PREMIÈRE
PARTIE
L'ALGÉRIE AVANT
L'ISLAM
I.-Les Populations Primitives
Les Phéniciens et les Carthaginois
--------La première
civilisation venue du dehors qui ait marqué son empreinte en Algérie,
comme dans le reste de l'Afrique du Nord, est la civilisation phénicienne,
d'abord par l'emprise commerciale des négociants de Tyr, puis,
une fois la métropole disparue, par l'emprise politique de Carthage,
sa florissante colonie.
------Il y a cependant
des traces de civilisations préhistoriques, dont les caractéristiques
générales sont les mêmes que dans tout le bassin méditerranéen
: armes et outils de pierre plus ou moins primitifs, emplacements de stations
en plein air, abris sous roches, tumuli, sépultures de pierre brute
ou peu travaillée, dolmens, se rencontrent en Algérie. Les
sépultures sont attribuées par les Berbères à
des peuples plus anciens qu'eux-mêmes, aujourd'hui disparus, qu'ils
appellent les Djouhala et les Beni Sfao, ce qui tend à confirmer
l'hypothèse suivant laquelle les Berbères ne seraient pas
des autochtones.
------Ce qui semble
certain, c'est que, de très bonne heure, la distinction s'établit
entre les populations sédentaires des plaines côtières,
et les nomades ayant leurs terrains de parcours plus au sud. De même
aussi, on peut démêler des rapports évidents entre
l'Algérie primitive et l'Égypte antique : la langue des
Berbères est de la même famille que
celle des Égyptiens, des Nubiens et des Abyssins; la religion des
premiers Algériens, après avoir suivi les cultes naturistes,
adopta le Dieu Ammon, personnification égyptienne du soleil.
------Les
Phéniciens, qui furent les premiers à prendre pied sur la
côte, semblent avoir établi leurs comptoirs en Algérie
vers le XIIème siècle avant notre ère. Il s'agissait
uniquement de places de commerce maritime.
------L'effort
des Phéniciens fut prolongé par celui des Carthaginois,
dont l'activité fut assez grande en Afrique du Nord pour écarter
les Grecs, eux-mêmes colonisateurs dans tout le bassin méditerranéen
à partir du VIIIè siècle. Mais, contrairement à
leurs devanciers, les Carthaginois ne purent s'en tenir à l'activité
commerciale.
------Leur territoire
proprement dit ne dépassa jamais vers l'Ouest les limites occidentales
de la Tunisie actuelle. Si réduit que fût ce territoire,
le voisinage des Berbères à la périphérie
obligea les Carthaginois à pratiquer ce que nous appelons aujourd'hui
une politique indigène. Sans reculer leurs frontières, ils
travaillèrent activement les tribus et réussirent à
s'en concilier un grand nombre, notamment en donnant en mariage des filles
de l'aristocratie à des chefs indigènes. Ceux-ci fournirent
des contingents auxiliaires. La cavalerie qu'Hannibal emmena contre Rome
était en grande partie composée de Numides.
L'influence de Carthage se fit sentir loin de son territoire. La langue
punique devint la langue officielle dans les tribus.
------Nombreux furent
les Maures et les Numides qui prirent des noms carthaginois. Au temps
de saint Augustin encore (fin du IVè siècle de notre ère,
début du Vè), les paysans des environs de Bône et
de Guelma parlaient le punique. Certaines cités de l'intérieur
adoptèrent des institutions copiées sur celles de Carthage.
Cirta (Constantine) et Calama (Guelma) étaient gouvernées
par des Suffètes.
------Dans le domaine
religieux également, l'emprise de Carthage fut manifeste. L'Ammon
égyptien se confondit avec le Baal Hammon phénicien; de
même, fut introduit le culte de l'Astarté phénicienne.
Si l'emprise politique des Grecs fut écartée de l'Algérie
par Carthage, ce fut par l'intermédiaire de la grande cité
punique que l'art grec s'y introduisit, et, avec lui, certains cultes.
Des monuments comme le Médracen, le mausolée du Kroub et
le " tombeau de la Chrétienne " (qui sont des sépultures
de rois indigènes) témoignent de l'influence hellénique.
