mise sur site le 15-08-2003
-Les grands soldats de l'Algérie
CHAPITRE VII :LE MARÉCHAL RANDON
Le maréchal Randon a certaines analogies avec Bugeaud, non au point de vue du caractère, mais au point de vue des idées et des actes; il est cependant beaucoup moins connu, parce qu'il n'a pas eu à triompher en Algérie d'adversaires aussi brillants que l'émir Abd el Kader, et qu'il n'a pas été attaqué en France de manière aussi violente que son prédécesseur.
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CHAPITRE VII

LE MARÉCHAL RANDON

Jacques-Louis-César-Alexandre, comte RANDON
Né à Grenoble (Isère) le 25 mars 1795
Lieutenant général le 22 avril 1847
Ministre de la Guerre du 24 janvier su 26 octobre 1851
Gouverneur général de l'Algérie du 11 décembre 1851 au 31 août 1858
Sénateur le 31 décembre 1852
Grand croix de la Légion d'honneur le 24 décembre 1853
Maréchal de France le 18 mars 1856
Ministre de l'Algérie et des Colonies du 14 juin 1858 au 5 mai 1859
Ministre de la Guerre du 5 mai 1859 au 9 janvier 1867
Décédé à Genève (Suisse), le 15 janvier 1871

--------Le maréchal Randon a certaines analogies avec Bugeaud, non au point de vue du caractère, mais au point de vue des idées et des actes; il est cependant beaucoup moins connu, parce qu'il n'a pas eu à triompher en Algérie d'adversaires aussi brillants que l'émir Abd el Kader, et qu'il n'a pas été attaqué en France de manière aussi violente que son prédécesseur.

--------Ce jeune engagé de 1812, nommé sous-lieutenant à Moscou et promu capitaine en novembre 1813 avant d'avoir 19 ans, avait su travailler et acquérir de nouvelles connaissances, de 1815 à 1830, tandis qu'il restait capitaine. Devenu en 1838 colonel du 2e chasseurs d'Afrique à Oran, il s'était appliqué non seulement à développer la glorieuse réputation de son régiment au cours des diverses expéditions, mais aussi à réaliser avec ses chasseurs la colonisation militaire préconisée par Bugeaud.

--------Randon fut un de ces nombreux officiers qui travaillèrent silencieusement à faire de l'Algérie un pays prospère. Son « compte-rendu des travaux de culture entrepris par le 2e chasseurs d'Afrique de l'année 1839 à 1840 », et le mémoire relatif aux moyens de fonder des colonies régimentaires, qui y était joint, lui méritèrent les félicitations du ministre de la Guerre, le maréchal Soult.

--------Les travaux agricoles qu'il entreprit dans les environs d'Oran prêtèrent appui et encouragement aux colons encore rares, tout en procurant aux chasseurs distraction et bien-être. Randon savait à la fois surveiller et encourager ses hommes et il les associait aux résultats. Combien d'Oranais se doutent, parmi ceux dont les domaines s'étendent dans la banlieue de la grande ville, que Randon et ses chasseurs d'Afrique ont été leurs précurseurs ?

--------A Bône, où il fut nommé maréchal-de-camp en septembre 1841, Randon continua l'application des mêmes principes : pacification par des colonnes, colonisation par des travaux. Partout où il imposait la paix, il se faisait suivre de routes qui, construites à peu de frais par les soldats, assuraient à la fois le ravitaillement des troupes et l'exploitation forestière ou minière.

--------Les colons qui commençaient à s'établir dans la région faisaient de lui son éloge, tel celui qui écrivait dans la Phalange du 30 octobre 1842: « L'entrain était général, le chef avait communiqué son ardeur à tous ses hommes. Plusieurs ateliers furent formés, et, la rivalité aidant, les travaux les plus gigantesques ne parurent plus qu'un jeu à nos soldats excités par les liens affectueux qui les unissaient à leurs officiers et à leur digne général. Vous ne sauriez vous faire une idée des heureux effets de cet accord du soldat avec tous ses chefs; c'était vraiment merveilleux. L'élan était donné; le ton était au travail, à l'ardeur et aux rapports affectueux. L'impulsion venait du sommet de la hiérarchie; chacun était à son poste, rivalisant de zèle et d'ardeur; la pioche et la barre à mine résonnaient de tous côtés. » Cette description de l'état d'esprit des corps d'Afrique est d'autant plus intéressante qu'elle est donnée par un colon, et qu'elle représente les traditions qui se sont perpétuées depuis.

