TROISIÈME
PARTIE
L'ALGÉRIE ET LA
FRANCE
I.-L'expédition
de 1830
--------La cause
profonde de l'expédition française contre Alger en 1830
est l'impossibilité, dans l'Europe moderne, de tolérer longtemps
la situation extravagante créée en Méditerranée
par les agissements de la Régence. La menace perpétuelle
qu'ils faisaient peser sur le trafic était insupportable. La flotté
anglaise, envoyée en 1816 devant Alger, sous le commandement de
lord Exmouth, n'avait pas obtenu un résultat durable. En dépit
de la suppression officiellement promise de l'esclavage, le Dey maintenait
en fait ses prétentions : au début de 1824, trois vaisseaux
espagnols avaient été capturés par les Algériens
et les équipages condamnés aux travaux publics. Au mois
de mars, le capitaine de vaisseau français du Buisson obtint leur
libération, mais la question n'était pas réglée
pour cela. Elle devait l'être fatalement, par une puissance ou par
l'autre, dans un avenir prochain.
--------L'occasion
est bien connue. Les Bacri et les Busnach, juifs algériens qui
avaient le monopole des grandes affaires dans la Régence, avaient
fait à la Première République des fournitures de
grains qui n'étaient pas encore réglées en 1815.
Le gouvernement de la Restauration comprit cette créance dans la
liquidation générale qu'il avait entreprise : un accord
de 1819 en fixa le montant à 7 millions de francs.
--------En 1827,
la somme n'était pas encore recouvrée. Des créanciers
de Bacri s'étaient révélés et mettaient opposition
aux paiements. Les tribunaux étaient saisis, à charge d'examiner
le bien fondé de leurs réclamations. D'où la lenteur
extrême. Mais, de son côté, le Dey d'Alger était
aussi créancier de Bacri, et il insistait avec la plus grande véhémence
pour que son débiteur fût enfin payé. C'était
au Consul de France à Alger, Deval, à lui faire prendre
patience. L'affaire finit mal. Après une lettre à notre
Ministre des Affaires étrangères,
le Dey Hussein passa de la menace aux actes. Le domicile de notre agent
consulaire à Bône fut violé, des bâtiments français
furent visités par des Algériens dans les eaux de la Corse,
et des bâtiments sous pavillon pontifical capturés. Enfin,
le 30 avril 1827, au cours d'une audience, le Dey, hors de lui, frappa
trois fois Deval de son chasse-mouche, et le congédia.
--------Réaction
française immédiate et conforme à la tradition :
une escadre se présenta devant Alger et son
chef exigea excuses et réparations. Hussein refusa tout. Notre
Consul et nos résidents s'embarquèrent. Les côtes
furent déclarées par la France en état de blocus.
Hussein répliqua en ordonnant la destruction du comptoir français
établi à la Calle. Le résultat était, lui
aussi, conforme à la tradition.
--------Il devint
évident que la flotte à elle seule ne pourrait amener la
décision.
--------Le ministre
de la Guerre, Clermont-Tonnerre, se rendit à l'évidence
et proposa au Conseil des Ministres une expédition militaire, un
débarquement (11 octobre 1827) : il se heurta à l'opposition
du Président du Conseil Villèle, et à celle du Dauphin.
Le Cabinet suivant (Martignac) se contenta de maintenir le blocus et chercha
à reprendre les tractations. C'était encourager la résistance
du Dey, déjà poussé dans cette voie par le Consul
d'Angleterre.
--------Un peu plus
de deux ans après le « coup d'éventail », en
juillet 1829, le Dey poussa l'audace jusqu'à faire canonner, malgré
le pavillon parlementaire, la Provence à bord de laquelle se trouvait
le capitaine de vaisseau de la Bretonnière, reçu la veille
en audience sans résultat. Hussein rejeta bien la responsabilité
de la canonnade sur son ministre de la Marine. Mais la destitution de
ce haut fonctionnaire n'était pas une satisfaction suffisante pour
la France.
--------Polignac,
qui venait de succéder à Martignac, ne parut pas, d'abord,
plus décidé que son prédécesseur à
entamer une guerre en Afrique. Sur la proposition de notre Consul au Caire,
Drovetti, il pensa à une alliance avec Méhémet Ali,
le vice-roi d'Égypte, qui se présentait comme le plus entreprenant
des héritiers éventuels de la Porte. Cette idée rentrait
dans le plan général de liquidation de l'Empire ottoman
que caressait Polignac. Celui-ci était sur le point d'admettre
les conditions singulièrement décevantes posées par
Méhémet-Ali : il trouva une vive résistance chez
ses collègues, notamment chez le ministre de la Marine, le baron
d'Haussez, qui convainquit le roi Charles X de l'impossibilité,
entre autres choses, de céder au vice-roi d'Égypte, comme
il le demandait, quatre bâtiments dé la flotte de guerre
française. Au reste, l'attitude de la Russie et de la Prusse rendit
bientôt caduc le grand projet du ministre des Affaires étrangères.
--------Les circonstances
né laissaient plus d'autre issue que l'action militaire, le débarquement.
