mise sur site le 7-09-2003
-L'Algérie jusqu'à la pénétration saharienne : deuxième partie
L'Algérie et l'Islam
Cahier I du Centenaire de l'Algérie
par M.J.M. BOURGET, ancien élève de l'École Normale Supérieure
,
agrégé de l'Université,
capitaine d'infanterie honoraire
Rédacteur militaire du "Journal des Débats"

Publications du Comité National Métropolitain du Centenaire de l'Algérie
Alger, 1930
collection personnelle.

n.b : tous ces textes ont été passés à l'OCR, je ne les pas vérifiés minutieusement. Veuillez pardonner les erreurs éventuelles, vous pouvez même me les signaler.Merci
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DEUXIÈME PARTIE

L'ALGÉRIE ET L' ISLAM

I.-L'introduction de l'Islam en Algérie

-------La première grande invasion arabe se produit en Algérie à la fin du vite siècle et l'islamisation commence dès le début du siècle suivant. Le flot musulman déferle sur toute l'Afrique du Nord, souvent à la suite d'appels qui en viennent. L'Algérie musulmane n'a pas d'existence propre. Elle se trouve influencée et dominée par des États qui se fondent soit à l'Ouest, soit à l'Est, soit en Espagne Ommeyades de Cordoue, Fatimides de Kairouan, Almoravides, Almohades.

-------La nomenclature géographique enregistre elle-même ce fait. Elle ne comporte que deux noms : l'Ifrigya et le Maghreb. Dans le premier, qui désigne la Tunisie et la partie orientale de l'Algérie, on retrouve l'ancien nom de la province romaine d'Afrique. Le second désigne les pays d'occident, que l'on divise en Maghreb central (départements actuels d'Alger et d'Oran) et Maghreb extrême (Maroc).

-------Il se constitue cependant, à différentes époques, des royaumes algériens, en ce sens que leur territoire est situé dans les limites de l'Algérie actuelle; mais ils sont très loin d'englober toute celle-ci. Leur existence est souvent menacée par les puissants voisins de l'Est et de l'Ouest.

-------Les invasions, puis les guerres, avec les mouvements de population et l'insécurité qu'elles entraînent, aboutissent à un état d'instabilité qui provoque un affaiblissement indéniable du pays et une diminution de ses ressources. Aussi, au XVè siècle, quand la « Reconquista » espagnole met en péril les destinées africaines, les villes et les petits États algériens se trouvent incapables de lutter seuls contre les chrétiens. C'est ainsi qu'Alger appelle les frères Barberousse. La domination turque, bien vite exécrée, amène entre l'élément berbère et l'élément arabe une fusion plus complète que par le passé.

-------Comme les Romains, les Arabes semblent avoir éprouvé quelque hésitation à pénétrer en Afrique du Nord. Omar, le second Khalife, le grand conquérant et organisateur musulman, vainqueur des Byzantins et des Persans, s'opposa jusqu'à sa mort (644) à ce que la Tripolitaine fût dépassée vers l'Ouest.

-------Sous son successeur Othman, qui avait levé l'interdiction, le gouverneur de l'Égypte lança les premières reconnaissances contre l'Ifriqya. Elles se heurtèrent seulement aux Byzantins, les Berbères ne prenant pas part à la lutte, et aboutirent à la victoire des Arabes, près de Sufetula (647) : dans la bataille, le Patrice Grégoire fut tué; mais les Arabes ne s'installèrent pas dans le pays.

-------Ils y revinrent dix-sept ans plus tard, appelés par le successeur du Patrice Grégoire en lutte avec un compétiteur. Ils n'atteignirent pas encore les régions algériennes d'aujourd'hui, pas plus qu'au cours de la troisième expédition dans laquelle Oqba ben Nafi se heurta pour la première fois à la résistance des Berbères : du moins le futur conquérant laissa-t-il une trace matérielle de son passage e n fondant Kairouan.

-------Abou'l Mohajir, qui succéda à ce moment à Oqba dans la direction des opérations militaires en Afrique du Nord, â trouva encore devant lui les Berbères appelés aux armes par l'un d'entre eux, Kossayla, qui se convertit à l'islamisme et apostasia plusieurs fois, et fut battu près de Tlemcen.

-------Peu après (681) se produisit à travers le Maghreb la grande chevauchée héroïque d'Ogba, rappelé au commandement par un nouveau Khalife. Les poètes et les chroniqueurs ont embelli cette glorieuse et légendaire expédition : elle mena Oqba, après plusieurs victoires sur les Berbères, à Ceuta, d'abord, que lui livra le gouverneur byzantin, puis jusqu'à l'Atlantique dans le Sous.

-------Pour rentrer à Kairouan, le conquérant divisa son armée en deux fractions. Kossayla,, dont Oqba avait fait son prisonnier, réussit à recouvrer sa liberté. Il réunit les Berbères, les Byzantins, gagna les montagnards de l'Aurès . Tous se jetèrent sur Oqba, qui fut battu et tué à Tehouda (près de Biskra). Kossayla entra à Kairouan, d'où il fut chassé par une nouvelle armée arabe (688). La bataille de Tehouda avait montré que Berbères et Byzantins unis pouvaient être redoutables. Il importait d'en finir au plus vite avec l'un de ces deux adversaires, Les Arabes s'attaquèrent d'abord aux Byzantins. En 697, Hassan ben en Noman, à la tête d'une armée importante, s'empare de Carthage; les Byzantins de Constantinople sentent le danger et reprennent la ville. Succès sans lendemain : l'année suivante Carthage tombait de nouveau aux mains des Arabes. C'était la fin de la domination byzantine en Afrique du Nord.

