mise sur site le 7-09-2003
-L'Algérie jusqu'à la pénétration saharienne : première partie
L'Algérie avant l'Islam
Cahier I du Centenaire de l'Algérie
par M.J.M. BOURGET, ancien élève de l'École Normale Supérieure
,
agrégé de l'Université,
capitaine d'infanterie honoraire
Rédacteur militaire du "Journal des Débats"

Publications du Comité National Métropolitain du Centenaire de l'Algérie
Alger, 1930
collection personnelle.

n.b : tous ces textes ont été passés à l'OCR, je ne les pas vérifiés minutieusement. Veuillez pardonner les erreurs éventuelles, vous pouvez même me les signaler.Merci
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PREMIÈRE PARTIE

L'ALGÉRIE AVANT L'ISLAM

I.-Les Populations Primitives
Les Phéniciens et les Carthaginois

--------La première civilisation venue du dehors qui ait marqué son empreinte en Algérie, comme dans le reste de l'Afrique du Nord, est la civilisation phénicienne, d'abord par l'emprise commerciale des négociants de Tyr, puis, une fois la métropole disparue, par l'emprise politique de Carthage, sa florissante colonie.

------Il y a cependant des traces de civilisations préhistoriques, dont les caractéristiques générales sont les mêmes que dans tout le bassin méditerranéen : armes et outils de pierre plus ou moins primitifs, emplacements de stations en plein air, abris sous roches, tumuli, sépultures de pierre brute ou peu travaillée, dolmens, se rencontrent en Algérie. Les sépultures sont attribuées par les Berbères à des peuples plus anciens qu'eux-mêmes, aujourd'hui disparus, qu'ils appellent les Djouhala et les Beni Sfao, ce qui tend à confirmer l'hypothèse suivant laquelle les Berbères ne seraient pas des autochtones.

------Ce qui semble certain, c'est que, de très bonne heure, la distinction s'établit entre les populations sédentaires des plaines côtières, et les nomades ayant leurs terrains de parcours plus au sud. De même aussi, on peut démêler des rapports évidents entre l'Algérie primitive et l'Égypte antique : la langue des Berbères est de la même famille que celle des Égyptiens, des Nubiens et des Abyssins; la religion des premiers Algériens, après avoir suivi les cultes naturistes, adopta le Dieu Ammon, personnification égyptienne du soleil.

------Les Phéniciens, qui furent les premiers à prendre pied sur la côte, semblent avoir établi leurs comptoirs en Algérie vers le XIIème siècle avant notre ère. Il s'agissait uniquement de places de commerce maritime.

------L'effort des Phéniciens fut prolongé par celui des Carthaginois, dont l'activité fut assez grande en Afrique du Nord pour écarter les Grecs, eux-mêmes colonisateurs dans tout le bassin méditerranéen à partir du VIIIè siècle. Mais, contrairement à leurs devanciers, les Carthaginois ne purent s'en tenir à l'activité commerciale.

------Leur territoire proprement dit ne dépassa jamais vers l'Ouest les limites occidentales de la Tunisie actuelle. Si réduit que fût ce territoire, le voisinage des Berbères à la périphérie obligea les Carthaginois à pratiquer ce que nous appelons aujourd'hui une politique indigène. Sans reculer leurs frontières, ils travaillèrent activement les tribus et réussirent à s'en concilier un grand nombre, notamment en donnant en mariage des filles de l'aristocratie à des chefs indigènes. Ceux-ci fournirent des contingents auxiliaires. La cavalerie qu'Hannibal emmena contre Rome était en grande partie composée de Numides.
L'influence de Carthage se fit sentir loin de son territoire. La langue punique devint la langue officielle dans les tribus.

------Nombreux furent les Maures et les Numides qui prirent des noms carthaginois. Au temps de saint Augustin encore (fin du IVè siècle de notre ère, début du Vè), les paysans des environs de Bône et de Guelma parlaient le punique. Certaines cités de l'intérieur adoptèrent des institutions copiées sur celles de Carthage. Cirta (Constantine) et Calama (Guelma) étaient gouvernées par des Suffètes.

