CHAPITRE III
LES FILS DE LOUIS-PHILIPPE
Le duc d'Orléans, le duc de
Nemours, le prince de Joinville, le duc d'Aumale
-------Louis-Philippe,
qui réalisa presque entièrement sous son règne,
de 1830 à 1848, la conquête militaire de l'Algérie,
envoya ses fils à maintes reprises participer aux expéditions;
il tenait à ce qu'ils fissent l'apprentissage du métier
des armes; il voulait aussi montrer à l'armée et au pays
qu'ils savaient partager les dangers et les peines des enfants du peuple.
Le duc d'Orléans
-------L'aîné
d'entre eux, le duc d'Orléans, héritier de la couronne,
reçut en 1835 un commandement sous les ordres du maréchal
Clauzel, dans le corps expéditionnaire chargé de s'emparer
de Mascara. Ce prince, populaire à cause de sa simplicité
et de sa bonté, eut comme premier soin de visiter les hôpitaux.
Pendant l'expédition, il voulut, pour l'exemple, vivre comme
le soldat, manger le même pain, boire la même eau; mais
il tomba malade et dut, dès son retour à Mostaganem, être
rapatrié en France.
-------Il
revint en Algérie en 1839, sous le gouvernement du maréchal
Valée, pour commander une division dans l'expédition des
Portes de Fer. La colonne passa sans encombre par le fameux défilé
qui tient la grande route de communication de Constantine à Alger.
Elle n'eut de difficultés qu'au retour vers Alger; le prince,
toujours à l'avant-garde, put à ce moment montrer sa bravoure.
" Tant que dura l'engagement, dit un de
ses historiens, il se tint au milieu des tirailleurs, affrontant les
balles des Arabes, auxquels son képi rouge, le seul de l'armée
qui fût découvert, l'écarlate de sa selle et sa
plaque de la Légion d'honneur, servaient naturellement de point
de mire. " Une telle attitude, très appréciée
à cette époque, le faisait aimer des troupiers; mais elle
a coûté par la suite, en raison des progrès de l'armement,
trop d'officiers à l'armée pour n'être pas considérée
aujourd'hui comme une imprudence inutile.
-------Lorsque
la colonne arriva près d'Alger, à hauteur de Maison-Carrée,
le duc d'Orléans réunit les officiers, et, dans une allocution
pleine de modestie et d'affection, il leur promit de faire connaître
en France la tâche accomplie par l'armée d'Afrique :
" Je dirai toutes les grandes choses que l'armée a faites
en Afrique, toutes les épreuves qu'elle subit, avec un dévouement
d'autant plus admirable qu'il est souvent ignoré et quelquefois
méconnu. " Il ajouta : " Je
ne me suis pas cru éloigné de ma famille, car j'en ai
trouvé une au milieu de vous et parmi les soldats dont j'ai admiré
la persévérance dans les fatigues, la résignation
dans les souffrances, le courage dans le combat. "
-------A
Alger, où un accueil enthousiaste lui fut fait par les Français
et les Indigènes, il répondit aux compliments des représentants
de la population : " Je m'enorgueillis
de rentrer par la bonne porte, par la porte de terre, dans la capitale
de cette nouvelle France que l'armée a conquise, sillonnée
de routes, couverte de beaux et d'utiles travaux, et que vous saurez
tous féconder, peupler et rendre digne de la mère-patrie...