-------Contre les Berbères, la lutte fut plus longue et plus difficile. Ses épisodes sont mal connus, et on se trouve surtout en présence de légendes. La plus célèbre est celle de la Kahina, prophétesse qui commandait aux tribus de l'Aurès; elle est présentée comme juive; ce qui est certain, c'est qu'elle n'était pas chrétienne; elle adorait peut-être les anciens dieux que saint Augustin s'était efforcé de faire disparaître. Elle battit Hassan ; et, de tous les nobles musulmans qu'elle captura, elle ne garda que le seul Khalid ben Yazid. La légende veut qu'elle ait eu deux fils, l'un berbère, l'autre grec : elle entendit faire de Khalid leur frère : on voit la valeur du symbole.

-------La Kahina ne se serait pas fait d'illusion sur la portée probable de son succès sur Hassan. Désespérant de le renouveler dans la bataille, elle résolut d'empêcher l'invasion en faisant le désert devant les Arabes; elle ordonna des destructions systématiques dans les plaines environnant les villes. Il est vraisemblable que la légende a ici enjolivé de simples razzias exécutées par les montagnards de l'Aurès momentanément débarrassés de la menace arabe.

-------En tout cas, le procédé attribué à la Kahina n'eut aucun succès. Les dévastations ne firent que lui aliéner la population des villes: elles ne réussirent pas à arrêter la marche d'Hassan ben en Noman qui revint dans le pays et mit en complète déroute les Berbères soulevés par la Kahina.

-------Un certain nombre de conversions à l'Islam s'étaient déjà produites, comme le montre l'exemple de Kossayla, quand les Arabes, au début du VIIIè siècle, entreprirent l'islamisation systématique des Berbères. Le prosélytisme arabe se manifestait en liant étroitement la religion et la guerre : il s'agissait, par la violence et la conquête, de propager la foi.

-------Les grandes expéditions militaires, comme celle qui mena d'un bout à l'autre de l'Afrique du Nord Mousa ben Noçayr, comportaient la capture de nombreux prisonniers Les populations avaient le choix entre la conversion et l'exil ou la mort. La conversion s'accompagnait en principe de l'acquisition des droits communs à tous les musulmans, notamment la dispense de la capitation (jiziya) et de l'impôt foncier (kharadj). Ce procédé fut employé systématiquement à partir de 718.
Cependant, et l'exemple de Kossayla le montre encore, en dépit des avantages acquis aux nouveaux convertis, les conversions n'étaient pas toujours durables. Suivant un texte célèbre, les Berbères apostasièrent douze fois en 70 ans. C'est alors qu'intervint à leur profit l'application d' un autre principe de la guerre sainte : les territoires nouveaux, soumis par les armes, restaient la possession des conquérants. C'est ainsi que, mêlant la foi à l'intérêt, les Berbères furent lancés à la conquête de l'Espagne.

-------Ceux qui restèrent en Afrique du Nord, et en Algérie, furent contraints d'accepter la domination arabe, qui, outre la religion, comportait l'adoption de la langue du vainqueur. Ce nouveau changement linguistique fut admis sans plus de difficulté et dans les mêmes conditions que les changements antérieurs : les sédentaires et les gens des villes s'y plièrent aisément; les montagnards des massifs difficiles à réduire continuèrent à parler leur langue. Néanmoins l'islamisation de l'Algérie connut des débuts rapides.

II.-Le Royaume de Tahert (VIII-IXè siècles)

-------Le royaume de Tahert est le premier État indépendant qui se soit formé sur le territoire de l'Algérie musulmane. Sa constitution a trouvé en partie son origine dans un mouvement berbère dirigé contre l'occupant arabe. Mais elle ne représente rien qui puisse se comparer à une réaction contre l'Islam triomphant. Au contraire, son fondateur appartenait à une secte qui se piquait de rétablir l'islamisme dans toute sa pureté originelle.

-------Au début du VIIIè siècle, à l'époque où l'Islam s'affermissait en Afrique du Nord, les causes de malentendus entre Arabes et Berbères étaient nombreuses. Ceux-ci auraient accepté la domination de ceux-là si les nouveaux maîtres n'avaient ouvertement marqué leur dédain pour les populations conquises, dédain que ne compensaient pas des bienfaits matériels dus à l'administration du territoire.
La politique des gouverneurs qui régnaient sur les pays au nom des Khalifes ne paraît pas avoir été non plus très habile. La faute ne leur incombe peut-être pas personnellement, mais elle eut des conséquences graves. Pour mener la guerre sainte, l'Islam avait besoin d'argent. Ce besoin devint bientôt si pressant que, adoptant un expédient déjà utilisé ailleurs dans l'empire musulman, mais contraire aux règles normales de l'Islam, le représentant du Khalife décida que les nouveaux convertis auraient, même après leur conversion, à payer la capitation et l'impôt foncier.

-------Le mécontentement grandit vite et aboutit à l'assassinat du gouverneur Yazid, suivi de révoltes sur plusieurs points et pendant une période assez longue.

-------Les Arabes, en effet, étaient divisés entre eux. Le grand effort de Mahomet, on le sait, avait eu d'abord pour but de faire l'unité entre les différentes tribus. Maintenue dans la guerre sainte, pour elle et par elle, cette unité tendit rapidement à s'affaiblir, Les Arabes installés en Afrique du Nord n'avaient pas entièrement perdu le souvenir des haines qui avaient longtemps armé leurs tribus les unes contre les autres. L'installation des Khalifes à Bagdad, en éloignant le pouvoir central de l'Afrique du Nord, laissait le champ libre à ces dissensions intestines auxquelles les Berbères se trouvèrent mêlés.

-------Un mouvement populaire, pour être redoutable, doit avoir pour substrat une grande idée. Les exactions des gouverneurs n'auraient pas suffi sans l'influence du Karidjisme. Rappelons brièvement les origines de cette secte.