Il fut décidé, en conseil des Ministres, le 31 janvier 1830
et publiquement annoncé le 3 mars suivant. L'objet essentiel de
l'expédition était de venger l'insulte faite au pavillon
français. Certaines réserves contenues dans les instructions
données au général de Bourmont, commandant en chef,
portaient que celui-ci devait s'abstenir, dans ses relations avec la population
et les chefs, de quoi que ce fût qui pût engager l'avenir.
Mais, en dehors de la soumission complète, d'ailleurs improbable,
ou de l'éviction définitive du Dey d'Alger et de l'administration
turque, rien n'était expressément prévu : idée
directrice semble avoir été de prendre pied à Alger
et sur certains points de la côte; il n'y a pas trace d'intentions
« colonisatrices ».
--------Au reste,
dans ses circulaires aux puissances, Polignac affirmait au nom du Roi
de France que, si le gouvernement du Dey venait à disparaître,
une conférence internationale réglerait le sort de la Régence.
L'intérêt général de l'Europe était
évidemment que le nid de pirates fût détruit, et les
grandes puissances se contentèrent des assurances données.
--------Toutes,
sauf une, l'Angleterre. Le Cabinet de Saint-James, à plusieurs
reprises, demanda des explications supplémentaires et avant tout
l'engagement formel que nous ne resterions pas à Alger. C'était
là évidemment sa crainte, car il voyait dans notre installation
éventuelle sur la côte nord de l'Afrique une menace grave
pour sa prépondérance maritime, affirmée jusqu'en
Méditerranée.
--------Son Consul
à Alger prodiguait les encouragements au Dey Hussein. Déjà,
en 1824, Du Buisson, en arrivant devant Alger, avait essuyé un
coup de canon d'un navire britannique. Le sang-froid et la fermeté
du commandant de l'Hermione avaient évité un incident grave.
--------Le gouvernement
français ne se laissa pas intimider. Le baron d'Haussez eut, à
la fin d'avril, avec lord Stuart, ambassadeur de la Cour de Londres à
Paris, une conversation parfaitement nette. Le prince de Polignac affirmait
une énergie et une décision égales.
La situation politique intérieure en France était infiniment
moins favorable.
--------Le ministère
Polignac (« Coblence, Waterloo, 1815 ») était considéré,
dès ses débuts, comme un ministère de coup d'État.
La personnalité du ministre de la Guerre, le général-comte
de Bourmont, était particulièrement discutée. A la
première nouvelle d'une expédition contre Alger, l'opposition
se déchaîna dans la presse, dans des brochures; perdant de
vue, comme il arrive souvent, l'intérêt national, pour s'en
tenir à l'intérêt de parti, elle divulgua des renseignements
relatifs à l'opération, et ce fut un grief que releva Polignac
dans son rapport précédant les ordonnances de Juillet.
--------Ces divulgations
ne furent pas nuisibles. Remarquons-le, cependant : première entreprise
africaine de la France au XIXè siècle, l'expédition
d'Alger connut, comme toutes celles qui l'ont suivie, l'hostilité
peu éclairée d'une partie de l'opinion dans la Métropole.
Il n'est pas certain d'ailleurs, que le gouvernement n'ait pas espéré
trouver dans la victoire un moyen de faire admettre plus facilement sa
politique intérieure.
--------La préparation
de l'entreprise fut assurée par le général de Bourmont,
d'abord comme ministre de la Guerre, puis, après le 11 avril, comme
commandant en chef. Le souvenir de 1815 ne le gêna pas plus en 1830
qu'il ne l'avait gêné pendant la campagne d'Espagne (1824)
dans l'exercice de son commandement. L'expédition provoqua un grand
enthousiasme dans l'armée.
--------Le rappel
de 11.000 hommes en congé d'un an se fit sans difficulté.
Il fut formé un corps expéditionnaire fort de 37.612 hommes.
L'infanterie était répartie en trois divisions : la lère
division Berthezène (brigades Poret de Morvan, Achard et Clouet),
la 2e division Loverdo (brigades Damrémont, Monck d'Uzer et Colomb
d'Arcine), la 3e division du duc des Cars (brigades Bertier, Hurel et
de Montlivault). La cavalerie était constituée par un régiment
de chasseurs d'Afrique formé de deux escadrons du 17è et
d'un du 13è chasseurs. L'artillerie, commandée par Lahitte,
comprenait 5 batteries de campagne et 10 batteries de siège, avec
2.300 artilleurs. Le génie (Valazé), fort de 1.300 hommes,
comprenait deux compagnies de mineurs, six de sapeurs et un demi-train
du génie. Les fonctions de chef d'état-major étaient
remplies par le lieutenant-général Desprez, celles de sous-chef
par le maréchal de camp Tholozé. L'intendance, dirigée
par l'intendant-général Denniée, opéra par
voie d'achats à la commission, dont fut chargée la maison
Seillière de Marseille.
--------Aussi bien
en ce qui concerne la concentration des troupes que les services, la préparation
fut très minutieusement menée. Des effets spéciaux
furent distribués, le service de santé organisé d'une
façon remarquable pour l'époque. Les 25 jours de vivre dé
débarquement, que Bourmont avaient jugés nécessaires,
furent l'objet de soins particuliers et toutes les précautions
furent prises pour qu'ils parvinssent aux troupes en parfait état.