J'espère que les résultats obtenus feront des Algériens
de tant d'hommes qui, jusqu'à présent, n'ont pas eu foi
dans l'Afrique, et je regarde comme un grand honneur et un grand bonheur
pour moi d'avoir pu concourir à un des plus grands événements
de ce siècle, à la conversion en province française
et civilisée de cette terre jusqu'à présent barbare
et hostile. "
-------Au
banquet offert par la colonie, le duc d'Orléans déclara,
dans la réponse qu'il fit au toast en son honneur "
La conquête de l'Afrique est, à mes yeux, la plus grande
chance qui se soit offerte depuis longtemps à la France... Tous
ceux qui se consacrent à cette noble tâche ont bien mérité
de la Patrie. Plus les travaux sont pénibles et les obstacles
grands, et plus aussi il faut honorer leur persévérance;
car, dans une société dont le travail est la loi fondamentale,
chacun doit être classé selon la part pour laquelle il
contribue au bien général. "
Ferdinand Philippe Louis Charles
Henri, duc D'ORLÉANS
Né à Palerme le 3 septembre 1810
Grand croix de la Légion d'honneur le 3 août 1830
Général de division le ler janvier 1834
Décédé le 13 juillet 1842 à Neuilly-sur-Seine
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------- Le Prince Royal invita le lendemain
à un banquet sur la place Bab-el-Oued toute la division qu'il
avait commandée pendant l'expédition, officiers, sous-officiers
et soldats, soit 3 242 convives. Vers la fin du repas, montant sur
une table, il porta un toast à l'armée qui résumait
bien l'uvre accomplie par elle :
------- "
A cette armée, s'écria-t-il, qui a conquis à
la France un vaste et bel empire, ouvert un champ illimité
à la civilisation, dont elle est l'avant-garde ! À la
colonisation, dont elle est la première garantie!
------- "
À cette armée qui, maniant tour à tour la pioche
et le fusil, combattant alternativement les Arabes et la fièvre,
a su affronter avec une résignation stoïque la mort sans
gloire de l'hôpital, et dont la brillante valeur conserve dans
notre jeune armée les traditions de nos légions les
plus célèbres!
------- "
À cette armée, compagne d'élite de la grande
armée française, qui, sur le seul champ de bataille
réservé à nos armes, doit devenir la pépinière
des chefs futurs de l'armée française, et qui s'enorgueillit
justement de ceux qui ont déjà percé à
travers ses rangs
------- "
À cette armée qui, loin de la patrie, a le bonheur de
ne connaître les discordes intestines de la France que pour
les maudire, et qui, servant d'asile à ceux qui les fuient,
ne leur donne à combattre, pour les intérêts généraux
de la France, que contre la nature, les Arabes et le climat! "
------- Après le repas, le prince fit le tour des tables,
parlant aux soldats avec sa simplicité et son affabilité
coutumières, trouvant pour chaque unité ou même
pour chaque homme le mot qui convenait. C'est par cette attitude familière,
comme par son endurance et son courage, qu'il savait conquérir
les curs.
------- L'expédition des Portes
de Fer ayant été l'occasion d'une reprise des hostilités
par Abd -el- Kader, le duc d'Orléans vint de France en 1840
pour la troisième fois participer à la tâche de
l'armée d'Afrique. Dans l'expédition ayant pour but
d'occuper Médéa et Miliana, il reçut le commandement
d'une division : c'est lui qui enleva le 12 mai le col de Mouzaïa
avec trois colonnes que commandaient Duvivier, la Moricière
et d'Houdetot.
------- Revenu en France, le prince s'occupait
avec ardeur de l'organisation et de l'instruction de l'armée,
lorsqu'il mourut d'un accident de voiture le 13 juillet 1842, à
Neuilly. Il fut unanimement regretté, et particulièrement
dans l'armée; du moins son nom fut-il donné aux chasseurs
à pied qui s'appelèrent, jusqu'à la Révolution
de 1848, les " chasseurs d'Orléans
", du nom de leur créateur, et qui s'illustrèrent
en Afrique dans maints glorieux combats, tels que l'Isly et Sidi Brahim.