--------Lorsque Randon quitta Bône, à la suite de sa promotion au grade de lieutenant-général en avril 1847, il fut unanimement regretté; mais l'expérience de l'Afrique du Nord qu'il avait acquise par son long séjour allait lui être très utile dans de plus hautes fonctions. Il fut d'abord, après la Révolution de 1848, directeur des affaires de l'Algérie au ministère de la Guerre; puis, après avoir commandé la division de Metz, il accepta le ministère de la Guerre en janvier 1851 ; tout en organisant l'armée de Paris, il fit exécuter en mai une expédition en Petite Kabylie, sous la direction du général de Saint-Arnaud, pour montrer aux Indigènes que la chute de Louis-Philippe n'avait rien changé aux intentions de la France, et pour maintenir « des troupes rompues aux fatigues et familiarisées avec le danger », en cas de guerre européenne.

--------Remplacé comme ministre le 26 octobre par le général de Saint-Arnaud, en prévision du coup d'État du 2 décembre, Randon fut nommé le 14 décembre 1851 gouverneur général de l'Algérie. Sa première préoccupation fut de constituer une armée d'Afrique capable de lutter à la fois contre les ennemis européens de la France et contre les Indigènes algériens encore incomplètement soumis.

--------Le projet d'organisation qu'il adressa dès le 20 janvier 1852 au ministre de la Guerre, le général de Saint-Arnaud, vieil Africain lui aussi, est celui qui a le plus contribué au développement des corps spéciaux de l'armée d'Afrique. Randon demandait pour chaque province: un régiment de zouaves; deux bataillons de tirailleurs algériens; un régiment de légion étrangère; un bataillon de chasseurs à pied; deux régiments d'infanterie de ligne; un escadron du train des équipages. Ce qu'il voulait, c'était disposer de « régiments acclimatés », car il avait constaté par expérience que l'effectif constamment disponible y était très supérieur à celui existant dans les régiments venant de France.

--------Les raisons qu'il invoquait pour former de nouveaux bataillons de tirailleurs indigènes étaient des raisons politiques tout autant que des raisons militaires; elles montrent que Randon savait concevoir la grandeur de son rôle : « La création d'un nouveau bataillon de tirailleurs indigènes par province, a-t-il écrit dans ses Mémoires, devait avoir aussi les meilleurs résultats au point de vue politique. En passant sous nos drapeaux, les indigènes s'initient à nos mœurs, à nos usages, à notre langue, se façonnent à notre discipline et s'habituent à la soumission. Utiles à notre cause sur le champ de bataille, ils la servent encore au milieu de leurs tribus, au sein de leur familles, en racontant sous la tente tous les soins que nous prenons d'eux et les bons traitements qu'ils reçoivent de nos officiers. »

--------Cet exposé a conservé toute sa valeur; car le régiment indigène, à condition de n'être pas stationné en France comme il l'a malheureusement été depuis, est la meilleure école où l'Indigène puisse apprendre le respect et l'amour de la France, pratiquer la langue, acquérir des notions de discipline et de justice et s'initier peu à peu à des principes et à des mœurs dont le contact prématuré lui est toujours funeste.

--------Randon, guidé par son expérience, proposa, en ce qui concerne la cavalerie, de grouper davantage chacun des trois régiments de chasseurs d'Afrique, de manière à y faciliter le maintien de la discipline et la marche de l'instruction.