--------La flotte
chargée du transport était constituée par 103 bâtiments
de guerre (1.872 canons) et 347 navires de commerce. La flotte de guerre
était répartie en trois escadres escadre de bataille transportant
la 2e division et comprenant le bâtiment amiral, La Provence; escadre
de débarquement, transportant la lie division et l'artillerie de
campagne; escadre de réserve, transportant la 1è brigade
de la 2è division. Le reste de l'armée était transporté
par le convoi (bâtiments de commerce). Une flottille de 195 embarcations
(escadrille de débarquement) devait amener les troupes à
terre; un dispositif spécial permettait, en cas de besoin, de se
servir de l'artillerie embarquée sur les chaloupes ou chalands.
--------Il n'y avait,
dans l'organisation, qu'un point faible. C'était malheureusement
un point important. La flotte, commandée par l'amiral Duperré,
devait, en vertu des instructions du gouvernement, coopérer avec
l'armée pour la réussite de uvre commune. Les instructions
remises à Duperré établissaient en fait sa subordination
par rapport à Bourmont, mais non d'une façon explicite.
Seule une instruction spéciale et secrète, remise à
Bourmont, avec ordre de ne s'en servir qu'en cas de nécessité
absolue, lui donnait le commandement de l'ensemble.
--------Cette situation
n'étant pas officiellement proclamée, un certain nombre
de difficultés se produisirent dans le voyage. Les navires français
étaient encore des navires à voile, moins aisés à
manier que des bateaux à vapeur; de ce chef, les « nécessités
techniques » prenaient une valeur particulière. Les marins
semblaient professer une méfiance spéciale à l'endroit
des opérations de débarquement. Tradition, peut-être,
comme le montrent l'es opérations de la guerre d'Amérique.
En tout cas, l'amiral Roussin, à qui l'on avait songé d'abord
pour prendre le commandement, avait déclaré qu'on ne trouverait
pas un officier pour l'exercer, et l'amiral Duperré avait demandé
l'ajournement à 1831. Les jeunes officiers de marine, notamment
Dupetit-Thouars, étaient d'un avis différent. Mais il y
avait là une cause de difficultés et de malentendus.
--------Le Dey d'Alger
était réduit à ses seules forces. Il n'avait rien
à attendre de la Turquie, dont la suzeraineté était
purement nominale. Et même, quand le général Guilleminot,
notre ambassadeur à Constantinople, avait demandé à
la Porte d'intervenir pour mettre Hussein à la raison, on lui avait
laissé clairement entendre qu'on ne pouvait rien. A la dernière
minute, cependant, un envoyé de la Porte, Mohammed Taher, se présenta
en « pacificateur et conciliateur » à Toulon : c'était
la veille du départ de l'expédition; il ne put rien obtenir;
l'impuissance de Constantinople était démontrée.
--------De quelles
ressources disposait le Dey ?
Pratiquement la flotte algérienne n'existait plus. Mais la ville
était bien défendue sur le front de mer par une artillerie
puissante. La situation était moins brillante sur le front de terre
où un seul ouvrage était la clé de la position (le
Fort l'Empereur, Sultan-Khalessi).
--------Les forces
de terre paraissaient plus sérieuses. Elles comprenaient la milice
turque (15 à 20.000 hommes au total), les Coulouglis (descendants
de Turcs et de femmes indigènes), un certain nombre de tribus maghzen
dévouées aux Turcs. En fait, lors du débarquement,
les troupes françaises eurent à faire à 5.000 janissaires,
5.000 Coulouglis, 10.000. Maures algériens, 30.000 Arabes des beyliks
du Tittery, d'Oran et de Constantine, commandés par l'Agha Ibrahim.
--------La principale
défense d'Alger était encore, dans l'opinion générale,
bien plus que dans celle des militaires et des marins français,
le renom d'invincibilité que lui avaient valu les retentissants
échecs des Européens dans le passé, celui de Charles-Quint
au XVIè siècle, celui d'O'Reilly au XVIIIè
--------Ce renom
bien établi semble avoir été la raison qui amena
les Anglais à se contenter de protester sans agir. Le duc de Wellington
déclarait à la Princesse de Lieven « Les Français
sont fous, un revers effroyable les attend sur la terre d'Algérie
».
--------Le plan
d'opération définitif du général de Bourmont
était fondé sur une appréciation exacte de la situation
et des possibilités stratégiques, due aux reconnaissances
déjà faites, entre autres celles du commandant Boutin sous
le Premier Empire. Attaquer directement Alger par mer, tenter de débarquer
à proximité immédiate, eût été
une folie. Il fallait débarquer à quelque distance, de façon
à attaquer par terre : c'est ce qui eut lieu en effet.
--------Les embarquements
de l'armée avaient commencé à Toulon le 11 mai:,
ils étaient achevés le 17. L'escadrille de débarquement
partit pour Palma. Mais, attendant des vents favorables, l'amiral Duperré
laissa la flotte au mouillage une longue semaine, ce qui imposa aux troupes
des fatigues sérieuses.
