L'Algérie jusqu'à la pénétration saharienne : troisième partie
L'Algérie et la France-2-
Cahier I du Centenaire de l'Algérie
par M.J.M. BOURGET, ancien élève de l'École Normale Supérieure
,
agrégé de l'Université,
capitaine d'infanterie honoraire
Rédacteur militaire du "Journal des Débats"

Publications du Comité National Métropolitain du Centenaire de l'Algérie
Alger, 1930
collection personnelle.

n.b : tous ces textes ont été passés à l'OCR, je ne les pas vérifiés minutieusement. Veuillez pardonner les erreurs éventuelles, vous pouvez même me les signaler.Merci
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TROISIÈME PARTIE

L'ALGÉRIE ET LA FRANCE

III.-Les débuts du Gouvernement général
La Macta - La Sikkak - Le Traité de la Tafna La Prise de Constantine

---------L'institution du gouvernement général était une preuve de volonté. Mais cette volonté était encore peu éclairée. On tenait par-dessus tout à éviter des dépenses et on en restait aux illusions du début : occupation de quelques points de la côte avec une banlieue suffisante pour permettre aux garnisons et aux citadins de se ravitailler ' tout en assurant leur sécurité. Pour le reste, on se flattait d'entretenir des relations acceptables avec les chefs du pays, on espérait même les amener à reconnaître la souveraineté de la France. Mais c'était tout. Programme évidemment inspiré par des souvenirs historiques, mais qui négligeait le fait important survenu depuis le temps des Romains : l'islamisation de l'Afrique du Nord. Qui négligeait aussi l'étendue et la vigueur des ambitions personnelles des deux principaux chefs de l'intérieur : le bey Ahmed à Constantine, l'Émir Abd el Kader en Oranie.

----------Le pouvoir du second paraissait singulièrement précaire, mais l'énergie de l'homme devait suffire à le consolider.

----------Sa tâche n'était par facile. Ses ascendances maraboutiques, qui l'avaient d'abord servi, suscitaient contre lui les jalousies des familles qui fournissaient traditionnellement des chefs, et des chefs militaires. Abd el Kader avait comme rivaux et comme ennemis : El Ghomari, Cheikh des Angad, Mustapha ben Ismaël, des Douairs et Smela, Kaddour ben Mokhfi, des Bordjia, Sidi Larbi, des tribus du Chélif. Il était facile d'exploiter contre l'émir le fait qu'il avait traité avec les infidèles : les conditions importaient peu.
---------Moins de deux mois après la signature du traité Desmichels, les Douairs et les Smela, renforcés des Angad, se jetaient sur le camp de l'émir à Hennaya, près de Tlemcen : Abd el Kader s'échappait presque seul et rentrait à Mascara (12 avril 1834). La révolte s'étendit.

----------Le général Desmichels resta fidèle à la politique qui l'avait amené à traiter. Il refusa l'aide que lui demandaient les Douairs et les Smela. Il fournit des armes et de la poudre à Abd el Kader et lui donna des conseils d'ordre stratégique. L'Émir marcha contre ses adversaires : il battit Sidi Larbi à El Bordj, Mustapha ben Ismaël près de Tlemcen (1er juillet 1834). Il occupa cette dernière ville, mais ne put rien contre le Méchouar où les Turcs tenaient toujours et où les rejoignit Mustapha. Cet échec ne l'empêcha pas de rentrer à Mascara en vainqueur, maître du pays depuis les frontières du Maroc jusqu'au Chélif. Avant la fin de l'année, il réussissait à s'emparer de Sidi Larbi et d'El Ghomari qui n'avaient pas voulu se soumettre : il les fit exécuter.

----------Son plan se précisa. Il organisa d'abord son domaine, qu'il partagea en deux khalifaliks, Tlemcen et Mascara, subdivisés en aghaliks, desquels relevaient les tribus commandées par des caïds. Le but de cet effort administratif était la reprise de la lutte contre les Français, comportant 1° l'installation du pouvoir de l'émir dans le Tittery (Médéa, Miliana); 2° l'éviction d'Ahmed, le bey de Constantine, avec l'aide des chefs kabyles de la région de Bougie; 3° enfin, l'expulsion des Français avec l'aide du sultan du Maroc.

----------Le nouveau gouverneur général s'opposa d'abord à l'effort d'Abd el Kader. A une proposition de l'émir tendant à rétablir l'ordre dans le Tittery et dans la province de Constantine, Drouet d'Erlon répondit de façon négative. Mais, sous l'influence du Consul d'Abd el Kader à Alger, Judas Ben Duran, ses conceptions subirent la même évolution que celle de Desmichels (qui avait été rappelé en janvier 1835 et remplacé par le général Trézel) : il né réagit pas contre les entreprises de l'Émir.

----------Après avoir mis à la raison de nouveaux adversaires qui, cette fois, appartenaient à sa propre famille et étaient soutenus par la confrérie des Derkaoua, Abd el Kader occupa Miliana et Médéa (mars-avril 1835). Cette dernière ville, après avoir défait Hadj Moussa (Bou Hamar, l'homme à l'âne).
---------Drouet d'Erlon était retenu par les instructions venues de Paris, qui lui annonçaient qu'il n'aurait pas de crédits supplémentaires pour 1835 et que les crédits de 1836 ne seraient pas plus élevés. Mais le nouveau commandant à Oran se rendit compte des ambitions d'Abd el Kader, et il voulut y mettre des limites. Au moment de son arrivée, il avait été expliqué à l'émir que les notes du 4 février n'avaient pas de valeur officielle pour le gouvernement français source de difficultés certaines puisqu'Abd el Kader les considérait comme partie intégrante du traité.

----------Trézel, obligé de se soumettre aux ordres du gouverneur général, avait dû, au mois de mars 1835, refuser aux Turcs du Méchouar de Tlemcen l'aide qu'ils lui demandaient contre Abd el Kader. La manière dont celui-ci réalisait son monopole du commerce des grains, en empêchant le ravitaillement d'Oran, allait obliger Trézel à l'action, tandis que Drouet d'Erlon s'empêtrait dans une négociation, qui, si elle avait abouti, aurait étendu au Tittery les stipulations du traité Desmichels telles que les interprétait l'émir.

----------Les Douairs et les Smela continuaient à venir sur les marchés d'Oran. Ils offrirent à Trézel de jouer le rôle de tribu maghzen auprès des Français. L'arrestation de l'un d'eux sur l'ordre de l'émir les conduisit à la révolte ouverte contre lui. En dépit des instructions dilatoires dé Drouet d Erlon, Trézel jugea nécessaire de les soutenir : une convention fut signée lé 16 juin au camp du Figuier, aux termes de laquelle les Douairs et les Smela reconnaissaient la souveraineté du roi des Français (chefs nommés par celui-ci, tribut annuel). La reprise des hostilités était inévitable. A une lettre de Trézel Abd el Kader répondit par un ultimatum.

----------Le 19 juin 1835, Trézel s'était porté au camp du Tlélat avec 2.500 hommes de la garnison, peu entraînés et encombrés d'un lourd convoi. Le 26, il battit cependant Abd el Kader qui, avec 1.500 fantassins et 3.000 cavaliers, lui avait tendu une embuscade au bois de Moulay Ismaël, et s'établit sur la rive gauche du Sig. Après un essai de négociation, Trézel décida de rentrer à Oran.

----------Suivant l'usage qui fit longtemps le succès d'Abd el Kader, la route du retour fut funeste à la colonne française. Les contingents de l'émir avaient grossi. Ils atteignaient 1.000 hommes à pied seulement, mais 14.000 cavaliers. Au défilé de la Macta, Trézel, attaqué de tous les côtés, fut submergé sous lé nombre; sa colonne fut disloquée, son convoi pillé, ses blessés massacrés; il réussit cependant à rentrer à Arzeu. Il avait perdu 254 tués, son convoi, son matériel, des armes, un obusier de campagne; il ramenait 150 blessés (28 juin). Cependant Lamoricière, arrivé d'Alger, ayant pu revenir d'Oran à Arzeu par terre à la tête de cavaliers Douairs et Smela, Trézel, avec les débris de sa colonne, rentra à Oran sans être inquiété. Il revendiqua la responsabilité de l'événement qu'on appela en France un désastre. II fut rappelé.