------Dans le domaine religieux également, l'emprise de Carthage fut manifeste. L'Ammon égyptien se confondit avec le Baal Hammon phénicien; de même, fut introduit le culte de l'Astarté phénicienne.
Si l'emprise politique des Grecs fut écartée de l'Algérie par Carthage, ce fut par l'intermédiaire de la grande cité punique que l'art grec s'y introduisit, et, avec lui, certains cultes. Des monuments comme le Médracen, le mausolée du Kroub et le " tombeau de la Chrétienne " (qui sont des sépultures de rois indigènes) témoignent de l'influence hellénique. Celle-ci se traduisit encore par l'introduction des cultes de Démèter et de Perséphone, de Dionysos, de Hadès.

------Dès cette époque l'Algérie semble avoir connu une grande prospérité. Le Tell était déjà producteur de blé et l'agriculture se développa largement : la vigne, l'olivier étaient florissants. Les richesses minières étaient exploitées.

------La nature spéciale de la domination punique n'empêchait pas les indigènes de s'organiser suivant leurs tendances. Carthage entendait seulement assurer sa sécurité : de grands royaumes indigènes se constituèrent, ou plutôt englobèrent des tribus unies en confédérations sous l'autorité d'un souverain commun.

------L'histoire des débuts de ces royaumes indigènes est assez mal connue. Ce qui semble établi, c'est que, au fur et à mesure de l'affaiblissement de Carthage, absorbée par sa lutte contre Rome, ces royaumes devinrent de plus en plus puissants, au point de pouvoir imposer leur autorité à certaines cités phéniciennes englobées dans leur territoire.

------À la fin du IIIè siècle avant notre ère, l'Afrique du Nord comprend, en dehors du territoire carthaginois, deux grands royaumes. Celui des Massyles, situé vers l'Est, a comme ville principale Cirta, et comme souverain Massinissa ; celui des Massessyles, à l'Ouest, est gouverné par Syphax. La puissance de celui-ci est montrée par le fait qu'il prit parti contre Rome et entra en campagne contre Scipion l'Africain, à la tête de 60.000 hommes.

------La bataille de Zama (202 av. Jésus-Christ) et la ruine dé Carthage allaient marquer 1e début d'une période agitée dans l'histoire de l'Algérie.

II.-La Conquête Romaine

------L'installation définitive de Rome en Afrique du Nord se fit par étapes et dura deux siècles et demi, si l'on compte à partir de la bataille de Zama.

------Au début, les Romains se contentèrent de détrôner Syphax, et de donner son royaume à Massinissa qui se trouva régner ainsi du Maroc à la Tripolitaine. En 146, trois ans après sa mort, Rome annexa le territoire de Carthage (province d'Afrique ou Proconsulaire).

------À la mort de son successeur Micipsa, qui avait été comme lui fidèle à l'alliance, ou mieux à la domination de Rome, le grand royaume fut partagé entre plusieurs prétendants. L'unité fut reconstituée par Jugurtha, qui fit assassiner ses cousins Adherbal et Hiempsal. Jugurtha n'accepta pas la vassalité de ses prédécesseurs vis-à-vis de Rome. Celle-ci subit un certain temps les manifestations violentes de son indépendance (assassinat d'Italiens amis de Hiempsal, corruption des envoyés du Sénat, puis de magistrats dans Rome, et, dans cette même ville, assassinat d'un prince indigène rival). Après la défaite d'une première armée romaine, il fallut quatre ans de dures campagnes pour réduire Jugurtha, et encore par trahison. La province romaine fut agrandie et le royaume partagé entre Hiempsal II et Mandrestal.