Le
duc de Nemours et le prince de Joinville
------- Louis-Philippe
ne voulait pas que le duc de Nemours, le second de ses fils, fût
plus ménagé que son aîné. Alors que le
maréchal Clauzel préparait en 1836 la première
expédition de Constantine, le ministre de la Guerre lui écrivait
le 22 octobre : " L'intention de Sa
Majesté est que Mgr le duc de Nemours assiste à l'expédition
de Constantine, comme Mgr le prince royal a assisté à
celle de Mascara. " Clauzel, en annonçant cette
nouvelle aux troupes, dans son ordre du 2 novembre, ajoutait : "
Chacun verra dans cette circonstance une preuve de plus le l'affection
que le Roi porte à l'armée et, selon les expressions
de Sa Majesté, du désir qu'éprouvent ses enfants
de s'identifier partout à sa fortune et à sa gloire.
"
Louis Charles Philippe Raphaël
D'ORLÉANS, duc DE NEMOURS
Né le 25 octobre 1814 à Paris
Grand croix de la Légion d'honneur le 3 août 1830
Général de division le 11 novembre 1837
Décédé à Versailles le 26 juin 1896
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------ Le duc de Nemours
accompagna Clauzel dans cette pénible expédition; il
endura stoïquement les souffrances causées par le froid,
la pluie, la neige, le bivouac dans la boue, et s'avança au
moment de l'attaque de la ville, jusqu'à la première
ligne des tirailleurs, au mépris de tout danger. Pendant la
pénible retraite, il témoigna sa bonté envers
les soldats, abandonnant ses bagages pour donner un mulet de plus
à l'ambulance. Il repartit dès le 10 décembre
d'Alger pour la France.
------- Lorsque la deuxième expédition
de Constantine fut décidée en 1837, trois fils du Roi
briguèrent à la fois l'honneur d'en faire partie : le
duc d'Orléans, le duc de Nemours, et le prince de Joinville.
Mais le duc de Nemours, qui avait assisté à l'échec,
sembla avoir un droit spécial à participer au succès
espéré et fut nommé à la tête d'une
brigade, celle dans laquelle servait le lieutenant-colonel de la Moricière.
------- Devant Constantine, où
la colonne arriva le 6 octobre, il fut chargé du commandement
du siège : le 12, lorsque le gouverneur général,
le général de Damrémont, fut tué par un
boulet turc, et le général Perrégaux mortellement
blessé par une balle, il était à leurs côtés
et eut sa capote trouée par les balles; ce fut lui qui, commandant
du siège, lança le lendemain les trois colonnes d'assaut
commandées par La Moricière, Combe et Corbin, qui s'emparèrent
de la ville.
------- Alors que, le 16 octobre, il
passait une revue, arriva le prince de Joinville, qui avait touché
à Bône, et avait demandé au commandant de l'Hercule
l'autorisation de se joindre à une colonne de secours en marche
vers Constantine. Il arrivait trop tard pour assister à l'assaut;
mais il revint du moins avec la colonne, où Nemours commandait
l'arrière-garde, et où tous deux montrèrent la
plus touchante sollicitude pour les malheureux qui tombaient atteints
du choléra. Le duc de Nemours fit le 3 novembre ses adieux
à sa brigade, après avoir fait citer à l'ordre,
parmi d'autres, quatre officiers qui devaient devenir maréchaux
de France : Canrobert, Mac-Mahon, Saint-Arnaud et Niel. II fut lui-même
nommé lieutenant général.
------- Tandis qu'il rentrait en France,
Joinville voguait vers le Brésil. C'est lui qui devait quelques
années plus tard, en 1844, au moment où Bugeaud attaquait
le Maroc par terre et remportait la victoire de l'Isly, aller avec
une escadre bombarder les batteries de Tanger lé 6 août
et le port de Mogador le 15 août.
------- Lorsque Bugeaud eût été
nommé gouverneur de l'Algérie en février 1841,
le duc de Nemours vint pour la troisième fois en Algérie,
afin de participer aux opérations contre Abd-el-Kader.
