mise
sur site le 7-09-2003
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---------Une histoire de l'Algérie a forcément quelque chose d'un peu factice, d'un peu arbitraire. L'unité politique ou administrative que nous désignons sous le nom d'Algérie est de création récente : c'est seulement au XVè siècle que les deux frères Arroudj et Khayr ed Din Barberousse la constituèrent, sous la vassalité du Sultan de Constantinople. Encore la Régence d'Alger ne s'étendit-elle jamais que sur un sixième des territoires aujourd'hui réunis sous le nom d'Algérie, et le pouvoir du Dey d'Alger n'était-il pas reconnu sans contestation dans tout le pays qui lui était théoriquement soumis. ---------Aux époques antérieures l'unité de l'Algérie n'était pas mieux établie. ---------La légendaire chevauchée d'Ogba et de ses compagnons au VIIè siècle de notre ère les avait bien conduits de Kairouan jusqu'à l'Atlantique; mais, par la suite, il se constitua des royaumes ou des confédérations indigènes qui englobèrent seulement une partie de l'Algérie (Royaume de Tahert, État Hammadite, Royaume de Tlemcen) ; très souvent ces États furent en lutte avec des États plus puissants situés à l'Est ou à l'Ouest, doués d'une unité mieux définie, et qui les réduisirent à une vassalité plus ou moins étroite. ---------À l'époque romaine, la domination des empereurs s'étendait à toute l'Afrique du Nord, au moins, sauf exception, dans la région côtière. Mais il n'y avait pas d'unité administrative pour tous ces territoires. L'Algérie elle-même comprenait (de l'Ouest à l'Est) les provinces de Maurétanie Césarienne, de Maurétanie Sitifienne, et, pour partie, de Numidie ; les autres portions de l'Afrique du Nord étant réparties entre la Maurétanie Tingitane (partie septentrionale du Maroc actuel moins le Riff), la province d'Afrique (ancien territoire de Carthage), le Byzacène. Ces diverses provinces douées d'une civilisation unique ne formaient pas un ensemble politique; aucun des gouverneurs n'avait autorité sur les autres : tous étaient égaux, et le pays se trouvait morcelé. A l'époque de Dioclétien, qui groupa les provinces en diocèses, il y eut bien un diocèse d'Afrique, mais la Tingitane n'en faisait pas partie et était rattachée au diocèse des Espagnes. ---------Cet état de division politique et administrative trouve une explication naturelle dans la configuration géographique du pays. On rencontre, du Sud au Nord, en venant de la mer, des régions diverses ayant des caractères physiques et économiques très tranchés (Tell, Hauts-Plateaux, Atlas). Et, de l'Est à l'Ouest, ces régions elles-mêmes se trouvent morcelées, compartimentées, par un relief tourmenté, assez complexe, qui dessine une succession de massifs montagneux plus ou moins facilement pénétrables et séparant des plaines entre lesquelles les communications sont relativement pénibles. ---------Inversement, si l'on cherche ce qui peut faire l'unité dans les populations algériennes, on s'aperçoit qu'alors on dépasse singulièrement le cadre algérien proprement dit. Ces éléments d'unité sont le sentiment religieux et les caractères ethnographiques. Or, ce qu'on peut dire de ceux-ci, comme de celui-là, s'il s'applique d'une façon générale à l'Algérie tout entière, ne s'étend pas à elle seulement, mais bien à toute l'Afrique du Nord, c'est-à-dire, outre l'Algérie, au Maroc et à la Tunisie. II y a des variantes locales, incontestables et aisément perceptibles, mais ce ne sont que des variantes; le fond commun reste le même.