------La période des guerres civiles qui marquèrent la fin de la République romaine donna quelque répit aux souverains indigènes de l'Afrique du Nord. L'un d'eux, Juba 1er, prit parti contre César et se mit à la tête de 30.000 fantassins et de 20.000 cavaliers. La bataille de Thapsus (46 av. Jésus-Christ) ruina ses espérances, mais sans que Rome se décidât à annexer tout le pays. Une nouvelle province, dite de
Numidie, dont l'historien Salluste fut le premier gouverneur, fut créée. Mais Sittius, un chef de bande italien, et un prince Numide, Bocchus, qui avaient affaibli Juba Ier, en se jetant sur ses États, eurent en récompense, le premier Cirta, le second Sétif.
Après la mort de Bocchus, Auguste, son héritier, établit dans ses États des colonies de vétérans, mais, en 25 après Jésus-Christ, il donna son royaume, augmenté de territoires au sud de Cirta et dés provinces romaines, à Juba II. Profondément imprégné de culture gréco-latine, artiste et littérateur avant tout, Juba II, dans sa capitale Caeserea (Cherchell), fut toute sa vie fidèle à l'alliance romaine.

------Son fils et successeur Ptolémée le fut aussi. Mais les politiques de Rome jugeaient le moment venu d'annexer toute l'Afrique du Nord. Le faste que le roi déploya dans un voyage à Rome suscita la jalousie de l'empereur Caligula, qui le fit jeter en prison et assassiner. Deux nouvelles provinces furent constituées : la Maurétanie Tingitane (partie septentrionale du Maroc, moins le Riff, qui resta indépendant) et la Maurétanie Césarienne (partie septentrionale dés départements d'Oran et d'Alger, partie occidentale du département de Constantine.

------Même après la réduction complète en provinces, l'apport ethnique des Romains fut extrêmement faible. Il y avait eu déjà les bandes italiennes de Sittius à Cirta, puis les colonies fondées par Auguste pour établir ses vétérans : sur la côte Igilgili (Djidjelli), Saldae (Bougie), Rusazu (Azeffoun), Rusguniae (Matifou), Gunugu (Gouraya), Carteinnae (Ténés), et, à l'intérieur, Aquae (Hammam Rirha), Zucchabar (Miliana), Tubusuctu (Tiklat, au sud-ouest de Bougie).

------Dans la plupart des cas, comme les noms mêmes l'indiquent, il s'agit d'établissements effectués dans des centres indigènes déjà existants. Il en fut de même par la suite. On connaît Oppidum Novum (Duperie), sur le Chélif, Madauros (au sud de Soukh Ahras), Sitifis (Sétif), Cuicul (Djemila).

------L'administration romaine en Afrique du Nord se caractérise par le petit nombre des fonctionnaires. La base de la vie publique était la Cité ; suivant sa politique ordinaire, Rome reconnaissait plusieurs espèces de cités jouissant de droits particuliers et plus ou moins étendus, élisant annuellement leurs magistrats assistés d'un conseil de décurions. La collation des diverses dignités entraînait l'obligation de verser une somme importante au trésor, et les fonctions étaient exercées gratuitement.

------En dehors des Cités, les tribus étaient administrées par leurs chefs, désignés par l'Empereur, ce qui assurait leur indépendance, mais choisis dans les mêmes familles, ce qui assurait la permanence de l'autorité. Ces chefs, connus officiellement sous le nom de préfets ou princes, prenaient souvent le titre de roi et avaient auprès d'eux une assemblée des anciens.

------Au-dessus des cadres locaux, l'administration romaine était représentée d'abord par le gouverneur de la province et sa maison (familia) : son domaine comprend, outre la vérification de la comptabilité, la justice criminelle, et la justice civile pour les affaires importantes. Il existe des préfets militaires, chargés des rapports avec les tribus, ou pour mieux dire de leur surveillance; des agents du cadastre, des agents du recrutement. Le personnel de l'administration financière et fiscale est réduit au minimum, les impôts étant affermés.

------Les forces militaires romaines, dans la partie soumise de l'Algérie, ne furent jamais très considérables, elles étaient essentiellement formées par une seule légion, la Tertia Augusta, qui, stationnée sous Auguste à Ammaedara. En Tunisie, au nord-est de Tébessa, fut transportée de bonne heure dans cette dernière ville. La légion était renforcée par des auxiliaires qui, au début, étaient recrutés dans les autres parties de l'Empire romain, et par des formations indigènes, à effectifs variables, appelées en cas de besoin.