Celle-ci se traduisit encore par l'introduction des cultes de Démèter
et de Perséphone, de Dionysos, de Hadès.
------Dès
cette époque l'Algérie semble avoir connu une grande prospérité.
Le Tell était déjà producteur de blé et l'agriculture
se développa largement : la vigne, l'olivier étaient florissants.
Les richesses minières étaient exploitées.
------La nature
spéciale de la domination punique n'empêchait pas les indigènes
de s'organiser suivant leurs tendances. Carthage entendait seulement assurer
sa sécurité : de grands royaumes indigènes se constituèrent,
ou plutôt englobèrent des tribus unies en confédérations
sous l'autorité d'un souverain commun.
------L'histoire
des débuts de ces royaumes indigènes est assez mal connue.
Ce qui semble établi, c'est que, au fur et à mesure de l'affaiblissement
de Carthage, absorbée par sa lutte contre Rome, ces royaumes devinrent
de plus en plus puissants, au point de pouvoir imposer leur autorité
à certaines cités phéniciennes englobées dans
leur territoire.
------À
la fin du IIIè siècle avant notre ère, l'Afrique
du Nord comprend, en dehors du territoire carthaginois, deux grands royaumes.
Celui des Massyles, situé vers l'Est, a comme ville principale
Cirta, et comme souverain Massinissa ; celui des
Massessyles, à l'Ouest, est gouverné par Syphax. La puissance
de celui-ci est montrée par le fait qu'il prit parti contre Rome
et entra en campagne contre Scipion l'Africain, à la tête
de 60.000 hommes.
------La bataille
de Zama (202 av. Jésus-Christ) et la ruine dé Carthage allaient
marquer 1e début d'une période agitée dans l'histoire
de l'Algérie.
II.-La
Conquête Romaine
------L'installation
définitive de Rome en Afrique du Nord se fit par étapes
et dura deux siècles et demi, si l'on compte à partir de
la bataille de Zama.
------Au
début, les Romains se contentèrent de détrôner
Syphax, et de donner son royaume à Massinissa qui se trouva régner
ainsi du Maroc à la Tripolitaine. En 146, trois ans après
sa mort, Rome annexa le territoire de Carthage (province d'Afrique ou
Proconsulaire).
------À
la mort de son successeur Micipsa, qui avait été comme lui
fidèle à l'alliance, ou mieux à la domination de
Rome, le grand royaume fut partagé entre plusieurs prétendants.
L'unité fut reconstituée par Jugurtha, qui fit assassiner
ses cousins Adherbal et Hiempsal. Jugurtha n'accepta pas la vassalité
de ses prédécesseurs vis-à-vis de Rome. Celle-ci
subit un certain temps les manifestations violentes de son indépendance
(assassinat d'Italiens amis de Hiempsal, corruption des envoyés
du Sénat, puis de magistrats dans Rome, et, dans cette même
ville, assassinat d'un prince indigène rival). Après la
défaite d'une première armée romaine, il fallut quatre
ans de dures campagnes pour réduire Jugurtha, et encore par trahison.
La province romaine fut agrandie et le royaume partagé entre Hiempsal
II et Mandrestal.
------La période
des guerres civiles qui marquèrent la fin de la République
romaine donna quelque répit aux souverains indigènes de
l'Afrique du Nord. L'un d'eux, Juba 1er, prit parti contre César
et se mit à la tête de 30.000 fantassins et de 20.000 cavaliers.
La bataille de Thapsus (46 av. Jésus-Christ) ruina ses espérances,
mais sans que Rome se décidât à annexer tout le pays.
Une nouvelle province, dite de
Numidie, dont l'historien Salluste fut le premier gouverneur, fut créée.
Mais Sittius, un chef de bande italien, et un prince Numide, Bocchus,
qui avaient affaibli Juba Ier, en se jetant sur ses États, eurent
en récompense, le premier Cirta, le second Sétif.
Après la mort de Bocchus, Auguste, son héritier, établit
dans ses États des colonies de vétérans, mais, en
25 après Jésus-Christ, il donna son royaume, augmenté
de territoires au sud de Cirta et dés provinces romaines, à
Juba II. Profondément imprégné de culture gréco-latine,
artiste et littérateur avant tout, Juba II, dans sa capitale Caeserea
(Cherchell), fut toute sa vie fidèle à l'alliance romaine.