--------Le 25 mai,
enfin, la flotte mit à la voile. Elle arriva en vue d'Alger le
31. Bien qu'il eût, deux jours plus tôt, envoyé l'ordre
à l'escadrille de quitter Palma et de rallier l'armée navale,
Duperré estima que les éléments étaient contraires.
La houle lui parut de nature à empêcher les opérations
de débarquement. Bourmont ne jugea pas le moment venu de faire
état de son instruction spéciale et admit que la flotte
se dirigeât sur Palma.
--------Elle séjourna
sur rade jusqu'au 10 juin, tandis que les Turcs cherchaient à accroître
leurs forces en appelant aux armes toute la population de la Régence,
en essayant d'entraîner le bey de Tunis, qui ne se prononça
pas contre nous, et le bey de Tripoli, qui parla de faire prêcher
la guerre sainte dans les mosquées.
--------Enfin, le
10 juin, la flotte quitta Palma. En vue d'Alger quelque hésitation
se marqua à nouveau. Cette fois Bourmont fut énergique et
insista pour débarquer.
--------Le point
choisi était la baie de Sidi-Ferruch, à 25 kilomètres
à l'Ouest d'Alger. Cette baie présentait une plage de sable
d'abord facile, bordée de batteries de défense et flanquée
au Nord-est par la péninsule de Torretta Chica, portant une tour
carrée et un fortin.
--------Le
14 juin, à 4 heures du matin, l'opération, qui avait été
plusieurs fois répétée à Toulon avant le départ,
commença. En une heure, toute la 1è division eut débarqué
et fut suivie de la seconde. Bourmont prit terre à 6 heures 1/2
et ordonna d'enlever les batteries. Celles-ci, prises sous le feu de l'artillerie
navale dès le début de l'opération, tombèrent
aux mains de la brigade Poret de Morvan (3è de ligne, 2e et 4e
légers) à 11 heures.
--------En fin de
journée, les troupes françaises, qui avaient pris 13 canons
et 2 mortiers, occupaient une position en arc de cercle englobant la plage
et la presqu'île. L'ennemi n'avait réagi que tardivement
par d'infructueuses charges de cavalerie. Le génie commença
la construction d'un camp retranché.
--------Bien qu'il
eût hâte d'arriver au but, Bourmont était obligé
d'être prudent. Le moindre échec pouvait être fatal
et il fallait attendre le convoi laissé à Palma et transportant
le matériel de siège. Il n'arriva que le 28 (Bourmont s'était
plaint de cette lenteur dans une lettre au ministre de la Marine). Aussi
les premiers bonds en avant eurent-ils lieu sous forme de contre-attaques.
--------La
première fut effectuée le 19 juin et nous mena au plateau
de Staouëli.
--------Les troupes
de l'Agha Ibrahim avaient exécuté le 15 quelques attaques
du genre de celles de la veille, mais sans plus de succès. Le 19,
à la pointe du jour, elles attaquèrent sur tout le front.
À l'extrême gauche de notre ligne, les assaillants marquèrent
quelques progrès et mirent un moment en péril la brigade
Clouet. Les combattants étant mêlés, les canons de
la flotte ne pouvaient intervenir.
--------C'est alors
qu'une brillante contre-attaque de la brigade Cobomb d'Arcine (23è
et 29è de ligne), général en tête, rétablit
la situation et chasse l'assaillant. Une contre-offensive d'ensemble,
assez mal menée, finit par entraîner toute la ligne : les
gens d'Ibrahim sont ramenés, la baïonnette aux reins, à
leur camp de Staouëli, qu'ils évacuent en hâte pour
se reformer plus loin.
-------L'avance
était de quatre kilomètres. Nos pertes se montaient à
44 tués et 473 blessés. Si le corps expéditionnaire
avait été en possession de son matériel, il aurait
pu pour suivre sans désemparer jusque sous Alger. Le retard du
convoi obligeait toujours à la prudence, dont l'inconvénient
était d'encourager l'ennemi qui y voyait de la timidité,
sinon de la peur. Le 24 juin, il attaqua de nouveau : nos troupes le refoulèrent
et, progressant de huit kilomètres vers l'est, s'arrêtèrent
à Sidi Khalef. Un seul officier fut blessé mortellement
: c'était un des quatre fils de Bourmont qui prenaient part à
l'expédition.
--------Ce nouvel
arrêt, survenu pour la même cause que le premier, encouragea
encore l'ennemi. L'Agha Ibrahim avait été remplacé
à la tête des troupes par le bey du Tittery, Mustapha Bou
Mezrag, qui passait pour plus énergique. Les 25, 26, 27 et 28 juin
se passèrent en attaques incessantes contre nos nouvelles positions
encore insuffisamment assises sur le terrain. Il devenait urgent d'en
finir.
--------Le 28, le
général de Lahitte annonça que son matériel
était débarqué et disponible. Bourmont fixa au lendemain
l'attaque décisive.