----------Un prompt redressement était nécessaire. Le Maréchal Clauzel, premier successeur de Bourmont, et partisan déterminé de l'entreprise, remplaça Drouet d'Erlon, qui avait, dès le 27 juin, désavoué l'entrée en campagne de Trézel. Des renforts furent envoyés en Algérie, et avec eux un des fils du roi Louis-Philippe, le duc d'Orléans. Cependant il fallut attendre : le choléra s'était déclaré à Alger et les forces expéditionnaires ne se montaient qu'à 21.000 disponibles.

----------Les opérations commencèrent au mois de septembre par des travaux au camp du Figuier. En octobre, l'îlot de Rachgoun, à l'embouchure de la Tafna, fut occupé, et un régiment de renfort jeté dans Oran. Abd el Kader, inquiet, écrivit au Roi d'Angleterre pour lui demander son appui, et se livra à une intense propagande parmi les tribus. En même temps, il retira ses richesses de Mascara, et envoya sa. famille dans le Sud.

----------Le corps expéditionnaire rassemblé par Clauzel à Oran avait un effectif de 10.000 hommes (brigades Oudinot, Perrégaux, d'Arlanges et Combe), renforcés dé cavaliers Douairs et Smela, de fantassins turcs et des zouaves de Lamoricière. Il quitte le camp du Tlélat le 29 novembre. Le 1er décembre, l'envoi d'une reconnaissance contre Abd el Kader donne lieu à un vif engagement; les Français restent maîtres de la situation, mais ils rentrent à leur camp. Le 3, Abd el Kader attaque sans succès la colonne; il ne réussit pas mieux dans une embuscade auprès des marabouts de Sidi Embarek. Il ne put empêcher Clauzel de prendre pied dans la montagne et de déboucher sur le plateau d'Aïn Kebira (5 décembre). Ce fut le signal de la défection parmi les contingents d'Abd el Kader. Le pillage de Mascara commença. A cette nouvelle, Clauzel précipita sa marche, et entra dans la capitale de l'émir le 8 décembre.

----------Mais on ne discernait pas encore à cette époque la nécessité de la « présence ». Dès le 9, Clauzel quittait Mascara pour rentrer à Oran, en passant par Mostaganem. Abd el Kader, qui avait été complètement abandonné, retrouva des partisans. Il résolut de s'emparer du Méchouar de contre un second corps expéditionnaire qui, parti d'Oran le 8 janvier 1836, entra dans la vieille cité le 13. Deux jours plus tard, Yusuf et Richepance avec 50 cavaliers Smela manquaient de peu Abd el Kader au cours d'une poursuite acharnée terminant une surprise du camp de l'émir bien menée par la brigade Perrégaux.

----------Clauzel pense alors à quitter Tlemcen. II se dirige d'abord sur Rachgoun. Mais, après un violent combat avec Abd el Kader à Sebaa Chioukh (entre le confluent de l'Isser et de la Tafna, et la mer), il rentre à Tlemcen, poursuivi à coups de fusil jusque dans la ville : ce qui donne aux indigènes l'impression qu'ils ont remporté la victoire C'est un nouvel événement favorable à la prédication de la guerre sainte qui s'étend jusque dans les ksours de Figuig.

----------Clauzel, de son côté, a la même impression de victoire. 11 laisse à Tlemcen une garnison française, le bataillon de 500 volontaires commandé par Cavaignac, et rentre à Oran lé 12 février; il croyait « la guerre terminée » de ce côté. II lui faut encore s'occuper des affaires du Tittery et du beylik de Constantine.

----------Le 30 mars, Clauzel partait de Boufarik en direction de Médéa. Il entrait dans cette ville le 4 avril et en chassait le représentant d'Abd el Kader. Puis, estimant la question réglée, il rentrait le 8 à Boufarik. Partisan des solutions énergiques, il décida d'en finir avec Ahmed, bey de Constantine. Il proclama sa destitution, nomma bey le commandant Yusuf. Celui-ci s'installa à Bône pour travailler politiquement les indigènes de la région. Clauzel, paralysé par les- ordres extrêmement prudents venus de Paris, à la suite des discussions parlementaires, manquant de moyens, se résolut à faire un voyage en France pour exposer la situation et obtenir les renforts nécessaires. Il s'embarqua le 14 avril. Son dessein était de convaincre le gouvernement de la nécessité de prendre Constantine.

----------Du côté d'Abd el Kader, les choses étaient bien moins avancées qu'il ne le supposait. Dans la seconde quinzaine de mars, Perrégaux avait exécuté une brillante campagne parmi les tribus du Chélif. Il avait à peine tourné les talons pour regagner Mostaganem et Oran, que l'émir punissait sauvagement une de ces tribus, les Bordjia. De son côté, le bey de Médéa, n'étant pas soutenu, fut impuissant contre les partisans de l'émir qui lui reprirent la ville et l'envoyèrent à Abd el Kader. Dans la région d'Oran, le général d'Arlanges, investi de la mission de maintenir la liaison avec Rachgoun et Tlemcen, avait établi un camp à l'embouchure de la Tafna : il y fut immédiatement bloqué, et blessé au retour d'une reconnaissance (combat de Sidi Yakoub, 25 avril 1836).

----------La situation de l'émir se trouvait une nouvelle fois consolidée. Il recueillait de nombreuses soumissions jusque dans le Tittery. D'Arlanges, toujours bloqué au camp de la Tafna, demandait 2.000 hommes de renfort. Le ministre de la Guerre décida d'envoyer trois régiments sous le commandement du général Bugeaud; en même temps l'escadre devait taire des démonstrations sur les côtes du Maroc.

----------Il ne s'agissait encore, pour le futur héros de la pacification de l'Algérie, que d'une mission temporaire : mettre en état de défense le camp de la Tafna, fortifier Tlemcen. puis rentrer à Oran. Bugeaud était alors âgé de 52 ans. Il avait pris part à la guerre d'Espagne de 1808 à 1814. Mis en demi-solde en 1815, il s'adonna à l'agriculture. Lé gouvernement de juillet le nomma maréchal de camp, et il fut élu député dé la Dordogne (1832). Il avait su gagner la confiance du Roi et avait l'oreille de la Chambre. Exécutant énergique et heureux, il allait, comme les autres, commencer par faire ses écoles en politique.

----------Les renforts débarqués au camp de la Tafna (4-6 juin) Bugeaud comprit la nécessité d'alléger les convois en remplaçant les voitures par des animaux de bât. De la Tafna, il gagna Oran par la côté. Le 19 juin, il se porta sur Tlemcen, qu'il atteignit le 24. Puis il rejoignit le camp de la Tafna, dont il jugea dès ce moment lé maintien inutile. II constitua un convoi pour (avitailler Tlemcen et se remit en marché le 4 juillet. Cette fois Abd el Kader était résolu à lui barrer la route. Bugeaud écrasa ses contingents à la Sikkak (6 juillet) et remporta un succès complet moyennant des pertes minimes (32 tués, 70 blessés).

----------Bugeaud ravitailla Tlemcen et rentra à Oran (19 juillet) Sa mission était remplie. Il se rembarqua peu après. S'il n'avait pas encore distingué clairement la politique à suivre, du moins était-il presque arrivé déjà à déterminer la tactique efficace; il était partisan d'un « système de colonnes agissantes », seul capable dé pacifier le pays. Au reste, des indigènes lui avaient dit : « Nous ne nous soumettrons que si les Français continuent à se montrer plus forts que l'émir. »

----------En rentrant en Algérie, Clauzel trouva la situation momentanément stabilisée dans l'Ouest. Mais, au centré et à l'Est, les difficultés étaient grandes et manifestes : la Mitidja continuellement ravagée par les incursions dés Hadjoutes; la région de Bône troublée par le contre-coup de la politique brutale de Yusuf qui déchaînait l'hostilité de tribus jusque là fidèles à la France.