------Son fils et
successeur Ptolémée le fut aussi. Mais les politiques de
Rome jugeaient le moment venu d'annexer toute l'Afrique du Nord. Le faste
que le roi déploya dans un voyage à Rome suscita la jalousie
de l'empereur Caligula, qui le fit jeter en prison et assassiner. Deux
nouvelles provinces furent constituées : la Maurétanie Tingitane
(partie septentrionale du Maroc, moins le Riff, qui resta indépendant)
et la Maurétanie Césarienne (partie septentrionale dés
départements d'Oran et d'Alger, partie occidentale du département
de Constantine.
------Même
après la réduction complète en provinces, l'apport
ethnique des Romains fut extrêmement faible. Il y avait eu déjà
les bandes italiennes de Sittius à Cirta, puis les colonies fondées
par Auguste pour établir ses vétérans : sur la côte
Igilgili (Djidjelli), Saldae (Bougie), Rusazu (Azeffoun), Rusguniae (Matifou),
Gunugu (Gouraya), Carteinnae (Ténés), et, à l'intérieur,
Aquae (Hammam Rirha), Zucchabar (Miliana), Tubusuctu (Tiklat, au sud-ouest
de Bougie).
------Dans la plupart
des cas, comme les noms mêmes l'indiquent, il s'agit d'établissements
effectués dans des centres indigènes déjà
existants. Il en fut de même par la suite. On connaît Oppidum
Novum (Duperie), sur le Chélif, Madauros (au sud de Soukh Ahras),
Sitifis (Sétif), Cuicul (Djemila).
------L'administration
romaine en Afrique du Nord se caractérise par le petit nombre des
fonctionnaires. La base de la vie publique était la Cité
; suivant sa politique ordinaire, Rome reconnaissait plusieurs espèces
de cités jouissant de droits particuliers et plus ou moins étendus,
élisant annuellement leurs magistrats assistés d'un conseil
de décurions. La collation des diverses dignités entraînait
l'obligation de verser une somme importante au trésor, et les fonctions
étaient exercées gratuitement.
------En
dehors des Cités, les tribus étaient administrées
par leurs chefs, désignés par l'Empereur, ce qui assurait
leur indépendance, mais choisis dans les mêmes familles,
ce qui assurait la permanence de l'autorité. Ces chefs, connus
officiellement sous le nom de préfets ou princes, prenaient souvent
le titre de roi et avaient auprès d'eux une assemblée des
anciens.
------Au-dessus
des cadres locaux, l'administration romaine était représentée
d'abord par le gouverneur de la province et sa maison (familia) : son
domaine comprend, outre la vérification de la comptabilité,
la justice criminelle, et la justice civile pour les affaires importantes.
Il existe des préfets militaires, chargés des rapports avec
les tribus, ou pour mieux dire de leur surveillance; des agents du cadastre,
des agents du recrutement. Le personnel de l'administration financière
et fiscale est réduit au minimum, les impôts étant
affermés.
------Les forces
militaires romaines, dans la partie soumise de l'Algérie, ne furent
jamais très considérables, elles étaient essentiellement
formées par une seule légion, la Tertia Augusta, qui, stationnée
sous Auguste à Ammaedara. En Tunisie, au nord-est de Tébessa,
fut transportée de bonne heure dans cette dernière ville.
La légion était renforcée par des auxiliaires qui,
au début, étaient recrutés dans les autres parties
de l'Empire romain, et par des formations indigènes, à effectifs
variables, appelées en cas de besoin.
------Ces forces
suffisaient pour tenir les régions occupées, dont la frontière,
au début du premier siècle, restait au nord de l'Aurès,
englobait les plaines de Sétif et de la Medjana, et était
jalonnée plus à l'ouest par Berrouaghia, le Chélif,
Relizane, Perrégaux et l'embouchure de la Moulouya.