--------L'exécution
fut rendue difficile et pénible par suite d'une erreur de direction
due au brouillard. Cependant nos troupes occupèrent les hauteurs
de la Bouzaréa ; en fin de journée, elles étaient
à portée de canon de la Casbah et devant le Fort l'Empereur,
que le troupier, plein de souvenirs récents, appelait déjà
le Fort Napoléon.
--------La mise
en place des batteries commença aussitôt et fut achevée
le 3 juillet au soir. Ce même jour, comme déjà l'avant-veille,
la flotte bombarda la ville, sans grand succès, semble-t-il.
--------Avant
la fin de la nuit du 3 au 4, les Turcs exécutèrent une attaque
sur une de nos batteries. Ils furent aisément repoussés,
et à 4 heures, le bombardement commença. A 700 mètres,
il fut rapidement efficace, bien que la garnison (800 Turcs, 1.200 Maures
et Coulouglis) entretînt son feu pendant trois heures. A 8 heures,
la forteresse cessa de répondre. Le bombardement continua. A 10
heures, au moment où l'ordre allait être donné de
battre en brèche, une formidable explosion se produisit, détruisant
la tour centrale et crevant le front nord-ouest. Les occupants s'étaient
repliés sur la ville et avaient fait sauter le magasin à
poudre. Trois compagnies du 25è de ligne se précipitèrent
dans le fort.
--------Les batteries
turques furent immédiatement retournées contre la ville,
et les travaux d'approche vers la Casbah entamés.
Au début de l'après-midi, un secrétaire du Dey se
présentait au Fort l'Empereur pour entrer en négociation.
Celle-ci fut menée rapidement, deux essais d'intervention du Consul
britannique étant écartés. Le lendemain 5 juillet,
le Dey acceptait la capitulation, stipulant : 1° la remise aux Français
des forts et de la Casbah ; 2° le respect des richesses personnelles
du Dey et la faculté pour lui et les siens de se retirer où
bon lui semblerait; 3° les mêmes avantages pour les miliciens
turcs; 4° le libre exercice de la religion musulmane pour les indigènes,
ainsi que le « respect de leur liberté,
de leurs propriétés, de leur commerce, de leur industrie,
de leurs femmes ».
--------Le jour
même, les troupes françaises occupaient les forts et la Casbah.
--------Le nombre
total des tués du corps expéditionnaire depuis le débarquement
s'élevait à 415. Le 15 juillet, le Dey Hussein s'embarquait
pour Naples. Les Janissaires furent transportés en Asie Mineure,
Le régime turc avait cessé d'exister à Alger.
II.-Jusqu'à
l'établissement du Gouvernement Général
(Août 1830 - Juillet 1834)
--------Les premiers
temps de l'occupation française furent marqués par le
manque de continuité de vues que traduit matériellement
la succession rapide d'un grand nombre de commandants en chef.
--------Les conditions
de la capitulation imposée au Dey ont été souvent
considérées comme une preuve de faiblesse de la part de
Bourmont. Ii s'était cependant conformé à ses instructions
et, jusqu'au moment où les événements survenus
dans la Métropole l'obligèrent à quitter son commandement,
il en poursuivit l'exécution.
--------Le premier
point était d'assurer l'administration de la ville d'Alger. Le
général Tholozé fut nommé commandant de
la place et l'interprète d'Aubignosc, lieutenant-général
de police. Il fut formé une commission administrative comprenant
l'intendant-général Denniée, le payeur-général
Firino, le consul Deval (neveu de celui de 1827)
--------Bourmont
s'occupa ensuite de prendre pied sur d'autres points du littoral. Une
première reconnaissance était effectuée dans la
Mitidja, jusqu'au Cap Matifou, le 6 juillet. Le 26, Bône fit sa
soumission, puis Bougie, et un nouveau caïd fut proclamé
au nom de la France. Le 27, les troupes françaises débarquèrent
à Mers-el-Kébir, et des négociations étaient
entamées avec le bey d'Oran.
--------Qu'aurait
pu obtenir Bourmont ? Il est difficile de le dire.
--------Ses
instructions spécifiaient que la population "
ne supportait qu'avec impatience la domination violente et arbitraire
de quelques milliers de Turcs ".. Il devait chercher
à " attirer à lui " les chefs de tribus et les
gens de l'intérieur et promettre " à tous les habitants
de les délivrer de l'oppression ". Lui-même, dans
son ordre du jour du 10 mai, à 1.a veille de l'embarquement,
traduisait le même état d'esprit en disant : « Terribles
dans le combat, soyez justes et humains après la victoire : votre
intérêt le commande autant que le devoir. Trop longtemps
opprimé par une milice cruelle et avide,
l'Arabe verra en nous des libérateurs. Il implorera notre alliance.
Rassuré par votre bonne foi, il apportera dans nos camps les
produits de son sol. »
--------Il y avait
là les principes d'une politique qui ne fut pas exécutée
systématiquement, mais suivie sans vues d'ensemble sous la pression
des circonstances.
--------Avant
la fin de juillet 1830, celles-ci avaient montré à Bourmont
que l'application était quelque peu hasardeuse. Au lendemain
de la prise d'Alger, il crut aux bonnes dispositions du bey du Tittery,
Mustapha Bou Mezrag, et lui donna l'investiture de la France. Le 23
juillet, Bourmont se rendit à Blida, mais le lendemain, il fut
attaqué sur la route du retour. Et dès lors Mustapha prit
une attitude hostile et menaçante.
