mise sur site le 7-09-2003
-L'Algérie jusqu'à la pénétration saharienne : introduction
Cahier I du Centenaire de l'Algérie
par M.J.M. BOURGET, ancien élève de l'École Normale Supérieure
,
agrégé de l'Université,
capitaine d'infanterie honoraire
Rédacteur militaire du "Journal des Débats"

Publications du Comité National Métropolitain du Centenaire de l'Algérie
Alger, 1930
collection personnelle.

n.b : tous ces textes ont été passés à l'OCR, je ne les pas vérifiés minutieusement. Veuillez pardonner les erreurs éventuelles, vous pouvez même me les signaler.Merci
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INTRODUCTION

---------Une histoire de l'Algérie a forcément quelque chose d'un peu factice, d'un peu arbitraire. L'unité politique ou administrative que nous désignons sous le nom d'Algérie est de création récente : c'est seulement au XVè siècle que les deux frères Arroudj et Khayr ed Din Barberousse la constituèrent, sous la vassalité du Sultan de Constantinople. Encore la Régence d'Alger ne s'étendit-elle jamais que sur un sixième des territoires aujourd'hui réunis sous le nom d'Algérie, et le pouvoir du Dey d'Alger n'était-il pas reconnu sans contestation dans tout le pays qui lui était théoriquement soumis.

---------Aux époques antérieures l'unité de l'Algérie n'était pas mieux établie.

---------La légendaire chevauchée d'Ogba et de ses compagnons au VIIè siècle de notre ère les avait bien conduits de Kairouan jusqu'à l'Atlantique; mais, par la suite, il se constitua des royaumes ou des confédérations indigènes qui englobèrent seulement une partie de l'Algérie (Royaume de Tahert, État Hammadite, Royaume de Tlemcen) ; très souvent ces États furent en lutte avec des États plus puissants situés à l'Est ou à l'Ouest, doués d'une unité mieux définie, et qui les réduisirent à une vassalité plus ou moins étroite.

---------À l'époque romaine, la domination des empereurs s'étendait à toute l'Afrique du Nord, au moins, sauf exception, dans la région côtière. Mais il n'y avait pas d'unité administrative pour tous ces territoires. L'Algérie elle-même comprenait (de l'Ouest à l'Est) les provinces de Maurétanie Césarienne, de Maurétanie Sitifienne, et, pour partie, de Numidie ; les autres portions de l'Afrique du Nord étant réparties entre la Maurétanie Tingitane (partie septentrionale du Maroc actuel moins le Riff), la province d'Afrique (ancien territoire de Carthage), le Byzacène. Ces diverses provinces douées d'une civilisation unique ne formaient pas un ensemble politique; aucun des gouverneurs n'avait autorité sur les autres : tous étaient égaux, et le pays se trouvait morcelé. A l'époque de Dioclétien, qui groupa les provinces en diocèses, il y eut bien un diocèse d'Afrique, mais la Tingitane n'en faisait pas partie et était rattachée au diocèse des Espagnes.

---------Cet état de division politique et administrative trouve une explication naturelle dans la configuration géographique du pays. On rencontre, du Sud au Nord, en venant de la mer, des régions diverses ayant des caractères physiques et économiques très tranchés (Tell, Hauts-Plateaux, Atlas). Et, de l'Est à l'Ouest, ces régions elles-mêmes se trouvent morcelées, compartimentées, par un relief tourmenté, assez complexe, qui dessine une succession de massifs montagneux plus ou moins facilement pénétrables et séparant des plaines entre lesquelles les communications sont relativement pénibles.

---------Inversement, si l'on cherche ce qui peut faire l'unité dans les populations algériennes, on s'aperçoit qu'alors on dépasse singulièrement le cadre algérien proprement dit. Ces éléments d'unité sont le sentiment religieux et les caractères ethnographiques. Or, ce qu'on peut dire de ceux-ci, comme de celui-là, s'il s'applique d'une façon générale à l'Algérie tout entière, ne s'étend pas à elle seulement, mais bien à toute l'Afrique du Nord, c'est-à-dire, outre l'Algérie, au Maroc et à la Tunisie. II y a des variantes locales, incontestables et aisément perceptibles, mais ce ne sont que des variantes; le fond commun reste le même.


