DEUXIÈME
PARTIE
L'ALGÉRIE ET L'
ISLAM
I.-L'introduction de l'Islam
en Algérie
-------La première
grande invasion arabe se produit en Algérie à la fin du
vite siècle et l'islamisation commence dès le début
du siècle suivant. Le flot musulman déferle sur toute l'Afrique
du Nord, souvent à la suite d'appels qui en viennent. L'Algérie
musulmane n'a pas d'existence propre. Elle se trouve influencée
et dominée par des États qui se fondent soit à l'Ouest,
soit à l'Est, soit en Espagne Ommeyades de Cordoue, Fatimides de
Kairouan, Almoravides, Almohades.
-------La nomenclature
géographique enregistre elle-même ce fait. Elle ne comporte
que deux noms : l'Ifrigya et le Maghreb. Dans le premier, qui désigne
la Tunisie et la partie orientale de l'Algérie, on retrouve l'ancien
nom de la province romaine d'Afrique. Le second désigne les pays
d'occident, que l'on divise en Maghreb central (départements actuels
d'Alger et d'Oran) et Maghreb extrême (Maroc).
-------Il se constitue
cependant, à différentes époques, des royaumes algériens,
en ce sens que leur territoire est situé dans les limites de l'Algérie
actuelle; mais ils sont très loin d'englober toute celle-ci. Leur
existence est souvent menacée par les puissants voisins de l'Est
et de l'Ouest.
-------Les invasions,
puis les guerres, avec les mouvements de population et l'insécurité
qu'elles entraînent, aboutissent à un état d'instabilité
qui provoque un affaiblissement indéniable du pays et une diminution
de ses ressources. Aussi, au XVè siècle, quand la «
Reconquista » espagnole met en péril les destinées
africaines, les villes et les petits États algériens se
trouvent incapables de lutter seuls contre les chrétiens. C'est
ainsi qu'Alger appelle les frères Barberousse. La domination turque,
bien vite exécrée, amène entre l'élément
berbère et l'élément arabe une fusion plus complète
que par le passé.
-------Comme
les Romains, les Arabes semblent avoir éprouvé quelque hésitation
à pénétrer en Afrique du Nord. Omar, le second Khalife,
le grand conquérant et organisateur musulman, vainqueur des Byzantins
et des Persans, s'opposa jusqu'à sa mort (644) à ce que
la Tripolitaine fût dépassée vers l'Ouest.
-------Sous son
successeur Othman, qui avait levé l'interdiction, le gouverneur
de l'Égypte lança les premières reconnaissances contre
l'Ifriqya. Elles se heurtèrent seulement aux Byzantins, les Berbères
ne prenant pas part à la lutte, et aboutirent à la victoire
des Arabes, près de Sufetula (647) : dans la bataille, le Patrice
Grégoire fut tué; mais les Arabes ne s'installèrent
pas dans le pays.
-------Ils y revinrent
dix-sept ans plus tard, appelés par le successeur du Patrice Grégoire
en lutte avec un compétiteur. Ils n'atteignirent pas encore les
régions algériennes d'aujourd'hui, pas plus qu'au cours
de la troisième expédition dans laquelle Oqba ben Nafi se
heurta pour la première fois à la résistance des
Berbères : du moins le futur conquérant laissa-t-il une
trace matérielle de son passage e n fondant Kairouan.
-------Abou'l Mohajir,
qui succéda à ce moment à Oqba dans la direction
des opérations militaires en Afrique du Nord, â trouva encore
devant lui les Berbères appelés aux armes par l'un d'entre
eux, Kossayla, qui se convertit à l'islamisme et apostasia plusieurs
fois, et fut battu près de Tlemcen.
-------Peu après
(681) se produisit à travers le Maghreb la grande chevauchée
héroïque d'Ogba, rappelé au commandement par un nouveau
Khalife. Les poètes et les chroniqueurs ont embelli cette glorieuse
et légendaire expédition : elle mena Oqba, après
plusieurs victoires sur les Berbères, à Ceuta, d'abord,
que lui livra le gouverneur byzantin, puis jusqu'à l'Atlantique
dans le Sous.
-------Pour rentrer
à Kairouan, le conquérant divisa son armée en deux
fractions. Kossayla,, dont Oqba avait fait son prisonnier, réussit
à recouvrer sa liberté. Il réunit les Berbères,
les Byzantins, gagna les montagnards de l'Aurès . Tous se jetèrent
sur Oqba, qui fut battu et tué à Tehouda (près de
Biskra). Kossayla entra à Kairouan, d'où il fut chassé
par une nouvelle armée arabe (688). La bataille de Tehouda avait
montré que Berbères et Byzantins unis pouvaient être
redoutables. Il importait d'en finir au plus vite avec l'un de ces deux
adversaires, Les Arabes s'attaquèrent d'abord aux Byzantins. En
697, Hassan ben en Noman, à la tête d'une armée importante,
s'empare de Carthage; les Byzantins de Constantinople sentent le danger
et reprennent la ville. Succès sans lendemain : l'année
suivante Carthage tombait de nouveau aux mains des Arabes. C'était
la fin de la domination byzantine en Afrique du Nord.
-------Contre les
Berbères, la lutte fut plus longue et plus difficile. Ses épisodes
sont mal connus, et on se trouve surtout en présence de légendes.
La plus célèbre est celle de la Kahina, prophétesse
qui commandait aux tribus de l'Aurès; elle est présentée
comme juive; ce qui est certain, c'est qu'elle n'était pas chrétienne;
elle adorait peut-être les anciens dieux que saint Augustin s'était
efforcé de faire disparaître. Elle battit Hassan ; et, de
tous les nobles musulmans qu'elle captura, elle ne garda que le seul Khalid
ben Yazid. La légende veut qu'elle ait eu deux fils, l'un berbère,
l'autre grec : elle entendit faire de Khalid leur frère : on voit
la valeur du symbole.