--------Bourmont,
nommé Maréchal de France le 24 juillet, apprit les nouvelles
de la capitale officieusement le 10 août et officiellement peu
après. Il jugea nécessaire de concentrer ses forces sous
Alger, ce qui amena, entre autres choses, l'arrêt des négociations
avec le bey d'Oran. Sur l'ordre du nouveau ministre de la Guerre, le
général Gérard, il fit prendre, sans incident,
le drapeau tricolore par ses troupes (17 août).
--------Le général
Clauzel fut désigné le 12 août pour le remplacer.
Bourmont lui passa le commandement et s'embarqua le 3 septembre pour
Mahon où il attendrait la suite des événements
: l'amiral Duperré lui avait refusé un bâtiment
de l'État (alors qu'il en avait accordé un au Dey Hussein)
; du moins le général Clauzel fit-il rendre les honneurs
au brick autrichien qui l'emporta.
--------Le nouveau
commandant en chef se trouvait dans une situation délicate. Pour
des raisons de politique intérieure et extérieure, le
gouvernement de Louis-Philippe n'était rien moins que décidé
à une politique de conquête. Dans ces conditions, le général
Clauzel arrêta la ligne de conduite suivante : occupation effective
des points importants de la côte, occupation de toute la Régence
d'Alger en confiant l'administration du pays à des chefs musulmans
vassaux.
--------La liquidation
de l'autorité turque fut poursuivie. Mais il fallait se hâter.
Car, si, comme on le verra plus loin, Clauzel pensait à utiliser
les Tunisiens, avec qui la France entretenait de bonnes relations, l'autre
prétendant à la domination de l'Algérie, le Sultan
du Maroc cherchait aussi à reprendre la traditionnelle politique
d'extension vers l'est. Sa première tentative fut l'occasion
de l'entrée en scène de Mahi ed Din et de son fils Abd
el Kader.
--------On a vu
l'importance grandissante prise dans l'Algérie turque par le
mouvement maraboutique. Un de ses représentants les plus vénérés
dans la province d'Oran au moment du débarquement des troupes
françaises à Alger était Madi et Din. Celui-ci
avait eu de sa seconde femme, Zohra, un fils, Abd El Kader, en qui certaines
prophéties faisaient voir le futur Mahdi qui délivrerait
les musulmans. Né en 1808, Abd El Kader était venu en
1822 poursuivre ses études à Oran. Là, il avait
senti grandir sa haine du Turc dont le peu de respect pour les préceptes
coraniques l'avait choqué, en même temps que les exactions
de la milice. Les prophéties relatives à Abd el Kader
inquiétèrent le bey d'Oran, Hassan. Peu après son
retour à la Zaouïa paternelle et son mariage, Abd el Kader
fut impliqué avec son père dans des poursuites consécutives
à une attaque contré Mascara. Détenus quelque temps
à Oran, le père et le fils purent enfin aller en pèlerinage
à La Mecque. Ils en revinrent au début de 1829.
--------Après
le débarquement des Français, le sultan du Maroc, Abd
er Rahman envoya un gouverneur à Tlemcen. Le bey Hassan protesta
et chercha du secours auprès des populations indigènes
: il demanda notamment l'appui de Mahi ed Din, dont l'influence était
considérable. Sur le conseil d'Abd El Kader, Mahi ed Din refusa.
------À
ce moment, le général Clauzel renforça la garnison
de Mers-el-Kébir par la brigade Damrémont, dont une fraction
occupa Oran le 4 janvier 1831. Hassan se retira à Alexandrie, puis
à La Mecque. Le commandant en chef français négociait
avec Tunis. Notre consul dans la Régence, Mathieu de Lesseps, avait
entretenu les bonnes dispositions du bey pour la France. Clauzel résolut
d'en profiter. Le 4 février, il installait le prince Achmet comme
bey d'Oran. Il songeait à établir un autre prince tunisien
à Constantine.
--------En même
temps, il agissait dans le Tittery, occupait Médéa, où
il installait un bey dévoué à la France et une
garnison française.
--------Mais
Paris hésitait. Les effectifs furent réduits, Clauzel
fut rappelé et remplacé par le général Berthezène
(que Bourmont avait désigné pour son successeur éventuel
au gouvernement de la Restauration). Celui-ci resta en fonction jusqu'en
décembre 1831. Il fut remplacé à son tour par le
duc de Rovigo (Savary), qui lui-même, en avril 1833, céda
la place au général Voirol. Ces changements continuels
empêchèrent l'action méthodique et à larges
vues qui eût été nécessaire.
-------Dans la
province d'Oran, le Tunisien Achmet n'avait pu se maintenir : il évacua
Oran à la fin d'avril 1831. Le sultan du Maroc en profita immédiatement.