------Par la suite,
sous la pression des insoumis et pour mettre les provinces à l'abri
de leurs incursions, la légion fut portée à Lambèse,
avec des postes au sud de l'Aurès, qui ne fut réduit qu'après
50 ans de luttes; et la frontière militaire atteignit (au IIIè
siècle) la région sud-ouest du Hodna, Boghar, Teniet, Tiaret,
Chanzy, Lamoricière, Tlemcen et Lalla Maghrnia. Les troupes tenaient
alors un système de défense constitué par un fossé
continu avec, au moins par place, un remblai; des voies de communications
permettaient des liaisons faciles entre les postes et les camps. Quelques
postes se trouvaient aux avancées, à Laghouat, Djelfa, Sfissifa.
III.-La
Paix Romaine en Algérie
------Si mince que
nous paraisse aujourd'hui cette armature de sécurité, elle
suffit cependant pour assurer à l'Algérie pendant des siècles
le bénéfice de la paix romaine. Le trait essentiel est la
romanisation des populations africaines. Cette romanisation, qui fut poussée
très loin dans les régions de plaines de la partie soumise,
se réalisa de plusieurs façons.
------Un de ses
agents les plus efficaces fut l'armée. Dès l'origine la
Tertia Augusta amena à sa suite des mercantis déjà
formés à la vie romaine; puis, suivant la politique en honneur
dans tout l'Empire, des légionnaires recrutés sur place
remplacèrent les Gaulois, qui au début avaient composé
la Légion. Il en fut de même plus tard pour les auxiliaires.
La colonisation des confins militaires trouva dans les anciens soldats
de précieux pionniers. Ces volontaires, qui servaient 25 ans, et
pouvaient se marier, touchaient une retraite et recevaient des terres
elles-mêmes exemptes d'impôts à la condition que les
fils fussent militaires à leur tour.
------À
l'intérieur, le principal moyen de romanisation fut la hiérarchie
des droits variés conférés aux cités et aux
individus. Les villes nouvelles (Thamugadi, Lambèse, Mascula, Bagai,
Diana Veteranorum, Gemellae, etc ... ), des villes anciennes furent dotées
plus ou moins vite de l'organisation municipale, latine ou romaine, l'accession
à l'échelon supérieur étant considérée
comme une récompense très enviée.
------Les particuliers
pouvaient eux aussi s'assurer des privilèges toujours croissants
: le titre glorieux de citoyen romain n'en marquait pas le terme.
------L'aristocratie
formée dans les magistratures locales fut admise peu à peu
à exercer les grandes fonctions romaines. Un habitant de Cirta
devint consul sous l'Empereur Titus. Par la suite, un nombre important
de ses compatriotes siégèrent au Sénat. Dès
le début du IIIè siècle, Macrin, originaire de Caesarea,
devint empereur.
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------Cette
accession au droit de cité et de citoyen romain avait comme base
la langue. Le latin fut accepté, au moins dans les villes, avec
la même facilité que l'avait été auparavant
le punique. Avec lui s'intronisa le culte de Rome et des Empereurs, fondement
moral de la puissance impériale; en même
temps l'ancien Baal Hammon se confondit avec Saturnus Augustus et même
avec Jupiter Optimus Maximus, et d'autres cultes romains furent acceptés
(la Victoire, la Fortune, la Paix). La facilité avec laquelle ces
différents cultes s'ajoutèrent aux cultes anciens, ou se
confondirent avec eux, permet de mesurer par comparaison
la transformation que la conquête musulmane a fait subir à
l'âme algérienne.
------L'adoption
du latin à une époque où Rome possédait une
langue classique complètement formée fut un puissant agent
du développement cultuel en Algérie. Dans les villes s'établirent
des écoles où l'on étudia les grands auteurs grecs
et latins : en tête de ceux-ci, comme dans tout le monde romain,
Virgile. Certaines cités furent célèbres comme centres
intellectuels. Tel fut le cas de Madaure et de Cirta. La future Algérie
et la future Tunisie (Césarienne, Numidie, Proconsulaire) fournirent
de nombreux médecins, de nombreux légistes, surtout de nombreux
littérateurs. Beaucoup de ceux-ci vinrent tenter la fortune à
Rome. Le plus célèbre d'entre eux fut Apulée, né
à Madaure. Saint Augustin, avant sa conversion, enseigna la rhétorique
à Rome et à Milan.