-------La Kahina
ne se serait pas fait d'illusion sur la portée probable de son
succès sur Hassan. Désespérant de le renouveler dans
la bataille, elle résolut d'empêcher l'invasion en faisant
le désert devant les Arabes; elle ordonna des destructions systématiques
dans les plaines environnant les villes. Il est vraisemblable que la légende
a ici enjolivé de simples razzias exécutées par les
montagnards de l'Aurès momentanément débarrassés
de la menace arabe.
-------En tout cas,
le procédé attribué à la Kahina n'eut aucun
succès. Les dévastations ne firent que lui aliéner
la population des villes: elles ne réussirent pas à arrêter
la marche d'Hassan ben en Noman qui revint dans le pays et mit en complète
déroute les Berbères soulevés par la Kahina.
-------Un certain
nombre de conversions à l'Islam s'étaient déjà
produites, comme le montre l'exemple de Kossayla, quand les Arabes, au
début du VIIIè siècle, entreprirent l'islamisation
systématique des Berbères. Le prosélytisme arabe
se manifestait en liant étroitement la religion et la guerre :
il s'agissait, par la violence et la conquête, de propager la foi.
-------Les grandes
expéditions militaires, comme celle qui mena d'un bout à
l'autre de l'Afrique du Nord Mousa ben Noçayr, comportaient
la capture de nombreux prisonniers Les populations avaient le choix entre
la conversion et l'exil ou la mort. La conversion s'accompagnait en principe
de l'acquisition des droits communs à tous les musulmans, notamment
la dispense de la capitation (jiziya) et de l'impôt foncier (kharadj).
Ce procédé fut employé systématiquement à
partir de 718.
Cependant, et l'exemple de Kossayla le montre encore, en dépit
des avantages acquis aux nouveaux convertis, les conversions n'étaient
pas toujours durables. Suivant un texte célèbre, les Berbères
apostasièrent douze fois en 70 ans. C'est alors qu'intervint à
leur profit l'application d' un autre principe de la guerre sainte : les
territoires nouveaux, soumis par les armes, restaient la possession des
conquérants. C'est ainsi que, mêlant la foi à l'intérêt,
les Berbères furent lancés à la conquête de
l'Espagne.
-------Ceux qui
restèrent en Afrique du Nord, et en Algérie, furent contraints
d'accepter la domination arabe, qui, outre la religion, comportait l'adoption
de la langue du vainqueur. Ce nouveau changement linguistique fut admis
sans plus de difficulté et dans les mêmes conditions que
les changements antérieurs : les sédentaires et les gens
des villes s'y plièrent aisément; les montagnards des massifs
difficiles à réduire continuèrent à parler
leur langue. Néanmoins l'islamisation de l'Algérie connut
des débuts rapides.
II.-Le
Royaume de Tahert (VIII-IXè siècles)
-------Le royaume
de Tahert est le premier État indépendant qui se soit formé
sur le territoire de l'Algérie musulmane. Sa constitution a trouvé
en partie son origine dans un mouvement berbère dirigé contre
l'occupant arabe. Mais elle ne représente rien qui puisse se comparer
à une réaction contre l'Islam triomphant. Au contraire,
son fondateur appartenait à une secte qui se piquait de rétablir
l'islamisme dans toute sa pureté originelle.
-------Au
début du VIIIè siècle, à l'époque où
l'Islam s'affermissait en Afrique du Nord, les causes de malentendus entre
Arabes et Berbères étaient nombreuses. Ceux-ci auraient
accepté la domination de ceux-là si les nouveaux maîtres
n'avaient ouvertement marqué leur dédain pour les populations
conquises, dédain que ne compensaient pas des bienfaits matériels
dus à l'administration du territoire.
La politique des gouverneurs qui régnaient sur les pays au nom
des Khalifes ne paraît pas avoir été non plus très
habile. La faute ne leur incombe peut-être pas personnellement,
mais elle eut des conséquences graves. Pour mener la guerre sainte,
l'Islam avait besoin d'argent. Ce besoin devint bientôt si pressant
que, adoptant un expédient déjà utilisé ailleurs
dans l'empire musulman, mais contraire aux règles normales de l'Islam,
le représentant du Khalife décida que les nouveaux convertis
auraient, même après leur conversion, à payer la capitation
et l'impôt foncier.
-------Le mécontentement
grandit vite et aboutit à l'assassinat du gouverneur Yazid, suivi
de révoltes sur plusieurs points et pendant une période
assez longue.
-------Les Arabes,
en effet, étaient divisés entre eux. Le grand effort de
Mahomet, on le sait, avait eu d'abord pour but de faire l'unité
entre les différentes tribus. Maintenue dans la guerre sainte,
pour elle et par elle, cette unité tendit rapidement à s'affaiblir,
Les Arabes installés en Afrique du Nord n'avaient pas entièrement
perdu le souvenir des haines qui avaient longtemps armé leurs tribus
les unes contre les autres. L'installation des Khalifes à Bagdad,
en éloignant le pouvoir central de l'Afrique du Nord, laissait
le champ libre à ces dissensions intestines auxquelles les Berbères
se trouvèrent mêlés.
-------Un mouvement
populaire, pour être redoutable, doit avoir pour substrat une grande
idée. Les exactions des gouverneurs n'auraient pas suffi sans l'influence
du Karidjisme. Rappelons brièvement les origines de cette secte.
-------Ali, quatrième
successeur du Prophète, dont il avait épousé la fille
aînée Fatima, avait été élu par les
gens de Médine (656), ce qui lui valut l'inimitié des gens
de la Mecque. Ceux-ci cherchèrent des appuis; le principal adversaire
d'Ali fut le gouverneur de Syrie, Moawya, de la famille des Ommeya, soutenu
par la « Mère des fidèles », Aicha, la femme
favorite de Mahomet. La lutte entre Ali et Moawya enraya les conquêtes
de l'Islam Dans le camp même d'Ali, l'unité ne dura pas;
en face des gens de son parti (Chia), légitimistes ne voulant reconnaître
le droit au Khalifa qu'à lui et à ses descendants parce
qu'ils étaient du sang du Prophète, se dressèrent
des musulmans qui entendaient rester fidèles aux principes fondamentaux
de l'Islam démocratique et égalitaire, en particulier au
principe de l'élection du Khalife, choisi seulement en vertu de
ses qualités religieuses. Ceux-ci s'appelèrent les Kharidjites,
« Ceux qui sortent sur le chemin de Dieu
».