Avec l'aide de deux chefs des tribus Douairs et Srnela, qui, après
avoir développé une savante propagande, lancèrent
leurs cavaliers en avant, des représentants d'Abd er Rahman furent
installés à Médéa (que les Français
avaient dû abandonner) et à Miliana. Un Marocain, Bel Amri
occupa Mascara. A Tlemcen, le premier gouverneur marocain avait échoué
complètement. Mahi ed Din, appelé en médiateur,
prit le titre de Khalifa du Sultan du Maroc, la garnison turque se maintenant
toujours au Méchouar comme dans la citadelle de Mostaganem.
--------Il importait
de mettre un terme à l'action du Maroc. Un bataillon de renfort
débarqua à Oran le 17 août. Le mois suivant, un
chef énergique, le général Pierre Boyer, fit rentrer
dans leurs tribus les cavaliers Douairs et Smela. Une démonstration
navale devant Tanger (novembre 1831), l'envoi d'une ambassade à
Meknès (mars 1832) amenèrent Abd er Rahman à renoncer
à ses prétentions. Ses représentants, y compris
Mahi ed Din, abandonnèrent les pouvoirs qu'ils s'étaient
arrogés. Par la suite, les Français occupèrent
Arzeu et Mostaganem.
--------Dans les
autres parties de l'Algérie, il n'y avait pas d'amélioration
sensible. Sous Savary, et après un échec en 1831, Bône
fut prise par Yusuf et d'Armandy en mars 1832, et Bougie en octobre
1833. Mais l'intérieur du pays était livré à
une complète anarchie, les rivalités entre les tribus,
entre les descendants des Marabouts et les chefs de guerre, entretenant
le désordre.
--------Il restait
encore en fonction un bey turc, Ahmed, à Constantine. En juillet
1830, Bourmont avait songé un moment à lui donner l'investiture
de la France. Mais Ahmed pensait pouvoir s'assurer l'indépendance
et restait maître de la plus grande partie de son beylik, où
il croyait difficile, sinon impossible, une campagne des troupes françaises.
Il songeait même à s'étendre vers l'ouest et jetait
ses regards vers le Tittery.
-------C'est cependant
encore dans la province d'Oran que les événements retenaient
le plus l'attention. Les villes où nous tenions garnison étaient
en fait bloquées. Mahi ed Din avait groupé autour de lui,
cette fois en son nom, et non pas comme Khalifa d'Abd er Rahman, tous
ceux des indigènes qui voulaient lutter contre nous.
--------Au mois
d'avril 1832, il avait été proclamé chef de la
guerre sainte au cours d'une réunion tenue par les principaux
chefs de la région de Mascara. Dès le 17, il avait attaqué
une reconnaissance française, à peu de distance d'Oran,
et, le 1er mai, sommé la garnison de se rendre. Il lança
alors l'appel à la guerre sainte et attaqua Oran le. 3 mai. Dans
ce combat, Abd el Kader fut sur le point d'être pris. Mahi ed
Din renouvela l'attaque le 4. Le 6, douze mille guerriers des tribus
étaient réunis, mais ils se dispersèrent pour la
fête de l'Aid-el-Kébir (11 mai).
--------Le blocus
d'Oran était maintenu. Cependant les premiers essais de politique
indigène s'ébauchaient dans la région. Les Français
étaient entrés en conversation avec les Douairs et les
Srnéla ç mais une grave erreur avait été
commise par le général Boyer qui avait répondu
négativement à une démarche des cheikhs des anciennes
tribus maghzen demandant qu'un bey fût choisi parmi les principaux
Turcs restés au Méchouar de Tlemcen.
--------De son
côté, Mahi ed Din ne réussissait pas à faire
l'unité autour de lui. Ses échecs devant Oran, renouvelés
les 31 août, 19 septembre, 23 octobre, 10 novembre, lassaient
ses partisans. Il dispersa ses contingents en leur donnant rendez-vous
au mois de mai 1833.
--------L'étoile
d'Abd el Kader, qui s'était distingué dans tous les combats,
se levait à l'horizon. Le 21 novembre, il était proclamé
sultan dans la plaine d'Eghris, et le 25 il faisait son entrée
dans Mascara. Il n'accepta d'ailleurs que le titre d'émir, qu'il
transforma par la suite en celui d Émir et Mouminin (commandeur
des croyants).
--------Le général
Boyer à Oran ne s'émut pas : le nouvel émir n'était
reconnu, en dehors de sa propre tribu, les Hachem, que par les Beni
Amer et les Gharaba ç il lui fallait chercher à consolider
ses pouvoirs, à organiser une sorte de gouvernement, de façon
à se procurer les ressources nécessaires pour la guerre
sainte. La France allait lui en fournir les moyens, partie sans le vouloir,
partie de propos délibéré.
-------En avril
1833, à la suite d'un dissentiment avec le duc de Rovigo, commandant
en chef, le général Boyer, qui venait d'enlever Arzeu, quitta
Oran, où il fut remplacé par le général Desmichels.
Celui-ci déploya d'abord de l'énergie et occupa Mostaganem.
La ville, attaquée par Abd el Kader, pendant
que Desmichels était allé razzier les Smela passés
à l'Emir, tint bon. Les Smela abandonnèrent Abd el Kader
qui dut rentrer à Mascara.