------Dans le domaine
de l'art, les Africains romanisés rivalisèrent avec les
autres peuples soumis à Rome. Ils ne semblent pas, d'ailleurs,
avoir apporté rien de nouveau, ni d'original. Toutes les richesses
artistiques de l'époque romaine retrouvées sur le sol algérien
relèvent du goût hellénistique de l'époque.
Du moins attestent-elles le niveau élevé de civilisation
atteint par les Africains. Les ruines de Timgad et plus encore peut-être
celles de Cuicul (Djemila) en sont d'éloquents témoins.
------Le développement
de la culture latine en Algérie favorisa, comme dans le reste de
l'Empire, celui du christianisme. Au commencement du 111e siècle,
on signale la présence d'évêques de Numidie dans les
Conciles tenus à Carthage, celle d'évêques de Maurétanie
au Concile de 256; six ans auparavant un concile s'était tenu à
Lambèse. La future Algérie fournit de nombreux martyrs dans
les persécutions, notamment, de Valérien et de Dioclétien.
Et, dès le moment où la conversion de Constantin assura
l'appui officiel au christianisme, celui-ci connut une floraison considérable
en Algérie.
------Cette contrée
vit naître des pères de l'Église, dont le plus illustre,
saint Augustin, évêque d'Hippone (Hippo-Regius), fixa
la langue théologique et mystique du christianisme. Ses idées
ont été exploitées non seulement par l'Église
elle-même, mais encore par beaucoup de ceux qu'elle a condamnés
comme hérétiques. La puissance des chrétiens d'Afrique,
ainsi que leur attachement au latin, est marquée par le fait que
ce sont eux qui l'imposèrent comme langue liturgique à l'église
d'Occident.
------Païenne
ou chrétienne, grâce aux bienfaits de la paix romaine, l'Algérie
connut une prospérité qu'elle ne retrouva pas avant de longs
siècles. Quand on songe à ce qu'était l'Algérie
turque, on a peine à croire que l'Afrique du Nord ait pu fournir
à Rome la moitié ou les deux tiers de son blé, et
même la totalité après la fondation de Constantinople.
------La différence
est si frappante qu'on s'est demandé s'il n'y avait pas eu changement
de climat. On peut affirmer qu'il n'en est rien, et que la prospérité
romaine était due simplement à ce que nous appelons aujourd'hui
une politique de l'eau singulièrement efficace. Depuis l'époque
romaine, le régime des eaux a été modifié
par les déboisements qu'ont entraînés les dévastations
provenant des invasions successives. Surtout on a laissé se dégrader
des travaux hydrauliques qui avaient été réalisés
non pas à la diligence du gouvernement central, mais sur l'initiative
des Cités (dont le territoire comportait normalement une banlieue
étendue) et des particuliers, des grands propriétaires.
La distribution de l'eau avait été l'objet de soins particuliers,
et elle était soumise à une réglementation précise
empêchant le gaspillage et l'abus.
------En même
temps que la culture du blé, s'étaient développées
celles de la vigne, de l'olivier, de l'amandier, du figuier, encouragées
par des exemptions d'impôts et dans certains cas par la concession
d'un droit de propriété héréditaire. L'élevage
était aussi très florissant, celui du mouton, du buf,
et surtout celui du cheval. La petite histoire enregistre des victoires
de chevaux algériens sur les hippodromes de Rome; ce qui apporte
une confirmation à la théorie suivant laquelle les étalons
barbes, loin d'être des descendants du cheval arabe, ont au contraire
contribué à lui donner sa valeur.
------Les différentes
parties de l'Algérie étaient reliées entre elles
par des routes telles qu'en avait construit Rome dans toutes les autres
parties de son Empire. Nées de la conception stratégique
qui cherche la sécurité dans le mouvement, ces voies de
communication servaient également au commerce. On en comptait trois
principales allant de l'Est à l'Ouest et complétées
par des rameaux détachés et des rocades parallèles.
Ce réseau suffisait parfaitement aux besoins de l'époque.
------Bref, l'Algérie
romaine se présentait comme une contrée riche, peuplée,
civilisée. Son plus beau moment se place dans les dernières
décades du deuxième siècle et dans la première
moitié du troisième.