------- Débarqué à
Alger au début d'avril, il mena d'abord, avec Bugeaud, des
convois de ravitaillement à Médéa et Miliana,
et mérita cette citation : " En
toute circonstance, pourrait servir d'exemple à l'armée
pour la discipline comme pour le courage; a chargé, le 3 mai,
à la tête de deux bataillons et a bien vite mis en fuite
les Kabyles qui se trouvaient devant lui "
------- Il accompagna ensuite Bugeaud
dans la province d'Oran, et y prit, sous ses ordres, le commandement
d'une division, dans la colonne qui alla détruire Tagdempt,
place d'approvisionnement d'Abd-el-Kader, et occuper Mascara, son
ancienne capitale. Lorsqu'il se rembarqua pour la France le 3 juin,
il fut salué par un ordre de la colonne expéditionnaire
dans lequel Bugeaud s'exprimait ainsi : "
L'armée a déjà appris à connaître
le prince à
Constantine; son nouveau séjour dans ses rangs n'a pu que resserrer
les liens qui l'unissent à elle. Son souvenir vivra dans les
trois provinces, car il a fait la guerre avec les trois grandes divisions
de cette armée... L'armée vivra aussi dans son cur;
il dira au Roi combien elle a mérité et peut mériter
encore l'estime de la patrie qui est le mobile de ses actions.
"
Le duc d'Aumale
-------Le
duc d'Aumale devait marcher glorieusement sur les traces de ses frères
en Algérie. C'est comme officier d'ordonnance du duc d'Orléans
qu'il y fit ses premières armes en 1840. Il n'avait alors que
18 ans et comptait au 4è léger comme chef de bataillon.
Le 27 avril 1840, à l'Oued Djer, il reçut le baptême
du feu en chargeant bravement avec un escadron; le 12 mai, il prit part
à l'attaque du col de Mouzaïa.
-------Lorsque
Bugeaud entreprit de soumettre Abd-el-Kader, le duc d'Aumale, lieutenant-colonel
au 240 de ligne, fut autorisé à faire campagne sous ses
ordres. Il écrivit le 25 février 1841 au nouveau gouverneur
: " Je vous prierai, mon général,
de ne m'épargner ni fatigues, ni quoi que ce soit. Je suis jeune
et robuste et, en vrai cadet de Gascogne, il faut que je gagne mes éperons.
Je ne vous demande qu'une chose, c'est de ne pas oublier le régiment
du duc d'Aumale, quand il y aura des coups à recevoir et à
donner. "
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-------Il
reçut de Bugeaud cette réponse : "
Vous ne voulez pas être ménagé, mon prince, je n'en
eus jamais la pensée. Je vous ferai votre juste part de fatigues
et de dangers; vous saurez faire vous-même votre part de gloire.
" Le prince se distingua, en effet, avec le 24è
aux expéditions auxquelles prit part le régiment au printemps
de 1841.
-------Fatigué
par le climat, le duc d'Aumale fut chargé en juillet, avec le grade
de colonel, de ramener à Paris le 17è léger, et ne
revint en Algérie qu'à la fin de 1842, comme maréchal
de camp. Ce jeune général de 20 ans prit part à la
tête d'une colonne à une expédition conduite par Bugeaud
dans l'Ouarsenis, puis reçut le commandement de la province de
Titteri, avec résidence à Médéa. De là,
il rayonna avec succès dans diverses directions.
-------En
mai 1843, il entreprit à la tête de 1 300 zouaves et fantassins,
de 600 cavaliers, spahis, chasseurs et gendarmes, d'une section d'artillerie
et d'un convoi de 800 chevaux et mulets, son expédition contre
la smala d'Abd-el-Kader. Cette smala, gardée par des réguliers,
comprenait une population s'élevant à 60 000 âmes,
ainsi que la famille et les trésors de l'Émir.
-------Le
duc d'Aumale la surprit le 16 mai dans le Sahara, à Taguin; il
avait, pour la rejoindre, laissé son infanterie en arrière,
et n'avait avec lui que ses cavaliers ! Il n'avait pas été
aperçu, et, comme sa colonne était divisée en trois
tronçons très éloignés l'un de l'autre, il
n'avait qu'une chanté de salut : charger! Il courut cette chance
sans hésitation. Les chasseurs d'Afrique du lieutenant-colonel
Morris et les spahis du colonel Yusuf s'élancèrent, et mirent
le désarroi dans cette multitude. Le nombre des prisonniers fut
considérable et le butin fut immense.