-------Ali, quatrième successeur du Prophète, dont il avait épousé la fille aînée Fatima, avait été élu par les gens de Médine (656), ce qui lui valut l'inimitié des gens de la Mecque. Ceux-ci cherchèrent des appuis; le principal adversaire d'Ali fut le gouverneur de Syrie, Moawya, de la famille des Ommeya, soutenu par la « Mère des fidèles », Aicha, la femme favorite de Mahomet. La lutte entre Ali et Moawya enraya les conquêtes de l'Islam Dans le camp même d'Ali, l'unité ne dura pas; en face des gens de son parti (Chia), légitimistes ne voulant reconnaître le droit au Khalifa qu'à lui et à ses descendants parce qu'ils étaient du sang du Prophète, se dressèrent des musulmans qui entendaient rester fidèles aux principes fondamentaux de l'Islam démocratique et égalitaire, en particulier au principe de l'élection du Khalife, choisi seulement en vertu de ses qualités religieuses. Ceux-ci s'appelèrent les Kharidjites, « Ceux qui sortent sur le chemin de Dieu ».

-------Ali périt assassiné en 661, mais sa mort n'amena pas la fin du Kharidjisme. Loin de là. Les Kharidjites, bientôt divisés eux-mêmes en deux sectes, les Cofrites et les Abadhites, se livrèrent à une propagande intense dans toutes les parties de l'Empire musulman. Ils envoyèrent des émissaires qui prêchèrent non seulement la révolte contre le Khalife, mais l'observation rigoureuse de la doctrine. Leur attitude dans l'Islam a été comparée à celles des puritains dans le protestantisme.

-------Des émissaires Kharidjites vinrent en Afrique du Nord. Il y vint aussi de véritables colonies d'émigrés Kharidjites qui s'y établirent et continuèrent la propagande. Les Berbères ont toujours eu un sentiment développé de l'égalité, et le dédain des Arabes, ainsi que les mesures vexatoires des gouverneurs, les préparait à accueillir une doctrine qui, tout en flattant leurs sentiments intimes, tendait à rétablir les bases véritables de la religion. Leur mouvement fut un mouvement Kharidjite, au moins autant qu'une réaction nationale.

-------Aussi, quand une tribu du sud tunisien, les Ourfedjouma, se jeta sur Kairouan, elle eut l'appui des Çofrites. La ville prise, ceux-ci se rendirent intolérables par leurs actes. Pour en venir à bout, on fit appel à des Abadhites de Tripolitaine qui envoyèrent, pour rétablir l'ordre et gouverner le pays, le persan Ibn Rostem, un Kharidjite vivant parmi eux.

-------Mais les luttes provoquées par le Kharidjisme continuaient encore: les musulmans malékites d'Égypte constituèrent une armée destinée à extirper l'hérésie de l'Ifrigya. Cette armée marcha d'abord sur Kairouan, d'où elle chassa Ibn Rostem (761). Le nouveau gouverneur, Ibn et Achath, poursuivit sa tâche et réussit assez vite à faire disparaître, au moins en apparence, les Kharidjites de l'Ifrigya. Un de ses successeurs voulut rétablir l'orthodoxie dans le Maghreb: mais, dans le Zab, il se trouva encerclé par les Kharidjites, dont il ne put empêcher une partie de venir assiéger Kairouan et même de l'occuper un certain temps.

-------Parmi les Kharidjites ligués contre lui se trouvait Ibn Rostem, qui, après sa fuite de Kairouan en 761, avait fondé, près de Tiaret, la ville de Tahert, et organisé dans la région un État indépendant.

-------Cet État, dont le fondateur avait entendu restaurer la doctrine primitive, était gouverné par un Imam, un « directeur de la prière ». Son pouvoir est fondé uniquement sur ce titre, qui lui confère une autorité absolue, mais à condition que ses décisions soient toujours conformes au Coran et aux traditions. De ce fait, il est soumis à l'autorité morale, mais effective, de la caste religieuse locale, qui s'est peu à peu constituée, et à celle des autres communautés abadhites existant dans le monde musulman. En cas de dissentiment entre l'Imam et cette caste, dissentiment dont les conséquences peuvent être fort graves, puisqu'il s'agit toujours, étant donné la forme du gouvernement, d'une question intéressant la religion, on fait trancher la difficulté par une communauté de l'extérieur, par les Abadhites d'Orient.

-------À la vérité, le principe plébiscitaire n'était pas entièrement respecté : les Imams de Tahert, élus conformément aux principes, appartenaient toujours à la même famille. Mais c'est, semble-t-il, la seule entorse donnée à la pure doctrine. La rigidité des mœurs dans l'État de Tahert fait l'étonnement d'une ambassade des Abadhites de Bassorah, qui se voit refuser des cadeaux précieux; peut-être ne faut-il voir dans cette anecdote qu'une légende elle serait une nouvelle preuve du fréquent désir des « hérétiques » de marquer la différence entre leur vie simple et le luxe déployé par les " orthodoxes " (en l'espèce les Aghlabides de Kairouan).

-------Cette simplicité de vie n'empêcha pas les gens de Tahert de s'adonner à l'étude des sciences religieuses ou profanes. Parmi celles-ci l'astronomie paraît avoir été particulièrement en honneur.

-------Elle n'empêcha pas non plus une vie commerciale et agricole assez développée. A côté des théologiens, des " laïcs " donnent à l'État une prospérité matérielle indéniable. De par sa situation, Tahert est en relation avec les sédentaires du Nord comme avec les nomades du désert, et elle intervient fructueusement dans le trafic qui s'établit entre eux par son intermédiaire. Des Abadhhites orientaux viennent s'y établir et y introduisent un certain luxe.

-------L' État de Tahert n'a pas laissé de traces matérielles de son existence. Il paraît cependant avoir vécu plus paisiblement que l'autre royaume de l'Algérie kharidjite, fondé à Tlemcen par Abou Qorra, et assez mal connu. Ni l'un ni l'autre, d'ailleurs, ne saurait être comparé aux puissants royaumes des Idrissides de Fez et des Aghlabides de Kairouan, qui donnèrent à l'Islam en Afrique du Nord un éclat incomparable au IXè siècle.