----------Sans doute en souvenir des premiers principes adoptés à la fin de 1830, le gouverneur général persistait dans son dessein d'en finir avec Ahmed, de liquider le dernier vestige de la domination ottomane. Pour agir, il lui fallait des renforts. II avait gagné à sa causé le président du Conseil Thiers. Mais la chute de celui-ci (25 août 1836) arrêta les choses. Molé, le successeur de Thiers, revint sur la promesse faite. Clauzel avait conçu un vaste plan comportant l'occupation de toutes les villes du Tell, la création dans chaque province d'un camp retranché autour duquel pourraient rayonner dés colonnes mobiles. Ce plan, bientôt connu, amena Abd el Kader, en présence de la vulnérabilité de places comme Mascara et Tlemcen, à reporter ses bases plus au sud, et notamment sa capitale dans les ruines de Tagdempt.

----------L'expédition contre Constantine fut exécutée au mois de novembre. Désespérant d'obtenir des renforts, Clauzel avait offert sa démission. Puis, probablement dans l'idée de s'imposer par un succès et d'obtenir ainsi les 'forces nécessaires pour achever ensuite la pacification, il constitua avec les minces ressources dont il disposait un corps expéditionnaire de 7.000 hommes. Il était impossible d'entreprendre un siège régulier. Clauzel ne pouvait compter que sur un coup de force. Le coup échoua. Il fallut battre en retraite (23 novembre 1836) dans de mauvaises conditions.

----------Clauzel rentra à Bône le 1er décembre, ayant perdu un septième de son effectif.

----------Son échec allait avoir de redoutables conséquences. On y vit en France une condamnation de l'action militaire en général, alors que seule avait succombé l'action militaire menée par des forces insuffisantes. On admit bien la nécessité de réparer l'échec de Constantine; mais, pour y arriver, on considéra qu'il fallait en finir n'importe comment avec Abd el Kader : celui-ci avait de nouveau fait ravager la Mitidja par les Hadjoutes, enlevé le troupeau de la garnison d'Oran, et interdit aux indigènes d'entrer dans cette ville.

----------Comme il arrive en pareilles circonstances, on eut recours à des mesures mal coordonnées et favorables au désordre. A la fin de 1836, le général Damrémont fut envoyé en mission en Algérie, d'où il rapporta une condamnation formelle du système de Clauzel. Celui-ci fut rappelé, et son sévère censeur nommé à sa place (février 1837). Puis Bugeaud demanda à être chargé personnellement de régler la question Abd el Kader. Grâce à la confiance qu'il inspirait au roi, il obtint cette mission. Il devait la (emplir comme il l'entendrait, par les armes ou en négociant, mais à deux conditions essentielles : l'émir reconnaîtrait la souveraineté du roi de France, son domaine serait limité à la seule province d'Oran.

----------Damrémont débarqua à Alger lé 3 avril 1837. Il ne connaissait rien des pouvoirs conférés à Bugeaud, qui arriva à Oran le 5 avril. II y avait division du commandement et des responsabilités, situation bien peu favorable au succès.

----------Bugeaud ne jugea pas nécessaire d'abord de combattre. Au mois de janvier, le général de Brossard, qui commandait à Oran, était entré en relations avec Abd el Kader, par l'intermédiaire de l'inévitable Ben Duran. Le général avait accepté de rendre 130 réguliers dé l'émir capturés par nos troupes à la Sikkak (on sait que les marchandages qui eurent lieu à ce sujet amenèrent le général devant un tribunal). Bugeaud reçut à son arrivée la visite de Ben Duran présenté par de Brossard. Il crut la négociation bien engagée, et pensa que l'émir était la personnalité qualifiée pour faire régner l'ordre à l'intérieur au nom de la France.

----------Bugeaud fit connaître les conditions auxquelles il pouvait traiter. Abd el Kader les repoussa. D'ailleurs, comprenant mal le partage des attributions entre Bugeaud et Damrémont, il craignait un piège. Il crut même que ce dernier seul avait qualité pour s'occuper du Tittery, et il lui écrivit pour entrer en négociations. Il y avait des possibilités qu'il tenait à exploiter comme il l'avait fait auparavant avec le duc de Rovigo et le général Desmichels. Ce fut Ben Duran lui-même, inquiet pour ses avantages personnels, qui y mit un terme en prévenant Bugeaud l'accord se fit entre les deux chefs français, et Damrémont signifia à l'émir d'avoir à traiter avec Bugeaud seul.

----------La différence entre les instructions de celui-ci et les intentions de l'émir était trop accentuée: Abd el Kader réclamait en somme toute l'Algérie sauf Alger et Oran. Bugeaud voulut recourir à l'action militaire : il se porta sur Tlemcen, puis sur le camp de la Tafna. Mais là, il s'aperçut qu'il n'était pas en situation de poursuivre immédiatement. De plus, il lui faudrait bientôt céder une partie de ses forces destinées à l'expédition de Constantine. De son côté Abd el Kader n'était pas prêt. Les négociations furent menées activement entre les deux camps, à partir du 24 mai. Elles aboutirent le 30 au traité de la Tafna. D'après le texte français, Abd el Kader reconnaissait " la souveraineté de la France en Afrique ". Les Français conservaient : dans la province d'Oran : Oran, Mostaganem, Mazagran, Arzeu; dans celle d'Alger : Alger, le Sahel, la Mitidja, Blida, Koléa. L'administration dé l'émir s'étendait à la province d'Oran, au Tittery, à la partie non française de la province d'Alger : interdiction lui était faite de pénétrer dans les autres parties de la Régence.

----------La France cédait Rachgoun, Tlemcen, avec le Méchouar (qu'Abd el Kader n'avait pas pu prendre). Le commerce était libre entre Français et Algériens, mais, avec l'extérieur, il devait se faire par les ports français. Aucun point du littoral ne devait être concédé à d'autres puissances sans l'assentiment de la France. L'émir achèterait à la France les armes et la poudre dont il aurait besoin. Il donnerait aux Français une quantité déterminée de blé, d'orge et de bêtes à corne.

----------D'après ce résumé du texte français, on voit que Bugeaud avait transgressé ses instructions sur un point : il cédait le Tittery. Selon le texte arabe, il n'avait pas mieux réussi sur l'autre point, la reconnaissance de la souveraineté de la France. A la phrase française qui l'établissait, correspondait le très lointain équivalent arabe : « Le commandeur des Croyants reconnaît que le Sultan est grand » Quant au tribut constitué par le « don » de blé, d'orge et de bœufs, aucune garantie n'était fournie, et, pour Abd el Kader, il ne s'agissait que d'une fourniture faite une fois pour toutes. Enfin, la délimitation de la frontière orientale de la Mitidja était par trop imprécise et laissait la porte ouverte aux contestations.

----------Bugeaud, cependant, était fier de son oeuvre Le 31 mai, il eut une entrevue avec l'émir, la seule qu'ait jamais eue un grand chef fiançais avec lui avant sa soumission: il en remporta une impression excellente et une foi absolue dans les bonnes dispositions d'Abd el Kader.

----------Tout le monde n'était pas de cet avis. Damrémont tout le premier, qui dénonçait les inconvénients du traité au ministre de la Guerre. Une partie de l'opinion, sans doute impressionnée par le peu glorieux abandon de Tlemcen, le condamnait aussi. Le gouvernement du Roi Louis-Philippe le ratifia cependant le 15 juin. Pour la secondé fois, la France consolidait la puissance d'Abd el Kader. Quant à l'opinion indigène, elle était prête à condamner l'émir qui avait traité au lieu de combattre. Mais Abd el Kader pouvait citer des textes du Coran qui permettaient semblables tractations au musulman momentanément trop faible, qui ne renonçait à la lutté que de façon provisoire, et seulement pour se préparer à la reprendre.

----------On constata immédiatement les inconvénients du traité dé la Tafna. Damrémont dut renoncer à l'œuvre de pacification de la province d'Alger qu'il avait entreprise non sans succès. Mais, si le traité donnait les mains libres à Abd el Kader, il les donnait aussi au gouverneur général. qui put se consacrer au règlement de la question de Constantine. L'émir n'avait aucun intérêt à s'y opposer. Il considérait que, en chassant le dernier bey turc de la Régence, les Français allaient travailler pour lui : l'éviction d'Ahmed était le second point de son programme, après la soumission du Tittery, avant l'expulsion de l'envahisseur européen.