--------Les garnisons
françaises pouvaient vivre grâce aux relations qu'elles entretenaient
avec les tribus du voisinage. Mais, moyennant une active propagande, et
à la suite de quelques actes de violence Abd el Kader réussit
à les isoler. Le moment semblait venu d'essayer d'entrer en conversation
: Abd el Kader sentait la nécessité d'organiser ses forces
avant de reprendre la lutte; Desmichels, s'inspirant des conceptions de
Clauzel, croyait discerner en Abd el Kader des qualités capables
de faire de lui le chef indigène qui pacifierait l'intérieur,
et des sentiments qui lui permettraient d'accepter la suprématie
de la France.
--------Abd el Kader,
chef de la guerre sainte, ne pouvait faire le premier pas pour entrer
en conversation avec les infidèles. Desmichels accepta de le faire
: il demanda la libération de quatre soldats faits prisonniers
dans une embuscade par des hommes de l'émir. La négociation
se noua par l'intermédiaire d'un Busnach d'Oran. Elle aboutit au
traité du 26 février 1834, dit traité Desmichels,
après avoir été marquée par des incidents
militaires qui, brillants pour les Français, leur étaient
en fait nuisibles dans l'esprit des indigènes, parce qu'ils regagnaient
leurs bases après chaque engagement.
--------Ce premier
accord avec Abd el Kader ouvrait la porte à de nouvelles contestations.
Les textes arabe et français ne concordaient pas. En outre, le
traité du 26 février avait été précédé,
le 4 du même mois, d'un échange de notes qui, aux yeux de
Desmichels, étaient de simples préliminaires révisés
par le traité lui-même, tandis qu'Abd el Kader les considérait
comme des parties constitutives du traité ayant même valeur
que le texte du 26.
--------Les stipulations
du traité tendaient à représenter Abd el Kader comme
un souverain indépendant traitant d'égal à égal
avec les Français. C'était lui donner, aux yeux des indigènes,
une autorité et un prestige qu'il n'avait pu acquérir lui-même.
Cet avantage était complété par d'autres, matériels
ceux-là : existence de représentants de l'émir (appelés
dans le texte arabe " consuls ") à Oran, Mostaganem et
Arzeu : liberté du commerce, mais, en fait, monopole du commerce
des grains en faveur d'Abd el Kader (imitation évidente du procédé
employé par Méhémet-Ali pour enrichir son trésor).
--------La conclusion
du traité Desmichels constitue une faute incontestable. Et la responsabilité
en retombe tout entière sur son auteur. En effet, le général
Desmichels rendit compte correctement des premiers pourparlers; mais il
signa le traité du 26 février sans attendre les instructions
qu'il avait cependant demandées. Ces instructions, datées
du 29, étaient infiniment plus raisonnables : elles comportaient
la reconnaissance par Abd el Kader de la souveraineté française
avec serment de foi et hommage, et tribut annuel. Conditions évidemment
moins dangereuses mais encore peu réalistes... car Abd el Kader
ne les eût jamais acceptées. C'est ce que montreront le traité
de la Tafna et ses suites.
--------Quelques
Français commençaient cependant à comprendre. C'est
ainsi que le commandant en chef, le général Voirol, repoussa
les avances d'Abd el Kader qui s'offrait à ramener l'ordre et le
calme dans la province d'Alger. C'est ainsi que le gouvernement de Paris
lui-même tenait bon dans l'entreprise commencée, sans d'ailleurs
en mesurer toute l'étendue.
--------L'opinion
s'était émue en France des difficultés rencontrées.
Certains, en s'hypnotisant sur ces difficultés, d'autres en invoquant
des principes se prononçaient contre le maintien de l'occupation
d'Alger : les deux tendances se retrouveront par la suite dans toute notre
histoire coloniale au XIXè siècle. Heureusement, d'autres
hommes, les La Rochefoucauld, les Pelet de la Lozère, les de Laborde,
les Clauzel, faisaient valoir les avantages d'ordre économique
et militaire que nous assurerait la persévérance.
--------Le gouvernement
accepta l'idée d'une vaste enquête menée sur place,
mise en avant par un adversaire de l'occupation, Hippolyte Passy. Une
« commission d'Afrique », composée de parlementaires
et d'officiers, se rendit en Algérie et y séjourna de septembre
à novembre 1833. Elle conclut à la nécessité
de rester à Alger; non qu'elle fût bien profondément
convaincue des avantages d'avenir que l'occupation assurerait au pays,
mais pour la sauvegarde de l'honneur national : la question n'était
plus entière, nous étions engagés; l'entreprise n'aurait
peut-être pas été à recommander; mais on ne
pouvait pas reculer.
--------Une commission
supérieure, chargée de réviser les travaux de la
commission d'Afrique, conclut dans le même sens, et d'une façon
plus catégorique : l'intérêt de la France concordait
avec son honneur pour imposer le maintien de l'occupation. Celui-ci fut
décidé. Une ordonnance royale du 22
juillet 1834 créa le gouvernement général de l'Algérie,
désignée sous le nom de « possessions françaises
dans le nord de l'Afrique ». Le premier gouverneur général
fut Drouet d'Erlon, qui prit possession de son poste en septembre 1834
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