-------Ali périt
assassiné en 661, mais sa mort n'amena pas la fin du Kharidjisme.
Loin de là. Les Kharidjites, bientôt divisés eux-mêmes
en deux sectes, les Cofrites et les Abadhites, se livrèrent à
une propagande intense dans toutes les parties de l'Empire musulman. Ils
envoyèrent des émissaires qui prêchèrent non
seulement la révolte contre le Khalife, mais l'observation rigoureuse
de la doctrine. Leur attitude dans l'Islam a été comparée
à celles des puritains dans le protestantisme.
-------Des émissaires
Kharidjites vinrent en Afrique du Nord. Il y vint aussi de véritables
colonies d'émigrés Kharidjites qui s'y établirent
et continuèrent la propagande. Les Berbères ont toujours
eu un sentiment développé de l'égalité, et
le dédain des Arabes, ainsi que les mesures vexatoires des gouverneurs,
les préparait à accueillir une doctrine qui, tout en flattant
leurs sentiments intimes, tendait à rétablir les bases véritables
de la religion. Leur mouvement fut un mouvement Kharidjite, au moins autant
qu'une réaction nationale.
-------Aussi, quand
une tribu du sud tunisien, les Ourfedjouma, se jeta sur Kairouan, elle
eut l'appui des Çofrites. La ville prise, ceux-ci se rendirent
intolérables par leurs actes. Pour en venir à bout, on fit
appel à des Abadhites de Tripolitaine qui envoyèrent, pour
rétablir l'ordre et gouverner le pays, le persan Ibn Rostem, un
Kharidjite vivant parmi eux.
-------Mais les
luttes provoquées par le Kharidjisme continuaient encore: les musulmans
malékites d'Égypte constituèrent une armée
destinée à extirper l'hérésie de l'Ifrigya.
Cette armée marcha d'abord sur Kairouan, d'où elle chassa
Ibn Rostem (761). Le nouveau gouverneur, Ibn et Achath, poursuivit sa
tâche et réussit assez vite à faire disparaître,
au moins en apparence, les Kharidjites de l'Ifrigya. Un de ses successeurs
voulut rétablir l'orthodoxie dans le Maghreb: mais, dans le Zab,
il se trouva encerclé par les Kharidjites, dont il ne put empêcher
une partie de venir assiéger Kairouan et même de l'occuper
un certain temps.
-------Parmi
les Kharidjites ligués contre lui se trouvait Ibn Rostem, qui,
après sa fuite de Kairouan en 761, avait fondé, près
de Tiaret, la ville de Tahert, et organisé dans la région
un État indépendant.
-------Cet État,
dont le fondateur avait entendu restaurer la doctrine primitive, était
gouverné par un Imam, un « directeur de la prière
». Son pouvoir est fondé uniquement sur ce titre,
qui lui confère une autorité absolue, mais à condition
que ses décisions soient toujours conformes au Coran et aux traditions.
De ce fait, il est soumis à l'autorité morale, mais effective,
de la caste religieuse locale, qui s'est peu à peu constituée,
et à celle des autres communautés abadhites existant dans
le monde musulman. En cas de dissentiment entre l'Imam et cette caste,
dissentiment dont les conséquences peuvent être fort graves,
puisqu'il s'agit toujours, étant donné la forme du gouvernement,
d'une question intéressant la religion, on fait trancher la difficulté
par une communauté de l'extérieur, par les Abadhites d'Orient.
-------À
la vérité, le principe plébiscitaire n'était
pas entièrement respecté : les Imams de Tahert, élus
conformément aux principes, appartenaient toujours à la
même famille. Mais c'est, semble-t-il, la seule entorse donnée
à la pure doctrine. La rigidité des murs dans l'État
de Tahert fait l'étonnement d'une ambassade des Abadhites de Bassorah,
qui se voit refuser des cadeaux précieux; peut-être ne faut-il
voir dans cette anecdote qu'une légende elle serait une nouvelle
preuve du fréquent désir des « hérétiques
» de marquer la différence entre leur vie simple et le luxe
déployé par les " orthodoxes " (en l'espèce
les Aghlabides de Kairouan).
-------Cette simplicité
de vie n'empêcha pas les gens de Tahert de s'adonner à l'étude
des sciences religieuses ou profanes. Parmi celles-ci l'astronomie paraît
avoir été particulièrement en honneur.
-------Elle n'empêcha
pas non plus une vie commerciale et agricole assez développée.
A côté des théologiens, des " laïcs "
donnent à l'État une prospérité matérielle
indéniable. De par sa situation, Tahert est en relation avec les
sédentaires du Nord comme avec les nomades du désert, et
elle intervient fructueusement dans le trafic qui s'établit entre
eux par son intermédiaire. Des Abadhhites orientaux viennent s'y
établir et y introduisent un certain luxe.
-------L'
État de Tahert n'a pas laissé de traces matérielles
de son existence. Il paraît cependant avoir vécu plus paisiblement
que l'autre royaume de l'Algérie kharidjite, fondé à
Tlemcen par Abou Qorra, et assez mal connu. Ni l'un ni l'autre, d'ailleurs,
ne saurait être comparé aux puissants royaumes des Idrissides
de Fez et des Aghlabides de Kairouan, qui donnèrent à l'Islam
en Afrique du Nord un éclat incomparable au IXè siècle.
III.-L'
État Hammadite (Xè-XIIè siècles)
-------Les hérésies
jointes aux ambitions personnelles continuaient à ébranler
l'Islam en le morcelant. Tahert, née dit Kharidjisme, périt
par le Chiisme.