----------Au mois de mai, Damrémont avait tenté d'entrer en négociations avec Ahmed sur les mêmes bases que Bugeaud avec Abd el Kader. Les hésitations du bey préservèrent la France de cette solution. Damrémont se rendit à Bône, le 23 juillet, pour prendre la direction des pour. parlers. Ceux-ci n'aboutirent pas; et le 19 août, un ultimatum du gouverneur général fut rejeté. Il fallut se préparer à la lutte. Damrémont qui, au début de l'année, était l'homme de l'occupation « restreinte, progressive et pacifique » (la formule, on le voit, date de loin), Damrémont se mit à l'oeuvre.

----------Il reçut les renforts qui avaient été refusés à Clauzel. Il préleva des forces dans les provinces d'Alger et d'Oran, et réunit ainsi un corps expéditionnaire dé 10.000 hommes pourvu d'un très puissant matériel de siège. Il en prit lui-même le commandement, voyant un des fils du roi, le duc de Nemours, parmi ses quatre commandants de brigades d'infanterie. L'expédition quitta Medjez-Amar, le 1er octobre. Le 6, elle était devant Constantine, abandonnée par Ahmed et défendue par son khalifa Ben Aïssa.

----------Sans prévoir un investissement régulier, Damrémont prescrivit des travaux qui, vu la nature du terrain, prirent quelques jours. Lui-même fut tué le 12 octobre, au moment où il inspectait une batterie. Il fut remplacé par le général Valée qui était le plus ancien. Dès le lendemain, Valée ordonnait l'assaut, l'artillerie ayant pratiqué une brèche Les zouaves se précipitèrent en avant, conduits par Lamoricière qui fut blessé par l'explosion d'un magasin à poudre. Les autres colonnes durent engager un vif combat de rues qui se termina victorieusement. Ahmed gagna l'Aurès. Une garnison française fut installée dans la ville.

----------Ce succès plaça le gouvernement français devant une situation nouvelle. Bien qu'il eût réprouvé toute politique de conquête, il estimait nécessaire dé conserver Constantine. Cette exigence empêcha toute entente avec Ahmed qui n'aurait accepté d'administrer le pays au nom de la France que si on lui avait rendu sa capitale. Aucun chef indigène ne parut capable de tenir sa place. Ce fut encore une circonstance heureuse : dans le cas contraire, nous aurions suscité nous-même à l'est la création d'un État qui aurait fait pendant à celui d'Abd el Kader dans l'Ouest. Nous n'avons pas eu que de la malchance dans la pacification de l'Algérie.

----------Valée, gouverneur général en remplacement de Damrémont, nomma un commandant supérieur de la province Cet officier général était chargé, outre le commandement des troupes, de l'administration, et résidait à Constantine. La province était divisée en quatre khalifaliks (Sahel, Ferdjioua, Medjana, Sahara) administrés chacun par un khalifa indigène. C'était en somme une imitation du système établi par Abd el Kader dans la province d'Oran.

----------Cette organisation ne resta pas théorique. Elle fut accompagnée d'une extension effective de l'occupation : prise de Stora, fondation de Philippeville, envoi de colonnes mobiles s'installant successivement à Mila, Sétif, Djidielli Les circonstances imposaient par leur seul enchaînement ce à quoi n'avaient pu se décider les dirigeants retenus par une partie de l'opinion française.

----------Au bout de sept années, la domination turque était complètement liquidée. Une méthode d'administration commençait à se faire jour. Mais cette première étape sérieuse vers la pacification était payée cher par l'installation dans la partie occidentale du pays, la plus dangereuse, puisque limitrophe du Maroc hostile, d'un pouvoir indigène étendu, fort, énergique, et que les concessions qu'on lui avait faites n'avaient rendu que plus intransigeant.

IV.-La Lutte contre Abd el Kader

---------Provisoire dans l'esprit d'Abd el Kader, le traité de la Tafna devait l'être dans les faits. En dehors même de toute contestation sur le texte du traité, notre extension dans la province de Constantine devait tôt ou tard amener la reprise des hostilités. Et, avec un adversaire de la valeur et de l'énergie d'Abd el Kader, elles ne pouvaient se terminer que par un succès décisif ou une défaite complète.

---------Abd el Kader en eut le premier le sentiment très net. Il agit vigoureusement. Le commandement français le laissa faire.

---------Dès le mois de juillet 1837, Abd el Kader, après avoir châtié une fraction des Angad révoltée, prit possession de Tlemcen avec une grande solennité. Le mois suivant, il opéra contre les populations nomades du Sud et soumit les gens du Djebel-Amour à qui il imposa une lourde contribution de guerre. Il se fit reconnaître des Oulad-Chaïb, des Oulad-Mokhtar. Préparant son extension vers l'est, et l'amorçant, il soumit des tribus jusqu'aux Biban. Puis il se tourna contre les Zouatna de l'Oued Zeitoun en Kabylie; après un combat meurtrier, il massacra leurs chefs et les contraignit à la soumission (janvier 1838).

----------Les limites de la Tafna étaient largement dépassées. Le général Bernelle, envoyé par le maréchal Valée au camp -du Fondouk avec une brigade, demanda dans une lettre énergique des explications à Abd el Kader. Il fut désavoué par Valée et remplacé par le général Rullière. Mais la lettre avait produit son effet : Abd el Kader se retourna contre le Sud.

----------II commença par établir son autorité à Biskra (mai 1838), puis il entreprit des opérations contre Laghouat et Aïn Mahdi, où Sidi Tedjini, chef de la puissante confrérie des Tidjanyia, ne paraissait pas disposé à le reconnaître. L'émir installa un khalifa à Laghouat, puis mit le siège devant Aïn Mahdi : après six mois d'efforts, de juin à décembre 1838, il dut se contenter d'une capitulation laissant Tedjini en liberté. Quoiqu'il n'eût pu prendre la ville, il tira de cette expédition un renforcement de puissance le « Sultan de Touggourt », les Larbaa, les Oulad Khélif, les Oulad Naïls, lui envoyèrent des présents ou des délégués

----------Au milieu de 1839, Abd el Kader fit un voyage en Kabylie, mais il n'obtint chez les montagnards qu'un succès incomplet. Cependant son autorité était établie en principe sur les deux tiers de l'Algérie. Les Français étaient confinés dans Oran, dans Alger, dans une partie du beylik de Constantine, sans avoir, aux termes du traité de la Tafna, le droit de communiquer par terre entre leurs possessions.

---------Abd el Kader, alors âgé de 32 ans, de taille moyenne mais vigoureux, était dans toute la force de son merveilleux tempérament. Dur à lui-même, sobre, d'une résistance extrême, il mangeait peu, était vêtu simplement, et se distinguait surtout par sa piété, qui, tout en étant un de ses moyens de gouvernement, était restée sincère. Lancé dans une redoutable aventure, au bout de laquelle il entrevoyait la liberté des musulmans algériens, il employa souvent des moyens énergiques, dictés par une politique faite de justice et de sévérité. Sa cruauté même, qu'on lui a reprochée, n'est pas foncièrement établie, et en tous cas, s'il fut parfois impitoyable, ce fut seulement à cause de l'idée qu'il se faisait de sa mission.

----------Pour remplir celle-ci, il s'efforça d'établir une administration régulière. Il étendit à ses domaines agrandis l'organisation qu'il avait instaurée dans la province d'Oran après le traité Desmichels. Il les divisa en huit khalifaliks (Tlemcen, Mascara, Miliana, Médéa, le Hamza, la Medjana, le Sahara occidental, le Sahara oriental). Son trésor était alimenté par deux impôts principaux : la zecca, sur les troupeaux, perçue au printemps; l'achour, sur les moissons, perçue à l'automne. Il fonda une organisation de la justice, de la police, de l'instruction publique (écoles et bibliothèques), des finances (monnaies).

----------Les circonstances l'obligèrent à donner des soins particuliers à l'organisation militaire. Il eut une armée régulière de 8.000 fantassins, 2.000 cavaliers, 240 artilleurs (servant 20 pièces d'artillerie de campagne), répartie entre les khalifaliks et complétée par les guerriers des tribus. Les règlements, les décorations, l'avancement, la discipline, la comptabilité, le service de santé, étaient à la mode européenne; il avait eu des collaborateurs européens.