III.-L' État Hammadite (Xè-XIIè siècles)

-------Les hérésies jointes aux ambitions personnelles continuaient à ébranler l'Islam en le morcelant. Tahert, née dit Kharidjisme, périt par le Chiisme.

-------La Chia légitimiste du quatrième Khalife, Ali, appelait au pouvoir ses descendants, les Fatimides. Les Chiites vivaient dans l'espoir d'un Mahdi et se livraient en sa faveur à une ardente propagande. Un de leurs émissaires, Abou Abdallah, crut discerner les instruments de Dieu dans les Kotamas, montagnards de la Petite Kabylie. De fait, ceux-ci réussirent à prendre Kairouan, Tahert (909) et à ramener à Kairouan un Mahdi Fatimide, alors prisonnier chez un prince kharidjite du Tafilalet.

-------Ce fut l'origine de nouvelles luttes. Les Algériens furent englobés dans la rivalité entre les Ommeyades de Cordoue et les Fatimides de Kairouan, et se divisèrent pour suivre le parti de ceux-ci ou de ceux-là. Aux Kotamas Chiites se joignirent les Senhadja, sédentaires de l'actuel département d'Alger, s'étendant jusqu'au Hodna, qui se rallièrent aux Fatimides; leur principal ennemi était le bloc des Zenata, nomades ayant leurs terrains de parcours plus à l'ouest et au sud, fidèles aux Ommeyades. Les Senhadja, et au premier rang les Beni Ziri, l'emportèrent.

-------Les Beni Ziri s'occupèrent alors de faire régner la sécurité sur leur territoire. Ils y arrivèrent en bâtissant des forteresses, dont la principale, Achir, dans les Monts du Tittery, devint leur capitale.

-------Ils restèrent fidèles aux Fatimides et allèrent les soutenir en Ifriqya. Les nouveaux maîtres de Kairouan n'avaient pas tardé, pour subvenir aux besoins de la guerre, à lever des impôts non coraniques. D'où leur impopularité, qui trouvait un autre aliment dans le ressentiment des Kharidjites et des Malékites. Une révolte se produisit chez les Berbères, menée par Abou Yazid, l'homme à la chèvre, qui, ayant étudié à Tahert, rêvait de chasser les Fatimides et d'établir un régime théocratique. Il en résulta une crise grave qui dura de 943 à 947. Abou Yazid marcha sur Kairouan, puis sur Mahdiya, port construit sur la côte tunisienne où se réfugièrent les Fatimides. Les Beni Ziri délivrèrent la ville, poursuivirent Abou Yazid, et le prirent dans les hauteurs dominant le Hodna. Le projet des Fatimides était de répandre le Chiisme en Orient, et d'abord en Égypte. Après un premier échec, ils reprirent leur dessein. Pour assurer leur liberté de mouvement, ils confièrent l'Ifriqya à Bologguin, fils de Ziri. Tout en tenant leur place, celui-ci devait continuer la lutte contre les Zenata. Tâche écrasante, que son fils désespéra de mener à bien : à son tour, usant du même procédé que les Fatimides, il abandonna une partie de son territoire, le Maghreb central, à son oncle Hammad, avec mission de contenir les Zenata, lui-même s'installant à Kairouan.

-------Hammad ne tarda pas à vouloir se rendre indépendant. Il fonda dans les hauteurs du Hodna la Qala des Beni Ziri, qui, à l'origine simple forteresse, se développa et devint une véritable capitale. En 1017, après une guerre, le sultan de Kairouan dut reconnaître l'indépendance de l'État Hammadite.

-------La Qala, peuplée d'abord grâce à des déportations en masse, connut une grande prospérité. Cette prospérité, certaine et brillante, mais éphémère, lui vint en partie de ce qui devait causer sa ruine et celle de l'Algérie : l'invasion des Arabes hilaliens. Les Senhadja de Kairouan, dont les convictions chiites étaient devenues assez tièdes, n'avaient pas tardé à rompre avec le Fatimide d'Égypte. Occupé de ses projets orientaux, celui-ci lança contre eux les nomades hilaliens, alors cantonnés dans la Haute-Egypte. Le sultan de Kairouan les accueillit d'abord favorablement; mais ils ne tardèrent pas à être les maîtres. Les Beni Ziri durent abandonner Kairouan, pour se retirer, comme avant eux les Fatimides, à Mahdiya.

-------La ruine de Kairouan profita d'abord à la Qala Hammadite. Un flot d'émigrés vint augmenter sa population. Il en arriva même d'Égypte et de Syrie, du Hedjaz, et de l'Irak L' Émir En Nacir put ainsi faire de la Qala une capitale, avec dés monuments très importants (Palais du Fanal, Palais de la Mer), aussi remarquables par leurs proportions architecturales, que par leur décoration.

-------Mais l'invasion hilalienne continuait : sans cesse de nouvelles tribus arrivaient, et les nomades poussaient de l'avant, détruisant tout sur leur passage : à leur tour, les Hammadites durent céder la place, ou tout au moins chercher un refuge sur la côte. En 1090, El Mançour se réfugia à Bougie. Il n'était pas, à vrai dire, complètement chassé de la Qala, et, pendant un certain temps, les Hammadites eurent deux capitales.

--------Ils firent de Bougie une ville florissante. Sous la pression des circonstances, ces terriens se tournent vers la mer. Ils encouragent d'abord le commerce, particulièrement avec l'Orient. Des chantiers de construction bâtissent des galères rapides et des bâtiments de transport. Le commerce de Bougie s'étend avec l'Europe : ses souverains établissent des relations diplomatiques même avec le Pape. Mais, dans la Méditerranée, ils se rencontrent avec les Normands; et leurs rapports avec eux ne tardent pas à devenir hostiles. Le vieil atavisme guerrier finit par reprendre le dessus : ils se livrent à la piraterie. Du moins, d' après les chroniques, la Bougie hammadite rappelait-elle les splendeurs de la Qala. Il n'en reste plus trace aujourd'hui.