-------La Chia légitimiste
du quatrième Khalife, Ali, appelait au pouvoir ses descendants,
les Fatimides. Les Chiites vivaient dans l'espoir d'un Mahdi et se livraient
en sa faveur à une ardente propagande. Un de leurs émissaires,
Abou Abdallah, crut discerner les instruments de Dieu dans les Kotamas,
montagnards de la Petite Kabylie. De fait, ceux-ci réussirent à
prendre Kairouan, Tahert (909) et à ramener à Kairouan un
Mahdi Fatimide, alors prisonnier chez un prince kharidjite du Tafilalet.
-------Ce fut l'origine
de nouvelles luttes. Les Algériens furent englobés dans
la rivalité entre les Ommeyades de Cordoue et les Fatimides de
Kairouan, et se divisèrent pour suivre le parti de ceux-ci ou de
ceux-là. Aux Kotamas Chiites se joignirent les Senhadja, sédentaires
de l'actuel département d'Alger, s'étendant jusqu'au Hodna,
qui se rallièrent aux Fatimides; leur principal ennemi était
le bloc des Zenata, nomades ayant leurs terrains de parcours plus à
l'ouest et au sud, fidèles aux Ommeyades. Les Senhadja, et au premier
rang les Beni Ziri, l'emportèrent.
-------Les Beni
Ziri s'occupèrent alors de faire régner la sécurité
sur leur territoire. Ils y arrivèrent en bâtissant des forteresses,
dont la principale, Achir, dans les Monts du Tittery, devint leur capitale.
-------Ils restèrent
fidèles aux Fatimides et allèrent les soutenir en Ifriqya.
Les nouveaux maîtres de Kairouan n'avaient pas tardé, pour
subvenir aux besoins de la guerre, à lever des impôts non
coraniques. D'où leur impopularité, qui trouvait un autre
aliment dans le ressentiment des Kharidjites et des Malékites.
Une révolte se produisit chez les Berbères, menée
par Abou Yazid, l'homme à la chèvre, qui, ayant étudié
à Tahert, rêvait de chasser les Fatimides et d'établir
un régime théocratique. Il en résulta une crise grave
qui dura de 943 à 947. Abou Yazid marcha sur Kairouan, puis sur
Mahdiya, port construit sur la côte tunisienne où se réfugièrent
les Fatimides. Les Beni Ziri délivrèrent la ville, poursuivirent
Abou Yazid, et le prirent dans les hauteurs dominant le Hodna. Le projet
des Fatimides était de répandre le Chiisme en Orient, et
d'abord en Égypte. Après un premier échec, ils reprirent
leur dessein. Pour assurer leur liberté de mouvement, ils confièrent
l'Ifriqya à Bologguin, fils de Ziri. Tout en tenant leur place,
celui-ci devait continuer la lutte contre les Zenata. Tâche écrasante,
que son fils désespéra de mener à bien : à
son tour, usant du même procédé que les Fatimides,
il abandonna une partie de son territoire, le Maghreb central, à
son oncle Hammad, avec mission de contenir les Zenata, lui-même
s'installant à Kairouan.
-------Hammad ne
tarda pas à vouloir se rendre indépendant. Il fonda dans
les hauteurs du Hodna la Qala des Beni Ziri, qui, à l'origine simple
forteresse, se développa et devint une véritable capitale.
En 1017, après une guerre, le sultan de Kairouan dut reconnaître
l'indépendance de l'État Hammadite.
-------La Qala,
peuplée d'abord grâce à des déportations en
masse, connut une grande prospérité. Cette prospérité,
certaine et brillante, mais éphémère, lui vint en
partie de ce qui devait causer sa ruine et celle de l'Algérie :
l'invasion des Arabes hilaliens. Les Senhadja de Kairouan, dont les convictions
chiites étaient devenues assez tièdes, n'avaient pas tardé
à rompre avec le Fatimide d'Égypte. Occupé de ses
projets orientaux, celui-ci lança contre eux les nomades hilaliens,
alors cantonnés dans la Haute-Egypte. Le sultan de Kairouan les
accueillit d'abord favorablement; mais ils ne tardèrent pas à
être les maîtres. Les Beni Ziri durent abandonner Kairouan,
pour se retirer, comme avant eux les Fatimides, à Mahdiya.
-------La ruine
de Kairouan profita d'abord à la Qala Hammadite. Un flot d'émigrés
vint augmenter sa population. Il en arriva même d'Égypte
et de Syrie, du Hedjaz, et de l'Irak L' Émir En Nacir put ainsi
faire de la Qala une capitale, avec dés monuments très importants
(Palais du Fanal, Palais de la Mer), aussi remarquables par leurs proportions
architecturales, que par leur décoration.
-------Mais l'invasion
hilalienne continuait : sans cesse de nouvelles tribus arrivaient, et
les nomades poussaient de l'avant, détruisant tout sur leur passage
: à leur tour, les Hammadites durent céder la place, ou
tout au moins chercher un refuge sur la côte. En 1090, El Mançour
se réfugia à Bougie. Il n'était pas, à vrai
dire, complètement chassé de la Qala, et, pendant un certain
temps, les Hammadites eurent deux capitales.
--------Ils
firent de Bougie une ville florissante. Sous la pression des circonstances,
ces terriens se tournent vers la mer. Ils encouragent d'abord le commerce,
particulièrement avec l'Orient. Des chantiers de construction bâtissent
des galères rapides et des bâtiments de transport. Le commerce
de Bougie s'étend avec l'Europe : ses souverains établissent
des relations diplomatiques même avec le Pape. Mais, dans la Méditerranée,
ils se rencontrent avec les Normands; et leurs rapports avec eux ne tardent
pas à devenir hostiles. Le vieil atavisme guerrier finit par reprendre
le dessus : ils se livrent à la piraterie. Du moins, d' après
les chroniques, la Bougie hammadite rappelait-elle les splendeurs de la
Qala. Il n'en reste plus trace aujourd'hui.
-------La grandeur
des deux villes hammadites, puis leur décadence, eurent pour cause
directe, on le voit, l'invasion des Arabes hilaliens. Cette invasion représente
le plus important apport de sang arabe dans l'Afrique du Nord. On a calculé
qu'il est venu environ un million de ces nomades. La façon dont
ils s'établirent dans le pays a eu plus d'influence que leur nombre.