----------Il avait adopté un dispositif stratégique fondé sur les conditions géographiques. Vers la côte, d'abord, des tribus en avant-garde: les Gharaba devant Oran, les Hadjoutes devant Alger, les Kabyles ralliés devant Bône. Dans le Tell, une ligne de places : Tlemcen, Mascara, Miliana, Médéa; un chaînon manquait, Constantine, mais l'Émir espérait bien le conquérir. En arrière, et formant autant de réduits, Sebdou, Saïda, Tagdempt, Taza, Boghar, la Zaouïa de Bel-Kheroub, Biskra. Ce système de places lui fournissait des bases nombreuses, comprenant des moyens de ravitaillement (céréales enfermés dans les silos), grâce auxquelles il pouvait se rendre insaisissable, ce qui était le moyen de sa stratégie. Il employait tactiquement un procédé analogue en évitant la bataille rangée, et en harcelant les colonnes.

----------La faiblesse de cette organisation était son manque d'unité réelle. De très anciens souvenirs de rivalités entre familles et entre tribus s'opposaient à l'unification. Jamais, d'ailleurs, rappelons-le, avant la pacification française, l'Algérie n'a formé une unité dans les limites qu'elle a atteintes et qu'a tracées la tentative même d'Abd el Kader. On doit plutôt considérer l'État d'apparence unitaire créé par l'émir comme une confédération dans laquelle chaque khalifa était presque indépendant de fait, la liaison résultant de la reconnaissance d'un chef commun.

---------Les difficultés avec la France commencèrent à propos du Consul d'Abd el Kader à Alger. Ben Duran décidément reconnu indésirable, l'émir voulut le remplacer par le nommé Garavini, qui fut écarté par Valée parce qu'il était déjà consul des États-Unis. Abd el Kader se plaignit de ce refus. Niais l'affaire la plus grave était la délimitation de la Mitidja vers l'est. Le traité disait: jusqu'à l'Oued Kaddara et au delà. Rédaction contradictoire, d'où chacun s'efforçait de tirer des conclusions favorables à sa thèse, les Français pour maintenir les communications par terre entre Alger et Constantine, Abd el Kader pour s'étendre vers l'Est. Le Maréchal Valée prépara un projet de traité additionnel réglant le litige; Abd el Kader refusa de le ratifier; mais le gouvernement français le déclara valable, parce que signé du représentant de l'émir.

----------Celui-ci sentait venir la reprise des hostilités, à laquelle il se préparait. Ses empiétements dans la province de Constantine étaient autant de provocations contre les Français qui se décidèrent à réagir. Le Maréchal Valée confiant dans son système de camps successifs pour tenir le pays crut qu'un coup d'audace pourrait intimider l'émir. Ce fut une simple démonstration.

----------Le Maréchal quitta Mila, le 18 octobre 1839, à la tête d'une colonne de 4.000 hommes et accompagné du duc d'Orléans. Il traversa le défilé des Biban (Portes de fer) le 28 (moyennant paiement aux tribus d'un " droit de passage ") et rentra à Alger le 2 novembre.

---------Abd el Kader, qui était décidé depuis le mois de juillet à proclamer la guerre sainte à la première " violation " du traité par les Français, trouva dans cette expédition le prétexte souhaité. Il quitta Tagdempt le 1er novembre, écrivit à Valée deux lettres, dont la seconde reçut une réponse conciliante, et lança l'appel à la guerre sainte le 19.

---------Dès le 10, un officier supérieur français avait été tué dans une embuscade tendue par les Hadjoutes; les 13 et 14 novembre, des coups de feu avaient été tirés contre Blida. Le 20, la Mitidja fut envahie et ravagée par les contingents de l'émir. Le lendemain, 158 Français furent surpris et tués au camp de l'Oued el Alleug.

---------L'effort de l'émir paraissait devoir se concentrer d'abord dans la province d'Alger où 20.000 Français étaient disséminés dans les postes et les camps sur lesquels Valée fondait sa sécurité. Le système ne résista pas à l'épreuve. Valée évacua la plupart des points occupés, ne maintenant de garnisons qu'au Fondouk, à Kara Mustapha, à l'Arba, et à Blida. Mais il fallait organiser des colonnes mobiles pour les ravitailler, procédé que le Maréchal dut adopter, après s'être violemment élevé contre lui auparavant.

---------Dans la province d'Oran, des attaques furent exécutées par les partisans d'Abd el Kader contre Mazagran (13 décembre), contre Arzeu (17 décembre), et des razzias des Gharaba contre les Douairs et les Smela. Le 2 février 1840, eut lieu l'attaque de Ben Thami, khalifa d'Abd el Kader, contre la redoute de Mazagran, défendue par le capitaine Lelièvre et 123 hommes de la 10è compagnie du premier bataillon d'infanterie légère d'Afrique : la résistance dura 5 jours, les assaillants durent se retirer. L'héroïsme des défenseurs fut célébré peut-être avec quelque exagération; mais l'opinion française surexcitée exigea une action énergique.

---------Valée, renforcé, disposant de 58.000 hommes, dont 33.000 dans la province d'Alger, se disposa à agir au printemps. Il résolut d'occuper Médéa et Miliana, puis de se maintenir en liaison permanente avec Mostaganem et Oran. Il occupa les deux premières villes ainsi que Cherchell, mais le ravitaillement amena toujours de nouveaux combats.
L'état sanitaire des garnisons était des plus défectueux

---------Des révoltes se produisirent chez les indigènes dans les provinces d'Oran et de Constantine.

---------Cette fois, le gouvernement français, poussé par Bugeaud, qui avait un plan tout prêt, décida une action d'envergure : l'occupation « restreinte, progressive, pacifique », avait échoué. II fallait aussi compenser la reculade à quoi avait abouti le soutien donné à Méhémet-Ali : au lieu d'aider celui-ci, au prix d'une guerre européenne, à consolider sa situation en Égypte, mieux valait pacifier l'Algérie. Le Ministère Guizot rappela Valée et le remplaça par Bugeaud (29 décembre).

---------Avec celui-ci, qui avait renoncé aux illusions politiques de 1837, le système des camps fut abandonné pour celui des colonnes mobiles. A l'activité d'Abd el Kader, il fallait opposer une activité supérieure. Le camp du Fondouk et la plupart de ceux de la province d'Alger furent évacués. Grâce à la confiance que Paris avait en Bugeaud, les effectifs atteignirent un chiffre élevé, jusqu'à 110.000 hommes, et permirent de former un grand nombre de colonnes. Les hommes furent pourvus d'un équipement approprié. Les convois sur bêtes de somme devinrent la règle. La colonne comprenait 3 ou 4 bataillons d'infanterie, 2 escadrons de cavalerie, 2 obusiers de campagne, des auxiliaires indigènes. Bugeaud, qui resta longtemps en fonction, trouva des subordonnés remarquables, parmi des officiers qui s'étaient formés en Algérie même, les Changarnier, les Lamoricière, les Duvivier, les Morris, les Cavaignac, les Bedeau, les Baraguey d'Hilliers.

---------Le système trouvé, restait encore à en arrêter le mode d'application à la fois politique et stratégique. Certaines servitudes étaient imposées par l'impossibilité d'évacuer des points comme Médéa et Miliana. Il fallut donc encore avoir recours aux colonnes de ravitaillement. Mais, en même temps, Bugeaud comprit la nécessité de s'attaquer aux places de l'Émir : il commença dès le printemps de 1841.

---------Abd el Kader comprend le danger: il s'adresse au sultan du Maroc, et à l'Angleterre, mais sans succès. Du 30 mars au 6 avril, Médéa est ravitaillée. Puis c'est le tour de Miliana (combats du 2 au 5 mai). A la fin du mois, Tagdempt, Boghar, Taza, Mascara, sont prises. La première ligne des places de l'émir est enlevée tout entière, sauf Tlemcen ; la seconde est entamée. En juin, Mascara est ravitaillée et les troupes de Bugeaud font la récolte dans la plaine d'Eghris qui a vu naître la puissance d'Abd el Kader.
---------Après un temps d'arrêt, employé à la réorganisation de la direction des affaires arabes, la campagne est reprise à l'automne. Bugeaud bat Abd el Kader à Sidi Yahia, détruit la Guetna de Sidi Mahi ed Din, arrive à Saïda (octobre 1841). Il établit des bases d'opérations à Mascara, Mostaganem et Oran, d'où pourront rayonner et agir en liaison des colonnes de pacification. En janvier 1842, Bugeaud, partant d'Oran, rentre à Tlemcen et dévaste Sebdou. En mars, Bedeau soumet Nedroma.