--------Pour les spahis, il voulut réaliser un groupement adapté à la vie indigène, la smala. En accordant aux spahis la faculté d'habiter sous des tentes du pays, avec leurs femmes et leurs enfants, il espérait avec raison pouvoir les recruter parmi les meilleures familles de la région, et avoir ainsi d'habiles cavaliers, « hommes de poudre » par atavisme. Les smalas, réparties sur la lisière du Tell et aux frontières, pourraient fournir à tout moment des effectifs aux commandants de cercles; cultivant pour leurs besoins des terres qui leur seraient attribuées, elles constitueraient de véritables colonies agricoles.

--------« L'établissement des smalas, écrivait Randon dans ses Mémoires, considéré à d'autres points de vue, promettait encore certains avantages. Répandus par fractions dans le pays arabe, les spahis verraient leur influence acquérir, à notre profit, son plus grand développement. Cultivant sous nos yeux, et pour ainsi dire sous notre direction, ils introduiraient nécessairement dans l'agriculture les diverses améliorations que nous pourrions leur suggérer, et ces améliorations se répandraient d'autant plus facilement parmi les populations indigènes que les points de contact entre elles et les smalas seraient plus multipliés. Ils contribueraient enfin à l'amélioration de la race chevaline et à la propagation de l'espèce, question intéressante pour le pays, urgente pour la cavalerie d'Afrique. »
Randon voulait aussi que l'Algérie pût se suffire à elle-même dans le cas où les communications avec la mère­patrie seraient coupées. C'est dans ce but qu'il fit rem­placer les pièces de l'armement des côtes, et chercha à développer lés mines de manière à favoriser la création de centres industriels.

--------Les frontières avec les états voisins de l'Algérie, Tunisie, et Maroc, dépendaient des migrations des tribus et de leur bon vouloir, et restaient pratiquement incertaines, malgré les travaux de délimitation effectués: « Seuls nous respections les frontières, a écrit Randon, parce que seuls nous tenions à faire régner l'ordre et la paix chez les tribus qui nous étaient soumises; les brigandages exercés par les tribus ennemies restaient ainsi impunis; la chancellerie était impuissante, quand elle essayait d'intervenir auprès des gouvernements limitrophes, et cette intervention n'avait servi jusqu'alors qu'à prouver le mauvais vouloir ou l'inaptitude de ces gouvernements à faire droit à nos demandes, alors même qu'ils en reconnaissaient la justice ». Aussi avait-il prescrit aux commandants de province, comme ministre de la Guerre, de se montrer sobre de réclamations et de repousser les pillards sans se laisser arrêter par la ligne fictive de la frontière. Il renouvela ces instructions comme Gouverneur général et n'hésita pas, en mai et juin 1852, à faire châtier, par le général de Montauban, la tribu marocaine des Beni Snassen, et à la forcer à accepter ses conditions.

--------La Kabylie n'ayant jamais été soumise, Randon décida de réduire les tribus successivement; à cet effet, il fit construire des routes par les colonnes expéditionnaires, qui pouvaient ensuite s'installer au cœur du pays en y étant bien ravitaillées. C'est par ces moyens que les généraux Camou, de Mac-Mahon, d'Autemarre, Bosquet obtinrent des succès. A l'Est comme à l'Ouest, les tribus coupables furent poursuivies et châtiées au delà des frontières, sans que le gouvernement de Tunis protestât davantage que celui du Maroc, « preuve évidente, écrit Randon, que ces gouvernements eux-mêmes reconnaissaient implicitement que les moyens employés étaient les seuls efficaces.»

--------Le Sud algérien restait le refuge des dissidents. Un agitateur ayant soulevé les tribus sahariennes, les généraux Pélissier et Yusuf enlevèrent Laghouat d'assaut le 4 décembre 1852. Cet événement amena Randon à organiser la pacification du Sahara. Pour dominer le pays kabyle, il avait employé la route. Pour dominer le Sud, il décida d'y établir une troupe mobile, capable d'assurer la protection des tribus nomades grâce à un large rayonnement; une garnison fut installée à Laghouat, sous le commandement de l'énergique capitaine du Barail, et les Larbaa furent chargés d"entretenir une smala de 500 méharis harnachés, destinés à transporter soit des fantassins, soit des vivres et des bagages. C'était la première ébauche des troupes sahariennes.