-------Bien qu'agitée
et déchirée encore par des guerres, l'Afrique du Nord, aux
IXè, Xè et XIè siècles, avait connu une civilisation
sinon originale (les influences orientales sont très nettes), du
moins assez développée et florissante : un dernier reflet
de la prospérité romaine illustrait le pays. Avec les Hilaliens,
le tableau change et s'assombrit. Parlant des Hilaliens, Ibn Khaldoun
a écrit : « Tout pays conquis par les Arabes est ruiné.
» La future Tunisie, envahie la première, fut effectivement
ruinée, et l'Algérie orientale eut le même sort.
-------Avant l'arrivée
des Hilaliens, les souverains de l'Afrique du Nord semblent avoir éprouvé
des difficultés toujours croissantes à recruter les guerriers
nécessaires pour faire reconnaître leur autorité dans
les pays qui leur étaient en principe soumis, et pour se défendre
contre leurs voisins. Les nomades fournissaient des contingents tout disposés
à se battre. Dans bien des cas, ils intervinrent donc à
la demande des Berbères. Mais les Fatimides, en les lançant
sur l'Ifrigya, leur avaient concédé, suivant l'usage, la
propriété des territoires qu'ils viendraient à conquérir.
Par la suite, en se mettant au service de tel ou tel chef ou prince, les
Hilaliens acquirent des avantages comparables à ceux des "
tribus maghzen " des époques récentes : mariages entre
les familles de leurs chefs et celles des roitelets secourus, surtout
concessions de terres ou de revenus spéciaux, sous des formes variables,
mais voisines des usages féodaux. Ces avantages ne purent leur
être acquis qu'au détriment des populations anciennes. L'insécurité,
l'instabilité revinrent plus que jamais à l'ordre du jour
: l'agriculture disparut, ainsi que le commerce normal.
-------L'invasion
hilalienne ouvrit une période de désordres et de combats.
Car, en même temps que la ruine de Kairouan, puis de la Qala, elle
produisit un reflux des nomades Zenata, qui commença la dévastation.
L'Ifrigya ne s'en releva pas. Le Maghreb central ne connut plus d'État
indépendant pendant de longues années. Le flambeau de la
civilisation passa, avec la puissance politique, aux dynasties occidentales
des Almoravides et des Almohades.
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IV.-Le
Royaume de Tlemcen (XIVè-XVè siècles)
-------Les dynasties
almoravide, et almohade, qui ont brillé surtout en Espagne et au
Maroc, et: laissé des traces imposantes sur la terre algérienne,
doivent, elles aussi, leur naissance à une idée religieuse.
-------Les futurs
Almoravides, Senhadja nomades du désert, commencèrent par
lutter contre les païens du Sahara. Ayant découvert, au cours
d'un pèlerinage à la Mecque, qu'ils ne connaissaient pas
suffisamment la doctrine de l' Islam, certains de leurs chefs demandèrent
un réformateur, qui . fut Ibn Yasin. Celui-ci instaura un système
comprenant, d'une part, la soumission à l'élément
religieux, d'autre part, la vie dans des casernes (ribat, d'où
le nom de morabitoun et, par corruption, almoravides) et un dévouement
absolu au triomphe de l'Islam.
-------Ils se développèrent
d'abord au Maroc, combattant les enata Maghraoua alors maîtres de
Fez. Dans la seconde moitié du XIè siècle, Ibn Tachfin,
d'ailleurs très soumis à l'élément religieux,
se rendit maître de Tlemcen, puis d'Oran, de Ténès,
de l'Ouarensenis et finalement d'Alger (1082). Appelé en Espagne
deux ans plus tard par le sultan de Séville, il réduisit
les Espagnols à l'impuissance au bout de quatre expéditions,
mais il resta dans le pays et prit la place des princes qui l'avaient
appelé.
-------La brillante
civilisation des Almoravides resta fidèle à ses origines
sur un point au moins, le sentiment religieux très développé.
Ibn Tachfin lui-même fit construire des mosquées notamment
à Nedroma et à Alger. Son successeur créa
la grande mosquée de Tlemcen, que le temps a respectée presque
entièrement, et amorça le développement de la ville.
-------Les Almoravides
étaient malékites, ce qui provoqua la réaction des
Almohades. Leur premier chef, le Berbère Ibn Toumert, jeta les
bases de son système à Tinmel, dans les chaînes occidentales
de l'Atlas marocain (entre Marrakech et Taroudant). II entendait organiser
le monde musulman d'après les principes largement interprétés
du Coran et de la tradition. Une des caractéristiques est l'emploi
du berbère comme langue religieuse.
-------L'empreinte
religieuse primitive persista chez les Almohades ; mais elle fut par la
suite une cause de difficultés intérieures : les cheikhs
dépositaires de la pensée d'Ibn Toumert s'opposèrent
au chef militaire et politique. Ces difficultés n'empêchèrent
cependant pas le premier successeur d'Ibn Toumert, Abd el Moumin, de fonder
l'empire des Almohades.
-------En peu d'années,
tout en combattant au Maroc et en Espagne, Abd el Moumin se rendit maître
du Maghreb central. Appelé d'abord par un clan Zenata (les Ouamamou)
en lutte contre le gouverneur almoravide, il battit celui-ci près
de Tlemcen et occupa Oran (1145). Sept ans plus tard il s'empara de Bougie,
les Hammadites n'ayant pu tenir la campagne et leur armée ayant
pris la fuite à la simple vue de son avant-garde. Au retour, il
fut attaqué par les Hilaliens qui, malgré leur supériorité
numérique, se dispersèrent au matin du quatrième
jour de bataille. En 1158 une nouvelle campagne donnait l'Ifriqya à
Abd el Moumin.
