trop enclins à ne chercher dans l'existence que des satisfactions
matérielles. Les « Africains »
ont travaillé et sont morts pour la France; ils n'ont guère
désiré qu'une chose, c'est que la France leur reste reconnaissante
de leur sacrifice; leur désir n'est pas déçu
: sur les fêtes du Centenaire de l'expédition d'Alger plane
le grand souvenir de l'armée d'Afrique.
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