---------En tout
cas, que ce soit du point de vue religieux ou du point de vue ethnique,
les différences que l'on peut reconnaître ne coïncident
pas avec les frontières politiques qui séparent l'Algérie
du Maroc et de la Tunisie. Aussi le général Azan a-t-il
pu écrire au sujet d'Abd el Kader, qui incarna l'esprit de résistance
indigène à la pénétration française
en Algérie : «
II conduisait au combat de fidèles musulmans, mais non des patriotes
algériens. " ---------L'unification relative introduite par l'Islam s'est accompagnée d'une transformation profonde dans le caractère des populations algériennes, mais sans faire disparaître les raisons naturelles de divergences. ---------Les Berbères avant la conquête musulmane étaient assez perméables à l'influence des civilisations supérieures. Les Phéniciens et les Carthaginois, puis les Romains, les façonnèrent aisément, bien que ni les uns ni les autres ne soient venus en très grand nombre : l'idée de colonie de peuplement n'était pas née encore. Ceux des Berbères qui le pouvaient, étaient fiers d'acquérir le titre de citoyen romain, de même que, plus anciennement, nombre de leurs ancêtres avaient pris des noms carthaginois, c'est-à-dire phéniciens. Des Africains d'origine remplirent de hautes charges dans l'Empire romain, certains accédèrent à la dignité suprême. ---------C'est avec la même facilité que fut acceptée la première arabisation par la religion et la langue. A ce fait contribua d'ailleurs la nature même de l'action musulmane, qui mêlait étroitement la religion à toutes les relations sociales, ne laissant le-choix aux populations qu'entre la conversion et l'exil ou la mort. |
---------L'âme berbère se trouve profondément modifiée à partir du XIIè siècle par les conséquences de l'invasion des Arabes hilaliens. Les Hilaliens représentent l'apport ethnique le plus considérable qu'ait subi l'Algérie, comme le reste de l'Afrique du Nord; mais, en même temps, les Hilaliens apportèrent, surtout par leur action politique, un nouvel élément d'instabilité où l'on doit voir l'origine du fatalisme algérien sous la forme résignée qu'il a prise. Habituée aux brusques changements de fortune, à l'incertitude du lendemain, la population a perdu le goût des entreprises de longue haleine dans lesquelles l'énergie humaine lutte contre les forces naturelles et réussit à leur arracher sa subsistance quotidienne dans des conditions toujours améliorées. Cette énergie fit place à l'apathie ou bien elle se tourna vers d'autres domaines. ---------Cette tendance trouvait dans certaines parties de l'âme berbère un terrain tout préparé. En dépit de l'influence romaine, en dépit de l'unification qu'elle imposait dans les idées, dans la civilisation et dans les murs, les ferments de discorde y germaient facilement : aux premiers âges de la chrétienté, l'hérésie donatiste trouva en terre berbère un domaine d'élection; de même, après l'islamisation, les Kharidjites, puis les Chiites purent s'assurer en Berbérie, et spécialement en Algérie, de puissants et agissants appuis. Cette exaspération du sentiment religieux allant jusqu'à l'hérésie est un trait à retenir. ---------Autre trait à retenir : les rivalités entre les personnes ou entre les clans, aussi difficiles à expliquer qu'à apaiser. Ces rivalités, ces haines, semblent dues, la plupart du temps, à la jalousie et au désir d'indépendance : ne pas céder volontairement devant le voisin est un sentiment qui atteint aisément son paroxysme en terre berbère. ---------Les conditions
géographiques elles-mêmes y contribuent. Nulle part ce sentiment
n'est plus puissant, plus ardent, plus vivace, que dans certaines régions
montagneuses où la rudesse de la vie laisse aux habitants leurs
caractères primitifs dans toute leur violence. Certaines régions
de l'Algérie ont été de tout temps le refuge des
Berbères animés de la passion de résister à
toute pénétration guerrière ou pacifique : les Romains,
comme après eux les Arabes et les Français, ont eu à
compter sérieusement avec le Djurdjura, la Kabylie, l'Ouarensenis,
l'Aurès, comme, au Maroc, avec le Riff. ---------Le cas de la France est spécial. Quand, à la fin du premier tiers du XIXè siècle, elle se décida à une action militaire en terre algérienne, elle y fut poussée principalement par la volonté de mettre fin à une situation qui durait depuis des siècles et que les nécessités vitales de l'Europe moderne, comme ses principes, rendaient décidément intolérable. En même temps, elle se trouvait être la principale puissance de la Méditerranée occidentale, et, dans une certaine mesure, les circonstances lui imposaient la mission civilisatrice que d'autres avaient remplie autrefois. ---------Enfin, l'affirmation plus ou moins consciente du sentiment national dans la plus grande partie de l'Europe, le fait que la France était la plus forte des puissances européennes parvenues à achever leur unité, devaient donner à son expansion une forme nouvelle qui se réalisa en Algérie. ---------Quant au
processus de pacification, il se développa jusqu'à des limites
non encore atteintes auparavant, mais il prit une allure analogue à
ce qu'on avait déjà constaté dans le passé,
notamment à l'époque romaine. Une circonstance précise
provoque la première intervention . Et peu à
peu l'entreprise grandit de par la nécessité de protéger
les portions de la population qui se rallient à l'action pacificatrice.
On aurait bien surpris Charles X et ses ministres si on leur avait dit
que le débarquement à Alger conduirait leurs successeurs
jusqu'au Tchad. Mais la pacification de l'Algérie, puis la pénétration
saharienne étaient une nécessité : en se substituant
à l'administration turque, la France acceptait la tâche de
rendre aux populations indigènes, avec des possibilités
de vie plus large, une complète sécurité Le problème
était d'envergure, puisque si, par le Nord, l'Algérie touche
à la Méditerranée, elle touche, par le Sud, à
une sorte de mer intérieure, le Sahara, dont les riverains, plus
encore que ceux de la Méditerranée, ne peuvent trouver la
sécurité que dans l'unité. |