-------L'Algérie
reçut une véritable organisation administrative. Divisée
en deux provinces ayant pour villes principales l'une Bougie et l'autre
Tlemcen, elle fut soumise au système financier des Almohades. Pour
subvenir aux besoins de la guerre, ceux-ci ne purent se contenter des
impôts coraniques et du butin : ils perçurent l'impôt
foncier (kharadj) et organisèrent à cet effet un système
d'arpentage. Le maintien de l'autorité était confié
à des tribus, qui, suivant l'usage implanté dans le pays,
eurent les charges et les avantages des tribus maghzen. Ce furent les
Zenata Beni Abd el Ouad à Tlemcen, une tribu arabe à Bougie.
-------On connaît
la fortune des Almohades en Espagne et au Maroc. L'Algérie fut
quelque peu laissée de côté : l'empire était
trop vaste. Dès 1184, les deux frères Ali et Yahya Beni
Ghaniya, apparentés aux anciens émirs almoravides, entamèrent
la lutte dans la région de Bougie. Après avoir pillé
la Berbérie, ils se jetèrent sur Tunis, et, quand ils en
furent chassés, continuèrent à ravager notamment
la vallée du Chélif, la région d'Alger, le Sahel,
et les environs de Bougie.
-------La disparition
des frères Beni Ghaniya ne ramena pas le calme en Algérie
: les faiblesses de l'empire almohade subsistaient. Elles aboutirent à
la division de l'Afrique du Nord. Suivant l'expédient ordinaire,
les Almohades commencèrent par confier l'Ifrigya, avec pleins pouvoirs,
aux Beni Hafç, descendants d'un des compagnons d'Ibn Toumert, qui
se proclamèrent indépendants dans Tunis. Leur Etat engloba
sur le territoire algérien Bougie et Constantine. Au Maroc se constitua
le royaume des Beni Merin (Zenata nomades du désert). Entre les
deux, les Beni Abd el Ouad de Tlemcen cherchèrent eux aussi à
assurer leur indépendance.
-------Le royaume
de Tlemcen mena une existence agitée entre ses deux voisins qui,
l'un et l'autre, revendiquaient son territoire en souvenir de la puissance
almohade. De plus, l'émir de Tlemcen et le souverain mérinide
du Maroc sont tous deux des Zenata : ils ont hérité de vieilles
querelles datant de l'époque où les ancêtres vivaient
au désert.
-------Yaghmorasan
Ben Zaïan, le premier émir de Tlemcen, est vassal des Mérinides.
Il est attaqué par les Beni Hafç, qui envoient une armée
sous Tlemcen. En même temps il est menacé par le Marocain.
Toute son existence et celle de ses successeurs va se passer à
contenir le voisin de l'ouest et à chercher l'extension du territoire
vers l'est, vers le Chélif et Bougie. Programme tellement difficile
qu'il pousse les descendants de Yaghmorasan aux expédients politiques
les plus surprenants : l'un d'eux va jusqu'à conclure une alliance
avec le roi musulman de Grenade et avec le roi chrétien de Castille,
acceptant le rôle ingrat d'écarter les Mérinides de
l'Espagne par des diversions sur leur frontière orientale.
-------À
ce jeu, les descendants de Yaghmorasan ne connaissent guère l'indépendance.
Ils sont parfois vassaux du Mérinide ou du Hafçide, parfois
même chassés de leur domaine; leur ville est fréquemment
assiégée; leur palais est une forteresse : le Méchouar.
A ces sièges souvent prolongés, Tlemcen gagne d'être
agrandie. Les Marocains installent leur camp aux environs, et ce camp
devient une ville, Tlemcen-la-Neuve, Mançourah. Les deux souverains
rivalisent de luxe chacun pour sa ville.
-------Il
se présente parfois des chances favorables. La grande chevauchée
d'Abd el Moumin, fondateur de la dynastie almohade, a laissé des
souvenirs chez les Mérinides du Maroc : en
1347, l'un d'eux, Aboul Hassan, se lance sur les traces glorieuses du
successeur d' Ibn Toumert et rêve de soumettre toute l'Afrique du
Nord. Il atteint effectivement l'Ifrigya, mais il est battu près
de Kairouan (1348). Le prétendant Beni Abd el Ouad rentre à
Tlemcen. Aussitôt il reprend la politique traditionnelle d'hostilités
à l'ouest et à l'est, et ne réussit pas mieux que
ses prédécesseurs.
-------Ce n'est
qu'un exemple. La vie du royaume de Tlemcen n'est politiquement qu'une
succession de coups d'État, de fortunes subites et de revers soudains.
Les prétendants de tout ordre se disputent la ville, pour le plus
grand profit des Hilaliens, qui restent toujours les hommes de main et
se trouvent être les instruments ordinaires et les principaux bénéficiaires
des restaurations successives.
-------Malgré
toutes ces traverses, Tlemcen trouva le moyen de devenir une cité
commerciale et industrielle florissante, en même temps qu'un centre
d'études très vivant. Le développement de son commerce
est dû à sa situation comme point de transit avec le pays
des noirs, d'où elle recevait de l'ivoire, de l'or, des esclaves,
qu'elle échangeait avec des objets fabriqués, surtout des
armes, et contre des chevaux. Son industrie était limitée
aux tissus, mais ces tissus étaient réputés. Les
bourgeois de la ville étaient riches et le trésor du souverain
participait à cette richesse. Les fêtes égayaient
le Méchouar. Les monuments ornaient la ville. Il en reste des traces,
moins nombreuses que celles qu'ont laissées les Mérinides
à Mançourah, mais suffisantes pour donner une idée
de l'art tlemcenien, fortement influencé, d'ailleurs, par l'art
andalou. Les médersas de Tlemcen abritaient de nombreux étudiants,
dont les études théologiques étaient teintées
de mysticisme : le plus fameux de ces ascètes, Sidi Mou Medyen,
a sa sépulture tout près de la ville, à El Eubbad.
V.-La
Domination Turque
-------L'éclat
d'une ville comme Tlemcen ne saurait pallier l'état de faiblesse
dans lequel des luttes perpétuelles avaient mis l'Algérie.
Cet état devint manifeste quand les Espagnols, ayant chassé
les musulmans de leur pays, entreprirent de les poursuivre sur la terre
africaine.