--------La soumission de la Kabylie ayant été décidée pour 1853, ce fut le ministre de la Guerre, le général de Saint­Arnaud, qui fut chargé de diriger les opérations. Randon, ne pouvant souffrir une atteinte si directe à ses prérogatives, envoya immédiatement sa démission de gouverneur: « Je n'ai pas à discuter les ordres de l'Empereur, écrivit­il, je n'ai qu'à m'y soumettre; mais, en même temps, il importe que la dignité du commandement et la considération militaire qui s'y rattachent soient sauvegardées. »

 

--------L'Empereur n'accepta pas sa démission; l'expédition fut ajournée et remplacée par la soumission des Babor, par les divisions Mac-Mahon et Bosquet, opérant sous les ordres de Randon. Cette opération terminée, une expédition fut organisée dans le Sud contre l'agitateur Mohammed ben Abdallah; l'âme en fut le chef religieux des Oulad Sidi Cheikh, i Hamza. Tandis que, au début de novembre 1853, Si Hamza, accompagné du commandant de Colomb, commandant supérieur de Géryville, prenait la tête d'une colonne de goums chargés spécialement de poursuivre l'agitateur, trois autres colonnes de goums, partant respectivement des trois provinces, l'appuyaient en s'avançant vers le Sud, déployées ainsi sur un immense front. Si Hamza entra à Metlili, puis à Ouargla, obtenant plein succès. Ce spectacle d'un grand marabout qui combattait pour la France un adversaire dressé contre elle au nom de la religion, et qui déclarait n'avoir qu'un drapeau, le tricolore, impressionna fortement les Indigènes. Si Hamza reçut, comme récompense, l'administration des territoires soumis. La route desservit Laghouat l'année suivante.

--------Le souci de la pacification des régions insoumises n'empêchait pas Randon de développer par tous, les moyens la colonisation. Les tentatives de créations de villages et les ventes de terrains n'obtinrent pas de grands résultats, parce que les colons ne venaient pas en assez grand nombre. Néanmoins, comme le remarquait Randon, si les résultats acquis avaient été « de provenance anglaise ou américaine, peut-être la critique eût-elle fait place à la louange. » Il développa la culture du tabac et du coton; il organisa le service des remontes et développa le goût de l'élevage des chevaux en instituant des courses dans les trois provinces.

--------Il ne négligea d'ailleurs nullement les questions financières, scientifiques, littéraires, artistiques, historiques et archéologiques, et fut le fondateur de la Société historique algérienne, dont l'organe fut la Revue Africaine, recueil précieux qui se continue toujours.

--------La guerre de Crimée fournit l'occasion de tenter une épreuve décisive. Tandis que la France se trouvait aux prises avec une puissance musulmane, ses sujets algériens allaient-ils lui rester fidèles?, Un mouvement en Kabylie fut rapidement maîtrisé par l'expédition du Sébaou, qui valut à Randon la croix de grand officier de la légion d'honneur. Une tentative d'agitation de Mohammed ben Abdallah dans le Sud amena la prise de Touggourt et la soumission de l'oued Rhir. Pendant ce temps, les tirailleurs et les zouaves se battaient pour la France en Crimée, y couvrant de gloire les drapeaux de leurs régiments.

--------L'œuvre de développement économique et agricole qui avait été poursuivie dans le Tell fut commencée dans le Sud par des officiers comme le commandant Margueritte, le futur héros de 1870. Margueritte fit construire des caravansérails et creuser des puits; mais il fit surtout construire, à 4 kilomètres du Rocher de Sel, par la main-d'oeuvre indigène, un large barrage de 200 mètres de long, qui permit d'irriguer 1.800 hectares.