------Ces forces suffisaient pour tenir les régions occupées, dont la frontière, au début du premier siècle, restait au nord de l'Aurès, englobait les plaines de Sétif et de la Medjana, et était jalonnée plus à l'ouest par Berrouaghia, le Chélif, Relizane, Perrégaux et l'embouchure de la Moulouya.

------Par la suite, sous la pression des insoumis et pour mettre les provinces à l'abri de leurs incursions, la légion fut portée à Lambèse, avec des postes au sud de l'Aurès, qui ne fut réduit qu'après 50 ans de luttes; et la frontière militaire atteignit (au IIIè siècle) la région sud-ouest du Hodna, Boghar, Teniet, Tiaret, Chanzy, Lamoricière, Tlemcen et Lalla Maghrnia. Les troupes tenaient alors un système de défense constitué par un fossé continu avec, au moins par place, un remblai; des voies de communications permettaient des liaisons faciles entre les postes et les camps. Quelques postes se trouvaient aux avancées, à Laghouat, Djelfa, Sfissifa.

III.-La Paix Romaine en Algérie

------Si mince que nous paraisse aujourd'hui cette armature de sécurité, elle suffit cependant pour assurer à l'Algérie pendant des siècles le bénéfice de la paix romaine. Le trait essentiel est la romanisation des populations africaines. Cette romanisation, qui fut poussée très loin dans les régions de plaines de la partie soumise, se réalisa de plusieurs façons.

------Un de ses agents les plus efficaces fut l'armée. Dès l'origine la Tertia Augusta amena à sa suite des mercantis déjà formés à la vie romaine; puis, suivant la politique en honneur dans tout l'Empire, des légionnaires recrutés sur place remplacèrent les Gaulois, qui au début avaient composé la Légion. Il en fut de même plus tard pour les auxiliaires. La colonisation des confins militaires trouva dans les anciens soldats de précieux pionniers. Ces volontaires, qui servaient 25 ans, et pouvaient se marier, touchaient une retraite et recevaient des terres elles-mêmes exemptes d'impôts à la condition que les fils fussent militaires à leur tour.

------À l'intérieur, le principal moyen de romanisation fut la hiérarchie des droits variés conférés aux cités et aux individus. Les villes nouvelles (Thamugadi, Lambèse, Mascula, Bagai, Diana Veteranorum, Gemellae, etc ... ), des villes anciennes furent dotées plus ou moins vite de l'organisation municipale, latine ou romaine, l'accession à l'échelon supérieur étant considérée comme une récompense très enviée.

------Les particuliers pouvaient eux aussi s'assurer des privilèges toujours croissants : le titre glorieux de citoyen romain n'en marquait pas le terme.

------L'aristocratie formée dans les magistratures locales fut admise peu à peu à exercer les grandes fonctions romaines. Un habitant de Cirta devint consul sous l'Empereur Titus. Par la suite, un nombre important de ses compatriotes siégèrent au Sénat. Dès le début du IIIè siècle, Macrin, originaire de Caesarea, devint empereur.

 

------Cette accession au droit de cité et de citoyen romain avait comme base la langue. Le latin fut accepté, au moins dans les villes, avec la même facilité que l'avait été auparavant le punique. Avec lui s'intronisa le culte de Rome et des Empereurs, fondement moral de la puissance impériale; en même temps l'ancien Baal Hammon se confondit avec Saturnus Augustus et même avec Jupiter Optimus Maximus, et d'autres cultes romains furent acceptés (la Victoire, la Fortune, la Paix). La facilité avec laquelle ces différents cultes s'ajoutèrent aux cultes anciens, ou se confondirent avec eux, permet de mesurer par comparaison la transformation que la conquête musulmane a fait subir à l'âme algérienne.

------L'adoption du latin à une époque où Rome possédait une langue classique complètement formée fut un puissant agent du développement cultuel en Algérie. Dans les villes s'établirent des écoles où l'on étudia les grands auteurs grecs et latins : en tête de ceux-ci, comme dans tout le monde romain, Virgile. Certaines cités furent célèbres comme centres intellectuels. Tel fut le cas de Madaure et de Cirta. La future Algérie et la future Tunisie (Césarienne, Numidie, Proconsulaire) fournirent de nombreux médecins, de nombreux légistes, surtout de nombreux littérateurs. Beaucoup de ceux-ci vinrent tenter la fortune à Rome. Le plus célèbre d'entre eux fut Apulée, né à Madaure. Saint Augustin, avant sa conversion, enseigna la rhétorique à Rome et à Milan.