---------L'Algérie est musulmane, comme le sont le Maroc et la Tunisie. II y subsiste des îlots isolés dont la population se rattache à une secte qui date des premiers âges de l'Islam c'est le cas des Ibadites de la Région du Mzab, qui sont des Kharidjites, dont l'origine remonte au temps du khalife Ali. D'autre part le mahométisme des populations de l'Afrique du Nord connaît des nuances variables qui tiennent souvent à des traditions, à des souvenirs locaux. L'Islamisme, principe unificateur, n'est pas exactement le même des Syrtes aux colonnes d'Hercule et au Sahara.

---------Quant à la population, elle présente des caractères généraux communs, mais avec des différences appréciables. On a affaire dans l'ensemble à une population berbère à laquelle sont venus se mêler des Arabes. Il est souvent difficile de faire la distinction des uns et des autres. Beaucoup de Berbères se sont arabisés; mais aussi un certain nombre d'Arabes se sont berbérisés. Les deux mouvements ont été plus ou moins lents, plus ou moins contrariés, et le résultat final présente une bigarrure très variée.

---------En tout cas, que ce soit du point de vue religieux ou du point de vue ethnique, les différences que l'on peut reconnaître ne coïncident pas avec les frontières politiques qui séparent l'Algérie du Maroc et de la Tunisie. Aussi le général Azan a-t-il pu écrire au sujet d'Abd el Kader, qui incarna l'esprit de résistance indigène à la pénétration française en Algérie : « II conduisait au combat de fidèles musulmans, mais non des patriotes algériens. "
Il n'y avait pas, il ne pouvait pas y avoir de patriotes algériens. »

---------L'unification relative introduite par l'Islam s'est accompagnée d'une transformation profonde dans le caractère des populations algériennes, mais sans faire disparaître les raisons naturelles de divergences.

---------Les Berbères avant la conquête musulmane étaient assez perméables à l'influence des civilisations supérieures. Les Phéniciens et les Carthaginois, puis les Romains, les façonnèrent aisément, bien que ni les uns ni les autres ne soient venus en très grand nombre : l'idée de colonie de peuplement n'était pas née encore. Ceux des Berbères qui le pouvaient, étaient fiers d'acquérir le titre de citoyen romain, de même que, plus anciennement, nombre de leurs ancêtres avaient pris des noms carthaginois, c'est-à-dire phéniciens. Des Africains d'origine remplirent de hautes charges dans l'Empire romain, certains accédèrent à la dignité suprême.

---------C'est avec la même facilité que fut acceptée la première arabisation par la religion et la langue. A ce fait contribua d'ailleurs la nature même de l'action musulmane, qui mêlait étroitement la religion à toutes les relations sociales, ne laissant le-choix aux populations qu'entre la conversion et l'exil ou la mort.

 

---------L'âme berbère se trouve profondément modifiée à partir du XIIè siècle par les conséquences de l'invasion des Arabes hilaliens. Les Hilaliens représentent l'apport ethnique le plus considérable qu'ait subi l'Algérie, comme le reste de l'Afrique du Nord; mais, en même temps, les Hilaliens apportèrent, surtout par leur action politique, un nouvel élément d'instabilité où l'on doit voir l'origine du fatalisme algérien sous la forme résignée qu'il a prise. Habituée aux brusques changements de fortune, à l'incertitude du lendemain, la population a perdu le goût des entreprises de longue haleine dans lesquelles l'énergie humaine lutte contre les forces naturelles et réussit à leur arracher sa subsistance quotidienne dans des conditions toujours améliorées. Cette énergie fit place à l'apathie ou bien elle se tourna vers d'autres domaines.

---------Cette tendance trouvait dans certaines parties de l'âme berbère un terrain tout préparé. En dépit de l'influence romaine, en dépit de l'unification qu'elle imposait dans les idées, dans la civilisation et dans les mœurs, les ferments de discorde y germaient facilement : aux premiers âges de la chrétienté, l'hérésie donatiste trouva en terre berbère un domaine d'élection; de même, après l'islamisation, les Kharidjites, puis les Chiites purent s'assurer en Berbérie, et spécialement en Algérie, de puissants et agissants appuis. Cette exaspération du sentiment religieux allant jusqu'à l'hérésie est un trait à retenir.