-------La grandeur des deux villes hammadites, puis leur décadence, eurent pour cause directe, on le voit, l'invasion des Arabes hilaliens. Cette invasion représente le plus important apport de sang arabe dans l'Afrique du Nord. On a calculé qu'il est venu environ un million de ces nomades. La façon dont ils s'établirent dans le pays a eu plus d'influence que leur nombre.

-------Bien qu'agitée et déchirée encore par des guerres, l'Afrique du Nord, aux IXè, Xè et XIè siècles, avait connu une civilisation sinon originale (les influences orientales sont très nettes), du moins assez développée et florissante : un dernier reflet de la prospérité romaine illustrait le pays. Avec les Hilaliens, le tableau change et s'assombrit. Parlant des Hilaliens, Ibn Khaldoun a écrit : « Tout pays conquis par les Arabes est ruiné. » La future Tunisie, envahie la première, fut effectivement ruinée, et l'Algérie orientale eut le même sort.

-------Avant l'arrivée des Hilaliens, les souverains de l'Afrique du Nord semblent avoir éprouvé des difficultés toujours croissantes à recruter les guerriers nécessaires pour faire reconnaître leur autorité dans les pays qui leur étaient en principe soumis, et pour se défendre contre leurs voisins. Les nomades fournissaient des contingents tout disposés à se battre. Dans bien des cas, ils intervinrent donc à la demande des Berbères. Mais les Fatimides, en les lançant sur l'Ifrigya, leur avaient concédé, suivant l'usage, la propriété des territoires qu'ils viendraient à conquérir. Par la suite, en se mettant au service de tel ou tel chef ou prince, les Hilaliens acquirent des avantages comparables à ceux des " tribus maghzen " des époques récentes : mariages entre les familles de leurs chefs et celles des roitelets secourus, surtout concessions de terres ou de revenus spéciaux, sous des formes variables, mais voisines des usages féodaux. Ces avantages ne purent leur être acquis qu'au détriment des populations anciennes. L'insécurité, l'instabilité revinrent plus que jamais à l'ordre du jour : l'agriculture disparut, ainsi que le commerce normal.

-------L'invasion hilalienne ouvrit une période de désordres et de combats. Car, en même temps que la ruine de Kairouan, puis de la Qala, elle produisit un reflux des nomades Zenata, qui commença la dévastation. L'Ifrigya ne s'en releva pas. Le Maghreb central ne connut plus d'État indépendant pendant de longues années. Le flambeau de la civilisation passa, avec la puissance politique, aux dynasties occidentales des Almoravides et des Almohades.

 
IV.-Le Royaume de Tlemcen (XIVè-XVè siècles)

-------Les dynasties almoravide, et almohade, qui ont brillé surtout en Espagne et au Maroc, et: laissé des traces imposantes sur la terre algérienne, doivent, elles aussi, leur naissance à une idée religieuse.

-------Les futurs Almoravides, Senhadja nomades du désert, commencèrent par lutter contre les païens du Sahara. Ayant découvert, au cours d'un pèlerinage à la Mecque, qu'ils ne connaissaient pas suffisamment la doctrine de l' Islam, certains de leurs chefs demandèrent un réformateur, qui . fut Ibn Yasin. Celui-ci instaura un système comprenant, d'une part, la soumission à l'élément religieux, d'autre part, la vie dans des casernes (ribat, d'où le nom de morabitoun et, par corruption, almoravides) et un dévouement absolu au triomphe de l'Islam.

-------Ils se développèrent d'abord au Maroc, combattant les enata Maghraoua alors maîtres de Fez. Dans la seconde moitié du XIè siècle, Ibn Tachfin, d'ailleurs très soumis à l'élément religieux, se rendit maître de Tlemcen, puis d'Oran, de Ténès, de l'Ouarensenis et finalement d'Alger (1082). Appelé en Espagne deux ans plus tard par le sultan de Séville, il réduisit les Espagnols à l'impuissance au bout de quatre expéditions, mais il resta dans le pays et prit la place des princes qui l'avaient appelé.

-------La brillante civilisation des Almoravides resta fidèle à ses origines sur un point au moins, le sentiment religieux très développé. Ibn Tachfin lui-même fit construire des mosquées notamment à Nedroma et à Alger. Son successeur créa la grande mosquée de Tlemcen, que le temps a respectée presque entièrement, et amorça le développement de la ville.

-------Les Almoravides étaient malékites, ce qui provoqua la réaction des Almohades. Leur premier chef, le Berbère Ibn Toumert, jeta les bases de son système à Tinmel, dans les chaînes occidentales de l'Atlas marocain (entre Marrakech et Taroudant). II entendait organiser le monde musulman d'après les principes largement interprétés du Coran et de la tradition. Une des caractéristiques est l'emploi du berbère comme langue religieuse.

-------L'empreinte religieuse primitive persista chez les Almohades ; mais elle fut par la suite une cause de difficultés intérieures : les cheikhs dépositaires de la pensée d'Ibn Toumert s'opposèrent au chef militaire et politique. Ces difficultés n'empêchèrent cependant pas le premier successeur d'Ibn Toumert, Abd el Moumin, de fonder l'empire des Almohades.

-------En peu d'années, tout en combattant au Maroc et en Espagne, Abd el Moumin se rendit maître du Maghreb central. Appelé d'abord par un clan Zenata (les Ouamamou) en lutte contre le gouverneur almoravide, il battit celui-ci près de Tlemcen et occupa Oran (1145). Sept ans plus tard il s'empara de Bougie, les Hammadites n'ayant pu tenir la campagne et leur armée ayant pris la fuite à la simple vue de son avant-garde. Au retour, il fut attaqué par les Hilaliens qui, malgré leur supériorité numérique, se dispersèrent au matin du quatrième jour de bataille. En 1158 une nouvelle campagne donnait l'Ifriqya à Abd el Moumin.