------Dans le domaine de l'art, les Africains romanisés rivalisèrent avec les autres peuples soumis à Rome. Ils ne semblent pas, d'ailleurs, avoir apporté rien de nouveau, ni d'original. Toutes les richesses artistiques de l'époque romaine retrouvées sur le sol algérien relèvent du goût hellénistique de l'époque. Du moins attestent-elles le niveau élevé de civilisation atteint par les Africains. Les ruines de Timgad et plus encore peut-être celles de Cuicul (Djemila) en sont d'éloquents témoins.

------Le développement de la culture latine en Algérie favorisa, comme dans le reste de l'Empire, celui du christianisme. Au commencement du 111e siècle, on signale la présence d'évêques de Numidie dans les Conciles tenus à Carthage, celle d'évêques de Maurétanie au Concile de 256; six ans auparavant un concile s'était tenu à Lambèse. La future Algérie fournit de nombreux martyrs dans les persécutions, notamment, de Valérien et de Dioclétien. Et, dès le moment où la conversion de Constantin assura l'appui officiel au christianisme, celui-ci connut une floraison considérable en Algérie.

------Cette contrée vit naître des pères de l'Église, dont le plus illustre, saint Augustin, évêque d'Hippone (Hippo-Regius), fixa la langue théologique et mystique du christianisme. Ses idées ont été exploitées non seulement par l'Église elle-même, mais encore par beaucoup de ceux qu'elle a condamnés comme hérétiques. La puissance des chrétiens d'Afrique, ainsi que leur attachement au latin, est marquée par le fait que ce sont eux qui l'imposèrent comme langue liturgique à l'église d'Occident.

------Païenne ou chrétienne, grâce aux bienfaits de la paix romaine, l'Algérie connut une prospérité qu'elle ne retrouva pas avant de longs siècles. Quand on songe à ce qu'était l'Algérie turque, on a peine à croire que l'Afrique du Nord ait pu fournir à Rome la moitié ou les deux tiers de son blé, et même la totalité après la fondation de Constantinople.

------La différence est si frappante qu'on s'est demandé s'il n'y avait pas eu changement de climat. On peut affirmer qu'il n'en est rien, et que la prospérité romaine était due simplement à ce que nous appelons aujourd'hui une politique de l'eau singulièrement efficace. Depuis l'époque romaine, le régime des eaux a été modifié par les déboisements qu'ont entraînés les dévastations provenant des invasions successives. Surtout on a laissé se dégrader des travaux hydrauliques qui avaient été réalisés non pas à la diligence du gouvernement central, mais sur l'initiative des Cités (dont le territoire comportait normalement une banlieue étendue) et des particuliers, des grands propriétaires. La distribution de l'eau avait été l'objet de soins particuliers, et elle était soumise à une réglementation précise empêchant le gaspillage et l'abus.

------En même temps que la culture du blé, s'étaient développées celles de la vigne, de l'olivier, de l'amandier, du figuier, encouragées par des exemptions d'impôts et dans certains cas par la concession d'un droit de propriété héréditaire. L'élevage était aussi très florissant, celui du mouton, du bœuf, et surtout celui du cheval. La petite histoire enregistre des victoires de chevaux algériens sur les hippodromes de Rome; ce qui apporte une confirmation à la théorie suivant laquelle les étalons barbes, loin d'être des descendants du cheval arabe, ont au contraire contribué à lui donner sa valeur.

------Les différentes parties de l'Algérie étaient reliées entre elles par des routes telles qu'en avait construit Rome dans toutes les autres parties de son Empire. Nées de la conception stratégique qui cherche la sécurité dans le mouvement, ces voies de communication servaient également au commerce. On en comptait trois principales allant de l'Est à l'Ouest et complétées par des rameaux détachés et des rocades parallèles. Ce réseau suffisait parfaitement aux besoins de l'époque.