---------Autre trait à retenir : les rivalités entre les personnes ou entre les clans, aussi difficiles à expliquer qu'à apaiser. Ces rivalités, ces haines, semblent dues, la plupart du temps, à la jalousie et au désir d'indépendance : ne pas céder volontairement devant le voisin est un sentiment qui atteint aisément son paroxysme en terre berbère.

---------Les conditions géographiques elles-mêmes y contribuent. Nulle part ce sentiment n'est plus puissant, plus ardent, plus vivace, que dans certaines régions montagneuses où la rudesse de la vie laisse aux habitants leurs caractères primitifs dans toute leur violence. Certaines régions de l'Algérie ont été de tout temps le refuge des Berbères animés de la passion de résister à toute pénétration guerrière ou pacifique : les Romains, comme après eux les Arabes et les Français, ont eu à compter sérieusement avec le Djurdjura, la Kabylie, l'Ouarensenis, l'Aurès, comme, au Maroc, avec le Riff.

---------Il semble que la seule différence d'habitat suffit à donner aux populations des sentiments opposés. De même que, au Maroc, au XIXè et au début du XXè siècles, les habitants de Rabat tremblaient dans la crainte d'une attaque des Zaërs, de même, lors de la décadence de l'Empire romain, les habitants des villes et des plaines avaient à redouter les incursions des montagnards : il n'y avait pas, dans un cas plus que dans l'autre, de haine de races; les habitants des cités « romaines » étaient dans leur immense majorité des Africains romanisés.


---------La permanence de certains caractères fondamentaux des populations de l'Afrique du Nord a en dehors des conditions géographiques, imposé une marche à peu près semblable à toutes les civilisations qui se sont trouvées y prendre pied. L'Algérie fait partie du bassin méditerranéen, et, par suite, elle a été soumise aux divers efforts d'unification qui s'y sont produits. C'est un perpétuel recommencement : les Phéniciens par le commerce, les Romains par la paix romaine, les Musulmans par la foi conquérante, les Turcs par besoin de domination, se sont essayés, en suivant des principes divers, à faire l'unité des pays méditerranéens.

---------Le cas de la France est spécial. Quand, à la fin du premier tiers du XIXè siècle, elle se décida à une action militaire en terre algérienne, elle y fut poussée principalement par la volonté de mettre fin à une situation qui durait depuis des siècles et que les nécessités vitales de l'Europe moderne, comme ses principes, rendaient décidément intolérable. En même temps, elle se trouvait être la principale puissance de la Méditerranée occidentale, et, dans une certaine mesure, les circonstances lui imposaient la mission civilisatrice que d'autres avaient remplie autrefois.

---------Enfin, l'affirmation plus ou moins consciente du sentiment national dans la plus grande partie de l'Europe, le fait que la France était la plus forte des puissances européennes parvenues à achever leur unité, devaient donner à son expansion une forme nouvelle qui se réalisa en Algérie.

---------Quant au processus de pacification, il se développa jusqu'à des limites non encore atteintes auparavant, mais il prit une allure analogue à ce qu'on avait déjà constaté dans le passé, notamment à l'époque romaine. Une circonstance précise provoque la première intervention . Et peu à peu l'entreprise grandit de par la nécessité de protéger les portions de la population qui se rallient à l'action pacificatrice. On aurait bien surpris Charles X et ses ministres si on leur avait dit que le débarquement à Alger conduirait leurs successeurs jusqu'au Tchad. Mais la pacification de l'Algérie, puis la pénétration saharienne étaient une nécessité : en se substituant à l'administration turque, la France acceptait la tâche de rendre aux populations indigènes, avec des possibilités de vie plus large, une complète sécurité Le problème était d'envergure, puisque si, par le Nord, l'Algérie touche à la Méditerranée, elle touche, par le Sud, à une sorte de mer intérieure, le Sahara, dont les riverains, plus encore que ceux de la Méditerranée, ne peuvent trouver la sécurité que dans l'unité.