-------Cette journée fut certainement
la plus extraordinaire qui eut lieu au cours des guerres d'Afrique; il
fallait l'ardeur et l'insouciance d'un général de 21 ans
pour la risquer et la gagner. Un des prisonniers indigènes disait
ensuite: " Quand nous pûmes reconnaître
la faiblesse numérique du vainqueur, le rouge de la honte couvrit
nos visages; car si chaque homme de la Smala avait voulu combattre, ne
fût-ce qu'avec un bâton, les vainqueurs eussent été
les vaincus; mais les décrets de Dieu ont dû s'accomplir.
"
-------Le
duc d'Aumale alla passer quelques mois en France, et revint, à
la fin de novembre 1843, prendre comme lieutenant-général
le commandement de la province de Constantine-. Au banquet que lui offrit
à son arrivée la population d'Alger, il déclara :
" Le Roi nous a envoyés ici, nous
ses fils, pour y payer à la Patrie notre dette de citoyens et de
soldats, et pour montrer que notre titre de princes était celui
de premiers serviteurs de la France. "
-------Installé
à Constantine, il alla d'abord, en février 1844, occuper
Biskra, accompagné par son jeune frère le duc de Montpensier;
il s'occupa ensuite d'amener à la soumission quelques tribus récalcitrantes.
-------Cette
pacification réalisée, il chercha à améliorer
l'administration des indigènes. Il recevait avec bonté ceux
qui avaient à lui présenter des réclamations, essayant
de faire en tout régner la justice. Il régularisa la perception
des impôts et empêcha les chefs locaux de pressurer leurs
administrés; il fit améliorer l'organisation des marchés,
par lesquels il tenait les nomades obligés de s'y approvisionner
et il les fit surveiller comme lieux de réunions politiques; il
s'occupa de la constitution de la propriété, autant
pour protéger les indigènes contre les spéculateurs
européens que pour fournir des terres aux colons; il fit de même
dans les villes : c'est ainsi que, par son ordonnance du 9 juin 1844,
il divisa Constantine en deux quartiers, l'un européen, accessible
à tous, l'autre indigène, dans lequel locations ou transactions
ne pouvaient être faites qu'entre Musulmans. La réputation
de sa bienveillante administration s'établit si bien que des tribus
tunisiennes lui demandèrent l'autorisation d'émigrer sur
son territoire; il ne put d'ailleurs la leur accorder.
-------Les
qualités qu'il déploya dans cette sage administration lui
valurent plus tard, de la part d'un député de l'opposition,
Ferdinand Barrot, cet éloge à la tribune de la Chambre:
" Dans la province de Constantine, on a
entrepris le gouvernement dés races indigènes comme une
oeuvre de patience et de paix. Aussi, dans cette province, la soumission
est-elle plus intelligente et peut-être plus certaine. Il faut le
dire, car il est bon de rendre justice à tout le monde, même
aux princes. "
-------Lorsque
Bugeaud, en désaccord avec la Chambre sur son système de
colonisation militaire, décida de résigner ses fonctions
de gouverneur général, il en informa le duc d'Aumale en
critiquant âprement le système des grands concessionnaires
qui avait des partisans : " On veut suivre
en Afrique, lui écrivait-il le 23 avril 1847, des systèmes
qui ne sont pas les miens : j'en fais ma question de cabinet et je m'en
vais... je ne veux pas immobiliser successivement toute l'armée
en la mettant en faction pour garder infructueusement les barons en gants
jaunes, mais sans casque, sans cuirasse et sans lance, qui veulent se
partager le sol de l'Algérie. "
-------Bugeaud
rentra en France le 5 juin 1847. A ce moment, Changarnier commandait la
province d'Alger, La Moricière la province d'Oran, et Bedeau la
province de Constantine; il eût été difficile de choisir
le plus méritant, et il était d'ailleurs préférable,