------Bref, l'Algérie romaine se présentait comme une contrée riche, peuplée, civilisée. Son plus beau moment se place dans les dernières décades du deuxième siècle et dans la première moitié du troisième.

IV.-Les Vandales et les Byzantins


------Si avantageuse qu'ait été, pour celles qui l'acceptèrent, l'administration romaine, toutes les populations englobées dans la frontière militaire ne s'y soumettaient pas avec une égale bonne volonté. Dès le milieu du IIIè siècle, des révoltes se produisirent chez les Maures, puis en Kabylie. Des erreurs administratives, des exactions en furent peut-être l'occasion; la raison profonde semble avoir été la romanisation moins profonde résultant des conditions géographiques (Aurès, Djurdjura, Ouarensenis) et provoquant le réveil des instincts ancestraux de pillage. Ces premiers soulèvements furent réprimés péniblement.

------La décadence progressive de l'Empire romain en favorisa de nouveaux par la suite jusqu'au moment où elle permit l'invasion des Vandales. Les causes générales de cette décadence sont assez connues. Elles prirent un aspect particulier en Afrique du Nord et en Algérie.

------La tendance à l'exploitation purement fiscale du pays se fit jour assez vite, et la population ne trouva pas les appuis naturels sur lesquels elle aurait pu compter. L'aristocratie romanisée constituée dans les provinces de l'Afrique du Nord fut bientôt plus romaine qu'africaine. Les grands domaines administrés par des intendants prirent une extension toujours plus considérable, les moyens et petits cultivateurs ne trouvant pas de crédit en cas de crise agricole et étant obligés de vendre leurs terres. L'exploitation par les intendants fut dirigée de manière à assurer non seulement les revenus du maître, souvent absent, mais encore l'enrichissement de son représentant.

------L'affaiblissement du pouvoir central fut également très marqué. Le IVè siècle voit des indigènes alliés se proclamer indépendants, et les campagnes entreprises pour les réduire, dévastent le pays: des villes sont brûlées ou pillées, entre autres Icosium (Alger). Cette instabilité encourage et facilite les révoltes agraires et les soulèvements indigènes.

------L'autorité des évêques parvint bien, pendant un certain temps, à maintenir un cadre d'apparence régulière et à remplacer en fait l'administration défaillante. Mais l'église d'Afrique ne resta pas longtemps unie. La querelle des Traditeurs (on appelait ainsi les personnes qui, lors de la persécution de Dioclétien, avaient livré les livres sacrés aux autorités civiles) se prolongea par celle des donatistes. Ceux-ci, condamnés dans plusieurs conciles, ne se soumirent pas. A la fin du IVè siècle et au début du Vè, saint Augustin lutte contre eux, obtient des lois extrêmement sévères et réduit l'hérésie. Il lutte en même temps contre les païens à qui s'appliquent aussi des édits rigoureux. L'orthodoxie finit par triompher; mais le souvenir de ces dissensions avait ruiné l'unité morale.

------L' Église toute-puissante négligea, on se l'explique, les précautions matérielles de défense, et notamment les précautions militaires. L'organisation ancienne des confins s'était altérée d'assez bonne heure. Dès le milieu du IIIè siècle, après les premiers soulèvements, la Légion Tertia Augusta avait été reconstituée. Mais les évêques n'étaient pas faits pour organiser des troupes et pour se mettre à leur tête : le service militaire, d'ailleurs battu en brèche pour des raisons doctrinales, tomba peu à peu en désuétude, l'impôt remplaçant la conscription, les citadins se jugeant à l'abri derrière leurs murailles.

------Toutes ces circonstances provoquèrent en Algérie un état de choses voisin de l'anarchie, le banditisme se développant normalement à la faveur de l'instabilité. C'est dans cette situation que survient la première invasion, celle des Vandales.
Ces Germains venant d'Espagne abordèrent l'Algérie par l'Ouest. Il n'est pas impossible que ce fait leur ait donné des avantages militaires particuliers : le système de défense des provinces romaines (ou du moins ce qui en restait) était tout entier tourné vers le sud, du côté d'où pouvait venir antérieurement la menace principale, celle des nomades; et nous avons fait nous-mêmes, en 1914, lors de la bataille des frontières, l'expérience de la tyrannie qu'exerce sur les esprits un système de défense stratégique traditionnel.