---------En décembre 1841, Abd el Kader a fait de nouveau appel à l'Angleterre. Il a adressé des lettres au sultan de Constantinople, à son grand-vizir, au capitan-pacha. Toujours sans succès. Il va chercher des Beni Snassen pour les mener au combat : ils s'enfuient sur la Sikkak (21 mars 1842). Au début d'avril l'émir a rassemblé de nouveaux contingents : il est battu le 11 sur la Tafna par Bedeau. Infatigable, Abd el Kader, qui a entraîné cette fois les Kabyles, vient assiéger Nedroma. Bedeau le bat à nouveau le 29 à Bab-Taza.

---------Le mois suivant, une opération combinée, conduite par Bugeaud avec Changarnier et Lamoricière, ouvre les communications par terre entre Oran et Alger, et contraint la smala d'Abd el Kader à fuir vers le Sahara. Lamoricière manque de peu l'émir lui-même, mais s'empare de Goudjilah, où Abd el Kader a rassemblé toutes les armes et les munitions qu'il a pu sauver de Tagdempt.

---------Les tribus hésitent encore à se rallier à la France à la fois par sentiment religieux et par crainte des représailles d'Abd el Kader. Il faut déterminer et pratiquer une politique indigène. Il s'agit d'abord de lever le malentendu fondamental. C'est à quoi s'emploie Léon Roches, qui, entre 1837 et 1839, a séjourné auprès d'Abd el Kader, et lui a même servi en plusieurs occasions de secrétaire pour ses relations avec l'extérieur. Il y est aidé par Sidi Tedjini, le vaincu d'Aïn Mahdi.

---------Les mokkadems, réunis à la Zaouïa de Tedjini, à Kairouan, ont donné une fettoua, permettant aux Algériens de faire leur soumission aux Français (août 1841). Roches fait approuver cette fettoua par les oulémas du Caire, puis par un medjelès, réuni à Taïf par le grand Chérif de la Mecque Revenu à Alger en juin 1842, Roches recrute, grâce à Tedjini, des émissaires sûrs et dévoués qui vont répandre la fettoua dans les tribus; en même temps, il les fait rassurer matériellement en promettant qu'il n'y aura plus de traités comme ceux de Desmichels et de la Tafna abandonnant les tribus ralliées à la vengeance de l'émir.

---------Abd el Kader a perdu ses places, ses lieutenants sont battus, sa Smala, qui, outre sa famille et ses familiers, comprend d'immenses approvisionnements et toutes ses richesses, est contrainte de se déplacer sans cesse. Lui-même, à l'automne de 1842, ne tient plus la campagne que grâce à sa mobilité et en harcelant les troupes françaises. Lamoricière l'a vainement pourchassé sans l'atteindre. C'est dans le sud et au Maroc qu'il peut retrouver des forces. Il faut lui barrer la route.

---------Au début de 1843, l'émir reparaît dans l'Ouarensenis la saison encore peu favorable empêche Bugeaud d'agir. Mais, au printemps, il se remet en campagne avec ses lieutenants et commence par occuper les grandes avenues du pays : camps d'El Asnam (Orléansville), de Tiaret, de Teniet el Had, de Boghar.

---------Le duc d'Aumale, qui commande à Boghar, sait que la smala ne peut être loin et il se jure de l'atteindre. Avec ses 60 à 70.000 âmes, elle se meut difficilement. Le duc d'Aumale apprend qu'elle a hiverné à Goudjilah; il occupe ce point le 14 mai. La smala, lui dit-on, est du côté de Taguin. Trompé par un faux renseignement, il se trouve brusquement en présence du vaste campement avec sa seule cavalerie, le 16 vers 11 heures du matin. L'occasion est propice : attendre l'infanterie, c'est risquer de la laisser passer. Le duc d'Aumale se précipite, s'empare de la smala les prises sont considérables, l'effet produit prodigieux.

---------L'émir lui-même se sent atteint par ce coup de fortune où les musulmans voient la volonté de Dieu : un moment découragé, il songe à se retirer en Orient. La dépression ne dure pas. Mais Abd el Kader est traqué : à plusieurs reprises, il est sur le point d'être pris par le colonel Géry (21 juin, début d'août, 12 septembre), par Lamoricière (22 septembre). Il se réfugie au Maroc.

---------Alors, se produit dans le drame une péripétie : après de longues hésitations, les Marocains interviennent dans la lutte. La guerre est inévitable, du fait qu'ils donnent asile à l'émir, qui en profite pour organiser sur leur territoire ses coups de main et ses razzias contre l'Algérie, qui ose même y envoyer ses prisonniers. Mais les hostilités prennent bientôt un caractère plus net. L'occupation de l'Algérie par les Français s'étend : au printemps 1844, le duc d'Aumale occupe Biskra, Bugeaud occupe Dellys, un camp français est établi à Laghouat et, comme il était inéluctable, Lamoricière occupe Lalla-Maghrnia. Région toujours contestée à laquelle le sultan du Maroc n'a jamais renoncé. Il y a des troupes marocaines à Oudjda. Leur chef somme Lamoricière d'évacuer Lalla-Maghrnia : Lamoricière refuse. On essaie de négocier, mais les palabres dégénèrent en bataille. En juin, Bugeaud occupe Oudjda temporairement sans rien obtenir : le sultan compte sur l'appui britannique. L'affaire se règle au mois d'août. Tanger est bombardé par l'escadre du prince de Joinvillle le 6, Mogador le 15; le 14, Bugeaud bat complétement sur l'Isly l'armée marocaine commandée par un fils du sultan. Le 10 septembre est signé le traité de Tanger, dont la clause principale met Abd el Kader hors la loi. Le traité est complété par la convention de Lalla-Maghrnia, sur les limites entre le Maroc et l'Algérie (18 mars 1845) : il est bien dit qu'Abd el Kader sera extradé s'il se réfugie au Maroc, mais la frontière est tracée de façon imprécise et inopportune.

---------Bugeaud, rentré en France en novembre 1844, croit la question réglée. Tout va cependant être remis en question. Au début de 1845, le pays est agité par le marabout BouMaza (l'homme à la chèvre), qui profite du mécontentement causé par les maladresses de l'administration française. Au mois de janvier, Sidi Bel Abbés a été surpris. Orléansville est menacée, la révolte gronde dans la vallée du Chélif, dans l'Ouarensenis, dans le Dahra. Une action vigoureuse est nécessaire. Bugeaud, rentré en mars, travaille dans l'Ouarensenis, Pélissier dans le Dahra; Bou Maza est battu par Saint-Afnaud (21 mai) et s'enfuit. Mais la situation reste obscure : de faux Bou Maza apparaissent çà et là. L'agitation est entretenue par Abd el Kader. Cependant Bugeaud rentre en France au début de septembre, laissant l'intérim à Lamoricière.

---------Tandis que celui-ci se garde surtout au sud, l'initiative désordonnée d'un sous-ordre, le lieutenant-colonel Montagnac, qui brûle de se mesurer avec Abd el Kader, vient troubler l'application de son plan. Montagnac quitte Djemmaa-Ghezaouet avec 346 hommes du 8è bataillon de chasseurs d'Orléans et le 2è escadron du 28 hussards (Commandant Courby de Cognord) ; le 23 septembre, il se porte vers le Djebel Kerkour, engage la lutte sans que ses forces soient réunies et dès le début est mortellement blessé. La plupart des hommes sont massacrés, Courby de Cognord, blessé, est fait prisonnier; 82 hommes s'enferment dans le marabout de Sidi-Brahim et tiennent contre tous les assauts : le 26, ils se font jour vers Djemmaa-Ghezaouet, mais se désunissent pour boire dans un ruisseau; quatorze d'entre eux rejoignent le poste; un seul, le caporal Lavayssière, a encore son fusil.