-------L'Algérie reçut une véritable organisation administrative. Divisée en deux provinces ayant pour villes principales l'une Bougie et l'autre Tlemcen, elle fut soumise au système financier des Almohades. Pour subvenir aux besoins de la guerre, ceux-ci ne purent se contenter des impôts coraniques et du butin : ils perçurent l'impôt foncier (kharadj) et organisèrent à cet effet un système d'arpentage. Le maintien de l'autorité était confié à des tribus, qui, suivant l'usage implanté dans le pays, eurent les charges et les avantages des tribus maghzen. Ce furent les Zenata Beni Abd el Ouad à Tlemcen, une tribu arabe à Bougie.

-------On connaît la fortune des Almohades en Espagne et au Maroc. L'Algérie fut quelque peu laissée de côté : l'empire était trop vaste. Dès 1184, les deux frères Ali et Yahya Beni Ghaniya, apparentés aux anciens émirs almoravides, entamèrent la lutte dans la région de Bougie. Après avoir pillé la Berbérie, ils se jetèrent sur Tunis, et, quand ils en furent chassés, continuèrent à ravager notamment la vallée du Chélif, la région d'Alger, le Sahel, et les environs de Bougie.

-------La disparition des frères Beni Ghaniya ne ramena pas le calme en Algérie : les faiblesses de l'empire almohade subsistaient. Elles aboutirent à la division de l'Afrique du Nord. Suivant l'expédient ordinaire, les Almohades commencèrent par confier l'Ifrigya, avec pleins pouvoirs, aux Beni Hafç, descendants d'un des compagnons d'Ibn Toumert, qui se proclamèrent indépendants dans Tunis. Leur Etat engloba sur le territoire algérien Bougie et Constantine. Au Maroc se constitua le royaume des Beni Merin (Zenata nomades du désert). Entre les deux, les Beni Abd el Ouad de Tlemcen cherchèrent eux aussi à assurer leur indépendance.

-------Le royaume de Tlemcen mena une existence agitée entre ses deux voisins qui, l'un et l'autre, revendiquaient son territoire en souvenir de la puissance almohade. De plus, l'émir de Tlemcen et le souverain mérinide du Maroc sont tous deux des Zenata : ils ont hérité de vieilles querelles datant de l'époque où les ancêtres vivaient au désert.

-------Yaghmorasan Ben Zaïan, le premier émir de Tlemcen, est vassal des Mérinides. Il est attaqué par les Beni Hafç, qui envoient une armée sous Tlemcen. En même temps il est menacé par le Marocain. Toute son existence et celle de ses successeurs va se passer à contenir le voisin de l'ouest et à chercher l'extension du territoire vers l'est, vers le Chélif et Bougie. Programme tellement difficile qu'il pousse les descendants de Yaghmorasan aux expédients politiques les plus surprenants : l'un d'eux va jusqu'à conclure une alliance avec le roi musulman de Grenade et avec le roi chrétien de Castille, acceptant le rôle ingrat d'écarter les Mérinides de l'Espagne par des diversions sur leur frontière orientale.

-------À ce jeu, les descendants de Yaghmorasan ne connaissent guère l'indépendance. Ils sont parfois vassaux du Mérinide ou du Hafçide, parfois même chassés de leur domaine; leur ville est fréquemment assiégée; leur palais est une forteresse : le Méchouar. A ces sièges souvent prolongés, Tlemcen gagne d'être agrandie. Les Marocains installent leur camp aux environs, et ce camp devient une ville, Tlemcen-la-Neuve, Mançourah. Les deux souverains rivalisent de luxe chacun pour sa ville.

-------Il se présente parfois des chances favorables. La grande chevauchée d'Abd el Moumin, fondateur de la dynastie almohade, a laissé des souvenirs chez les Mérinides du Maroc : en 1347, l'un d'eux, Aboul Hassan, se lance sur les traces glorieuses du successeur d' Ibn Toumert et rêve de soumettre toute l'Afrique du Nord. Il atteint effectivement l'Ifrigya, mais il est battu près de Kairouan (1348). Le prétendant Beni Abd el Ouad rentre à Tlemcen. Aussitôt il reprend la politique traditionnelle d'hostilités à l'ouest et à l'est, et ne réussit pas mieux que ses prédécesseurs.

-------Ce n'est qu'un exemple. La vie du royaume de Tlemcen n'est politiquement qu'une succession de coups d'État, de fortunes subites et de revers soudains. Les prétendants de tout ordre se disputent la ville, pour le plus grand profit des Hilaliens, qui restent toujours les hommes de main et se trouvent être les instruments ordinaires et les principaux bénéficiaires des restaurations successives.

-------Malgré toutes ces traverses, Tlemcen trouva le moyen de devenir une cité commerciale et industrielle florissante, en même temps qu'un centre d'études très vivant. Le développement de son commerce est dû à sa situation comme point de transit avec le pays des noirs, d'où elle recevait de l'ivoire, de l'or, des esclaves, qu'elle échangeait avec des objets fabriqués, surtout des armes, et contre des chevaux. Son industrie était limitée aux tissus, mais ces tissus étaient réputés. Les bourgeois de la ville étaient riches et le trésor du souverain participait à cette richesse. Les fêtes égayaient le Méchouar. Les monuments ornaient la ville. Il en reste des traces, moins nombreuses que celles qu'ont laissées les Mérinides à Mançourah, mais suffisantes pour donner une idée de l'art tlemcenien, fortement influencé, d'ailleurs, par l'art andalou. Les médersas de Tlemcen abritaient de nombreux étudiants, dont les études théologiques étaient teintées de mysticisme : le plus fameux de ces ascètes, Sidi Mou Medyen, a sa sépulture tout près de la ville, à El Eubbad.

V.-La Domination Turque


-------L'éclat d'une ville comme Tlemcen ne saurait pallier l'état de faiblesse dans lequel des luttes perpétuelles avaient mis l'Algérie. Cet état devint manifeste quand les Espagnols, ayant chassé les musulmans de leur pays, entreprirent de les poursuivre sur la terre africaine.