------Les Vandales furent appelés en Afrique par le comte Boniface qui s'était révolté contre Placidie, tutrice de l'Empereur Valentinien III. A leur tête Genséric s'empara de la Maurétanie, et, quand Boniface, sur les remontrances de saint Augustin, voulut l'arrêter, il était trop tard : en 430, l'Évêque d'Hippone, au moment de sa mort, était assiégé dans sa ville épiscopale.

------Un essai de négociation aboutissant à reconnaître à Genséric la possession de ses conquêtes moyennant un tribut annuel et un serment de fidélité n'eut pas de lendemain. En 439, le chef vandale entrait dans Carthage et s'y installait : une fois de plus l'attraction de la région orientale de l'Afrique du Nord se manifestait. En 455, au moment où il prit Rome, avec des auxiliaires berbères (descendant des Numides, compagnons d'Hannibal, et des Africains qui avaient servi l'Empire romain jusqu'en Dacie), toute l'Afrique du Nord reconnaissait l'autorité de Genséric.

------Les Vandales arrivés en petit nombre s'établirent en Tunisie. Pour administrer le reste du pays, ils laissèrent en place ce qui subsistait de l'ancienne organisation. Mais ils jetèrent aussi les bases d'un système nouveau, le vasselage. Des comtés germains furent chargés de missions d'inspection dans les provinces occidentales. L'autorité de l'Église fut ruinée : les Vandales étaient eux-mêmes des hérétiques chrétiens et suivaient la doctrine d'Arius. Ils mirent en vigueur contre les orthodoxes africains les lois que ceux-ci avaient appliquées aux donatistes.

------Mais ils ne se souciaient guère d'administrer la contrée et d'y faire régner l'ordre.

------Les Berbères des montagnes se jetèrent sur les villes pour satisfaire leur goût du pillage. Les Vandales de Tunis ne songèrent pas à arrêter les gens de l'Aurès, quand ils dévastèrent Lambèse, Bagai, Théveste, Timgad.

------Les débris de la civilisation romaine semblaient à la veille de disparaître. Ils furent sauvés pour un siècle encore par l'intervention des Byzantins. Ceux-ci se considéraient comme les successeurs des empereurs de Rome et voulurent refaire l'unité de leur domaine.

------L' Empereur Justinien envoya Bélisaire en Afrique (533) pour réduire les Vandales. Il battit leur roi Gélimer à Tricaméron. Les Byzantins arrivés par l'Est s'étendirent peu à peu vers l'Ouest, mais ne purent reconstituer l'ancienne unité romaine : l'Aurès, un moment occupé, leur échappa; ils réussirent à s'installer au Hodna et jusqu'à Sétif. Plus à l'ouest ils durent se contenter d'occuper quelques points : Rusguniae, Tipasa, Caesarea, Cartennae.

------Du moins s'attachèrent-ils à rétablir l'ordre et la sécurité en construisant des remparts et des forteresses (comme celle de Madaure). Ce travail considérable fut accompli rapidement, les matériaux les plus divers étant employés dans la maçonnerie, et d'abord ceux qui provenaient des ruines déjà accumulées par les Vandales et les Berbères. A cette œuvre est attaché le nom de l'eunuque Solomon. Les Byzantins tâchèrent de reprendre la politique de défense des Romains, en particulier l'institution des soldats-colons; ils surent exploiter les divisions entre les tribus. Sans que le succès obtenu fût complet, un regain de prospérité s'affirma dans l'ordre généralement rétabli.

------En dehors de la domination byzantine, il se constitua des états berbères. Ils sont mal connus, comme tout ce qui touche à cette période. On sait toutefois qu'il exista un royaume indigène à Tiaret ; son existence est attestée par celle de treize mausolées dynastiques, dont le plus élevé (Djedar) atteint quarante-cinq mètres de haut. Le christianisme se maintint dans certains de ces États, qui reconnaissaient peut-être la suprématie des Byzantins.