---------L'effet produit dans toute l'Algérie fut immense : l'insurrection se généralisa. L'armée française semblait traverser une crise : un convoi de cartouches envoyé par Cavaignac qui commandait à Tlemcen capitula en rase campagne avec son escorte non loin d'Ain Temouchent le 27 septembre, devant Abd el Kader.

---------L'énergie de Lamoricière et de Cavaignac sauva l'Oranie et l'Algérie tout entière. Bugeaud débarqua à Alger le 15 octobre et agit immédiatement. Il mit sur pied jusqu'à 18 colonnes à la fois, opérant les unes sur le pourtour, les autres au centre. Devant cet effort, les insurgés ne tiennent pas : plusieurs Bou Maza sont défaits. En novembre, Abd el Kader, qui s'est porté vers le plateau du Sersou, doit s'enfuir vers le sud. Il tâche de se maintenir successivement dans les massifs montagneux qui ont toujours permis une résistance opiniâtre : il est chassé de l'Ouarensenis ; puis il s'élance du Djurdjura sur la Mitidja où il est arrêté de justesse; rejeté dans le Djurdjura, il n'est pas suivi par les Kabyles. Il se réfugie au Djebel-Amour, mais les Oulad Naïls et les Harrar demandent l'aman au Français. En mai 1846, il se porte chez les Oulad Sidi Cheïkh : le colonel Renaud arrive à El-Abiod au début de juin. Abd el Kader s'enfuit à Figuig.

---------Pendant cette dure campagne, les prisonniers français de Sidi-Brahim et d'Ain Temouchent, gardés à la Deïra (smala très réduite) sur les bords de Moulouya, ont été presque tous massacrés en l'absence de l'émir. Les survivants, avec Courby de Cognord, sont mis en liberté contre rançon en novembre; quelques-uns dont le clairon de Roland avaient réussi à s'évader.

---------L'émir, coupé des révoltés algériens, s'entend avec Bou Maza, qui tente d'opérer dans Tittery. L'homme à la chèvre est à son tour pourchassé chez les Oulad Naïls, en janvier février 1847, et, après un nouvel échec dans le Dahra, se rend à Saint-Arnaud le 13 avril. La pacification de l'Algérie est en bonne voie quand Bugeaud, las des attaques dont il est l'objet au Parlement, rentre en France (5 juin 1847) après une courte campagne en Kabylie.
Son successeur, le duc d'Aumale, allait avoir l'honneur de recevoir la reddition d'Abd el Kader.

---------Celui-ci ne peut plus rien obtenir des Marocains qui entrent même en lutte avec lui et empêchent des contingents. algériens de le rejoindre : le sultan craint l'ambition de l'émir. Celui-ci est hors d'état d'agir : le Maroc est hostile, L'Algérie est maintenant bien gardée. Les deux frères de l'émir demandent l'aman. Lui-même tente de rentrer en Algérie, il passe la Moulouya en subissant des pertes élevées, mais tous les passages sont gardés. Après des tractations dans lesquelles on lui a promis qu'il pourrait se rendre en Orient, Abd el Kader fait sa soumission le 23 décembre 1847.

---------On sait que la monarchie de juillet et la Seconde République ne purent se décider à lui permettre de quitter le territoire français. C'est Napoléon III qui tint la parole donnée. Le 21 décembre 1852, l'émir arrivait à Brousse. Il acceptait pleinement la situation et employa toute son énergie à sauver les Français lors des émeutes de Damas en juillet 1860. Au reste, n'a-t-il pas écrit : « Si les musulmans et les chrétiens me prêtaient l'oreille, je ferais cesser leur divergence, et ils deviendraient frères à l'extérieur et à l'intérieur ».

V.-L' Achèvement de la Pacification

---------La fin de la lutte contre Abd el Kader marquait la principale étape de la pacification en Algérie. Elle ne sauva pas plus la monarchie de juillet que la prise d'Alger n'avait sauvé Charles X. Du moins était-ce un magnifique héritage que le Roi des Français laissait sur la terre d'Afrique à la Seconde République. Il s'étendait du Maroc à la Tunisie, de la Méditerranée au Sahara. Aucun homme, aucun chef n'était capable de reprendre à son compte l'impossible rêve d'Abd el Kader. À la poursuite de celui-ci les colonnes françaises avaient montré leurs drapeaux et pacifié les populations, même dans les vieux pôles de résistance comme l'Ouarensenis, l'Aurès, le Djebel-Amour. Elles étaient allées jusqu'à Laghouat et jusqu'à Biskra. La mise en valeur, la colonisation, avaient commencé, grâce aux efforts des autorités joints à ceux des particuliers, au premier rang desquels il faut citer le baron de Vialar.

---------Il restait cependant une lourde tâche à remplir. La Kabylie avait pas cédé aux sollicitations d'Abd el Kader. La soumission de celui-ci ne l'affectait pas et les Kabyles n'étaient pas disposés à reconnaître les autorités françaises. Dans le sud, le contact avec les grands nomades était à peine pris, il fallait établir la sécurité de la rive septentrionale de la mer saharienne.

---------Une première solution fut obtenue des deux côtés moins de dix ans après la soumission d'Abd el Kader. Elle fut remise en question, d'abord dans le sud (1864), puis en Kabylie (1871) . Sur ce dernier point un effort intense permit une pacification rapide. Dans le sud il fallut guerroyer jusque dans les premières années du XXè siècle.

---------La question se posa des deux côtés simultanément et clans des conditions analogues : soulèvements locaux provoqués par des agitateurs qui couvraient d'un prétexte religieux leur désir de pillage. En 1849 Bou Zian, dans le Sud, Bou Baghla, en Kabylie, forcent les Français soit à agir, soit à envisager une action sérieuse.

---------Dans le sud ce fut l'affaire de Zaatcha, pénible et coûteuse. Après un premier assaut infructueux le 20 octobre 1849, des renforts furent envoyés et permirent de prendre le Ksar. Les pertes françaises s'élevaient à 1.500 tués et blessés. Affaire purement épisodique d'ailleurs, malgré son caractère meurtrier, et qui n'empêcha pas l'agitation de se poursuivre. Elle atteignit un certain développement en 1852.

---------Un chérif, qui avait fait parler de lui dans les dernières années de la lutte contre Abd el Kader, Mohammed ben Abdallah, s'était mis à prêcher la guerre sainte parmi les populations sahariennes rassemblées autour de lui. Ses partisans mirent la main sur Laghouat. De ce point, où il vint lui-même s'installer, il tenta d'entraîner les tribus de l'Atlas et des Hauts-plateaux. Il fallut, pour le réduire, l'action combinée des deux colonnes Pélissier et Yusuf, qui s'emparèrent de Laghouat le 4 décembre 1852, tandis que leur mouvement était couvert à distance par Mac-Mahon dans la région de Biskra.

---------Mohammed ne s'avoua pas battu et reparut quelques mois plus tard dans le Mzab. Le général Randon, gouverneur général, mettant en oeuvre une politique qui a toujours donné des résultats, s'entendit pour le réduire avec les Oulad-Sidi-Cheïkh, et avec leur chef Si Hamza. Les forces indigènes de celui-ci appuyées en profondeur par les colonnes françaises se mirent à la poursuite du Chérif, qui fut battu à Ngouça, et s'emparèrent d'Ouargla. En 1854: l'intervention d'un allié de Mohammed amena une campagne sur l'Oued Rhir et l'entrée des troupes françaises à Touggourt (29 novembre) et dans le Souf. La pénétration vers le sud fut momentanément arrêtée : Si Hamza exerçait le commandement dans la région de Géryville et Ouargla et resta fidèle à l'amitié française.

---------En Kabylie, à la suite des troubles de 1849, le gouverneur général d'Hautpoul avait demandé à Paris l'autorisation d'occuper le massif. Le gouvernement s'en tint aux demi-mesures et n'admit qu'une campagne en Petite Kabylie. De mai à juillet 1851, Saint-Arnaud promena ses troupes entre Mila et Djidjelli : le résultat final ne pouvait être atteint de cette façon.