IV.-Les
Vandales et les Byzantins
------Si avantageuse
qu'ait été, pour celles qui l'acceptèrent, l'administration
romaine, toutes les populations englobées dans la frontière
militaire ne s'y soumettaient pas avec une égale bonne volonté.
Dès le milieu du IIIè siècle, des révoltes
se produisirent chez les Maures, puis en Kabylie. Des erreurs administratives,
des exactions en furent peut-être l'occasion; la raison profonde
semble avoir été la romanisation moins profonde résultant
des conditions géographiques (Aurès, Djurdjura, Ouarensenis)
et provoquant le réveil des instincts ancestraux de pillage. Ces
premiers soulèvements furent réprimés péniblement.
------La décadence
progressive de l'Empire romain en favorisa de nouveaux par la suite jusqu'au
moment où elle permit l'invasion des Vandales. Les causes générales
de cette décadence sont assez connues. Elles prirent un aspect
particulier en Afrique du Nord et en Algérie.
------La tendance
à l'exploitation purement fiscale du pays se fit jour assez vite,
et la population ne trouva pas les appuis naturels sur lesquels elle aurait
pu compter. L'aristocratie romanisée constituée dans les
provinces de l'Afrique du Nord fut bientôt plus romaine qu'africaine.
Les grands domaines administrés par des intendants prirent une
extension toujours plus considérable, les moyens et petits cultivateurs
ne trouvant pas de crédit en cas de crise agricole et étant
obligés de vendre leurs terres. L'exploitation par les intendants
fut dirigée de manière à assurer non seulement les
revenus du maître, souvent absent, mais encore l'enrichissement
de son représentant.
------L'affaiblissement
du pouvoir central fut également très marqué. Le
IVè siècle voit des indigènes alliés se proclamer
indépendants, et les campagnes entreprises pour les réduire,
dévastent le pays: des villes sont brûlées ou pillées,
entre autres Icosium (Alger). Cette instabilité encourage et facilite
les révoltes agraires et les soulèvements indigènes.
------L'autorité
des évêques parvint bien, pendant un certain temps, à
maintenir un cadre d'apparence régulière et à remplacer
en fait l'administration défaillante. Mais l'église d'Afrique
ne resta pas longtemps unie. La querelle des Traditeurs (on appelait ainsi
les personnes qui, lors de la persécution de Dioclétien,
avaient livré les livres sacrés aux autorités civiles)
se prolongea par celle des donatistes. Ceux-ci, condamnés dans
plusieurs conciles, ne se soumirent pas. A la fin du IVè siècle
et au début du Vè, saint Augustin lutte contre eux, obtient
des lois extrêmement sévères et réduit l'hérésie.
Il lutte en même temps contre les païens à qui s'appliquent
aussi des édits rigoureux. L'orthodoxie finit par triompher; mais
le souvenir de ces dissensions avait ruiné l'unité morale.
------L' Église
toute-puissante négligea, on se l'explique, les précautions
matérielles de défense, et notamment les précautions
militaires. L'organisation ancienne des confins s'était altérée
d'assez bonne heure. Dès le milieu du IIIè siècle,
après les premiers soulèvements, la Légion Tertia
Augusta avait été reconstituée. Mais les évêques
n'étaient pas faits pour organiser des troupes et pour se mettre
à leur tête : le service militaire, d'ailleurs battu en brèche
pour des raisons doctrinales, tomba peu à peu en désuétude,
l'impôt remplaçant la conscription, les citadins se jugeant
à l'abri derrière leurs murailles.
------Toutes ces
circonstances provoquèrent en Algérie un état de
choses voisin de l'anarchie, le banditisme se développant normalement
à la faveur de l'instabilité. C'est dans cette situation
que survient la première invasion, celle des Vandales.
Ces Germains venant d'Espagne abordèrent l'Algérie par l'Ouest.
Il n'est pas impossible que ce fait leur ait donné des avantages
militaires particuliers : le système de défense des provinces
romaines (ou du moins ce qui en restait) était tout entier tourné
vers le sud, du côté d'où pouvait venir antérieurement
la menace principale, celle des nomades; et nous avons fait nous-mêmes,
en 1914, lors de la bataille des frontières, l'expérience
de la tyrannie qu'exerce sur les esprits un système de défense
stratégique traditionnel.