-------Dans les premières années du XVè siècle, les Espagnols occupent Mers et Kébir (1505), Oran (1509). Bougie (1510) et obligent les villes de la côte à envoyer en Espagne des émissaires qui se soumettent au tribut. C'est le cas de Ténès, de Mostaganem, de Cherchell, de Dellys. Alger, ville alors autonome, se laisse même imposer l'humiliation d'une garnison sur l'îlot (alors séparé de la terre ferme) sur lequel s'élève le Penon et où s'installe une garnison espagnole.

-------Si précaire que fût la vie de cette garnison, suspendue aux relations par mer avec la métropole; les Algérois étaient incapables de la chasser. La puissance turque, qui s'était élevée sur les ruines de la dynastie abasside, s'étendait alors sur la péninsule balkanique, l'Asie occidentale, l'Égypte. Cependant les Algérois ne s'adressèrent pas à elle pour obtenir des secours. Ils demandèrent ceux des frères Barberousse.

-------Ces quatre frères, dont deux seulement, Arroudj et Khayr ed Din, appartiennent à l'histoire, étaient des aventuriers. Fils d'un potier de Metelin (Mytilène), ils devaient leur richesse et leur renommée à la piraterie, qu'ils avaient exercée d'abord, avec des alternatives de succès et de revers, en Méditerranée orientale, puis, avec un plein succès, en Méditerranée occidentale.

-------L'aîné, Arroudj, fut appelé d'abord par un prince de la dynastie hafcide, pour reconquérir Bougie. Il échoua une première fois en 1512 et une seconde fois peu après. Mais l'époque était favorable aux aventuriers. Arroudj fit triompher un prétendant en Kabylie, et, avec les 5.000 hommes que lui fournit son obligé, et qui vinrent renforcer ses compagnons, il entra dans Cherchell, puis dans Alger.

-------Là se posait toujours la question du Penon. Arroudj, n'ayant pu la résoudre immédiatement, fut menacé par une grave révolte, qu'il mata énergiquement. Les Espagnols envoyèrent une nouvelle expédition qui échoua complètement. Mais l'événement avait montré les hésitations du sultan de Ténès, et du Beni Abd el Ouad de Tlemcen après avoir soumis dans sa marche Médéa et Miliana, Arroudj les battit l'un et l'autre, et s'installa à leur place. II fut assiégé sans succès par les Espagnols dans Tlemcen et mourut. Mais son domaine était singulièrement étendu.

-------Khayr ed Din Barberousse, son frère, qu'il avait laissé dans Alger, consolida définitivement sa puissance par un acte politique adroit et par la prise du Penon. Il se reconnut le vassal de la Porte, qui lui envoya 2.000 janissaires et permit à 4.000 volontaires turcs de le rejoindre. Quant au Penon, après l'avoir enlevé, il réunit l'îlot à la terre ferme par une digue, donnant ainsi à Alger un port étroit mais sûr. Il quitta Alger pour aller mourir à Constantinople (1546). Il avait désigné comme son successeur I-lassan Agha, avec le titre de beylerbey (émir des émirs).

-------Toute la puissance d'Alger à sa belle époque reposait sur la milice des janissaires, toute sa richesse sur les corsaires. Ces conditions suffisent à expliquer que le gouvernement n'ait jamais pu être fort. La guerre sainte, qui était son principe le plus ferme, ne fut qu'un prétexte à des exactions : à l'extérieur par la course; à l'intérieur par une administration purement fiscale. Le jour où la décadence de la course et de la milice des janissaires fit disparaître le prétexte même, l'Alger turque ne put plus se maintenir et son pouvoir ne fut plus considéré que comme de l'oppression.

-------Le moyen de gouvernement de Barberousse et des beylerbey ses successeurs était la milice (odjaq) des janissaires. C'était une troupe turbulente et bien recrutée à l'origine; tous les grades étaient acquis à l'ancienneté, y compris celui du chef suprême (Agha), qui ne restait en fonction que deux mois. La plupart des janissaires vivaient dans les casernes; ils ne se livraient à aucun exercice militaire, leur emploi du temps étant réglé par années (un an en garnison, un an en colonnes pour aider à la collecte de l'impôt, un an de repos). Ils étaient administrés par un divan, et leurs chefs réussirent à s'introduire dans le grand divan, conseil administratif du beylerbey, avec voix consultative d'abord, puis en prenant une part grandissante au gouvernement.

-------Barberousse lui-même avait eu à se défendre contre leurs rempiétements. Ses successeurs, dont le pouvoir était accru par le fait même de leur éloignement de Constantinople et par l'autorité qu'ils avaient à titre de beylerbeys d'Afrique sur les pachas de Tunisie et de Tripoli, furent dans le même cas. L'un d'eux imagina de former une garde indigène qui fût mieux dans sa main. Ce fait donna lieu au dernier acte effectif de souveraineté de Constantinople, qui, en 1587, remplaça le beylerbey par un pacha nommé pour trois ans, et n'ayant plus autorité sur ses collègues de Tunis et de Tripoli.

-------À cette époque, la course était florissante, et, encouragée par les pachas, qui y trouvaient un bénéfice personnel en même temps que celui du trésor et de la ville, elle prenait une extension toujours croissante. Dès le milieu du XVè siècle, ce fait avait inquiété l'Espagne. Mais la grande expédition de Charles-Quint en 1541, contrariée par la mer, se termina en désastre, et une nouvelle tentative en 1567 n'eut pas un meilleur sort. Le renom d'invincibilité d'Alger commença à s'établir, encore favorisé par la politique française, conciliante et pacifique à l'égard des musulmans. Cette politique ne fut pas sans résultats locaux un consul installé par Henri III obtenait des « concessions » (droit d'établissement dans certains ports) et des privilèges (pêche du corail).