pour donner satisfaction à la Chambre et à l'opinion, de
ne pas désigner un militaire strictement professionnel. Le duc
d'Aumale, qui s'était montré aussi bon administrateur que
brillant soldat, fut nommé gouverneur général le
11 septembre 1847. -------Son
premier soin fut de demander modestement des conseils au maréchal
Bugeaud, qui se montra très touché de cette démarche
et lui répondit le 12 octobre de Dordogne : "
J'étais bien sûr qu'en votre qualité de prince de
la dynastie régnante, vous sentiriez plus qu'un simple général
la nécessité de vous conformer aux institutions de votre
pays. Ne vous ai-je pas vu le plus discipliné, le plus ponctuel
de mes lieutenants. "
LE DUC D'AUMALE
Henri Eugène Philippe Louis D'ORLEANS, duc D'AUMALE
Né le 16 janvier 1822 à Paris
Grand croix de la Légion d'honneur le 28 avril 1842
Général de division le 3 juillet 1843
Gouverneur général de l'Afrique du 11 septembre 1847
au 25 février 1848
Député de l'Oise du 8 février 1871 à
décembre 1875
Décédé à Zucco (Sicile) en 1897
|
-------Les conseils
que le vieux maréchal lui donnait ensuite n'étaient d'ailleurs
pas ceux d'une aveugle discipline, puisqu'il lui écrivait : "
Il est des circonstances tellement impérieuses que, dans l'intérêt
du pays, il faut savoir dépasser les ordres du ministre de la Guerre.
Vous auriez comme moi livré la bataille d'Isly sur le territoire
marocain, malgré l'ordre de ne pas dépasser la frontière
qu'apporta la veille le colonel Foy. Vous auriez ainsi continué
la campagne de la grande Kabylie si, ayant lancé le général
Bedeau dans les montagnes et ne pouvant plus l'arrêter, vous aviez
reçu à une journée de Hamza l'ordre de suspendre
l'opération précédemment approuvée. "
Le duc d'Aumale n'eut pas à suivre ces conseils, qui sont cependant
d'une haute portée coloniale, vérifiée depuis à
maintes reprises...
-------Accueilli
avec joie par la population civile à son débarquement, le
5 octobre, le duc d'Aumale s'imposa d'autre part aux indigènes
par le prestige si important pour eux de sa naissance. La proclamation
qu'il leur adressa témoignait d'une profonde connaissance de leurs
sentiments politiques et religieux : "
Vous avez compris, ô Musulmans, leur disait-il, combien le bras
de la France était puissant et redoutable, et combien son gouvernement
était juste et clément. Vous avez obéi à l'immuable
volonté de Dieu, qui donne les empires à qui bon lui semble
sur la terre. Vous avez fait votre soumission au Maréchal et vous
avez éprouvé la bonté de son gouvernement. Vous vous
souviendrez toujours qu'il honora les grands, qu'il protégea les
faibles et qu'il fut équitable avec tous. Rien ne sera changé
à ce qu'il avait fait...
-------"
Remerciez Dieu de ce qu'il vous a donné les richesses et les jouissances
de la paix en échange des maux inséparables de la guerre.
C'est pour vous donner un gage encore plus éclatant de ses bonnes
intentions à votre égard, que le roi des Français
m'a envoyé au milieu de vous comme son représentant sur
cette terre qu'il aime à l'égal de la France. J'ai déjà
vécu parmi vous, je connais vos lois et vos usages, et tous mes
actes tendront à augmenter votre prospérité et celle
du pays... "
-------Une
grande satisfaction était réservée au nouveau gouverneur,
celle de recevoir la soumission de l'émir Abd-el-Kader. L'adversaire
qui depuis quinze ans combattait les Français se rendit le 23 décembre
au général de La Moricière, et fut amené à
Nemours dans la soirée. Le duc d'Aumale, arrivé le matin
même, confirma à l'Émir la promesse donnée
par La Moricière de son transport à Alexandrie ou à
Saint-Jean d'Acre; puis il reçut le lendemain sa soumission solennelle,
marquée par la remise de son cheval. Ce fut un événement
d'une immense portée.