---------Nommé gouverneur général, Randon, dont on a vu l'heureuse action dans le Sud, résolut de régler la question suivant un plan méthodique. Il porta d'abord son effort sur les communications, procédé toujours fécond : construction des deux routes Bougie-Alger-Dellys, et Aumale-Sétif-Bougie. Mais il entra en rivalité avec Saint-Arnaud et ce dissentiment empêcha de régler d'un coup le problème; encore une fois Paris n'admit qu'une opération partielle, une nouvelle campagne en Petite Kabylie. Menée par Randon lui-même avec les divisions Mac-Mahon et Bosquet, elle aboutit du moins à la pacification de la région située entre Djidjelli, Collo, Constantine et Sétif.

---------Ce premier succès eût permis à Randon d'achever son oeuvre, si les circonstances n'étaient venues encore se mettre à la traverse. Cette fois, il fut arrêté par les prélèvements opérés sur les troupes d'Algérie pour l'expédition de Crimée. Il ne resta pas inactif, mais il ne put donner à ses opérations l'envergure nécessaire.

---------À la suite d'un soulèvement contre l'Agha du Sébaou (1854) Randon exécuta une reconnaissance en force qui mena les troupes françaises jusqu'au territoire des Beni Yahia : les tribus durent payer une contribution de guerre. Mais l'action de présence ne put être exercée : nos troupes se retirèrent; l'agitation reprit. Le poste de Tizi-Ouzou fut attaqué. Une opération vers Dra el Mizan (1856) fut, naturellement, encore insuffisante pour amener la solution.

---------Enfin, en 1857, Randon put exécuter la campagne qu'il préparait depuis si longtemps. Laissant un détachement à la surveillance du Djurdjura, Randon lança trois colonnes dans les montagnes Kabyles. L'opération commença le 24 mai.

---------Elle atteignit d'abord les Beni Raten : partant de Tizi-Ouzou, les troupes françaises occupèrent le plateau de Soukh et Arba : les Beni Raten entrèrent en pourparlers. Fidèle à sa méthode, Randon fit construire une route assurant les communications avec Tizi- Ouzou. Et dès le 14 juin avait lieu la pose de la première pierre du Fort Napoléon (Fort National).

---------La campagne fut reprise quelques jours plus tard : prise d'Icheriden par Mac-Mahon (24 juin) mettant hors de cause les Beni Menguellet, combats d'Ait Hassen et de Taourirt Mimoun, qui amenèrent la soumission des Beni Yenni. La campagne s'acheva le 11 juillet dans le Djurdjura par la capture de la maraboute Lalla Fatma. Randon, parfaitement au courant du caractère et des moeurs des Kabyles, leur laissa leurs institutions particulières et une large autonomie municipale.

---------La pacification semblait complète.

---------Une première crise se produisit cependant dans le sud en 1864.

---------L'accord avec Si Hamza avait permis de prendre contact avec les Sahariens (voyage de Duveyrier chez les Touareg, accord avec les Adjer en 1862). En mars 1864, Si Sliman, deuxième successeur de Si Hamza, rejeta la fidélité à la France à la suite de blessures d'amour-propre (il n'avait reçu que le titre de bachagha, au lieu de celui de khalifa qu'avait eu Si Hamza). Le 8 avril, le commandant supérieur de Tiaret, le colonel Beauprêtre, qui marchait contre les insurgés, fut surpris et massacré avec sa colonne. Si Sliman resta lui-même sur le terrain du combat.

---------Son frère, Si Mohammed, qui le remplaça, profita de l'émotion causée par la catastrophe de la colonne Beauprêtre et réussit en quelques jours à déclenche un vaste mouvement du Djebel Amour au Tittery. Les troupes françaises parvinrent à empêcher les insurgés de prendre pied dans les Hauts-Plateaux. Mais l'importante tribu des Flitta, entre le Chelif et Tiaret, se souleva à la voix du marabout Sidi-Lazreg; les tribus du Dahra s'agitèrent. En dépit de l'affaiblissement des effectifs (expédition du Mexique), le général Martimprey, gouverneur général par intérim, à la suite du décès du maréchal Pélissier, prit la direction des opérations avec énergie. A la suite d'un combat où leur chef fut tué, les Flitta se soumirent à la fin de juin, et le calme se rétablit dans le Djebel-Amour et le Tittety. La situation resta longtemps troublée en Oranie. De ce côté, Si Mohammed tint la campagne jusqu'à sa mort (4 février 1865). Il aurait fallu atteindre la région de Figuig, le Maroc, où les rebelles trouvaient un refuge. Le gouvernement français s'opposa à ce mouvement. Pendant plusieurs années on dut rester sur le qui-vive, en s'opposant aux razzias des pillards sans pouvoir trancher dans le vif. Cependant, en juillet 1870, une attaque contre les Hamyan, fit autoriser le général Wimpfen à agir contre les Zegdou (Oulad Djerir, Beni Guil, Doui Menia) : son succès fut complet. II fut malheureusement temporaire, et l'agitation continua. Elle ne devait cesser que lorsque la pénétration saharienne eut porté ses fruits : c'est un sujet qui vaut d'être étudié pour lui-même.

---------Plus brève, mais aussi plus grave et plus meurtrière, fut, en 1871, l'insurrection de la Kabylie. La guerre franco-allemande avait amené une nouvelle et très profonde baisse des effectifs, et nos défaites un redoutable affaiblissement du prestige français. Avec une extraordinaire légèreté le gouvernement de la Défense Nationale choisit ce moment pour introduire des modifications sérieuses dans le système administratif de l'Algérie : substitution du régime civil au régime militaire, naturalisation en bloc des israélites en vertu du décret Crémieux. On inquiétait à la fois les chefs indigènes jaloux de leur autorité, et la masse des musulmans.

---------L'agitation alla s'amplifiant, et, à cause du manque de troupes, aboutit à une véritable insurrection. Elle fut menée par un descendant d'une famille illustre, Moqrani, BachAgha de la Medjana, et prit un caractère religieux du fait de l'alliance qu'il conclut avec le cheikh Haddad, chef de la confrérie des Rahmanyia. Moqrani commença par adresser une déclaration de guerre en forme au général commandant la subdivision de Sétif (14 mars 1871) et par mettre le siège devant le poste de Bou Arreridj. Peu après, les Rahmanyia étaient appelés à la guerre sainte par le cheikh Haddad (8 avril).

---------La guerre sainte prit la forme du pillage : les villages et les fermes isolés furent dévastés, les villes bloquées. C'est-à-dire, car le mot blocus évoquerait des visions militaires inexactes, que les communications furent interceptées. Dellys, Bougie ne purent plus trafiquer avec les environs; des postes même, comme Fort-National, se trouvèrent coupés du reste du pays. Souvenir des années de naguère : la Mitidja fut envahie. En quelques jours, 150.000 Kabyles avaient pris les armes.

---------Ils furent arrêtés dans leur marche sur Alger au village de l'Alma (22 avril). Mais l'insurrection gagnait. Tandis que Moqrani était vers Aumale, toute la Grande Kabylie était soulevée; le mouvement s'étendait aux tribus du Hodna, puis aux Beni Menacer, entre Cherchell et Miliana.

---------Le gouvernement français, qui avait pourtant à faire face en même temps à la Commune de Paris, put envoyer des troupes en Algérie avec un gouverneur général clairvoyant et décidé, l'amiral de Gueydon. Dès le 5 mai, Moqrani fut tué dans un combat sur l'Oued Soufflat, et son frère Bou Mezrag vit bientôt le plus grand nombre de ses partisans le quitter. La contre-offensive s'organisa en mai et juin, Tizi-Ouzou, Dellys, Dra et Mizan furent délivrés. Les derniers champions de la résistance furent battus à Icheriden. Haddad et ses fils se soumirent le 13 juillet. Bou Mezrag se réfugia dans le sud et ne fut capturé qu'en janvier 1872.

---------L'insurrection avait trouvé à son début des circonstances favorables, mais l'oeuvre accomplie depuis quarante ans avait déjà porté ses fruits : le mouvement resta presque entièrement localisé dans la province de Constantine. Dans celle d'Alger, il n'eut que peu de succès et n'en eut pas du tout dans celle d'Oran.