-------Mais les Algériens ne restèrent pas fidèles aux conventions. Les Provençaux, exposés à leurs coups, se défendaient, et leur politique particulière ne correspondait pas à la politique royale. L'instabilité des musulmans et les fluctuations des puissances européennes permirent à la course de devenir vers 1620 un véritable fléau. L'Europe n'arrivait pas à une action concertée : en 1622, les Anglais bombardaient Alger; mais, vers la même époque, un Français, Sanson Napollon, fut sur le point d'obtenir par des négociations l'établissement de relations acceptables entre son pays et Alger. Rien n'y fit, et, vers 1650, on comptait dans Alger environ 30.000 captifs chrétiens enlevés par les Corsaires. Un nouveau bombardement anglais en 1655 restait sans effet.

-------Alger s'enrichissait. Cette richesse même devait faire sa ruine. La corporation des patrons corsaires, sur qui reposait cette prospérité, était en rivalité avec les janissaires; rivalité armée qui dégénérait en émeutes fréquentes. En 1659, la milice l'emporta, et le pacha, réduit à un rôle purement honorifique, fut remplacé en fait, à la tête du gouvernement par l'Agha, chef des janissaires. Caricature de gouvernement : les pouvoirs de l'Agha ne duraient théoriquement que deux mois; dans la pratique, c'était encore pire : tous furent successivement assassinés. La faction des patrons corsaires l'emporta en 1671 et confia le gouvernement à un dey (oncle) nommé à vie : les quatre premiers furent des marins.

-------Mais le beau temps était passé. Ces révolutions affaiblissaient Alger. De plus, sans qu'une action concertée des puissances européennes se produisît, Français et Anglais bombardaient la ville, ceux-ci en 1672, ceux-là en 1683 sous Duquesne, puis en 1688, sous d'Estrées. Chacune de ces opérations en elle-même n'obtenait pas le résultat décisif; dans l'ensemble, et combinées avec des croisières fréquentes, elles arrivèrent à diminuer notablement l'importance de la course. Dès le XVIIIè siècle, le nombre des captifs dans Alger tombait à 2.000.

-------En même temps, le recrutement des Corsaires, comme celui des Janissaires, se faisait plus difficile. Les éléments nouveaux étaient médiocres. Dans cette décadence générale la milice conserva son importance avec sa turbulence; la moitié des Deys furent assassinés, les janissaires, comme les prétoriens de la fin de l'Empire romain, cherchant à percevoir le plus souvent possible le don de joyeux avènement.

-------À ce régime incroyable, Alger ne pouvait retrouver sa splendeur. Une tentative de débarquement espagnol échouait encore dans la seconde moitié du XVIIIè siècle; les petites puissances comme Naples, la Suède, le Danemark, la Hollande, se soumettaient bien à l'humiliation d'acheter la sécurité de leurs vaisseaux; mais les grandes assuraient par la force celle des leurs.

-------Au début du XIXè siècle, il ne restait plus dans Alger que 1.200 captifs, dont, en 1816, la plus grande partie dut être libérée à la suite d'une démarche énergique de lord Exmouth exigeant, au nom des puissances, l'abolition de l'esclavage.
Le gouvernement du Dey subsista, tel qu'il avait été organisé en principe en 1671, jusqu'en 1830. Les pouvoirs du Dey désigné par la milice sont absolus, et, en fait, il est indépendant de Constantinople, qui lui envoie tous les deux ou trois ans un caftan d'honneur. Il est assisté de son « divan » comprenant les cinq « puissances » ou ministres.

-------L'organisation des provinces de la régence paraît rationnelle en principe. Le territoire est réparti entre la province d'Alger, dépendant directement du Dey, et les trois beyliks de l'Ouest (Oran, après la reprise sui les Espagnols en 1792), du Tittery (Médéa), et de l'Est (Constantine). Chaque beylik est subdivisé en outan à la tête desquels se trouve un Caïd turc et qui comprennent des douars, dirigés par les Cheikhs et groupés en tribus. Désignés par le Dey, les beys sont à peu prés indépendants; pour se faire obéir, ils disposent, suivant l'antique usage en Afrique du Nord, de tribus privilégiées qui, en échange des services qu'elles rendent, sont exemptes des impôts non coraniques, auxquelles restent soumises les autres. Des colonnes de janissaires, en cas de besoin, participent à la perception des contributions.

-------Dans la pratique cette organisation ne donne pas grand chose. L'autorité du Dey est bafouée jusque dans la Mitidja. Il n'est même pas en sécurité dans Alger, et, au début du XIXè siècle, il doit abandonner son palais situé dans la principale rue, pour se réfugier à la Casbah. En Kabylie, seule une politique adroite fondée sur une parfaite connaissance des rivalités locales permet aux Turcs de se maintenir. En dépit des procédés brutaux qui sont employés (les janissaires et les tribus Maghzen « mangent » les tribus récalcitrantes), l'argent rentre mal; comme la course ne donne plus, le trésor s'appauvrit et ne vit que grâce aux emprunts consentis par des négociants-banquiers comme les Bacri et les Busnach : de là des compromissions d'où naîtra, en somme, l'expédition française de 1830.

-------L'administration turque ne répara pas les dégâts causés en Algérie par l'invasion hilalienne et les luttes incessantes qui suivirent ; la prospérité, puis la décadence d'Alger ne touchèrent en rien Berbères et Arabes. Seulement, la commune oppression atténua les divergences entre les deux races et provoqua une fusion, en certains cas, assez intime. Mais, en dépit d'un gouvernement réputé unique (et en fait divisé), il ne se constitua pas une âme algérienne. Ce qui subsista, ce fut l'islamisme. Toute prospérité, toute civilisation vivante, a disparu. Il ne reste que des aspirations religieuses mal définies, incapables de produire une évolution vers le progrès, mais douées d'une considérable force de résistance. Les anciens cadres locaux ont disparu, au profit de la classe religieuse des Marabouts.