-------Dans
les premières années du XVè siècle, les Espagnols
occupent Mers et Kébir (1505), Oran (1509). Bougie (1510) et obligent
les villes de la côte à envoyer en Espagne des émissaires
qui se soumettent au tribut. C'est le cas de Ténès, de Mostaganem,
de Cherchell, de Dellys. Alger, ville alors autonome, se laisse même
imposer l'humiliation d'une garnison sur l'îlot (alors séparé
de la terre ferme) sur lequel s'élève le Penon et où
s'installe une garnison espagnole.
-------Si précaire
que fût la vie de cette garnison, suspendue aux relations par mer
avec la métropole; les Algérois étaient incapables
de la chasser. La puissance turque, qui s'était élevée
sur les ruines de la dynastie abasside, s'étendait alors sur la
péninsule balkanique, l'Asie occidentale, l'Égypte. Cependant
les Algérois ne s'adressèrent pas à elle pour obtenir
des secours. Ils demandèrent ceux des frères Barberousse.
-------Ces quatre
frères, dont deux seulement, Arroudj et Khayr ed Din, appartiennent
à l'histoire, étaient des aventuriers. Fils d'un potier
de Metelin (Mytilène), ils devaient leur
richesse et leur renommée à la piraterie, qu'ils avaient
exercée d'abord, avec des alternatives de succès et de revers,
en Méditerranée orientale, puis, avec un plein succès,
en Méditerranée occidentale.
-------L'aîné,
Arroudj, fut appelé d'abord par un prince de la dynastie hafcide,
pour reconquérir Bougie. Il échoua une première fois
en 1512 et une seconde fois peu après. Mais l'époque était
favorable aux aventuriers. Arroudj fit triompher un prétendant
en Kabylie, et, avec les 5.000 hommes que lui fournit son obligé,
et qui vinrent renforcer ses compagnons, il entra dans Cherchell, puis
dans Alger.
-------Là
se posait toujours la question du Penon. Arroudj, n'ayant pu la résoudre
immédiatement, fut menacé par une grave révolte,
qu'il mata énergiquement. Les Espagnols envoyèrent une nouvelle
expédition qui échoua complètement. Mais l'événement
avait montré les hésitations du sultan de Ténès,
et du Beni Abd el Ouad de Tlemcen après avoir soumis dans sa marche
Médéa et Miliana, Arroudj les battit l'un et l'autre, et
s'installa à leur place. II fut assiégé sans succès
par les Espagnols dans Tlemcen et mourut. Mais son domaine était
singulièrement étendu.
-------Khayr ed
Din Barberousse, son frère, qu'il avait laissé dans Alger,
consolida définitivement sa puissance par un acte politique adroit
et par la prise du Penon. Il se reconnut le vassal de la Porte, qui lui
envoya 2.000 janissaires et permit à 4.000 volontaires turcs de
le rejoindre. Quant au Penon, après l'avoir enlevé, il réunit
l'îlot à la terre ferme par une digue, donnant ainsi à
Alger un port étroit mais sûr. Il quitta Alger pour aller
mourir à Constantinople (1546). Il avait désigné
comme son successeur I-lassan Agha, avec le titre de beylerbey (émir
des émirs).
-------Toute la
puissance d'Alger à sa belle époque reposait sur la milice
des janissaires, toute sa richesse sur les corsaires. Ces conditions suffisent
à expliquer que le gouvernement n'ait jamais pu être fort.
La guerre sainte, qui était son principe le plus ferme, ne fut
qu'un prétexte à des exactions : à l'extérieur
par la course; à l'intérieur par une administration purement
fiscale. Le jour où la décadence de la course et de la milice
des janissaires fit disparaître le prétexte même, l'Alger
turque ne put plus se maintenir et son pouvoir ne fut plus considéré
que comme de l'oppression.
-------Le moyen
de gouvernement de Barberousse et des beylerbey ses successeurs était
la milice (odjaq) des janissaires. C'était une troupe turbulente
et bien recrutée à l'origine; tous les grades étaient
acquis à l'ancienneté, y compris celui du chef suprême
(Agha), qui ne restait en fonction que deux mois. La plupart des janissaires
vivaient dans les casernes; ils ne se livraient à aucun exercice
militaire, leur emploi du temps étant réglé par années
(un an en garnison, un an en colonnes pour aider à la collecte
de l'impôt, un an de repos). Ils étaient administrés
par un divan,
et leurs chefs réussirent à s'introduire dans le grand divan,
conseil administratif du beylerbey, avec voix consultative d'abord, puis
en prenant une part grandissante au gouvernement.
-------Barberousse
lui-même avait eu à se défendre contre leurs rempiétements.
Ses successeurs, dont le pouvoir était accru par le fait même
de leur éloignement de Constantinople et par l'autorité
qu'ils avaient à titre de beylerbeys d'Afrique sur les pachas de
Tunisie et de Tripoli, furent dans le même cas. L'un d'eux imagina
de former une garde indigène qui fût mieux dans sa main.
Ce fait donna lieu au dernier acte effectif de souveraineté de
Constantinople, qui, en 1587, remplaça le beylerbey par un pacha
nommé pour trois ans, et n'ayant plus autorité sur ses collègues
de Tunis et de Tripoli.
-------À
cette époque, la course était florissante, et, encouragée
par les pachas, qui y trouvaient un bénéfice personnel en
même temps que celui du trésor et de la ville, elle prenait
une extension toujours croissante. Dès le milieu du XVè
siècle, ce fait avait inquiété l'Espagne. Mais la
grande expédition de Charles-Quint en 1541, contrariée par
la mer, se termina en désastre, et une nouvelle tentative en 1567
n'eut pas un meilleur sort. Le renom d'invincibilité d'Alger commença
à s'établir, encore favorisé par la politique française,
conciliante et pacifique à l'égard des musulmans. Cette
politique ne fut pas sans résultats locaux un consul installé
par Henri III obtenait des « concessions » (droit d'établissement
dans certains ports) et des privilèges (pêche du corail).
-------Mais les
Algériens ne restèrent pas fidèles aux conventions.