-------Avec
sa modestie habituelle, le duc d'Aumale écrivit au maréchal
Bugeaud : " Lorsque ce grand fait s'est
accompli, votre nom a été dans tous les curs ; chacun
s'est rappelé avec reconnaissance que c'est vous qui avez mis fin
à cette lutte; que c'est l'excellente direction que vous avez donnée
à la guerre et à toutes les affaires de l'Algérie
qui a amené la ruine matérielle et morale d'Abd-el- Kader.
" Bugeaud fut très touché par cette lettre
et lui répondit le 15 janvier 1848 : " Comme
tous les hommes capables de faire de grandes choses, vous ne voulez que
votre juste part de gloire, et, au besoin, vous en céderiez un
peu aux autres. "
-------Dans
l'organisation qu'il entreprit comme gouverneur général,
le duc d'Aumale a semé bien des idées qui ont germé
après lui.
-------Il
décentralisa l'administration, qui dépendait jusqu'alors
entièrement du ministre de la Guerre; à cet effet, il établit
dans chacune des trois provinces des directeurs des affaires civiles,
ayant des attributions comparables à celles des préfets
de France, avec le droit de traiter certaines questions; les principales
questions seules furent dès lors envoyées au gouverneur
général à Alger ou au ministre de la Guerre à
Paris. Cette importante réforme permit de faire aboutir rapidement
nombre d'affaires depuis longtemps en suspens.
-------Le
duc d'Aumale fit aussi décider par le Gouvernement que les maires,
adjoints et conseils municipaux d'Algérie auraient les mêmes
attributions qu'en France, mais avec la restriction que la nomination
des conseillers municipaux serait faite par le Roi ou par le Gouverneur
général.
-------Il
s'occupa beaucoup de la colonisation, en sauvegardant toujours les droits
des indigènes; il chercha à dédommager d'une manière
équitable ceux qui avaient été expropriés;
il détermina dans quelles conditions de nouveaux terrains pourraient
être livrés aux colons, en cantonnant les indigènes
dans des zones convenablement choisies.
-------Il
chercha à développer l'instruction et proposa dans ce but
au Ministre la création d'écoles arabes et françaises
à Constantine, Bône et Tlemcen.
-------II
était ainsi occupé à tracer le plan d'une organisation
plus logique lorsqu'éclata la Révolution de février
1848. Apprenant qu'il était remplacé dans les fonctions
de gouverneur général par le général Cavaignac,
il lui écrivit le 2 mars : " Fidèle
à mes devoirs de citoyen et de soldat, j'étais resté
à mon poste tant que j'avais pu croire ma présence utile
au service du pays. Aujourd'hui elle pourrait devenir un embarras. Soumis
à la volonté nationale, j'aurai quitté demain la
terre française "
-------Le
lendemain 3 mars, il disait dans son ordre du jour à ses troupes
: " En me séparant d'une armée
modèle d'honneur et de courage, dans les rangs de laquelle j'ai
passé les plus beaux jours de ma vie, je ne puis que lui souhaiter
de nouveaux succès... Du fond de l'exil, mon cur vous suivra
partout où vous appellera la volonté nationale... Tous mes
vux seront toujours pour la gloire et le bonheur de la France.
"
-------Le
duc d'Aumale s'embarqua le 5 mars avec les siens pour Gibraltar. La dignité
et la simplicité avec lesquelles il accepta sa disgrâce ne
peuvent qu'ajouter à l'éclat des actes militaires et administratifs
qui avaient fait de lui, à 26 ans, un grand Africain.
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