--------Randon fut élevé, le 16 mars 1856, à la dignité de maréchal de France. Sa meilleure récompense était néanmoins la reconnaissance que lui manifestaient militaires, colons et indigènes, pour l'œuvre qu'il avait accomplie. Au cours d'une tournée de pacification, le général Desvaux put entendre le khalifa de la puissante confrérie religieuse des Tidjanyia s'exprimer en ces termes : « Bénissez les Français qui, en vous donnant la paix et la sécurité, vous ont préparé une prospérité qui dépasse les espérances. Vous aviez vu arriver avec effroi, il y a deux ans, ces soldats que vous aimez aujourd'hui pour le bien qu'ils vous ont fait. Je viens de traverser beaucoup d'États musulmans (au retour du pèlerinage à la Mecque) ; j'ai trouvé partout l'injustice et la violence, les routes livrées au brigandage; je n'ai respiré librement que depuis le moment où j'ai mis le pied sur le territoire soumis à la domination de la France. »

--------Cet éloge indigène du gouverneur général était justifié par les mesures qu'il ne cessait de prendre en faveur des populations. L'hiver 1855-1856 ayant été très rigoureux et ayant occasionné des pertes importantes dans les troupeaux, Randon prescrivit d'aider les Indigènes en leur fournissant des instruments et des bois pour construire des abris destinés aux animaux pendant la mauvaise saison Il fit aussi reconstituer des réserves de grains, épuisées par l'imprévoyance des Indigènes, en faisant creuser des réservoirs souterrains (silos) auprès des tombeaux des Saints (koubbas). Il était prouvé que l'Algérie, au lieu d'être une charge; pouvait être un appui précieux pour la Métropole, puisqu'elle avait fourni aux troupes de Crimée des millions de kilogrammes de blé, de farine et de biscuit, comme elle avait fourni dès milliers d'hommes et de chevaux.

--------Le maréchal ne cessait d'ailleurs de mener de front la pacification du pays et son développement économique . Au cours d'un voyage à Paris au printemps de 1857; il obtint de l'Empereur à la fois l'autorisation de faire la campagne de Kabylie, qui lui tenait tant à cœur, et le décret du 8 avril 1857, qui approuvait la concession de voies ferrées dans les trois provinces. Il fut, à son retour, reçu au débarcadère par lés autorités civiles et militaires et félicité par le Maire entouré de son conseil municipal. Les quais, la rue de la Marine la place du Gouvernement étaient pavoisés et fleuris. Un arc de triomphe, élevé au milieu de la rue de la Marine, portait l'inscription :

Au maréchal Randon
La population algérienne reconnaissante
Décret impérial du 8 avril 1857.

--------Plus loin, sur un massif d'arbustes et d'instruments aratoires, était cette autre inscription:

Au maréchal Randon
Agriculture, Industrie, Commerce

--------Entre les deux édifices, une double haie de colons portaient des bannières sur lesquelles figuraient les noms des localités qu'ils représentaient.

--------Ces détails, rapprochés du discours du khalifa des Tidjanyia, montrent comment les colons et les Indigènes savaient apprécier ce que l'armée d'Afrique et son chef faisaient pour eux.

--------Grâce à l'expérience acquise par les précédentes campagnes, l'expédition de Kabylie devait être courte et peu sanglante. Le maréchal Vaillant avait déjà écrit, en décembre 1856 : « Ce qu'on aura pris ou enlevé devra être définitivement acquis; tout pas fait en avant sera une menace de plus pour l'ennemi, une possibilité de l'atteindre plus sûrement, plus efficacement. Il n'y aura point de pas en arrière. Le temps, la patience les routes, les points fortifiés, voilà nos moyens de dompter ces fiers Kabyles. »

--------Sous la conduite de Randon, les trois divisions commandées par Renault, Yusuf et Mac-Mahon, enlevèrent les 24 et 25 mai les montagnes des Beni-Raten, qui firent leur soumission; puis la division Mac-Mahon enleva le 14 juin la position très forte d'Icheriden, dans un combat furieux dont l'issue produisit une grande impression sur les Kabyles qui se croyaient en lieu sûr : « L'ennemi, chantait un de leurs poètes, n'en est pas moins tombé sur nos têtes, guidé par le maréchal, le père de la sagesse, dont la tête mûrit les projets. » Les divisions Yusuf et Renault soumirent, les jours suivants, les Beni-Yenni. Les dernières tribus ne luttèrent plus que pour être fidèles à leur serment de résistance; il fallait, pour que leur honneur fût sauf, que leurs villages fussent brûlés : « seulement, ne nous brûlez pas trop » déclaraient les représentants de l'une d'elles. Le 12 juillet 1857, toute la Kabylie était soumise.