Les Provençaux, exposés à leurs coups, se défendaient,
et leur politique particulière ne correspondait pas à la
politique royale. L'instabilité des musulmans et les fluctuations
des puissances européennes permirent à la course de devenir
vers 1620 un véritable fléau. L'Europe n'arrivait pas à
une action concertée : en 1622, les Anglais bombardaient Alger;
mais, vers la même époque, un Français, Sanson Napollon,
fut sur le point d'obtenir par des négociations l'établissement
de relations acceptables entre son pays et Alger. Rien n'y fit, et, vers
1650, on comptait dans Alger environ 30.000 captifs chrétiens enlevés
par les Corsaires. Un nouveau bombardement anglais en 1655 restait sans
effet.
-------Alger s'enrichissait.
Cette richesse même devait faire sa ruine. La corporation des patrons
corsaires, sur qui reposait cette prospérité, était
en rivalité avec les janissaires; rivalité armée
qui dégénérait en émeutes fréquentes.
En 1659, la milice l'emporta, et le pacha, réduit à un rôle
purement honorifique, fut remplacé en fait, à la tête
du gouvernement par l'Agha, chef des janissaires. Caricature de gouvernement
: les pouvoirs de l'Agha ne duraient théoriquement que deux mois;
dans la pratique, c'était encore pire : tous furent successivement
assassinés. La faction des patrons corsaires
l'emporta en 1671 et confia le gouvernement à un dey (oncle) nommé
à vie : les quatre premiers furent des marins.
-------Mais le beau
temps était passé. Ces révolutions affaiblissaient
Alger. De plus, sans qu'une action concertée des puissances européennes
se produisît, Français et Anglais bombardaient la ville,
ceux-ci en 1672, ceux-là en 1683 sous Duquesne, puis en 1688, sous
d'Estrées. Chacune de ces opérations en elle-même
n'obtenait pas le résultat décisif; dans l'ensemble, et
combinées avec des croisières fréquentes, elles arrivèrent
à diminuer notablement l'importance de la course. Dès le
XVIIIè siècle, le nombre des captifs dans Alger tombait
à 2.000.
-------En
même temps, le recrutement des Corsaires, comme celui
des Janissaires, se faisait plus difficile. Les éléments
nouveaux étaient médiocres. Dans cette décadence
générale la milice conserva son importance avec sa turbulence;
la moitié des Deys furent assassinés, les janissaires, comme
les prétoriens de la fin de l'Empire romain, cherchant à
percevoir le plus souvent possible le don de joyeux avènement.
-------À
ce régime incroyable, Alger ne pouvait retrouver sa splendeur.
Une tentative de débarquement espagnol échouait encore dans
la seconde moitié du XVIIIè siècle; les petites puissances
comme Naples, la Suède, le Danemark, la Hollande, se soumettaient
bien à l'humiliation d'acheter la sécurité de leurs
vaisseaux; mais les grandes assuraient par la force celle des leurs.
-------Au début
du XIXè siècle, il ne restait plus dans Alger que 1.200
captifs, dont, en 1816, la plus grande partie dut être libérée
à la suite d'une démarche énergique de lord Exmouth
exigeant, au nom des puissances, l'abolition de l'esclavage.
Le gouvernement du Dey subsista, tel qu'il avait été organisé
en principe en 1671, jusqu'en 1830. Les pouvoirs du Dey désigné
par la milice sont absolus, et, en fait, il est indépendant de
Constantinople, qui lui envoie tous les deux ou trois ans un caftan d'honneur.
Il est assisté de son « divan » comprenant les cinq
« puissances » ou ministres.
-------L'organisation
des provinces de la régence paraît rationnelle en principe.
Le territoire est réparti entre la province d'Alger, dépendant
directement du Dey, et les trois beyliks de l'Ouest (Oran, après
la reprise sui les Espagnols en 1792), du Tittery (Médéa),
et de l'Est (Constantine). Chaque beylik est subdivisé en outan
à la tête desquels se trouve un Caïd turc et qui comprennent
des douars, dirigés par les Cheikhs et groupés en tribus.
Désignés par le Dey, les beys sont à peu prés
indépendants; pour se faire obéir, ils disposent, suivant
l'antique usage en Afrique du Nord, de tribus privilégiées
qui, en échange des services qu'elles rendent, sont exemptes des
impôts non coraniques, auxquelles restent soumises les autres. Des
colonnes de janissaires, en cas de besoin, participent à la perception
des contributions.
-------Dans la pratique
cette organisation ne donne pas grand chose. L'autorité du Dey
est bafouée jusque dans la Mitidja. Il n'est même pas en
sécurité dans Alger, et, au début du XIXè
siècle, il doit abandonner son palais situé dans la principale
rue, pour se réfugier à la Casbah. En Kabylie, seule une
politique adroite fondée sur une parfaite connaissance des rivalités
locales permet aux Turcs de se maintenir. En dépit des procédés
brutaux qui sont employés (les janissaires et les tribus Maghzen
« mangent » les tribus récalcitrantes), l'argent rentre
mal; comme la course ne donne plus, le trésor s'appauvrit et ne
vit que grâce aux emprunts consentis par des négociants-banquiers
comme les Bacri et les Busnach : de là des compromissions d'où
naîtra, en somme, l'expédition française de 1830.
-------L'administration
turque ne répara pas les dégâts causés en Algérie
par l'invasion hilalienne et les luttes incessantes qui suivirent ; la
prospérité, puis la décadence d'Alger ne touchèrent
en rien Berbères et Arabes. Seulement, la commune oppression atténua
les divergences entre les deux races et provoqua une fusion, en certains
cas, assez intime. Mais, en dépit d'un gouvernement réputé
unique (et en fait divisé), il ne se constitua pas une âme
algérienne. Ce qui subsista, ce fut l'islamisme. Toute prospérité,
toute civilisation vivante, a disparu. Il ne reste que des aspirations
religieuses mal définies, incapables de produire une évolution
vers le progrès, mais douées d'une considérable force
de résistance. Les anciens cadres locaux ont disparu, au profit
de la classe religieuse des Marabouts.
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