------Les Vandales
furent appelés en Afrique par le comte Boniface qui s'était
révolté contre Placidie, tutrice de l'Empereur Valentinien
III. A leur tête Genséric s'empara de la Maurétanie,
et, quand Boniface, sur les remontrances de saint Augustin, voulut l'arrêter,
il était trop tard : en 430, l'Évêque d'Hippone, au
moment de sa mort, était assiégé dans sa ville épiscopale.
------Un essai de
négociation aboutissant à reconnaître à Genséric
la possession de ses conquêtes moyennant un tribut annuel et un
serment de fidélité n'eut pas de lendemain. En 439, le chef
vandale entrait dans Carthage et s'y installait : une fois de plus l'attraction
de la région orientale de l'Afrique du Nord se manifestait. En
455, au moment où il prit Rome, avec des auxiliaires berbères
(descendant des Numides, compagnons d'Hannibal, et des Africains qui avaient
servi l'Empire romain jusqu'en Dacie), toute l'Afrique du Nord reconnaissait
l'autorité de Genséric.
------Les Vandales
arrivés en petit nombre s'établirent en Tunisie. Pour administrer
le reste du pays, ils laissèrent en place ce qui subsistait de
l'ancienne organisation. Mais ils jetèrent aussi les bases d'un
système nouveau, le vasselage. Des comtés germains furent
chargés de missions d'inspection dans les provinces occidentales.
L'autorité de l'Église fut ruinée : les Vandales
étaient eux-mêmes des hérétiques chrétiens
et suivaient la doctrine d'Arius. Ils mirent en vigueur contre les orthodoxes
africains les lois que ceux-ci avaient appliquées aux donatistes.
------Mais ils ne
se souciaient guère d'administrer la contrée et d'y faire
régner l'ordre.
------Les
Berbères des montagnes se jetèrent sur les villes pour satisfaire
leur goût du pillage. Les Vandales de Tunis ne songèrent
pas à arrêter les gens de l'Aurès, quand ils dévastèrent
Lambèse, Bagai, Théveste, Timgad.
------Les
débris de la civilisation romaine semblaient à la veille
de disparaître. Ils furent sauvés pour un siècle encore
par l'intervention des Byzantins. Ceux-ci se considéraient comme
les successeurs des empereurs de Rome et voulurent refaire l'unité
de leur domaine.
------L' Empereur
Justinien envoya Bélisaire en Afrique (533) pour réduire
les Vandales. Il battit leur roi Gélimer à Tricaméron.
Les Byzantins arrivés par l'Est s'étendirent peu à
peu vers l'Ouest, mais ne purent reconstituer l'ancienne unité
romaine : l'Aurès, un moment occupé, leur échappa;
ils réussirent à s'installer au Hodna et jusqu'à
Sétif. Plus à l'ouest ils durent se contenter d'occuper
quelques points : Rusguniae, Tipasa, Caesarea, Cartennae.
------Du moins s'attachèrent-ils
à rétablir l'ordre et la sécurité en construisant
des remparts et des forteresses (comme celle de Madaure). Ce travail considérable
fut accompli rapidement, les matériaux les plus divers étant
employés dans la maçonnerie, et d'abord ceux qui provenaient
des ruines déjà accumulées par les Vandales et les
Berbères. A cette uvre est attaché le nom de l'eunuque
Solomon. Les Byzantins tâchèrent de reprendre la politique
de défense des Romains, en particulier l'institution des soldats-colons;
ils surent exploiter les divisions entre les tribus.
Sans que le succès obtenu fût complet, un regain de prospérité
s'affirma dans l'ordre généralement rétabli.
------En dehors
de la domination byzantine, il se constitua des états berbères.
Ils sont mal connus, comme tout ce qui touche à cette période.
On sait toutefois qu'il exista un royaume indigène à Tiaret
; son existence est attestée par celle de treize mausolées
dynastiques, dont le plus élevé (Djedar) atteint quarante-cinq
mètres de haut. Le christianisme se maintint dans certains de ces
États, qui reconnaissaient peut-être la suprématie
des Byzantins.
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