--------Dès les derniers jouis de mai, le tracé du Fort Napoléon avait été exécuté sur un point culminant, à Souk el Arba ; en 18 jours, du 3 au 21 juin, cet emplacement avait été réuni par une route de 6 mètres à Tizi-Ouzou, à la stupéfaction des Indigènes.

--------Cette campagne avait été un modèle au point de vue de l'exécution tactique comme au point de vue des mesures d'administration adoptées vis à vis des Kabyles; suivant la pittoresque expression du maréchal Bosquet, elle « terminait la guerre d'Afrique comme on finit une fête, par un bouquet superbe et brillant. »

--------L'habile ténacité avec laquelle Randon avait conduit la pacification à bonne fin ne l'avait pas empêché de cher­cher en même temps à faire de l'Algérie un pays riche et prospère. Il créa ou améliora un grand nombre de routes; il fit exécuter des travaux considérables d'ans les ports; il établit dés lignes télégraphiques et obtint la construction des chemins de fer; il étudia le problème de l'eau et fit forer de nombreux puits artésiens; il, se préoccupa des bâtiments civils et assura la conservation des monuments anciens; il organisa la protection l'entretien et l'exploitation des forêts de chênes-lièges; il constitua des caravanes transsahariennes destinées à établir des relations périodiques avec le Soudan ; il favorisa les congrégations enseignantes d'hommes et de femmes afin d'accroître le nombre des écoles pour les enfants des colons; il poussa, quoique protestant, à la construction d'églises catholiques pour donner une aide morale aux colons de cette religion; il créa des écoles supérieures musulmanes ou médersas et des collèges arabes-français. Il obtint enfin un accroisse­ment constant du mouvement commercial qui est plus éloquent que tout éloge.

--------Les grands militaires de l'armée d'Afrique ont parfois été représentés comme des faiseurs d'expéditions, peu capables de bonne administration. Ceux qui ont gouverné le pays ont fourni la preuve du contraire. Parmi eux, le maréchal Randon est peut-être celui dont l'œuvre apporte le démenti le plus éclatant à cette erreur; il a écrit lui-même « Les généraux chargés d'administrer l'Algérie n'y ont pas fait la guerre. Ils n'étaient ni préfets, ni commandants en chef, mais gouverneurs généraux, c'est-à-dire appelés à diriger tous les grands intérêts de la colonie, de quelque nature qu'ils fussent. Si l'usage s'était établi de donner ces fonctions à un homme d'épée, c'est que la réalité des choses, plus forte que le raisonnement, rendait cet usage obligatoire. »

--------La lenteur relative avec laquelle la colonisation se développa en Algérie sous le régime militaire, n'est pas imputable à ce régime, car les généraux et leurs subordonnés essayèrent et encouragèrent tous les systèmes, la colonie militaire de Bugeaud aussi bien que le phalanstère. Elle est due au fait que les Français émigraient peu et que les premiers arrivés se trouvèrent en face d'une population nombreuse et hostile, et d'une terre souvent difficile à défricher. Ce fut grâce à la sécurité établie peu à peu par l'armée d'Afrique et aux travaux de toute sorte exécutés par elle que l'établissement des colons devint possible.

--------La conquête militaire de l'Algérie était terminée en 1857. Sans doute il fallut encore user de la force par la suite; mais ce fut contre des « insurrections », parfois importantes, comme celle de 1864 et celle de 1871, ou contre les tribus nomades du Sahara.

--------Les troupes d'Algérie furent surtout, à partir de ce moment, employées dans les expéditions en Europe ou hors d'Europe, puis dans la pacification relativement aisée de la Tunisie et celle beaucoup plus difficile du Maroc. L'ère « héroïque » de l'Algérie était close, pour faire place à celle de la colonisation pacifique.